70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 10 février 2025

Jack White bousculait les sillons


Le 10 juin 2014 Third Man Records publia un drôle de vinyle qui bousculait le pressage habituel. Ce n'est pas un hasard si les disques furent un temps appelés microsillon, car normalement il n'y en a qu'un seul qui débute au bord, sa spirale se terminant au centre. Or la face A de Lazaretto commence au centre et se termine par une boucle sans fin au bord du disque ! Mais Jack White, son auteur, ne s'est pas contenté de ce renversement facétieux : un morceau fantôme, la voix d'un enfant (Jack petit ?), est gravé sur l'étiquette centrale en 78 tours ! Je n'en ai pas fini avec les points d'exclamation. Sur la cire vierge entre les cinq chansons et le macaron, sous un certain angle et lorsque le disque tourne, on peut apercevoir un hologramme de Tristan Duke ! Ancien chanteur et guitariste des White Stripes, Jack White produit ici une sorte de garage rock excentrique, avec des réminiscences dylanesques ou ledzepesques, à l'époque un succès considérable. Pour l'occasion, il a retravaillé des paroles écrites à l'adolescence, fanfaronnades frimeuses rappelant certains artistes de hip-hop ou la naïveté arrogante de la jeunesse. La face B est gravée dans le "bon sens", mais la première chanson comporte deux introductions différentes selon l'endroit précis où l'on pose le diamant ! Après un dernier sillon fermé, un nouveau morceau fantôme est caché sur l'étiquette mate (l'autre côté est brillant) et il se lit en 45 tours. Toutes les platines ne délivrent pas trois vitesses de lecture !
Ce disque étonnant, acquis sur le conseil de Jean-Brice Godet dont j'ai chroniqué le vinyle et les trois cassettes infinies du quartet WATT vendredi dernier, rejoint d'autres bizarreries de ma collection, comme de You're The Guy I Want To Share My Money With de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno avec ses trois sillons concentriques, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay, Sounds of Silence de Caillet-David-Saladin, chaque exemplaire unique aux dégoulinades noires et blanches d'Avant-Toute de Birgé-Gorgé (!), nombreux disques souples comme celui de Salvador Dali et divers picture-discs dont certains imprimés sur des cartes postales ou l'enveloppe transparente, etc. En 2010, avec Vincent Segal, j'en avais présenté quelques uns à l'exposition Vinyl de la Maison Rouge. Mis à part les pochettes qui peuvent être aussi fameuses, je sais qu'existent des vinyles parfumés (berk, pas qu'à la rose), des disques en chocolat qu'on peut croquer, le RRR500 aux 500 sillons fermés...

→ Jack White, Lazaretto, Ultra LP Third Man Records

vendredi 7 février 2025

Coral de Watt, un mirage


Watt récidive et pas qu'un peu. La musique de drone est à la mode, mais tout le monde ne sort pas un lapin de son chapeau claque. Je me souviens de l'émotion ressentie en 1970 lorsque j'ai entendu La Monte Young et Marian Zazeela à la Fondation Maeght. Depuis, en général, les drones me barbent, comme si la pédale ostinato était un truc paresseux. Or tenir la note à quatre clarinettes est une sacrée paire de manches (c'était certainement là qu'ils cachaient le lapin). Jean Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Jean-Brice Godet, Julien Pontvianne jouent en carré, mais ils tiennent la ligne et ça tourne rond. J'ignore comment leur musique me fait planer, pourquoi cela produit rarement cet effet chez moi avec les disques de drone que je reçois régulièrement. Alors ? Je ne sais pas, mais ça marche. Je m'y suis moi-même essayé l'été dernier en Amazonie, cherchant un point de vue personnel avec l'enregistrement L'aube à Shimiyacu pour l'album Animal Opera !
Coral est le troisième disque de WATT après un vinyle et un CD. Or cette fois les quatre coquins sont allés jusqu'à boucler le dernier sillon, sur les deux faces, impossible de savoir laquelle est la première, c'est sans fin. Je dis sans fin, comme on dit que ça se mange sans faim. Mais ils ont poussé le bouchon encore plus loin...


En plus de ce second vinyle, ils publient un coffret de trois cassettes infinies. Sur le lecteur la bande tourne en boucle ! Objet rare, comme les trois sillons concentriques de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay ou l'ultra-lp Lazaretto de Jack White (commandé aussitôt sur les conseils de Jean-Brice Godet, j'y reviendrai quand je l'aurai reçu). J'ai fait une bêtise avec la première cassette, je vais devoir l'ouvrir et opérer, mais tout s'est bien passé avec les deux autres. Pour chacune le quatuor de clarinettes a commandé une pièce sans fin à un compositeur ou une compositrice, Arbres de Léo Dupleix en lents accords mineurs et dissonances aiguës, For 4 clarinets de Karl Naegelen avec ses harmoniques et sons soufflés, et OlimCaroline Marçot ne se cantonne pas à un seul mode, mais inventorie différentes techniques propres aux anches. Coral, composé par le carré d'as, occupe les deux faces du vinyle, peut-être la pièce la plus magique, apparemment la plus simple, mais seulement en apparence. Tout le travail de WATT se joue justement des apparences, comme si l'on pouvait voir leurs ondes traverser l'espace. Un mirage.

→ WATT, LP Coral + 3 K7 infinies Arbres/For 4 clarinets/Olim, GMEA, 18€ le vinyle, 40€ le coffret de 3 cassettes (tirage à 30 ex.), et sur Bandcamp

jeudi 6 février 2025

Beauté de la beauté


Beauté de la beauté est une gigantesque série sur la peinture réalisée par Kijû Yoshida, l'auteur de Eros+Massacre, équivalent japonais de la Nouvelle Vague. Le dispositif répétitif du tournage et la voix monocorde du réalisateur interdisent de regarder les épisodes à la suite les uns des autres. La magie du feuilleton provient de sa régularité, mais aussi de son espacement dans le temps. Chacun provoque alors une découverte, soutenue par la musique contemporaine de Toshi Ichiyanagi et une remarquable partition sonore où les ambiances enveloppent les œuvres d'un halo à la fois magique et réel. En trois DVD, Carlotta propose 20 épisodes de vingt-quatre minutes parmi les 94 tournés au gré des années, de 1974 à 1978, où Yoshida arpente la planète à la recherche de la beauté en prenant garde de ne jamais la nommer. Si son approche des peintres est d'abord géographique et historique, elle est surtout sociale et politique. Il plonge dans l'Histoire, resituant ce qui a poussé les artistes à se distinguer de leur époque. Toute œuvre est critique. À son tour Yoshida revisite la peinture avec le regard distancié de son île et de son esprit frondeur. Sa présence de visiteur étranger hante les lieux où sont exposées les œuvres. Imperceptiblement il s'identifie aux plasticiens qui furent d'abord des hommes avant de transposer sur la toile ce qu'ils voyaient et entendaient, ce qu'ils vivaient et ressentaient. Les titres et sous-titres en disent long :
- Bosch, le peintre du fantastique : L'hérésie de la naissance du nord, La descente aux enfers, Le rêve d'un royaume millénaire
- Bruegel, quand le peintre est témoin de la ruine de son pays : La mise en perspective de la foule, La beauté violée du paysage
- Les crimes du peintre Caravage : Le réalisme ou l'aboutissement du crime, La fuite vers la Sicile et l'île de Malte
- Goya, le magicien de l'Espagne : L'apparition d'un peintre de cour maléfique, Avec lui commence le chaos moderne, Le sommeil de la raison engendre des monstres
- Delacroix ou le paradoxe du romantisme : Un jeune homme venu trop tard, De l'aristocratie de l'âme
- Le scandale sacré : le peintre Manet : Olympia un sentiment d'obscénité, Le dandysme est un soleil couchant
- Cézanne, le regard d'un solitaire : Qu'elle est loin la jeunesse, L'orage du midi
- Van Gogh : Le prédicateur, Celui qui perdit son pays natal, L'autodestructeur, Le suicide

