Voir jouer les musiciens que l'on ne connaît qu'à l'écoute est toujours très émouvant.

Je regarde jouer Eric Dolphy au sein du sextet de Charlie Mingus à Stockholm le 13 avril 1964. Trois mois avant sa mort, à 36 ans, diabète, crise cardiaque. La veille, il montrait à Bernard comment jouer de la trompette de la main gauche et lui racontait que la seule chose grave, c'était de mourir. On le voit passer ici avec désinvolture de la flûte à la clarinette basse, au sax alto. Dolphy est une énigme. Aucun poncif jazz. Juste le cadre. Jazz. Swing des îles, timbre de nulle part. Le jeu de Dolphy est celui d'un compositeur, comme les œuvres de Mingus, le compositeur afro-américain qui m'emballe le plus. J'adore sautiller avec Cab Calloway, être ému par Kirk, rire avec l'Art Ensemble, me saouler de Miles, me plonger dans le passé avec Shepp, m'énerver avec Hendrix, mais c'est Mingus qui incarne pour moi le compositeur de jazz. Comme ailleurs Varèse ou Ives. La structure du discours de Dolphy s'oppose aux arabesques monotones. So Long Eric, Meditations...

Hier soir, je découvrais un film de Charles Atlas, Put the Blood into Music, sur la scène avant-gardiste new-yorkaise de 1989. Deux sujets : John Zorn, époque Spy vs. Spy, à la Knitting Factory et chez lui devant son imposante discothèque, et Sonic South dans différents lieux et discutant avec John Cale. Plus, entretiens flash avec Glenn Branca, Ikue Mori, Christian Marclay, Vernon Reid... Je partage avec Zorn les mêmes héros (Ives, Partch, Varèse, Stalling, sans compter les Beatles et Zappa), mais plus difficilement ses engagements communautaires (depuis les années 60, je suis devenu trop critique avec la dérive de la politique israélienne qui sonne dramatiquement le glas de ma culture). Si je reconnais les mêmes influences qui ont abouti à des démarches cousines (j'ai pratiqué le zapping dès 1969... et son côté touche-à-tout me va comme un gant), je n'ai jamais réussi à établir un contact sérieux, mis à part quelques échanges de fax... Quant à Sonic Youth dont je connais assez mal le travail, j'ai été touché d'apprendre qu'il y a quelques d'années, la première question que Thurston Moore a posée aux journalistes, en sortant de la scène de l'Olympia, fut : "est-ce que Un Drame Musical Instantané ça existe toujours ?". Surpris, ils m'ont tous appelé chacun à leur tour le lendemain pour me raconter cette anecdote flatteuse. Je sais aussi que Thurston a tanné Philippe Robert pendant des années jusqu'à ce que celui-ci accepte de lui vendre sa copie de notre 33 tours Défense de. En 1999, Thurston a enregistré un remix étonnant et drôlement lucide d'Un D.M.I. intitulé 7/11, un titre très new-yorkais pour un traitement bolide. J'espère que nous aurons l'occasion de le publier un jour avec les autres remix réalisés par Nem, Le Tone, Aki Onda, Yoshihiro Hanno et quelques autres... Le plus important de tout, c'est que ce reportage, vieux de plus de quinze ans, m'a redonné envie de jouer... Ça tombe bien, j'ai commencé à travailler sur un DVD 5.1 qui jouera des effets audio-visuels, soit de la relation son-images qui n'a jamais cessé de me fasciner.

Tous les films musicaux cités ici, comme nombreux déjà signalés dans d'autres billets de ce blog, ont été téléchargés sur l'excellent site dimeadozen.org qui se fait un honneur de ne référencer que des musiques et des vidéos musicales non commercialisées, incitant les internautes à acheter, avant tout, les disques et dvd disponibles.