70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 14 mai 2025

Jean-Hubert Martin réfléchit


Certains pourraient penser que j'ai la collectionnite aiguë. Il est vrai que lorsqu'un artiste ou un sujet me plaisent vraiment, que d'une certaine manière je m'y reconnais, comme lorsqu'on est amoureux et que l'on prononce étonnamment les mêmes mots exactement ensemble, j'ai tendance à acquérir tout ce qui les concerne. J'ai commencé avec Frank Zappa qui est à l'origine de ma passion pour la musique, j'ai continué avec Captain Beefheart, Robert Wyatt, Charles Ives, Edgard Varèse, Roland Kirk, Michael Mantler, Harry Partch, Conlon Nancarrow, Steve Reich, le Kronos Quartet, Scott Walker, Fausto Romitelli, Colette Magny, Brigitte Fontaine, les producteurs Hal Willner ou Jean Rochard, et quelques autres dont je possède l'intégralité de la discographie, d'autant que certains parmi eux ont beaucoup produit ! Il en va de même pour les livres qui leur sont consacrés comme des disques. Du côté de la littérature, Jean Cocteau (pour lui dans tous les champs de la création), C.F. Ramuz, Arthur Schnitzler, Vercors, fut-elle dessinée comme avec Francis Masse ou Marc-Antoine Mathieu, frisent l'intégralité. Ma cinéphilie, elle, n'a carrément pas de limite. Cette manie est probablement liée à une peur du manque si j'en juge par les réserves de nourriture que j'accumule, mes tiroirs à épices ou le nombre de parfums de crèmes glacées. Né sept ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, j'ai appris à laisser mon assiette propre comme un sou neuf, pas question de gâcher. Je pourrais aussi évoquer mes 6000 articles, mes 2000 compositions musicales ou le reste de mes activités artistiques. C'est le vertige jubilatoire, la sympathie, que me procure le sentiment de ne pas être seul à penser comme je le fais qui me pousse à l'exhaustivité lorsqu'un artiste me parle.

Jean-Hubert Martin n'est pas un artiste, mais un curateur qui s'en préoccupe et s'en occupe ardemment. Chamboulé en 1989 par l'exposition Les Magiciens de la Terre au Centre Pompidou et à La Villette, et ayant chroniqué en 2013 Théâtre du Monde à la Maison Rouge dont il était aussi le commissaire et en 2014 son recueil de textes L'Art au large, j'avais eu le courage de lui demander à le rencontrer pour discuter de l'absence de son dans ses manifestations. Il m'avait gentiment reçu et mes pieds ne touchaient plus terre à l'écouter évoquer son travail. Dix-huit mois plus tard, je recevais un coup de téléphone de la Réunion des Musées Nationaux m'expliquant que Monsieur Martin les tannait depuis pour que je compose la musique de Carambolages, sa nouvelle exposition au Grand Palais. Je sonorisai ainsi ses 27 salles (hélas uniquement sous casque audio, mais on peut encore suivre son somptueux catalogue avec l'application dédiée), le bonheur absolu pour un compositeur qui aime les transpositions poétiques et les évocations radiophoniques ou cinématographiques, tout en cherchant la complémentarité et fuyant l'illustration. J'ai continué à suivre le travail de Jean-Hubert Martin, retournant par exemple l'année dernière au Château d'Oiron arpenter Le Grand Bazar.


La lecture récente d'un petit fascicule publié par ArtPress en 2017, dans sa série Les grands entretiens, avec Jean-Hubert Martin m'a donné envie de cet article lorsque j'ai lu ses propos de juin 2011 concernant la globalisation. Je cite pour l'exemple :
"La mondialisation est un phénomène d'intensification et d'accélération des relations humaines. Elle a par conséquent des effets positifs autant que pervers. Dans la mesure où elle se résume à l'exploitation des richesses naturelles et humaines par le capitalisme occidental et ses vassaux, elle est dévastatrice et destructrice : standardisation des produits industriels et uniformisation de l'architecture urbaine par exemple. Mais elle véhicule l'amélioration du bien-être matériel, ainsi que des contre-pouvoirs permettant de résister à cette exploitation. Elle est un peu plus efficace pour lutter contre les dégâts matériels (famine, etc.) que pour préserver des cultures traditionnelles. Là aussi, tout n'est pas noir et blanc, car elle peut accompagner l'évolution de certaines de ces cultures qui savent s'adapter et profiter de la dialectique qu'il leur est offerte. La peinture a été un vecteur important pour les Aborigènes australiens dans leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits. Une mondialisation en faveur d'une reconnaissance de la diversité et de l'originalité des cultures et de leur respect mutuel est un objectif majeur d'aujourd'hui. Elle implique que des manquements aux droits de l'homme soient corrigés par une pédagogie qui prend du temps, et non par des règles imposées de l'extérieur."
Plus loin (en 2014 au moment de Carambolages) je lis une réponse qui correspond parfaitement à mes propres critères de sélection lorsqu'il s'agit de ce que j'aime, recherche, crée ou chronique : "l'originalité et l'invention par rapport au contexte culturel, la relation de l'artiste à son milieu environnant, qui peut être d'adhésion ou de critique, l'adéquation de l'artiste et de l'œuvre, son énergie et la radicalité de ses propositions."