Article du 23 janvier 2013

mercredi 5 février 2025

GRRR salué par BANDCAMP


Après avoir nommé l'album TITRES du trio Jean-Jacques Birgé-Helene Duret- Alexandre Saada "The Best Experimental Music on Bandcamp, October 2024", Bandcamp nomme l'album ALBUM de Jean-Jacques Birgé-Catherine Delaunay-Roberto Negro parmi "The Best Jazz on Bandcamp, January 2025".
"In mid-October, French musicians Jean-Jacques Birgé, Alexandre Saada, and Hélène Duret met at a studio with an audience present and improvised, asking attendees to propose themes based on book titles. The results were posted to Bandcamp the next day as Titres (French for “titles”), with seven tracks of respectful but active musical conversation. Birgé’s keyboard and electronics supply a wealth of textures, including an underwater-sounding dance beat near the beginning of “París no se acaba nunca,” while Saada and Duret add busy note clusters that lean toward jazz but aren’t constrained by genre. Saada’s piano playing is particularly expressive, finding sharp moments inside halting rhythms, while Duret’s bass clarinet keeps the trio grounded even when it sounds like it wants to fly away. Other instruments—guitar, reed trumpet, music boxes—pass in and out of the mix, but things never get overcrowded."
(Marc Masters)
"This trio session from keyboardist Jean-Jacques Birgé, clarinetist Catherine Delaunay, and pianist-keyboardist Roberto Negro is not anything one would call normal, but this is a normal quality for a recording Roberto Negro contributes to."
(Dave Summer)

Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible


Certains auteurs aux contributions scientifiques ou historiques ont l'indécence de ne pas citer leurs sources. On ne pourra pas reprocher cela au journaliste Caspar Henderson, traduit de l'anglais par Lucien d'Azay. Trente-huit pages de références et lectures complémentaires suivies d'un index de vingt-huit pages closent les trois cents quatre vingt que compte l'ouvrage. C'est aussi honnête qu'utile tant cette histoire naturelle des sons comporte d'informations, anecdotes et digressions sur les sons de l'espace, de la Terre, de la vie et de l'humanité. Il en va de l'infiniment petit à l'infiniment grand, là encore pour les sujets autant que dans leur importance. Si j'ai toujours eu des doutes sur les signes sonores du cosmos dont l'interprétation obéit à des projections trop proches de ce que nous connaissons, ils n'en existent pas moins. Nous vivons ceux de la Terre chaque fois que la météo s'en mêle et nous cherchons toujours à comprendre les autres animaux qui peuplent la planète. La seconde moitié de ce livre étonnant aborde les sons que nous produisons, de la musique (même celle des sphères !) au silence en passant par le langage, la pollution sonore, les bruits du changement climatique et les diverses thérapies associées au son. Comme le suggère l'auteur, on peut dévorer l'objet de A à Z ou picorer les courts chapitres au gré de son appétit pour tel ou tel sujet de cette culture générale, à mon avis fondamentale, qui a tendance à se diluer et se perdre dans le flux des nouvelles technologies de la communication et de l'information. Cette approche œcuménique, qui relate aussi bien d'étranges instruments de musique que les vers d'oreille et se réfère à tous les champs musicaux sans ostracisme aucun, tient de l'encyclopédie de poche. Elle se plaira aux côtés de l'indispensable Acoustique et musique d'Émile Leipp, du Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, de Qu'est-ce que la musique ? de David Byrne, Les cloches d'Atlantis de Philippe Langlois, The Rest is Noise d'Alex Ross, Ocean of Sound de David Toop, Les fous du son de Laurent de Wilde. Je n'oublie évidemment pas les traités de Hindemith ou Koechlin, ni les écrits de Varèse, Schönberg, Webern, Cage, Boulez, Slonimsky, Partch, Reich, etc., car nous sommes ici à cheval entre la science et la poésie.

→ Caspar Henderson, Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible, ed. Les Belles lettres, 27,90€

mardi 4 février 2025

Les Incendiaires sont À l'ouest


Pour n'importe quel musicien la tentation est forte de singer, voire d'adapter, les musiques d'Ennio Morricone. L'hommage que John Zorn lui rendit en 1985 avec The Big Gundown est le plus notoire, probablement un des albums les plus réussis du compositeur new-yorkais. Dix ans plus tard, Francis Gorgé et moi-même y ayant succombé (sous les pseudonymes Frank Bugs et Mellow Marx !) avec le CD Western paru chez Auvidis, je m'étais fait remonter les bretelles par Irvin Kershner venu dîner à la maison (réalisateur de La Revanche d'un homme nommé Cheval, Les yeux de Laura Mars, Star Wars: L'Empire contre-attaque, Jamais plus jamais...) ; pour Kersh les westerns italiens et la musique qui les accompagnait n'avaient rien à voir avec le Grand Ouest et nos parodies sonnaient d'autant plus iconoclastes. Dans cette série Musiques d'ambiance, notre CD Science-Fiction n'était évidemment pas mieux passé, mais la soirée s'acheva néanmoins de manière très conviviale !
La version des Incendiaires, trio lyonnais lié à l'ARFI, porte bien son titre, À l'ouest. Olivier Bost (trombone, banjo, percussions), Guillaume Grenard (trompette, euphonium, percussions) et Eric Vagnon (saxophones, percussions) le sont carrément dans leur arrangement brut de décoffrage, minimaliste, sans effets de réverbération, avec un humour digne de la série B. Leur adaptation sincère et sans fioritures de Pour une poignée de dollars, Mon nom est Personne, Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique, Il était une fois dans l'Ouest, Le bon la brute et le truand éclaire les musiques de Morricone d'un jour nouveau, poésie de fanfare ou spectacle de tréteaux, soulignant le soleil harassant, le sable qui pique les yeux en gros plan, la mort qui rôde, et nous rappelant évidemment les films de Sergio Leone, la vanité de la vie et son prix dérisoire.

