samedi 9 janvier 2010
La machine à verbes
Par Jean-Jacques Birgé,
samedi 9 janvier 2010 à 00:19 :: Multimedia
L'Espace Khiasma est situé à moins de cent mètres de la boulangerie La Bould'Ange, centre du quartier par son excellence, passerelle gourmande entre Les Lilas et Bagnolet. Ce soir-là, le centre d'art accueillait une drôle de machine conçue et réalisée par Grégory Beller et Norbert Gordon. Le premier travaille à l'IRCAM en tant que musicien et à l'université comme physicien chercheur, spécialiste en synthèse vocale. Le second, artiste multimédia et enseignant en littérature et histoire de l’art, s’intéresse aux rapports entre langue et société. Le siège sur lequel on s'installe semble sorti d'un film de science-fiction des années 60, vélo d'appartement customisé avec écran plat et vidéo-projecteur. Les images projetées devant le spectateur qui se prête à l'expérience sont générées par ses propres paroles qui se transforment en mots sur le petit écran de contrôle, en images sur le grand et en musique générative, par le détournement astucieux d'un logiciel de reconnaissance vocale. Les textes fournis en exemples utilisant le langage journalistique produisent des effets étonnants en s'appuyant sur une traduction sémantique propre à créer un montage critique sur les informations télévisées. Un texte sur le sexe appelle des mots du langage marchand tandis qu'un autre axé sur le commerce a l'agressivité du vocabulaire guerrier, déclenchant les images idoines. Le sens des phrases et l'intensité de la voix agissent dessus comme sur les sons renvoyées en écho, mais les aléas de la machine, ses bugs créatifs, produisent des effets inattendus qui nous renvoie à l'humanité qui les a conçus. La machine à verbes bouscule les chronologies. Histoire de rompre la monotonie du voyage spatiotemporel, les deux explorateurs comptent ne pas s'arrêter aux 40000 mots et 1000 images déjà enregistrés en enrichissant encore le corpus, construisant une syntaxe toujours plus complexe et critique, structurant le flou artistique du trajet nébuleux. Au milieu de tant d'installations insipides et vaines, saluons cette œuvre qui pour être fondamentalement politique n'en perd pas sa poésie ludique.