mercredi 22 octobre 2014
Claude Ollier, dernière navette
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 22 octobre 2014 à 00:16 :: Multimedia
Sur la mystérieuse voie lactée où mon chemin s'inscrit en pointillés Claude Ollier avait été le grand maître. Il avait initié Jean-André Fieschi dont je devins à mon tour le disciple. L'écrivain qui vient de disparaître à près de 92 ans jouait pour moi le rôle de grand-père du récit. Je n'avais pas commencé par ses romans, mais par des phrases que Jean-André répétait et que j'émets probablement aujourd'hui sans me souvenir ou même savoir que c'est à Claude que je les dois, expressions du quotidien ou phrases extraites de la quarantaine de ses ouvrages.
Je n'avais pas encore lu La mise en scène qui avait révélé Claude Ollier en 1958 avec le Prix Médicis. La découverte fut évidente, fulgurante. Régression est la plus belle évocation radiophonique de ce que nous offre le cinématographe. Cet A.C.R. (Atelier de Création Radiophonique), écrit à la demande de Michel Foucault et réalisé par René Jentet, mêle le récit et le discours de la méthode sans discontinuité dramatique. Jamais je ne vis aussi bien sans image. Un équivalent peut-être à L'invention de Morel ? Les scènes se répondent et s'imbriquent comme des poupées gigognes. Tous les éléments prennent leur place, justifiant leur présence grâce aux narrateurs placés à des angles différents. Ollier ne triche pas, comme un poète il témoigne. S'il montre la caméra, le contre-champ, il l'intègre au récit imaginaire. La musique et les sons dressent un décor de bande dessinée tour à tour tragique et comique. Gaston Leroux est passé par là. Un temps associé au Nouveau Roman, il est pourtant plus proche de Resnais que de Robbe-Grillet. Ollier s'intéresse au simulacre, au complot, aux ambiguïtés des apparences. Il nous plonge dans un univers dont les repères s'enfoncent dans des sables mouvants. Les échelles se superposent, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Il nous emporte.
La même année, 1965, il avait déjà écrit L’Attentat en direct, réalisé par Georges Peyrou, qui recevra le prix de la RAI 1969, inspiré de l'assassinat du Président J.F. Kennedy. Dans cette fausse émission de Radio Alpha retransmise sur la vraie France Culture, les publicités jouées par Jean Yanne ponctuent l'action. L'œuvre littéraire flirte avec le roman policier, la science-fiction, le récit d'aventures. Son passé d'inspecteur colonial au Maroc marquera également son travail et son intérêt pour l'Islam. Les strates du conte arabe dessinent un modèle. Ses jeux avec la mémoire viennent titiller la mienne. L'espace où ses personnages évoluent est une projection de celui de l'écrivain face au langage, libre au lecteur de s'y plonger ensuite. Le roman Marrakch Medine me donnera le vertige. Bien que "certains s'amusent sans arrière-pensée" l'œuvre de Claude Ollier est à (re)découvrir. Romancier, créateur de fictions radiophoniques, il fut aussi chroniqueur cinématographique et participa à l'émission Cinéastes de notre temps. Je me souviens de sa rencontre avec Josef von Sternberg, un autre maître de ces fictions dont l'imaginaire est si puissant qu'il nous force à nous interroger sur le réel. "Vous venez, on va mesurer avec une liane la circonférence des baobabs..."