→ Trio Les Incendiaires, À l'Ouest, CD ARFI, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

lundi 3 février 2025

Honey from a Winter Stone d'Ambrose Akinmusire


En 2018 j'avais adoré l'album Origami Harvest qui mêlait la trompette d'Ambrose Akinmusire, des slameurs, piano, batterie et un quatuor à cordes. Un peu déçu qu'il n'y ait ce mélange des genres dans ses autres disques, je suis ravi de retrouver cette veine inventive dans le nouveau Honey from a Winter Stone, même si la surprise est évidemment moins grande. Pour cette saison 2 le compositeur est entouré du chanteur Kokayi, du pianiste Sam Harris, Chiquita Magic aux synthétiseurs, la batteur Justin Brown et le Mivos Quartet (Olivia Deprato, Maya Bennardo, Victor Lowrie Tafoya, Tyler Borden). Sa musique résolument contemporaine, cross-over de jazz, hip hop, tradition classique du quatuor à cordes, fait référence au compositeur Julius Eastman à qui Akinmusire rend ce très bel hommage. D'autres jazzmen afro-américains avaient auparavant pris le risque de mettre un pied dans la porte, comme Freddie Hubbard, Ornette Coleman, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, John Tchicai, George Lewis ou Muhal Richard Abrams, et chaque fois je suis aux anges, parce qu'il n'y a rien qui me plaise plus que de quitter les rails d'un style pour brouiller les pistes qu'impose le marché et les habitudes. Composer pour ou avec un quatuor à cordes est aussi une constante chez les jazzmen et c'est souvent passionnant. En 1995, avec Bernard Vitet nous nous y étions délicieusement frottés avec Dee Dee Bridgewater et le Quatuor Balanescu pour Sarajevo Suite. Le nouvel album d'Ambrose Akinmusire possède une poésie unique où l'on semble flotter en état de lévitation, vertige imputable à des repères mouvants au gré de notre culture, de nos passions et de notre capacité à accepter les glissements qui s'y opèrent.

→ Ambrose Akinmusire, Honey from a Winter Stone, CD Nonesuch (sur Bandcamp)

vendredi 31 janvier 2025

Birgé - Hoang - Segal, dans tous les sens du terme


[Douze ans déjà.] Les Allumés du Jazz [avaient proposé] à ses labels adhérents de leur produire trois albums sur le thème de la REPRISE, nous [avions] aussitôt envoyé une [proposition de Prises] intitulée "dans tous les sens du terme" [Je n'attends jamais, la procrastination et moi, ça fait deux]. Je rédigeai donc un programme que je fis suivre à mes camarades, le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang. [Je crois me souvenir que cette initiative des Allumés ne fut suivie d'aucun effet, restant lettre morte, probablement faute de subventions espérées.]

1. de contact : 30 ans après l'écoute d'Un Drame Musical Instantané par Vincent aux Musiques de Traverses de Reims / 23 ans après la naissance d'Antonin-Tri, nourrisson voisin de Jean-Jacques / 13 ans après le dernier album de celui-ci avec Un Drame Musical Instantané / facile et agréable)
2. (signes de) : musique répétitive et évolutive s'appuyant sur la programmation en temps réel d'un Tenori-on
3. de risque : improvisation avec des instruments qui ne sont pas ceux des musiciens habituellement
4. (manque de) : drône / encéphalogramme plat
5. après le gong : sportif
6. de bec : jeu sur les anches
7. d'otages : citations dévoyées comme base de dialogue
8. de sang : citations assumées comme base à l'invention
9. de courant : transformation du son du violoncelle et du saxophone alto au travers d'effets électroniques en temps réel
10. des hostilités : affirmation brutale de chaque individu et du groupe face au formatage
11. des négociations : sur la pointe des pieds
12. du travail : enthousiasme
13. d'une entreprise en difficulté par ses salariés : solidarité et jeu d'ensemble

Puisque nous avions choisi d'enregistrer le 23 décembre [2012], autant commencer par là, pensèrent Antonin et Vincent. Et nous voilà lancés dans toute une série d'improvisations sans autre concertation que les notes que je leur avais e-mailées !
À la réécoute je supprimai les deux derniers morceaux qui réfléchissaient surtout notre extrême fatigue et réordonnai ceux qui semblaient mériter de figurer dans ce premier jet. Mixage terminé, ambiance très cool, 43 minutes en accès libre, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org, comme les [aujourd'hui 190] autres heures dont chacun/e peut profiter, soit aléatoirement sur Radio Drame, soit en choisissant parmi les [aujourd'hui 105] albums inédits offerts par le label GRRR. Les fichiers sont en mp3, leur version audiophile (44.1/16) étant réservée à une éventuelle production physique ou payante [ou sur Bandcamp]. Pour celles et ceux qui préfèrent tenir entre leurs mains de belles pochettes et d'astucieux livrets, quantité de vinyles et CD sont d'ailleurs toujours en vente sur le site ou sur Bandcamp.

