Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin) est le chef d'œuvre de Wim Wenders. Ce magnifique poème cinématographique en noir et blanc doit beaucoup à Jean Cocteau. Le choix d'Henri Alekan qui avait fait la lumière de La belle et la bête a probablement été une évidence. Les voix intérieures sont autant de messages énigmatiques que des reflets du réel, le montage est découpé comme des bouts rimés, ces anges profanes sont plus humains que les hommes, ils traversent les murs comme ils planent dans le ciel au-dessus de Berlin, la musique soutient leur bienveillance, les vieux savent ce qu'ils doivent à l'enfance...
La partition sonore, mélange de confessions murmurées en voix off, valse, rock, chœurs contemporains, parade de cirque, quatuor à cordes shönbergien, bruits du monde, nous fait planer au-dessus de la ville encerclée. L'apparition d'un plan en couleurs renforce la poésie du noir et blanc, ce noir et blanc dont Orson Welles disait qu'il suffisait d'enlever un paramètre à la réalité pour entrer en poésie. Wenders fait naître la couleur de l'amour, il troque un rêve pour un autre, boy meets girl, un ange l'un pour l'autre. Le film est sorti en 1987, deux ans avant la chute du Mur. Les traces de la Seconde Guerre Mondiale sont encore présentes. Terrain vague, l'Allemagne ne s'en est pas encore remise. Depuis le tournage, ceux qui l'ont vécue ont disparu. Wenders mêle les images d'archives à des reconstitutions. Le passé est présent. Le futur est à l'œuvre. Plein d'une rare tendresse. Les dialogues laissent paraître ici et là un poème de Peter Handke sur l'enfance. C'est un film sans âge, un rêve de passage que l'amour autorise. Pour une fois le titre français est plus beau que l'original.


L'ange Damiel interprété plein de retenue par Bruno Ganz assiste à un concert de Nick Cave. C'est le Berlin mythique des années 80. Peter Falk, acteur de Cassavetes et Inspecteur Colombo, parle anglais. Solveig Dommartin, révélée par le film, français. Je parle allemand et je ne suis encore jamais allé à Berlin, mais Les ailes du désir résonnent particulièrement en moi, parce qu'Henri Alekan fut mon professeur à l'Idhec, un homme charmant, attentif, passionné jusqu'à la fin (et je me souviens aussi évidemment de son électricien, Louis Cochet), parce que ma fille fut longtemps trapéziste et que là-haut elle incarnait un ange avec ses ailes toutes blanches, parce que je ne cesse de lever les yeux vers le ciel ou de regarder les hommes depuis la Lune, parce que je reste un fidèle admirateur de Cocteau et que le cinématographe est mon langage, surtout dans ma musique.


Le nouveau master bénéficie d'une image 4K, toute en contrastes, telle qu'Alekan l'avait imaginée. J'aimerais lui annoncer la nouvelle, comme Peter Falk tendant la main vers un fantôme devant une baraque à frites, car il nous a quittés il y a plus de vingt ans. Pour cette superbe restauration Wenders est reparti des négatifs. Les suppléments offrent un entretien avec Wim Wenders sur ce sujet, des scènes coupées avec accompagnement musical ou un commentaire du réalisateur, un vol en hélicoptère au-dessus de Berlin, une scène de tournage avec Peter Falk, Wenders nous fait visiter la ville qui a tellement changé depuis le tournage, et puis la nouvelle bande-annonce. Le coffret ultra-collector nous gratifie en plus d'un livre de 208 pages, illustré de 35 photos exclusives, avec le scénario en français et un texte passionnant de Wenders de 2017, trente ans après sa réalisation.

→ Wim Wenders, Les Ailes du désir, coffret Carlotta Ultra Collector - 4K UHD + Blu-ray + Livre, 55€ (20€ Blu-Ray seul, 25€ 4K UHD)