Nous hésitons parfois entre un film de divertissement et une œuvre qui nous nourrisse. Tout dépend de l'heure et de l'humeur. En cas de fatigue nous aurons tendance à choisir une comédie, un polar ou un blockbuster qui vous prend en charge et vous déconnecte d'une journée trépidante, alors que d'autres soirs nous prenons notre courage à deux yeux pour regarder un documentaire, un drame, un muet, un film réputé difficile ou un a priori qui nous fait repousser la projection sans cesse à demain. Heureusement nous nous trompons souvent. Ainsi la série Borgia de Tom Fontana sur Canal + est aussi bavarde que la version avec Jeremy Irons et engluée dans un sirop musical qui nous empêche de réfléchir. J'en viens à me demander si la musique omniprésente au cinéma n'est pas une démarche politique pour nous abrutir en détruisant toute profondeur et ne laisser à l'écran qu'une surface bien lisse.
Dans Brève rencontre (1945) David Lean, dont Carlotta édite un coffret des premiers films, n'utilise la musique qu'en situation, comme Jean Renoir. La finesse de son analyse et sa maîtrise du montage révèlent son influence sur Michael Powell. Ses personnages, sortes de Monsieur ou Madame Tout Le Monde à qui rien n'est censé arriver, sont confrontés au désir de vivre autrement et à la nécessité de préserver celles ou ceux que nous aimons. Les femmes en particulier, écartelées entre une passion inattendue et les interdits sociaux, sont poussés à sacrifier la possibilité d'un rêve à la sécurité d'une vie stable. Sa comédie L'esprit s'amuse s'en affranchit mieux que ses mélodrames, de Heureux mortels (1944) à Madeleine (1950), peut-être parce qu'une fantaisie autorise à braver certains tabous. Excellent technicien, David Lean se banalisera avec la couleur en réalisant des films à grand spectacle tels Jivago ou Lawrence d'Arabie qui ne posséderont plus la finesse psychologique de ses débuts. Ce qui corrobore l'absurdité de nos choix le soir après dîner !
Au Cin'Hoche de Bagnolet, j'ai récemment vu trois films. Sean Penn en rock star décatie y est comme d'habitude formidable, mais There Must Be The Place n'est pas mon préféré de Paolo Sorrentino. Peut-être justement le travail sonore n'est-il pas à la hauteur des précédents ? Il se rapproche des Conséquences de l'amour dans sa torpeur patiente et son rapport à la vieillesse et à la mort. C'était de toute manière tellement mieux qu'avec L'Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello avec lequel j'ai enchaîné dans la petite salle. Les actrices sont bien, le climat est juste, mais la paresse du scénario et les clichés me feront l'oublier au bout de 24 heures, si ce n'est l'utilisation branchouillée de musique actuelle qui me fait évoquer un syndrome Marie-Antoinette qui risque hélas de perdurer. La guerre est déclarée me fait osciller entre la déception prévisible et l'admiration envers la légèreté du traitement d'un sujet aussi pénible, la maladie d'un enfant. Malheureusement les clichés s'accumulent jusqu'à la séquence ralentie finale sur la plage, artifice que je n'apprécie que dans Appelez-moi Madame tandis que le travesti en robe de mariée court vers nous. Le film de Valérie Donzelli me rappelle plutôt Claude Sautet et la Nouvelle Qualité Française, une de mes bêtes noires. Là encore les morceaux musicaux choisis pour leur opportunité de sens me hérissent le poil devant tant de banalité.
Quitte à voir une bluette, Tomboy de Céline Sciamma est un film fragile et tendre qui nous laisse à nos réflexions lorsque la réalité reprend ses droits, quand la lumière se rallume. Au cinéma le silence laisse la place à l'émotion intime du spectateur plutôt qu'à celle que le réalisateur veut lui imposer. C'est pourtant à la diversité des interprétations que se reconnaît un chef d'œuvre.
Meek's Cutoff nous endort, la rétrospective perso de Tom DiCillo nous laisse sur notre faim, celle de David Mamet nous fait passer le temps, mais deux films dits grand public retiennent notre attention. D'abord Death at A Funeral, le dernier Neil LaBute (remake d'un film britannique de 2007 !?), comédie burlesque et cinglante, qui a l'extrême mérite de dresser le portrait d'une famille bourgeoise afro-américaine sans insister sur ses origines raciales. Comme j'en parle à Jonathan Buchsbaum il me conseille Attack The Block, film anglais de Joe Cornish, une bande de voyous du sud de Londres aux prises avec une invasion d'aliens dans leur immeuble, drôle et punchy, qui donne pour une fois à de jeunes blacks le beau rôle. Intéressant de constater ici comment la musique générationnelle peut fonctionner avec tel film et figurer une insupportable manipulation dans d'autres... Ce film de science-fiction se rapproche plutôt des Gremlins et des autres œuvres de Joe Dante par ses sous-entendus socaux-politiques. Fortement recommandé aux quelques lecteurs qui pensent que j'ai souvent des goûts trop intellos ! Comme Les beaux gosses de Riad Sattouf dont nous craignions que ce ne soit qu'une grivoiserie potache avant que nos éclats de rire rincent la moquette... Il y a tout de même un temps pour tout.