Article du 9 janvier 2013

jeudi 30 janvier 2025

Les oreilles en vrille et la petite cuisine


L'exposé qui suit tient du patois de laboratoire. Cela peut se lire sans comprendre, comme de la poésie sous semi-conducteur ou, pour les aficionados, tenter de saisir en quoi cela consiste, ce qui ne les différenciera pas pour autant des néophytes, faute de ma lamentable expérience en la matière !
La pédale de distorsion Harvezi Hazze était fort attendue, pour se muer en forte entendue. Après les premiers tests qui me plonge dans un état ressemblant à une prise de quelque nouveau psychotrope, un silence s'impose avant que je n'explose. Donc me voilà et me revoilà, comme dirait le chat de Schrödinger, plus facétieux que jamais. Le premier intérêt de l'Harvezi Hazze (brouillage du signal en géorgien !) est de remonter le niveau de la shahi baaja ou, du moins, le régler plus finement. Fan des machines "organismiques" fabriquées par Soma, je ne savais pas exactement à quoi m'attendre, mais l'ajouter en amont des effets délirants de la H9 d'Eventide et de la réverbération infinie Nightsky de Strymon me semblait une bonne idée si je comptais marcher sur les traces des grands guitaristes qui avaient marqué ma jeunesse, avec le côté trash de la noise actuelle en bonus. Basé sur un vieux transistor unijonction, sorte d'hybride entre diode et transistor, dégotté sur un marché aux puces de Tbilissi, capitale de la Géorgie, cette distorsion permet de glisser manuellement et sans à-coups d'un timbre à un autre. Les boutons de contrôle n'ont pas la même fonction selon que l'on désire fuzz, distorsion, limiteur, waveshapper ou générateur. Cet aspect est typique des instruments somesques, parfaitement intuitifs, sans écran ni mémoire. Dans tous les cas c'est plutôt méchant. Ça vrombit, ça buzze, ça hennit, ça crispe, ça craque ! Passionnant, pas forcément amusant, mais dramatique et tellurique, aussi utile qu'une perceuse électrique. Un jour ou l'autre on y vient. La séquence de ces trois pédales me sert aussi bien à transformer le son de cette cythare à touches pakistanaise que celui du Tenori-on, du Kaossilator, du kazoo amplifié ou des sons d'ambiance diffusés par un vieil iPad.
Il y a plus de quarante ans j'ai revendu toutes mes pédales d'effets, wah-wah, disto, modulateur en anneau, etc., lorsque je me suis bêtement débarrassé de mon orgue Farfisa Profesional. Il ne me reste que le M-Resonator de Jomox que m'avait conseillé Franck Vigroux, et surtout la H90 d'Eventide dont je me sers sur tous mes instruments principaux, de même que le rack H3000 qui ne me quitte pas depuis 1986 ou le Cosmos, délai aléatoire de chez Soma ! Toute cette artillerie n'intervient strictement que lors du jeu en direct, dit en live. Lorsque je traite et mixe les fichiers son sur le logiciel Cubase, j'utilise essentiellement les plug-ins barjos d'Eventide, les réverbérations en convolution de l'AltiVerb, les traitements techniques d'iZotope et, de temps en temps, les GRM Tools. Il est difficile d'imaginer à quel point le doux bruit des touches de mon clavier textuel me fait du bien après la fantastique séance de test où je me suis vrillé les tympans. Pour redescendre complètement je pense que je vais même m'allonger maintenant avec un bouquin.

P.S.: le lendemain j'enregistrai un long solo qui me servirait pour le prochain album d'Un Drame Musical Instantané.

mercredi 29 janvier 2025

Pour en finir avec le travail


Quand Debord, Vaneigem et les situs écrivaient des chansons...

(...) à l'avant-première de La fiancée du danger, film dont j'avais composé la musique, la réalisatrice Michèle Larue me présenta Jacques Le Glou. Distributeur de films français à l'étranger, il est aussi connu pour avoir réalisé un disque-culte avec ses copains situationnistes, Pour en finir avec le travail.

"Chansons du prolétariat révolutionnaire" écrites par Guy Debord, sa compagne Alice Becker-Ho, Raoul Vaneigem, Étienne Roda-Gil, détournements de Le Glou de chansons fameuses (Il est cinq heures d'après Dutronc-Lanzman, La bicyclette de Barouh-Lai devenue La mitraillette, Les bureaucrates se ramassent à la pelle d'après Prévert-Kosma, etc.), l'ensemble est évidemment jubilatoire, et magnifiquement réalisé selon les codes de la variété de l'époque avec des musiciens de l'Opéra. Seule chanson historique, L'bon dieu dans la merde, est célèbre pour avoir été chantée par Ravachol en montant sur la guillotine. Les voix sont celles de Jacques Marchais, Jacqueline Danno (sous le pseudonyme de Vanessa Hachloum, Hachloum comme HLM !) et Michel Devy. Le 33 tours, épuisé en quatre mois, a été réédité en 1998 par EPM, et à nouveau en 2008 sous le titre Les Chansons Radicales de Mai 68.

Le Glou m'en apprit de belles sur les droits d'auteur. En 1974, Brassens, Ferré et Moustaki avaient refusé que leurs chansons soient détournées par cette bande d'anarchistes. Aujourd'hui la législation a "évolué". On peut changer les paroles d'une chanson sans avoir besoin d'en demander l'autorisation ni aux ayants droit ni à la Sacem, mais ce sont les auteurs de l'original qui touchent les droits ! Les chansonniers ont de beaux jours devant eux.

Je termine ce billet en ne résistant pas à vous livrer les premiers vers de La java des bons enfants écrits par l'auteur de La société du spectacle, définitivement politiquement incorrect :

'' Dans la rue des Bons Enfants
On vend tout au plus offrant,
Y avait un commissariat
Et maintenant il n'est plus là.
Une explosion fantastique
N'en a pas laissé une brique,
On crut que c'était Fantômas
Mais c'était la lutte des classes...
Sache que ta meilleure amie
Prolétaire, c'est la chimie...''

P.S. : les véritables auteurs s'étaient amusés à attribuer les chansons à des auteurs "imaginaires". Ainsi, dans le 33 tours original, La java des bons enfants était signée Raymond Callemin, dit Raymond-La-Science, membre de la Bande à Bonnot, et datée de 1912. En réalité il s'agissait pour celle-ci de Guy Debord et Francis Lemonnier (saxophoniste de Red Noise et Komintern !).

Article du 12 décembre 2012

mardi 28 janvier 2025

D'un tamalou


Les Tamalous, c'est une des façons d'appeler les vieux, du moins c'est ainsi qu'ils se reconnaissent. On peut être vieux très jeune. Il suffit de se plaindre tout le temps des petits maux qui nous accablent. Mon médecin disait que c'est aussi comme cela que l'on reconnaît les vivants. Il est vrai que certains jours de grande souffrance il m'est arrivé d'imaginer que ce ne serait pas un mal si je ne me réveillais pas le lendemain. Et puis j'ai pensé à celles et ceux qui m'aiment et j'ai rangé cette idée pour plus tard, me souvenant que, sauf accident, l'on mourrait le plus souvent lorsqu'on en avait vraiment marre. Aux jeunes que cela angoisse je réponds toujours que ce n'est pas le moment, c'est largement prématuré, ils auront le temps de l'apprivoiser. C'est que la vie peut être courte et longue à la fois. On sent bien qu'ils n'ont pas conscience de la mort en les regardant traverser la rue n'importe comment. Les vieux font pareil, mais parce qu'ils s'en fichent ou qu'ils préfèrent ne pas y penser. La soif de vivre repousse la Faucheuse vers d'autres rivages.
Mais revenons à "t'as mal où ?". Un petit orteil cassé, le cancer de la thyroïde, une méchante grippe, hémorragie des cordes vocales, torticolis, tord ti coula, atchoum, qui dit mieux ? Il est évident que le corps se déglingue très tôt. On en prend en général conscience après 40 ans. Cela fait des lustres que les nuits blanches sont devenues fatales. Bien avant, les cellules se reproduisent plus lentement, les télomères raccourcissent, la production de collagène, la masse musculaire et la densité osseuse diminuent, les vaisseaux sanguins perdent en élasticité, le métabolisme ralentit, heureusement la perte neuronale n'est pas encore perceptible ! On dirait une chanson du comique troupier Ouvrard...


