Kusturica, le renégat
Par Jean-Jacques Birgé, mercredi 5 septembre 2007 à 08:01 :: Cinéma & DVD :: #650 :: rss
Si j'étais Tzigane, je ne crois pas que j'apprécierais le portrait qu'Emir Kusturica (prononcer Koustouritsa) fit de mon peuple dans son troisième long métrage, Le temps des Gitans. Il les montre en voleurs d'enfants, violeurs, proxénètes, escrocs, paresseux, sans parole, assassins, n'en jetez plus, rien à voir avec des voleurs de poules ou les gros bras de Chirac... Évidemment, le film est cocasse, truculent, lyrique. La poudre aux yeux des effets felliniens arrangent la sauce et la musique de Goran Bregovic apporte une douceur à ce monde de brutes que le réalisateur se complaît à personnifier lui-même. Il est intéressant de souligner que Ederlezi, le thème musical du film inspiré d'un morceau traditionnel, tint le rôle d'hymne serbe pendant la guerre de Bosnie.
Si Bregovic, qui a épuisé sa veine depuis longtemps, fut considéré comme un simple opportuniste, Kusturica est un traître à Sarajevo où il ne pourra évidemment jamais retourner. Toutes proportions gardées, sa conversion orthodoxe et sa glorification de la Grande Serbie dans Underground rappellent le pétage de plombs d'Adolf H. dont la grand-mère était juive. Évitant soigneusement de me ranger aux côtés du lamentable Finkielkraut qui critiqua Underground sans l'avoir vu, je pense que le vrai sujet d'étude sur le réalisateur, certes talentueux, résiderait en une psychanalyse qui permettrait de comprendre comment un Sarajevien d'origine musulmane peut virer sa cuti au point d'ériger, par exemple, dans son Disneyland mégalo perso, Kustendorf, une église serbe orthodoxe en hommage à un saint du XIIème siècle qui fait partie du délire paranoïaque qui justifia exactions et crimes contre l'humanité. Sa femme, célèbre actrice serbe, en étant la gardienne du temple, peut-être est-ce seulement une histoire d'amour qui vire au noir ? En cherchant à justifier ses choix, les bonus du dvd (Carlotta) éclairent maints aspects de l'énigme, mais ne le rendent certainement pas plus sympathique.
En quittant Sarajevo pendant le siège, j'avais demandé à mon équipe bosniaque comment répondre de la trahison d'Emir (avant la guerre c'était l'un des meilleurs amis du réalisateur Ademir Kenovic avec qui il produisait des films). Avec cet humour typiquement sarajévien, il me fut répondu de façon très brechtienne : "Si tu le rencontres, demande-lui ce qu'il pense de nous !".
J'avais très envie de regarder Le temps des Gitans que je n'avais pas revu depuis la guerre en Bosnie et le Siège de Sarajevo. Je me demandais si son film portait déjà les germes de sa trahison. Hélas, au portrait brutal des Gitans s'ajoute le délire de la pureté sanguine. Le héros (le jeune acteur se suicidera à l'âge de 29 ans) rejette son fils tant qu'il pense que c'est un bâtard. La purification ethnique n'est pas loin. Les Gitans ne seraient d'ailleurs bons qu'à s'entretuer. La manière de portraiturer ce peuple de nomades annonce-t-il les grands déplacements de population que les nationalistes croates et serbes encourageront ? Leur no man's land boueux rappelle cruellement les futurs camps. Ils ne sont tolérés que dans leur marginalisation.
Politiquement, ce n'est pas le pire film de son auteur. Underground mériterait qu'on s'y attarde à nouveau, mais je ne sais pas si j'aurai le courage de me complaire à le revoir une autre fois pour l'analyser plus sérieusement que le survol de ce billet. Je me suis déjà coltiné l'exécrable clip démago que Kusturica vient de tourner pour Rainin in Paradize de Manu Chao, quelle honte ! Sous prétexte de fantaisie festive et d'enthousiasme pour la musique tzigane, les amateurs défendront son cinéma brutal et aguicheur, fat de conventions tant culturelles que cinématographiques. La véritable musique tzigane ne porte pas tous ces symboles nauséabonds qui appartiennent plus au délire paranoïaque nationaliste qu'à la mythologie Rrom. Certains films portent en germe des idées réactionnaires sans que leurs thuriféraires s'en rendent compte. Il en est ainsi des films des curés prosélythes Lars von Trier ou Krzysztof Kieslowski, de la paranoïa mystique de David Fincher (Seven, Fight Club...) ou de maints films d'action machistes. Le machisme n'est pas non plus l'apanage de Kusturica et des films violents, tout le cinéma est emprunt de l'idéologie dominante et c'est ainsi que se perpétuent les idées les plus réactionnaires. Et plus les réalisateurs sont habiles, plus ils sont dangereux.
Commentaires
1. Le mercredi 5 septembre 2007 à 09:25, par Jean-no
2. Le mercredi 5 septembre 2007 à 09:27, par Jean-no
3. Le mercredi 5 septembre 2007 à 11:10, par Jean-Jacques Birgé
4. Le mercredi 5 septembre 2007 à 15:04, par Jean-no
5. Le jeudi 6 septembre 2007 à 11:31, par rloand
6. Le jeudi 6 septembre 2007 à 12:55, par Jean-Jacques Birgé
7. Le jeudi 6 septembre 2007 à 18:22, par nicoel
8. Le jeudi 6 septembre 2007 à 18:23, par roland
9. Le jeudi 6 septembre 2007 à 20:37, par Jean-Jacques Birgé
10. Le jeudi 6 septembre 2007 à 21:57, par roland
11. Le jeudi 6 septembre 2007 à 23:39, par Jean-no
12. Le vendredi 7 septembre 2007 à 09:13, par Jean-Jacques Birgé
13. Le vendredi 7 septembre 2007 à 20:46, par Jean-no
14. Le samedi 8 septembre 2007 à 12:54, par Jean-Jacques Birgé
15. Le dimanche 9 septembre 2007 à 14:10, par Jean-no
16. Le mardi 1 janvier 2008 à 17:05, par joseph racaille
17. Le vendredi 4 janvier 2008 à 11:14, par jjb
18. Le lundi 28 janvier 2008 à 13:26, par jc
19. Le mardi 29 janvier 2008 à 08:25, par Jean-Jacques Birgé
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