En 1977 Pour Clémence est une fiction semblant tournée comme un documentaire. Dès le début du film de Charles Belmont, on est surpris par une multitude de plans qui semblent hors sujet, un sujet dont on ignore encore tout. Or le cinéaste dresse tout simplement le portrait d'une époque et tout est justifié, justifié comme on dit d'une page où les paragraphes sont bien alignés quel que soit le contenu du texte. Et cette époque est toujours la nôtre lorsqu'il s'agit de l'emploi, le perdre ou gagner sa vie. Le choix du personnage principal, un ingénieur en aéronautique travaillant sur le Concorde et licencié, est de vivre d'abord de son chômage pour en profiter au lieu d'aller pointer chaque matin. Ce n'est pas si simple lorsqu'on n'est pas préparé à cette liberté, non pas retrouvée, mais enfouie sous les habitudes et les conventions. Clémence est le prénom de la petite fille du couple, la mère exerçant le métier d'institutrice. Le film de Belmont, qui avait tourné L'écume des jours en 1968 et Histoires d'A en 1975, est un film moderne comme les deux autres, tous deux chroniqués dans cette colonne.
Derrière le trouble de ce chômeur se dessinent le rapport des hommes et des femmes et le changement qui s'opère avec le féminisme, la détresse humaine face aux motivations de l'existence, l'écologie explicitement citée à travers la couche d'ozone et la consommation de carburant excessive du Concorde, ainsi que de nombreuses autres questions évoquées par un détail au détour d'un plan documentaire ou d'un autre. Pour Clémence est un film où le diable est bien dans les détails. Belmont s'est toujours autorisé la plus grande liberté, aussi ne sera-t-on pas surpris après une heure et quart de découvrir une longue séquence d'animation sur la terrible symphonie du travail ou quinze minutes plus tard une coda improbable rappelant la fin d'À bout de souffle. La liberté y est autant sur la sellette que le travail lorsqu'ils nous sont mécaniquement imposés. Le film n'épargne personne parce que nous n'avons qu'une vie et combien la mènent réellement à leur guise ?
En complément de programme, l'éditeur L'éclaireur où œuvre Marielle Issartel, compagne du cinéaste disparu en 2011 et monteuse de ses films, offre La coagulation des jours, un court métrage de Michaël Lellouche (cofondateur du magazine en ligne CitizenJazz !) de 2009 choisi parce qu'il met en scène un salarié placardisé, un gâchis parmi tous ceux qu'engendre le capitalisme. Deux entretiens, anecdotique avec Philippe Rousselot, chef opérateur de Belmont, ou sémantique avec le philosophe Patrick Viveret, complètent le DVD. Notez enfin que la partition jazz de Pour Clémence est signée Michel Portal et Jean Schwartz avec la participation du contrebassiste Jean-François Jenny-Clarke et Bernard Vitet à la trompette (je ne l'avais pas reconnu, mais Schwartz qui tenait la batterie s'en souvient)...

→ Charles Belmont, Pour Clémence, DVD L'éclaireur, 14,90€, sortie le 11 avril 2023