Il est formidable de constater qu'on oublie facilement les misères qu'on a subies. À partir d'un "certain âge", un clou chasse l'autre. Mais si le corps humain dégénère progressivement, en vieillissant on peut apprendre à mieux le gérer. J'ai par exemple souffert de lumbagos dès mes 31 ans, avec hernie discale à la clef. C'était la conséquence d'efforts débiles à transporter mon imposant système de sonorisation lorsque j'en avais 18, sauf qu'à cet âge on s'en remet très vite, c'est plus tard que ça lâche. À force d'exercices quotidiens j'ai réussi à faire disparaître la hernie discale, puis je me suis gainé avec le vélo d'appartement et quarante ans plus tard je n'ai presque plus jamais mal au dos. En période de crise, je me sentais comme si j'avais plus de 90 ans. Aurais-je rajeuni avec l'âge ? C'est la même chose avec les douleurs morales, on peut apprendre à s'en ficher, on évite les contrariétés en slalomant sur la piste noire, de plus en plus rapide. Tout schuss. Si l'on représente le cycle de la vie par une courbe oscillant entre bonnes et mauvaises nouvelles, il suffit de limiter la durée des creux et de prolonger celle des crêtes ! Je ne m'énerve plus jamais, ce qui ne m'empêche nullement de me révolter ! Je ne peux pas en dire autant de mes plaintes. C'est peut-être culturel ? Ma blague juive préférée, que ne comprennent pas toujours les goys, refait surface lorsque ma mère m'appelait au téléphone pour me demander si j'allais bien. Si je répondais que oui, elle rétorquait : "ah tu n'es pas tout seul, je te rappelle plus tard !".

lundi 27 janvier 2025

Le BachFilm des Straub


Avec Le BachFilm [aujourd'hui épuisé, mais trouvable en occasion] les Éditions Montparnasse [continuèrent] de publier leur incroyable intégrale des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Après déjà sept volumes nous [était] proposée la célèbre Chronique d'Anna Magdalena Bach dans cinq versions qui diffèrent par la langue, allemande, française, anglaise, italienne, néerlandaise, toutes originales, tant le couple de réalisateurs tient à l'authenticité de tout ce qu'ils filment. Ainsi toutes les œuvres interprétées par Gustav Leonhardt qui joue le rôle du compositeur, par Christina Lang-Drewanz qui joue celui de sa femme, par Nikolaus Harnoncourt à la tête du Concentus musicus, Ensemble fûr alte Musik de Vienne, par August Wenzinger à celle du Konzert-gruppe des Schola Cantorum de Bâle, par Heinz Henning à celle du Knabenchor de Hanovre, etc. sont intégralement enregistrées en direct. Il est peu probable que vous regardiez et écoutiez les cinq versions, mais le jusqu'au-boutisme d'une intégrale doublé de l'exigence straubienne imposent cette exposition quasi encyclopédique.
Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967) est certainement leur film le plus évidemment accessible au grand public qui devrait être fasciné par l'authenticité de l'entreprise. J'ai un petit faible également pour l'opéra Moïse et Aaron de Schönberg tourné sept ans plus tard, référence fondatrice de mon propre travail. Pris entre le spectacle de la vie réelle et le travail critique sur les conditions sociales où s'exerçait l'œuvre de Bach la magie vous entraîne dans des mondes insoupçonnés, expérience unique dans l'histoire du cinéma. Les rapports que Bach entretient avec ses commanditaires montrent que rien n'a vraiment changé depuis cette époque !
Le second DVD propose un documentaire de 1968 de Henk de By sur les trois premiers films des Straub, les témoignages de Gustav Leonhardt lors du tournage de la Chronique, plus récemment de Christina Lang-Drewanz et Nikolaus Harnoncourt, un extrait d'une conférence de Gilles Deleuze intitulée Qu'est-ce l'acte de création ?, ainsi que des photos et documents inédits sur la partie Rom du DVD, plus un livre de 160 pages incluant le découpage précis du film avec toutes les références musicales, cela va de soi ! Le film est un des must absolus en matière de musique au cinéma, il n'y en a pas tant que cela, tout aussi indispensable aux amateurs de Jean-Sébastien Bach, alors que Gustav Leonhardt était encore à ses débuts, comme à toutes celles et ceux qui se demandent à quoi rime le cinématographe.

Article du 21 janvier 2013

vendredi 24 janvier 2025

Lettre à un jeune artiste interviewé


Salut,

Est-il encore d'usage de commencer une lettre par cette exclamation de bienvenue ? Déjà mon titre au masculin est d'une autre époque. Les temps changent, les rapports évoluent ou régressent, mais tout, absolument tout ce qui est vivant, obéit toujours à la loi des cycles, et pour accrocher le lecteur il faut y mettre du sien. Du sien, c'est de soi qu'il s'agit. S'agiter, c'est secouer l'arbre pour que tombent les branches mortes et les fruits trop mûrs. Faire le mur pour échapper aux propos convenus. Les conventions sont fondamentalement soporifiques. On s'endort devant la répétition des justifications partagées par tous. Les revendications possèdent au moins l'avantage de mettre les pieds dans le plat. Alors on évitera la platitude du politiquement correct, sans trop la ramener, mais avec l'aplomb d'assumer que l'on pense par soi-même. La soie sauvage constitue le plus doux de mes ensembles. Ensemble, parce qu'on ne s'en sort jamais seul, du moins sur la distance. En d'autres termes, le temps. C'était l'idée. Afficher à l'écran des propos cent fois tenus, une fois pour toutes, puisqu'on ne couche plus sur le papier, même par consentement mutuel, pour éviter la répétition et ressasser inlassablement. Passer à autre chose, tourner la page. Alors pour vous, taper quelques conseils pour que vos propos nous réveillent quelle que soit la qualité de celle ou celui qui vous interroge.

Commencez par noter trois idées directrices auxquelles vous tenez particulièrement et débrouillez-vous pour les placer coûte que coûte dans le cours de la conversation, peu importent les questions. Au pire ou au mieux, c'est la qualité du "oui, mais". Sans cette gymnastique vous risquez de rentrer chez vous en vous mortifiant de ne pas avoir dit l'essentiel. Trois, c'est un bon chiffre. Rappelez-vous les meilleures dissertations, fussent-elles scolaires. Introduction, trois parties, conclusion. Un artiste doit savoir commencer et terminer. L'attaque est l'accroche. Le fondu au noir constitue une facilité vous privant du plaisir de la coda. Cela ne vous interdit pas les ouvertures à tiroirs et les fausses fins. Le plaisir de surprendre. Quant aux trois parties, elles vous obligent à trouver trois bonnes raisons d'être là. Une ou deux, viennent toutes seules, mais c'est la troisième qui valorise l'ensemble. Et puis, selon qui vous avez en face, vous pourrez être complice ou impertinent... En tout cas soyez vous-même, c'est le plus simple et le plus confortable !

