C'est la troisième fois que j'évoque Pierrick Sorin dans ces lignes. Il réfléchit mon goût pour les machines depuis que j'étais petit, à fabriquer des trucs bizarres avec du Meccano ou empiler tout et n'importe quoi, à retourner mes jouets pour en faire autre chose que ce à quoi ils étaient destinés, mes déguisements que mon père appelait chienlit, la prestidigitation qui m'occupa plus tard de longues heures devant le miroir du salon et mon amour du cinéma qui devint l'un de mes métiers. Le premier article s'insérait dans le cadre de l'exposition Des jouets et des hommes au Grand Palais en 2011. Le second est plus récent lors d'un merveilleux concert avec Pierre Bastien intitulé Machins machines au Louvre. De passage à Nantes je ne pouvais rater Faire bonne(s) figure(s) au Musée d'Arts. Cette nouvelle exposition présente une vingtaine d'œuvres, anciennes et nouvelles. Je chausse donc mes yeux d'enfant, d'autant que je suis accompagné de mon petit-fils qui a six ans, pour admirer ses théâtres optiques, ses vidéos aussi humoristiques que critiques, ses installations lumineuses et sonores...


Dès l'entrée nous sommes accueillis par sa nouvelle installation de laveur de carreaux, trois grands écrans derrière lesquels on peut passer, car Pierrick Sorin dévoile souvent les effets spéciaux qu'il utilise, ou du moins il en révèle une partie, car pour la plupart des visiteurs il est probablement difficile de comprendre les animations en surimpression sur décor fixe réalisées par un jeu de reflets sur une plaque de verre inclinée, et c'est tant mieux. La magie opère d'autant qu'elle reste mystérieuse. Mais Pierrick Sorin s'en fiche comme il se moque de lui-même pour renvoyer l'image de nos habitudes au parfum délicatement régressif. Ces effets sont pourtant simples. Il y a du Gondry dans ces mises en scène dont il est l'unique héros, maquillé, déguisé, démultiplié, un mélange de Méliès, Tati et Satie.


Eliott s'émerveille devant les dioramas qu'occupent ses théâtres optiques, le relief d'une lune révélé par des lunettes polaroïd ou le cylindre dans lequel Pierrick Sorin semble dialoguer intimement avec chaque visiteur.


Lorsque dans la Chapelle de l'Oratoire, trouvée après avoir erré dans un labyrinthe de couloirs, il croise par hasard l'artiste, l'effet est saisissant. Pierrick se souvient de mon dernier article. Je lui parle du premier concert de Pierre Bastien où il utilisa une machine musicale construite avec des pièces de Meccano et lui rappelle cette phrase fabuleuse d'une femme assise derrière Cocteau à la première de Parade qu'il avait signé avec Satie et Picasso : "si j'avais su que c'était si bête j'aurais emmené les enfants !". L'installation immersive du Balai mécanique, hommage au Ballet mécanique de Fernand Léger, permet d'apprécier comment les éléments, personnages filmés et lumières colorées, machines musicales et lumineuses, objets et projections, se combinent, chacun faisant œuvre comme le tout. La visite de cette grande rétrospective est indispensable à quiconque a gardé son âme d'enfant. Que les autres aillent mourir !

→ Pierrick Sorin, exposition Faire bonne(s) figure(s), Musée d'Arts de Nantes, jusqu'au 1er septembre 2024