Chaque jour, dans les marges de son journal intime, Hans Christian Andersen notait le nombre de fois où il se masturbait, accompagné de quelques appréciations. Le metteur en scène québecquois, qui avait lu ses cent cinquante sept contes, tenait une piste. Le Danemark lui avait commandé une œuvre pour fêter le bicentenaire d'Andersen, alors Robert Lepage nous conte l'histoire d'une commande faite par le Royaume du Danemark à un certain Frédéric Lapointe. Après un long accord d'orchestre qui se joue pendant qu'entre le public, on commence avec le théâtre dans le théâtre comme existe ailleurs le film dans le film. Suit une fantasmagorie, un travail d'illusionniste, une merveilleuse évocation d'un monde impitoyable, une explosion de lumière, d'intelligence et d'humour. Le metteur en scène, dont le rôle unique a été repris à Chaillot par le formidable Yves Jacques, se sert des nouvelles technologies pour rénover la machinerie de théâtre comme il réfléchit toutes les ressources sociales et psychologiques de notre contemporanéité. C'est un éblouissement, dans tous les sens du terme. La publication du texte de la pièce accompagné d'un dvd qui tient lieu de making of m'avait donné envie de voir Le projet Andersen. Avec son équipe d'Ex Machina, Lepage a su s'entourer de scénographes et de scientifiques qui inventent des dispositifs plus épatants les uns que les autres comme cet écran creux qui absorbe l'acteur vivant. Dévoiler quoi que ce soit de la pièce qui se joue jusqu'au 28 décembre serait un crime. Comment peut-on déflorer une histoire ! Le projet Andersen est un enchantement. Réservez vos places de ce conte pour adultes dès aujourd'hui, s'il en reste.

D'autant que le théâtre sera bientôt interdit de cité à Chaillot au profit exclusif de la danse si l'on en croit la cheftaine d'un Ministère qui n'en aurait lui-même plus pour longtemps, si l'on suit les désirs de sa petite majesté, roi des Français. Sinon, Le projet Andersen sera en tournée dans de nombreuses villes de province.
Plus excitant et pour mémoire, Robert Lepage, qui met également en scène des opéras, est un cinéaste exceptionnel et La face cachée de la lune est probablement le film qui m'a le plus emballé depuis des années.