Développez. Forcez-vous. Faites marcher votre mémoire. Les anecdotes donnent du corps aux intentions. Elles font passer la théorie à la pratique. Le lecteur aime qu'on lui raconte des histoires. Si elles peuvent alimenter son sommeil, elles ne l'endormiront pas, bien au contraire. On s'y projette. Le phénomène d'identification n'est pas seulement le nerf du cinématographe, c'est la clef de toute la littérature, peut-être même de la vie tout court. Pour qu'elles tiennent debout ces anecdotes doivent faire sens, aller dans celui de votre propos. Relisez le paragraphe précédent ! Idem pour les détails. Rester vague est du domaine de la banalité. Le discours de la méthode est passionnant... À condition de bien expliquer en restant autant que possible à la portée de tous.

Nommez celles et ceux avec qui vous partagez le chemin. Comme les remerciements, cela ne coûte rien et c'est une juste reconnaissance. Vous éviterez des rancœurs, stupidement générées par votre maladresse. Comme vos références historiques, ce sont autant d'entrées vers qui vous êtes, vers votre travail. N'oubliez jamais que "toute œuvre est une morale". Pour citer encore Jean Cocteau, pensez "ne pas être admiré, être cru". Plus jeune, je voulais toujours être original et Bernard Vitet me reprenait : "pas original, mais personnel". Chaque individu devrait pouvoir le revendiquer, un artiste a fortiori. La sincérité devrait représenter l'étalon de votre art. Oubliez les marchands. Je m'écarte du sujet de cette lettre, mais pensez à dire que vous les aimez à celles et ceux que vous adulez. Et lorsque c'est vous qui posez des questions, choisissez les bonnes.

Donc tout cela se prépare. On n'y va pas les mains dans les poches et l'on ne confie pas à un quidam le soin de faire l'article. C'est comme le reste, comme les vers, les notes, les couleurs... Que ce soit inné ou mûrement réfléchi, il faut donner du grain à moudre à votre interlocuteur, et par extension à celles et ceux qui vous liront ou vous écouteront.

Je ne sais pas si je dois vous souhaiter bonne chance ou vous dire merde. Dans le premier vinyle d'Un Drame Musical Instantané, en 1977, pour la coda de notre improvisation Au pied de la lettre basée sur un texte inédit de Jean Vigo, tandis que je scandais "tout homme détient dans ses mains son destin" Bernard Vitet clamait "un coup de dés jamais n'abolira le hasard", sans que nous nous soyons concertés et absolument ensemble.

Salut et fraternité

jeudi 23 janvier 2025

Des chats, des fous, des imbéciles et des nuisibles


Samedi 1h du matin. Premier sommeil. Je n'ai rien entendu. Par contre les voisins ont été réveillés par le choc. Assez rapides pour apercevoir le SUV repartir en zigzagant, mais pas pour noter son immatriculation. Certains ont cru le voir prendre la fuite en marche arrière, d'autres en marche avant. Dans le premier cas cela signifierait que le conducteur avait emprunté le sens interdit. Si c'est le cas, le salopard l'aura rendu vite fait. Il devait rouler bigrement rapidement pour exploser le scooter, tordre le pilier auquel il est attaché et pousser la voiture garée devant chez nous d'un mètre cinquante en broyant son moteur. Il avait peut-être aussi un coup dans le nez. Je ne pense pas qu'on le retrouvera, même si son tank a dû en prendre un coup.


Le soir même, la petite chatte d'en face avait filé à l'anglaise. Depuis dix ans qu'elle habite là elle n'avait jamais traversé la rue. Extrêmement peureuse, presque invisible pour sa famille d'accueil. Elle se planque au moindre bruit. Pas drôle. Prostrée sous la voiture, nous n'avions pas réussi à la récupérer. Était-elle encore dessous au moment du choc ou avait-elle déjà migré deux voitures plus bas, on ne le saura jamais. Les chats font les quatre cents coups, mais ne racontent jamais rien.
Django a par exemple déserté la maison pendant plus de six mois, n'apparaissant que trois fois par jour à l'heure des repas et repartant aussitôt. Nous étions désespérés, lui qui est si câlin ! Une histoire de jalousie avec la petite Lola fraîchement arrivée ? Et puis lorsque le froid de l'hiver s'est pointé il est revenu comme un cœur, reprenant toutes ses anciennes habitudes comme si de rien n'était. Mieux, il roupille toute la journée comme les deux autres, et ne sort plus aussi souvent chasser. Il en a peut-être soupé du froid et de la pluie qu'il aimait tant ?
La petite Baghera, c'est le nom de la petite écaille de tortue d'en face, est restée prostrée quatre jours et quatre nuits sous la voiture de l'ancien épicier sans que nous arrivions à la récupérer. Je craignais qu'elle meure de froid. Peut-être que la faim la ferait sortir. Marius a fini par l'avoir. Elle a bu, mangé et elle s'est laissée prendre un bain sans sourciller. Elle puait l'essence. Lorsque mes voisins sont absents il arrive que je la nourrisse, elle et Milkidou, le gros chat qui squatte notre cave lorsque ses humains sont trop longtemps absents. Il faut dire qu'il est né là, chez nous, vu que c'était un des petits de notre Oulala. Nous l'avons en quelque sorte en garde partagée, mais il terrorise nos trois zozos.
Des chats il n'y en a pas deux pareils. J'imagine que c'est le cas pour tous les animaux, comme nous, animaux dénaturés qui faisons la loi et pas de la façon la plus sympathique. Je m'interroge de plus en plus sur l'espèce humaine. Faut-il être bête pour se faire la guerre, s'enrichir sur le dos des autres, passer ses nerfs sur ses proches ou ses lointains, trucider les autres espèces, ou voter pour ses bourreaux ! Je ne comprends pas comment nous acceptons d'être guidés par des fous, des imbéciles et des nuisibles. Lâches ou suicidaires, pour revenir à l'accident de samedi soir...

