mardi 10 janvier 2017
Les dictatures hypocrites
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 10 janvier 2017 à 00:03 :: Humeurs & opinions
Que l'on ne se méprenne pas, je sais parfaitement que si j'étais russe, chinois, syrien ou saoudien je serais mort ou en prison. Je n'en suis pas moins choqué d'entendre à tout bout de champ que ces pays sont des dictatures en opposition à nos démocraties exemplaires. Les donneurs de leçons feraient bien de réfléchir un peu plus loin que leurs frontières nationales. Car si à l'intérieur de leurs périmètres légaux les dites démocraties ne sanctionnent pas outre mesure le délit d'opinion et le multipartisme, qu'en est-il de leur implication dans leurs anciennes colonies ou lors de leurs invasions belliqueuses ? Comment concevoir la mise en place de dictateurs locaux en Afrique, en Amérique Centrale ou en Amérique du Sud avec l'appui des forces armées ou des services secrets des États Unis, de la France, de la Grande Bretagne, etc. ? L'assassinat systématique des dirigeants africains prônant l'indépendance de leur pays face à l'hégémonie des grandes puissances, ou encore la chute de Salvador Allende au Chili avec l'appui de l'aviation américaine, ne sont-ils pas une façon "d'exercer tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu'aucune loi ou institution ne les limite", définition wikipédesque de la dictature ? La dictature de ces pays démocrates s'exercerait-elle exclusivement hors de leurs périmètres frontaliers ? Comment néanmoins ignorer les prisonniers politiques de Guantánamo ou les Black Panthers toujours en prison après 40 ans ? N'y a-t-il pas quelque hypocrisie à dénoncer les dictatures intra muros en évitant soigneusement d'évoquer les guerres menées explicitement ou secrètement contre des nations qui ne partagent pas les mêmes projets politiques ? Même en France, ne flirte-t-on pas avec le diable lorsque la police ne vous laisse sortir d'une manifestation qu'à condition d'enlever vos badges ? Ce n'est évidemment encore qu'une bavure, mais si l'on ne s'insurge pas aujourd'hui que peut-on espérer de l'avenir ? Quoi qu'il en soit, la condamnation des dictatures par les démocraties se cantonne honteusement à un système de repères nationaux en négligeant soigneusement ou étourdiment leur rôle à l'échelle de la planète. La troisième guerre mondiale se déroule en effet soigneusement hors des frontières des pays démocrates, à l'instar des États Unis lors de la précédente. Les attentats terroristes sur notre territoire n'en sont pour l'instant que des effets de bord. Je ne cherche évidemment aucune excuse aux uns comme aux autres, défendant ardemment une politique pacifiste qui prenne en compte les populations payant seules le prix de ces guerres strictement économiques sous couvert de religion ou de nationalisme. Les dictateurs que les médias nous désignent ne seraient-ils que les boucs-émissaires d'un monde cynique et criminel, ou des marionnettes aux mains des financiers tout-puissants qui décident du futur de notre monde ? J'irai plus loin : si l'on replace l'homme dans son environnement naturel, comment définir le rôle qu'il s'est octroyé face aux autres espèces ?
Illustration: Léon Gimpel, La guerre des gosses, Paris, 2 janvier 1916 © Collection Société française de photographie (coll. SFP)