mercredi 19 octobre 2011
Camille 1 Björk 0
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 19 octobre 2011 à 07:43 :: Musique
Non, ce n'est pas une partie de tennis. Dans le désert de la production discographique actuelle, entendre l'absence d'émotion forte, se pointent coup surcoût les albums de deux divas, Björk et son attirail technologique, Camille dans la simplicité des cordes, vocales et quatuor. Remettre sa peau en jeu à chaque nouvelle mue n'est pas chose facile pour un artiste. Camille étale la fraîcheur d'une jeune maman quand Björk, plus jamais femme-enfant, se dissimule derrière une fausse simplicité et la raideur contraignante de ses mécaniques. Plus l'on vieillit, plus il devient difficile d'inventer. Les racines d'une œuvre, enfouies dans l'enfance, se révèlent généralement à l'adolescence pour se décliner de manière de plus en plus lâche à l'âge adulte. Se remettre en question exige de rechercher les intentions initiales sans crainte de déplaire. Le public est sévère lorsqu'il imagine qu'un artiste reproduit les mêmes effets parce qu'il est vénal alors qu'il cherche seulement à faire plaisir à celles et ceux qui l'ont aimé. C'est ainsi que l'on s'encroûte et que l'inspiration s'évade ! La maternité, ou pour certains la paternité, aide à retomber en enfance tout en nous plaçant face à nos contradictions. Camille en joue et en jouit merveilleusement. Comme la compositrice Hélène Sage s'en était fait l'apôtre, elle s'enregistre dans des lieux aux acoustiques particulières, dans la rue, des églises et plus banalement en studio, jusqu'à ce que nous visualisions les ondes dans l'espace. Là où Björk, coincée entre une instrumentation redoutablement raide et un concept aux prétentions scientifiques, trace des formes rectilignes Camille dessine des courbes élégantes de sobriété. Si l'on avait oublié la puissance inventive de la chanteuse islandaise on pourrait se laisser porter par son timbre unique, mais la déception est flagrante. Pas une chanson ne vient nous hanter lorsque tout est fini. J'ai déjà évoqué ici son application pour iPad, mais cette valeur ajoutée ne fait que révéler le manque d'inspiration musicale et l'absence de groove. Faire swinguer les machines est pourtant un enjeu excitant, c'est même le seul qui trouve grâce à mes yeux si l'on ne veut pas être le jouet des robots que nous croyons contrôler. Björk est malheureusement devenue un carré emphatique, un cube dont toutes les faces ont fini par se ressembler. En comparaison Camille (site) est une boule, une planète où les continents dérivent les uns vers les autres sans se cogner.
Laissons donc Biophilia pour le Ilo Veyou de Camille. Aujourd'hui, naïf a capella, fait un peu peur avant que la musique ne reprenne le dessus sur l'essoufflement de l'émotion. C'est certainement le disque à offrir à toutes les jeunes mamans. L'étourderie qui suit est le tube mignon dont les radios seront friandes. Camille est créditée du chœur d'enfants de Allez allez allez où elle semble interpréter elle-même tous les rôles. La ballade Wet Boy accompagnée par la guitare de l'heureux papa, Clément Ducol, précède deux autres chansons en anglais, She Was et Mars in No Fun, avant Le berger tendrement médiéval et Bubble Lady dont les bulles annoncent l'enfant impatiemment attendu. Ilo Veyou qui donne son titre à l'album (articulation personnelle de I Love You) est du Camille pur jus, second tube prévisible. Suivent deux facéties rétros, Message et, plus encore, La France, canular déconnant qui rappelle La vieille chanteuse de la "cousine" Claire Diterzi sur Tableaux de chasse (dont on attend le prochain album avec impatience, l'espoir d'une autre surprise). My Man Is' Married But Not To Me est rythmé par le piano préparé de Ducol comme Pleasure est travaillé au corps. Le banquet, dédié à Sophie Calle, sait se moquer de la virilité avec l'humour qui colore l'ensemble, surtout marqué par l'amour. Tout dit (sic) renoue avec l'a capella dans la réverbération de l'Abbaye de Noirac.
L'édition limitée est accompagnée de "17 vidéos illustrant le disque" (Emi) tandis que celle de Björk ajoute trois morceaux paradoxalement les plus intéressants, même si là encore les rythmes mécaniques oblitèrent la pauvreté mélodique (Universal). Le film de 60 minutes (le CD n'en dure que 40) réalisé par Camille et Jeremiah, qui évite l'écueil de la succession de clips en resituant les chansons dans le quotidien de la jeune femme, est une version originale du projet, interprétée avec le naturel qui caractérise l'artiste.