mercredi 22 janvier 2025

Shabda, sextet d'Yves Rousseau


Pour chroniquer un disque j'ai d'abord besoin d'en avoir une approche personnelle. Des albums que j'aime beaucoup me laissent parfois muet. Je ne cite par contre jamais ceux qui me déplaisent et vous n'en saurez rien, à moins d'en parler ensemble de vive voix. Ainsi je n'avais pas la moindre idée de comment aborder Shabda, le sextet du contrebassiste Yves Rousseau. Mais au milieu de tous les machins argentés reçus ces derniers temps je me suis surpris à le remettre plusieurs fois sur la platine. De là à penser que c'est un vice platiné, il n'y a pas loin. Le rupteur, autrefois appelé vis platinées, est un élément de l'allumage d'un moteur à allumage commandé, qui coupe périodiquement le courant du primaire de la bobine d'induction afin de déclencher une forte tension électrique au secondaire de la bobine, produisant une étincelle dans la bougie alimentée par le Delco. Il aura suffi d'un jeu de mots pour que l'étincelle jaillisse de mon cerveau embué par le front polaire ou les embruns de la photo de couverture due à Jeff Humbert. L'idée du rupteur me semble tellement plus juste que le laïus ãyurvédique de la pochette, même si "akasha (un album de 2015 !), l'espace ou l'éther, est caractérisé par le son" et que shabda "désigne en sankrit le son de la parole, du mot et de la vibration originelle". Surtout que des paroles il n'y en a pas une dans ce très beau sextet formé de trois saxophonistes, Géraldine Laurent à l'alto, Jean-Marc Larché au soprano et Jean-Charles Richard aux soprano et baryton, du violoniste Clément Janinet, du batteur Christophe Marguet et du compositeur à la contrebasse. Par contre, des étincelles, Shabda en est largement pourvu, musique d'ensemble, pleine et harmonieusement arrangée, rappelant Carla Bley, avec ses tensions générant autant de détentes, dans la lumière (dīpād en sanskrit !) des bougies de cette merveilleuse machine humaine, capable des plus beaux accords.

→ Yves Rousseau, Shabda, CD Alla Luna, dist. L'autre distribution, sortie le 7 mars 2025

mardi 21 janvier 2025

Des oiseaux, petits et gros


Uccellacci e uccellini est probablement mon film de Pier Paolo Pasolini préféré, pour une quantité de raisons. Tourné en 1966, il commence avec l'un des plus beaux génériques de film, entièrement chanté sur une musique d'Ennio Morricone. Ce film marxiste est magiquement interprété par Totò et Ninetto Davoli, dont toutes les participations à des courts ou longs métrages de Pasolini sont sublimes. Et puis il y a les oiseaux. Un corbeau, doué de la parole, leur raconte l'histoire de frère Ciccillo et de frère Ninetto (eux aussi interprétés par les deux comédiens), des moines franciscains à qui Saint François d'Assise ordonne d'évangéliser les faucons (les puissants) et les passereaux (les humbles). À eux d'en trouver les moyens !


Je suis mal placé pour évangéliser qui que ce soit, à commencer par moi-même, mais j'ai toujours essayé de communiquer avec les animaux, du plus petit au plus gros, et à défaut d'y arriver j'adore les regarder vivre. Cela explique mon récent voyage dans l'Amazonie profonde. Sans avoir besoin d'aller jusque là, j'ai finalement installé une mangeoire au centre du jardin. Aussitôt une dizaine de mésanges se sont précipitées sur les cacahuètes, se confrontant à un merle essayant de faire la loi. Les boules de graisse et les graines de tournesol ont beaucoup moins de succès. Les boules sont composées de flocons d'avoine et de blé, de la graisse de bœuf, d'huile de tournesol, etc. Plus timides, ont suivi les rouges-gorges. Puis les geais et les tourterelles, mais seulement dans l'assiette horizontale. Les corbeaux, probablement trop lourds, gardent leurs distances. Certains volatiles préfèrent céder au mythe de Narcisse en se pavanant devant les miroirs disséminés partout dans le jardin. Le mât mesure deux mètres quarante, empêchant nos chats de croquer les petites bêtes. Ma fascination pour le ballet des petites ailles m'identifierait à "un enfant de cinq ans et demi". Depuis que j'ai installé le perchoir je passe mon temps aux différents postes d'observation entourant le jardin.

lundi 20 janvier 2025

L'instanté de Martial Bort


Pour son premier album le guitariste Martial Bort fonde un power trio où la basse est tenue par Tom Caudelle aux saxhorn et flugabone, sorte de petit tuba et de trombone à pistons. C'est le genre de pas de côté qui me plaît, un peu comme le groupe Sons of Kemet où le saxophoniste Shabaka Hutchings était accompagné par un tuba et deux batteurs. Ici le percussionniste est Olivier Hestin, mais la musique est évidemment différente des Anglais. Sur une base de ritournelles, de tourneries, jouées souvent à deux, le troisième s'accroche en toute liberté, ce que Bernard Vitet appelait la corde à linge. Avec le timbre de la guitare souvent saturée, l'ensemble sonne plutôt rock, du genre "progressif" à cause des tutti rythmiques, mais comme si le passé était relu avec des lunettes toutes neuves. Si mes propos laissent penser à du réchauffé, rappelez-vous que les plats mijotés sont toujours meilleurs le lendemain. Ce trio ne ronronne pas pour autant, les roues de leur véhicule donnant la sensation d'être carrées. Imaginez les sursauts et les courbatures !

→ Martial Bort, L'instanté, CD Label Mon slip, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

vendredi 17 janvier 2025

Des familles comme les nôtres


Je pensais que la série danoise Families like Ours traitait du dérèglement climatique, mais la submersion du Danemark n'est qu'un McGuffin, prétexte à une sorte de soap opera, un mélodrame familial où des bourgeois européens remplacent les pauvres migrants d'Asie centrale ou d'Afrique. Cela part d'un bon sentiment : cela pourrait nous arriver à tous. Mais c'est faire abstraction de la réalité sociale de nombreux réfugiés climatiques ou politiques qui ne sont pas forcément des paysans ou des prolétaires dépenaillés comme on les présente trop souvent. On peut voir cela comme un aspect positif de cette mini-série en sept épisodes. Mais le scénario de Thomas Vinterberg, réalisateur de Festen, La Chasse (Jagten), Drunk (Druk), etc., est truffé de morale chrétienne, sempiternels regrets qui suivent les mauvais choix, du manichéisme qui divise le monde en gentils idiots et méchants idiots (non, Les idiots est un film de Lars von Trier, un autre Danois porté sur l'allégorie christique !), et de références bibliques grosses comme les somptueuses demeures que ces nantis doivent abandonner avant qu'elles aient les pieds dans l'eau.



Je préfère mille fois le dernier long métrage de la polonaise Agnieszka Holland, La frontière verte (Zielona granica), que j'évoquais l'an passé en ces termes :

