J'avais adoré The Devil’s Weight, le premier album d'Eric Mingus paru également sur le label de Lionel Martin, Ouch ! Ce disque est étonnamment et injustement resté confidentiel. Qu'à cela ne tienne, en voici un second, Dog Water, où le fils de Charles Mingus, collaborateur de Hal Willner, Elliott Sharp, Carla Bley, Wolfgang Puschnig ou Howard Johnson, s'accompagne d'une guitare électrique, véritablement électrique. Parfois il double sa magnifique voix de basse en enregistrant des harmonies chorales, ajoute un saxophone, un orgue, une basse, un banjo ou une percussion. Certains "fils de" profitent de la notoriété de leurs aînés, Eric Mingus n'en abuse pas et l'on peut se demander s'il n'a pas hérité des difficultés sociales rencontrées par son père, en plus de son émotion et d'un humour pince-sans-rire qui transparaît dans certaines chansons. La variété de tons qu'il y met les font ressembler à des courts métrages sonores où l'on perçoit souvent l'environnement narratif.



Eric Mingus écrit : « Contrairement au précédent qui a été fait en Europe, cet enregistrement marque mon retour aux États-Unis [réalisé dans son studio mobile, The Lost Realm, dans le calme du haut désert du Nouveau-Mexique]. Mon travail m’a obligé à voyager dans ce pays plus que je ne l’avais fait par le passé. C’est un travail de la route. Depuis le cimetière de mes ancêtres esclaves en Caroline du Nord sur une terre volée, jusqu’au lieu de naissance de mon père à Nogales en Arizona, des journées entières de conduite d’est en ouest à travers les États-Unis, attrapant des morceaux de l’historique et musicale Route 66. C’était un voyage pour comprendre ma connexion à ce lieu et à ma lignée plus profondément. » La belle pochette signée Nicolas Moog (dessinateur de la BD Underground) et Florent Decornet ne gâche rien.



J'écoute aussi souvent l'album Scar de Joe Henry. J'aime bien sa voix bluesy lancinante, mais c'est surtout pour la présence incroyable d'Ornette Coleman dans le premier morceau, Richard Pryor Adresses A Tearful Nation, où le saxophoniste jouit d'une extraordinaire liberté, y appliquant génialement son concept harmolodique. Or j'avais totalement oublié qu'il réapparaissait en index 7, Nico Lost One Smal Buddha. Ma surprise est encore plus grande quand débute la ghost track alors que le disque semble terminé. Près d'une dizaine de minutes avec Ornette presque seul. J'imagine que Joe Henry, en dehors de son admiration explicable, a dû payer chère la présence du saxophoniste qui, en 2001, avait alors 71 ans. Parmi les autres musiciens qui accompagnent Joe Henry on entend également Brad Mehldau, Me'shell Ndegéocello et Marc Ribot ! Scar reste mon préféré de Joe Henry. On se demande pourquoi.

→ Eric Mingus, Dog Water, Ouch! Records, LP 20€ (7€ en numérique), dist. Inouie, sortie le 24 novembre 2023
→ Joe Henry, Scar, CD Fontana Mammoth, 11,98€