Une ligne pointillée, les rails d'un tramway, un homme couché. Les humains voient des signes partout. Dans la forme des nuages, dans le marc de café, dans les cartes, dans les ombres ou dans le temps que met un feu tricolore à passer au vert. Une éclipse peut signifier la fin du monde et une date du calendrier l'arrivée du Messie. Ilona et Max trouvent l'idée amusante, voire intéressante, un système vectoriel qui leur permet d'avancer quand tous les éléments semblent se liguer contre eux. La peur est mauvaise conseillère. Le gâchis organisé fait des ravages. La marche arrière n'est plus de saison. Reconstruire les cycles en inventant de nouvelles images. Ils ont compris quelque chose. Ce matin ne doit compter que sur eux-mêmes. Ils en voudraient d'autres, la rage de vivre, mais sans l'épée de Damoclès qui pèse au-dessus de tous les inconscients, le consensus social, le sommeil programmé. L'échec ne les trouble pas. Seul le renoncement est mortifère. Ils imaginent qu'ils ne sont pas tout seuls. Fleurissent ou fleuriront un peu partout d'autres brasiers et des soldats du feu, de véritables pyrophiles, se battront contre l'hypnose. La pensée d'une fontaine leur donne le courage de continuer. Se demandant si tous les précédents réveils n'ont pas été inutiles, ils s'étaient levés avec la même intention, traverser ce paysage de mort, braver la poussière et la puanteur exhalée par les cheminées pour s'en approcher et savoir une fois pour toutes de quoi il retourne. Sur cette terre labourée la semence est un narcoleptique. C'est l'œuvre du diable ou d'une machine, crache Ilona. Les arêtes coupantes rappellent les roches volcaniques déchiquetées par les vagues. Les chevilles se tordent, les mollets sont griffés au travers du tissu. On trébuche lorsque le sol tremble sous nos pas. Aucun plat n'aide à se redresser. Les bourrasques vous lacèrent le visage. La route principale n'allait nulle part. En friche. Bitume arraché, une terre aussi noire que la nuit, un ciel de plomb à vous coller le saturnisme quand on rêverait de saturnales éternelles, tous les hommes et les femmes ensemble refaisant le monde autour de libations à vous mettre la tête à l'envers. Marcher sur les étoiles, embrasser la lune, Ilona et Max s'y étaient refait une santé avant le grand départ. Un passage interdit, de nouveaux barbelés, un chemin désaffecté. Ils avancent contre vents et marées, sans comprendre qui souffle, du chaud ou du froid. Leurs efforts sont récompensés. Après des heures de lutte contre des éléments qui n'ont rien de naturel même s'ils en ont l'apparence, ils font face aux terribles blocs de béton surmontés d'immenses tours de fumée qui s'enfoncent dans les crevasses desséchées. Un large escalier descend vers l'enfer. Leur fatigue est telle que le plus petit obstacle leur paraîtrait infernal. Épuisés, ils s'assoient un instant sur les marches sans voir les ombres qui se profilent derrière eux.