jeudi 30 octobre 2008
Ciné-Romand (2) - une traversée du miroir
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 30 octobre 2008 à 00:27 :: Cinéma & DVD
En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. Dans un précédent hommage aux Frères Lumière, séquence de son film Thème Je tourné de 2001 à 2004 (DVD à paraître l'an prochain), la réalisatrice fit jouer le rôle du jardinier à Aldo Sperber, l'auteur des quatre photographies reproduites ici ! Le dispositif "visiteurs voyeurs par essence / accueillants inconscients par jeu" se transforme en "visiteurs fascinés filmés / accueillants analystes". Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Comme le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, la frontière est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?
Quand tout le matériel fut rangé, en fin de soirée, les habitants du quartier sont descendus de chez eux pour témoigner. Ils apportent encore une nouvelle lumière à l'ensemble. Les langues se délient et les masques tombent. Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. Il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres nous renverront à nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Bertolt Brecht. Dans le bonus de son DVD Appelez-moi Madame, Françoise Romand me fait citer le génial dramaturge et philosophe. Pas de hasard. Par où qu'on regarde cette drôle de soirée, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Ça se bouscule et puis ça trouve sa place. Documentaire et fiction, mieux, ni documentaire ni fiction ! La contagion s'étendra-t-elle aux spectateurs du film ? C'est à prévoir.
Sur tous les écrans de Ciné-Romand, tournaient en boucles les films de Françoise.
Comme les photographies du précédent billet, ces quatre-là sont aussi d'Aldo Sperber. Ailleurs, l'ange Karine relate son expérience sur son blog.