Si La frontière verte (Zielona granica) d'Agnieszka Holland est indispensable, c'est un film très dur (mais je suis une petite nature). Le sort des migrants violemment bringuebalés entre la Biélorussie et la Pologne est insupportable. D'un côté le dictateur Alexandre Loukachenko les pousse vers l'Union Européenne pour l'affaiblir après les sanctions dont la Biélorussie est victime, de l'autre les Polonais les repoussent, motivés par un racisme historique ou mandatés par une Europe barbelée. Ces familles viennent d'Irak, d'Afghanistan, d'Afrique et espèrent trouver refuge en Suède ou ailleurs, dans une Europe fantasmée, prétendument protectrice des Droits de l'Homme. Depuis quarante ans, nous avons tout perdu, en France évidemment, mais nos voisins ne valent guère mieux.
Agnieszka Holland est attaquée par le ministre polonais de la justice, Zbigniew Ziobro, qui a comparé son film, instrumentalisé par le parti d'extrême droite PiS lors de la campagne électorales de 2023, à de la propagande nazie, comme du temps où « les Allemands, durant le IIIe Reich, produisaient des films de propagande montrant les Polonais comme des bandits et des meurtriers ». Polonaise en partie d'origine juive, Holland n'a jamais laissé son pays oublier ses exactions passées. Lors de ses précédents films elle n'a pas été plus tendre envers le régime nazi ou les exactions staliniennes. Avec son dernier film, qui a reçu le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise, forcément dérangeant pour la Pologne, la Biélorussie, mais fondamentalement pour l'Europe, elle attise envers elle une haine antisémite ou anticommuniste. Elle ne fait qu'annoncer ce qui se prépare face à une crise migratoire inévitable qui ne fera qu'augmenter et dans des proportions autrement plus importantes, que ce soit pour des raisons politiques ou climatiques. 30 000 ont déjà péri en cherchant la liberté, sur terre, sur mer et dans la forêt où l'on meurt toujours tandis que je tape ces mots. Ce qui se profile fait froid dans le dos et devrait nous révolter. Le monde part à vau l'eau. Comme toujours et partout il y a des résistants, des activistes, et face à eux l'absurdité et la violence de polices plus sauvages les unes que les autres, obéissant aveuglément aux ordres avec délectation. J'ai souvent l'impression que dans ce genre de situation ou de période, il y a 5% de salauds, 5% de résistants et le reste qui fait semblant de ne pas savoir.


Agnieszka Holland renvoie la Pologne à son hypocrisie catholique et l'Europe à son inutilité, si ce n'est dans sa politique dictée par des intérêts strictement économiques, donc mortifères. Son film est très fort. Il met en scène des êtres humains, aux langues si différentes les unes des autres, heureusement pas que dans l'immonderie, mais dans leur beauté et leur solidarité. Si la forêt verte tourne dès les premières secondes au noir et blanc, c'est à la fois pour lui donner une impression d'actualités et parce qu'une mise en couleurs risquerait d'en faire un spectacle, tant le cinéma de divertissement rend l'horreur fictionnellle, voire fictive. Comme Cocteau le proclamait dans une Histoire féline, magnifique chapitre du Journal d'un inconnu évoquant les poètes témoins de l'impossible : "ne pas être admiré, être cru." La frontière verte est un no man's land, la terre d'aucun homme, une zone invivable où s'embourbent les réfugiés, mais surtout l'humanité tout entière.

jeudi 16 janvier 2025

Foin de l'IA


Plus d'un CD sur deux que je reçois, près d'un spectacle sur trois, se réclament de l'IA (intelligence artificielle). Cette tarte à la crème dessert plus ces projets qu'elle ne les rend actuels. On est forcément déçus de n'y entendre rien, rien de différent de d'habitude. L'annonce fait paravent aux autres aspects de la création. Dans ces secteurs artistiques, l'IA n'est qu'un outil parmi d'autres. Est-il utile de revendiquer d'utiliser telle ou telle application ? C'est franchement ridicule, à moins de vouloir séduire les subventionneurs patentés. Les plus aguerris en rigolent, se souvenant qu'ils utilisaient depuis près d'un demi-siècle la MAO (musique assistée par ordinateur), avec des logiciels basés sur des calculs de probabilité ou sur les réseaux neuronaux. Pour l'instant, seule la banalité y trouve son compte, au mieux clonant l'existant. Par contre, l'IA s'ajoute à la panoplie des outils amusants dès lors qu'on la pervertit, comme il est nécessaire de le faire avec tous les outils commercialisés si l'on désire les adapter à ses projets personnels. Je m'interdis donc désormais de revendiquer l'IA dans mes compositions, comme pour mes autres instruments, tous toujours conçus à l'origine pour un certain type de musique, mais certainement pas pour celle que j'ai en tête ! Est-il utile ou nécessaire de clamer que j'utilise des samples enregistrés par d'autres, des machines aux fonctions aléatoires, des applications transformant les sons, des pédales d'effets incroyables, ou que je tripatouille des fichiers midi ? Cette petite cuisine peut être intéressante pour quelques spécialistes, mais mettre l'IA en avant n'est qu'une esbroufe revenant à prononcer des mots compliqués pour camoufler le plus souvent la banalité formatée des musiques dites actuelles. Cela n'empêche pas de s'y intéresser et d'y avoir recours lorsqu'on en a besoin. En en discutant avec Étienne Mineur, nous convenions que ce que j'avance pour la musique s'applique parfaitement au graphisme. Quant à son usage devenu largement répandu dans la fabrication de textes, on évite en général avec précaution de le signaler !
L'autre tarte à la crème inlassablement de plus en plus courante dans les feuillets accompagnant les disques que je reçois est la notion de musique pour un film qui n'existe pas. Le problème avec ces annonces est que la plupart du temps ces musiques ne m'évoquent aucune image ! Il est dangereux de produire des œuvres qui ne correspondent pas aux intentions proclamées. On risque d'être déçus et de passer à côté des véritables qualités de ces créations.

mercredi 15 janvier 2025

Rencontre avec John Cage


En mai 2006 [date de cet article], Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelait que j'avais écrit à propos de l'héritage d'Edgard Varèse "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait penser à Cage, surtout 4'33", ajoutait mon ami américain. [Depuis, je me suis rendu compte à quel point la pensée de John Cage influence tant d'artistes et de philosophes, alors que sa musique est beaucoup moins bien perçue.]

Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... Cage était un personne adorable, attentive et prévenante. Heures exquises. J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsqu'il y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... En 1982, le Drame avait joué une pièce sur les indications du compositeur. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! J'aime pourtant énormément les compositions de Goebbels.


Pour le film d'Antène 1, l'une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée en 1975. Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo Arijon. Sur la deuxième, il filme Francis... La séance se déroulait dans ma cave du 7 rue de l'Espérance. Nous enregistrions quotidiennement dans cette pièce dont l'escalier débouchait sur la cuisine de la petite maison en surface corrigée que je louais sur la Butte aux Cailles. C'est un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.


Bernard Vitet y joue d'un cor de poste, Francis Gorgé est à la guitare classique et au frein, une contrebasse à tension variable inventée par Bernard. Nous jouons tous des trompes qu'il a fabriquées avec des tuyaux en PVC et des entonnoirs ! Je programme mon ARP2600 et souffle dans une trompette à anche et une flûte basse, toutes deux conçues par Bernard.
Je me souviens encore de Merce Cunningham traversant au ralenti la scène où nous avions joué comme un grand et vieux bonzaï. J'aimais le synchronisme accidentel qui régnait entre la danse et la musique. Un jour où l'on demanda à Cage qu'elle était exactement sa relation avec le chorégraphe il répondit malicieusement : "je fais la cuisine et lui la vaisselle !".