jeudi 2 octobre 2014
Areuh, areuh !
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 2 octobre 2014 à 00:16 :: Musique
Qu'y a-t-il de plus jouissif que de retomber en enfance ? Les variations adultes de la régression ne sont que de sublimes tentatives pour rejoindre les émois d'une époque où nous n'avions besoin d'aucun prétexte ni partenaire pour nous satisfaire. L'objet transitionnel change de forme jusqu'à devenir immatériel. Et l'objet a de hanter nos jours et nos nuits ! Restons prosaïques et revenons à nos moutons en suivant le tintement des grelots...
Bien que le Musée des Arts Décoratifs avance que le hochet est le plus ancien des jouets sonores, on peut imaginer que dans les temps préhistoriques, pendant que les hommes étaient à la chasse et que les femmes dessinaient sur les parois des grottes, les enfants aimaient déjà le bruit qui rassure ! La collection rassemble 37 hochets princiers du XVIIIe et XIXe siècle d’Italie et de France, bijoux en métal argenté, vermeil, corail, os ou ivoire. Les gosses de riches les secouaient et sifflaient pour éloigner les mauvais esprits et appeler la nounou. Ils mordillaient le corail pour soulager la pousse des dents. Mais Jean-Jacques Rousseau en 1762 déjà se révoltait dans Émile ou De l'éducation : « On ne sait plus être simple de rien, pas même autour des enfants. Des grelots d’argent et d’or, du corail, des cristaux à facettes, des hochets à tout prix et de toute espèce : que d’apprêts inutiles et pernicieux ! Rien de tout cela ; point de grelots, point de hochets ; de petites branches d’arbre avec leurs fruits et leurs feuilles, une tête de pavot dans laquelle on entend sonner les graines, un bâton de réglisse que l’enfant peut sucer et mâcher, l’amuseront autant que ces magnifiques colifichets, et n’auront pas l’inconvénient de l’accoutumer au luxe dès sa naissance ». Je n'ai jamais vu de sourires plus radieux que ceux des enfants laotiens s'amusant après des jouets de fortune qu'ils avaient eux-mêmes confectionnés. Adultes, il n'est que Les Maîtres Fous pour s'épanouir ainsi au soleil.
Si dans ma boîte à outils s'amoncellent des petits machins en bois, métal, peau, terre, plastique, je peux toujours faire sonner les rupins avec les clones virtuels de l'Acoustic Toy Museum où les bijoux des Arts Décos côtoient plus de 200 autres petites madeleines échantillonnées. Pourtant rien ne vaut à mes oreilles le son fortuit d'un objet qui ne leur était pas destiné. Je claque les portes, frappe les casseroles, fais siffler les bambous ou écoute simplement le bruit du vent ou de la pluie, la rumeur de la ville et les oiseaux qui me réveillent. Cette petite musique, comme la grande, me rassure. Un jour je ne l'entendrai plus.