Robert Wyatt sort Comicopera, recueil de chansons "pop" formant trilogie avec les deux précédents Shleep et Cuckooland. Frédéric Goaty et Anne Ramade m'ayant demandé d'interviewer Robert pour Muziq, je suis allé chercher un exemplaire presse chez P.I.A.S. qui le distribue afin d'en discuter avec lui.
Que ce soit lui ou moi qui appelle, je me laisse chaque fois impressionner par le timbre inimitable de sa voix. Il dit ne pas en être conscient. Il chantait des cantiques de Noël lorsqu'il était petit, mais rien ni personne ne lui laissait penser que son grain, sa couleur avaient quoi que ce soit de spécial. La voix de Robert Wyatt est comme la trompette de Miles Davis, il suffit d'une seconde pour l'identifier et vous faire chavirer. Craignant qu'il ne soit bientôt gavé par la tournée de promotion qui commence, je préfère le joindre rapidement. C'est lui qui décroche, la voix blanche et haut perchée avec léger zozotement, en pleine forme, heureux d'assumer enfin le rôle de producteur indépendant (chez Domino) et d'avoir négocié des contrats qui protègent correctement ses œuvres.
Pas question de déflorer ici la teneur de notre entretien qui sera publié un de ces jours dans Muziq, mais juste quelques mots pour annoncer le nouvel opus qui ravira ses fans, de plus en plus nombreux. Dans le dossier de presse, Robert explique que comicopera' se réfère à la comédie qui concerne les hommes en opposition à la tragédie qui se rapporte aux dieux. L'album se découpe en trois actes, le premier, lost in noise, est très tendre, le second, the here and the row, s'engage plus ardemment tandis que le troisième, away with the fairies, reprend des titres déjà enregistrés sur des petits labels étrangers que Robert souhaitait voir réintégrer le corpus mieux distribué internationalement et en proposer un remix : Del Mondo découvert sur un CD de Maurizio Camardi que l'on retrouve sur Hasta Siempre Comandante figurant à l'origine sur l'excellente compilation-hommage The Different You, le poème de Lorca Cancion de Julieta auquel tient tant Alfie, sa compagne, auteur de la majorité des textes et sans qui rien n'existerait ici, et remarquablement accompagné par Chucho Merchan au violon basse...
Les autres musiciens sont réunis dans un ensemble imaginaire, un orchestre idéal qui n'existe que dans la tête de l'auteur, puisqu'il n'a enregistré avec eux qu'un par un : Brian Eno (clavier), Annie Whitehead (trombone), Paul Weller (guitare), les israéliens Yaron Stavi (violon basse) et Gilad Atzmon (vents), ainsi que David Sinclair (piano), Phil Manzanera (guitare ; la majorité des prises ont été faites dans son studio), Del Bartle (guitare), Orphy Robinson (steel pan et vibraphone), Beverley Chadwick (sax baryton), Jamie Johnson (l'ingénieur du son joue de la basse) et, pour finir, Alfonso Santimone (claviers), Alessandro Fedrigo (basse), Paolo Vidaich (percussion), Gianni Bertoncini (batterie). Last but not least, le chanteur s'est entouré d'autres voix que les siennes, superbes, comment pouvait-il en être autrement ? Celle de la Hong-Kongaise Seaming To ressemble à un Theremin sur le premier morceau signé Anja Garbarek, Stay Tuned. Il forme un duo avec la Brésilienne Monica Vasconcelos pour le second, Just as You Are, et Fragment, et échantillonne tous ces gosiers pour en jouer avec son karenotron (Karen Mantler), son monicatron ou son enotron, lorsqu'il n'accumule pas les rôles, jouant de la trompette, des claviers, de la guitare, de la percussion évidemment, renversant le sens de lecture... Robert me raconte comment il compose, comment il enregistre, comment il improvise enfin. Il continue à rêver, malgré une époque brutale qui l'a poussé à aller encore manifester contre l'implication de la Grande-Bretagne en Irak. Il a besoin des chansons en italien ou en espagnol pour l'entraîner loin de l'hégémonie anglo-saxonne, l'Englandry abhorrée. Comme d'habitude, l'homme, la musique, la voix, tout est simple, limpide, et d'une incroyable richesse, parce qu'il laisse la place à l'émotion de chacun. Une légèreté qui ouvre l'appétit, celui de l'imagination.

Photo d'Alfreda Benge.