À croiser le milieu de l’art contemporain, nous nous posons les mêmes questions que lorsque le Drame traçait son chemin musical hors des sentiers battus, s’inspirant de toutes les musiques comme des autres arts, l’invention à la bouche et la fleur au fusil. Pourquoi nous sentons-nous exclus du milieu censé nous nourrir ? Il y a deux mondes, l’entier, celui qui nous alimente, baroque à souhait, strictement personnel, et le petit, constitué de coteries, qui semble nous accepter tant bien que mal. Entre les deux, nous sommes contraints au grand écart. Un minimum de souplesse est donc exigé ; l’entretenir devient une qualité empêchant qu’on s’endorme dans cette position inconfortable mais au combien spectaculaire.
L’exercice n’est pas facile. Notre sentiment d’être incompris, hors sujet, anachronique, vient-il d’une banale paranoïa ou s’appuie-t-il sur une réalité sociale où nous avons, souvent malgré nous, choisi notre camp ? L’interrogation elle-même est-elle un combat contre l’amertume et les aigreurs (étrange comme ces deux saveurs opposées expriment la même angoisse) ? Souffrirons-nous toute notre vie d'un malentendu propre au statut de l'artiste ? Comment vivre de notre travail sans perdre notre indépendance ?
Attendant le bus qui nous amènerait à l’aéroport d’Incheon, je faisais remarquer à Nicolas que ses œuvres me semblent relever avant tout d’un baroque peu moderne, entendez à la mode. La plupart des artistes contemporains qui marchent, avec ironie allons jusqu’à dire « qui arrivent », développent une idée compréhensible dès le premier contact de l'œuvre avec le public, voire à la lecture de son concept, réduction moderne que les exégètes pourront développer plus aisément selon les canons en vigueur. Les jeunes artistes sortis des écoles de beaux-arts sont notés par les leurs, leurs professeurs devenus conservateurs encensant les leurres. Rester patient. Il faut du temps pour percevoir l’importance d’une œuvre. À terme, elle ne se jugera qu'à la charge critique, tant plastique qu'historique, qu'elle sous-tend.
Développer une œuvre aussi complexe et profonde que la vie, un réseau de sens, une combinaison que certains assimilent à la poésie, et trouver le style, comme l’entendait L.F. Céline, ne peut entrer dans aucun moule. Seuls les marchands adorent les étiquettes, les écoles et leurs gourous préparant les futurs artistes au marché de l’art. Toute tentative d'échapper à ce formatage ne peut qu'engendrer une réaction de mépris de la part des nouvelles élites cooptées.
Jean Cocteau disait que son œuvre était un objet difficile à ramasser. Je ne pourrai jamais aimer que des objets difficiles à ramasser. Pour continuer à vivre hors-la-loi, peut-être faut-il savoir être bref à défaut de réduire. Constituons des œuvres manifestes, des tracts, multiplions les événements. Car les baroques en font toujours trop, comme les autodidactes et les nouveaux riches. Les propriétaires, les patrons, les gens de pouvoir n’ont pas cette maladresse. La richesse et la générosité de nos œuvres résisteront probablement mieux au temps que les académismes successifs que la mode engendre. La lutte des classes dicte encore sa loi.

Photo prise au Musée d'Art Contemporain de Séoul lors du vernissage de l'exposition Dual Reality, Media City Seoul.