Toutes ces lectures m'abreuvent, comme les deux catalogues récemment acquis, faute d'être allé en Suisse il y a trois ans voir les expositions qu'ils réfléchissent. Le double sens de "réfléchir" est aussi adapté à tout ce qui m'intéresse. Picabia pique à Ingres dissèque l'influence du maître de Montauban sur le provocateur dadaïste, lui qui disait aller "chercher dans les musées ce que les conservateurs y ont enterré". Le va-et-vient est passionnant (Musée Ingres Bourdelle). Pour Pas besoin d'un dessin, Jean-Hubert Martin propose une relecture des collections du Musée d'art et d'histoire de la ville de Genève (MAH), réorganisant beaux-arts, arts graphiques, arts appliqués, archéologie, horlogerie, miniatures, numismatique, bijouterie en thématiques narratives sur le principe de la comptine Trois p'tits chats... qui rappelle celui de Carambolages : De la croix au globe, De l'ambiguïté à l'énigme, De l'arnaque à la décapitation... Je dévore tout cela tant les textes sont intelligents et les illustrations éloquentes, autant d'ouvertures pour mon imaginaire en constante formation.

mardi 13 mai 2025

La Collection Pinault, corps et âme(s)


Critique du marché de l'art et des spéculations entretenues par les milliardaires collectionneurs, j'avais résisté à aller voir une exposition de la Collection Pinault. Nullement à l'abri d'une contradiction, j'avais pourtant visité plusieurs fois son homologue Vuitton, mais j'y allais toujours à reculons. Curieux d'admirer l'architecture de l'ancienne Bourse de Commerce de Paris, je suis finalement revenu sur mes réticences et me suis fait violence en jetant mon dévolu sur Corps et âmes. Le résultat est conforme à mes préjugés, qu'ils soient négatifs ou positifs.


En levant la tête vers la fresque marouflée qui entoure la coupole de la Bourse de Commerce, on constate que le colonialisme était bien la base des échanges, esclavagisme à peine dissimulé. Temple du capitalisme, il est logique que l’homme d'affaires François Pinault et sa famille y montrent quelques fleurons d'une collection revendiquée de 10 000 œuvres (Wikipédia d'argumenter entre 4350 et 5000, mais il est certain que ces dernières années leur ont été particulièrement profitables !). Sympa d'en partager quelques uns avec nous plutôt que de garder tout au coffre. Cocasse et parfaitement dans la logique de l'endroit, le choix prépondérant très en vogue d'artistes noirs me laisse pantois. Le politiquement correct y trouve son juste équilibre. Manière très ambiguë de classer les artistes, comme dans Paris Noir actuellement au Centre Pompidou. (Tout de même moins pire que le honteux Black Label à La Villette, avec Joey Starr qui aboie son texte sans y penser et une absence de mise en scène). Cela n'empêche pas que d'une part le lieu réaménagé par l'architecte Tadao Andō est somptueux avec des salles plus propices aux expos que chez Vuitton où seule la terrasse dessinée par Frank Gehry me semble réussie, et que d'autre part on peut y admirer certaines belles œuvres devenues privées grâce à la fortune de ces messieurs et aux avantages financiers dont ils bénéficient à coups d'exonération d'impôts. Petit a-parte pour rappeler que pour faire monter la cotte d'un artiste on peut se racheter les pièces les uns aux autres, car entre milliardaires il faut se serrer les coudes.


Beaucoup de belles œuvres heureusement. Pas question de bouder mon plaisir pour autant avec Kerry James Marshall, Kara Walker (belle expo en 2007 au Musée d'Art Moderne), Ana Mandieta, William Kentridge, Marlene Dumas, sans parler de Niki de Saint-Phalle (en 2014 au Grand Palais), Georg Baselitz (superbe rétrospective en 2019 à la Gallerie dell’Accademia à Venise), Rodin, Brancusi, etc. Pourtant aucun tableau, aucune photographie, aucune sculpture ne me remue comme il arrive parfois. Peut-être sent-on trop les intentions politiques de dédouanement moral dans leur choix ? Il faudra que j'y retourne pour une autre exposition qui ne revendique pas cyniquement "corps et âmes", car pour les corps ils s'y entendent, mais quant aux âmes comment les affranchir ?

→ Exposition Corps et âmes, Collection Pinault à la Bourse de Commerce, jusqu'au 25 août 2025
Illustrations : Georg Baselitz Avignon Series 2014 / Kerry James Marshall Beauty Examined 1993

lundi 12 mai 2025

Le jazz en 101 citations


Si vous n'y connaissez rien, le petit livre écrit à quatre mains par Jean Rochard et Pierre Tenne n'est pas fait pour vous. Mieux vaut vous diriger vers Le jazz pour les nuls. Mais si le sujet vous intéresse, s'il vous est arrivé de remuer les jambes ou d'avoir été transporté par cette musique qu'il serait juste de conjuguer au pluriel, alors vous dévorerez d'une traite Le jazz en 101 citations, sorte de déambulation des origines (de ce qu'on appelle le jazz) à nos jours où les 101 citations sont autant d'ouvertures sur des pensées poétiques et politiques qui sont l'essence même de la chose. Ma phrase est longue, mais on n'arrête difficilement le soliste avant la fin de son chorus. C'est ce qui le différencie radicalement du rock, musique de groupe. Entendre que les citations sont des prétextes pour les deux auteurs à poser jalons sur son passé et interrogations sur son avenir. En tête du chapitre Dans l'océan des sons (chacun est comme une chanson), à la page 46 (il y en a 84), citation n°59, je suis agréablement surpris de me lire : "Je n'ai de nostalgie que du futur.", propos rapporté par Franpi Barriaux in Citizen Jazz du 2 septembre 2018, mais rabâchage dont je suis coutumier, d'autant que chaque jour se pose la question. Cela part dans tous les sens, pour tous les sens, melting pot typique du jazz où toute tentative d'encadrement est vouée à l'échec. Allez essayer de marcher au pas sur les compositions des musiciens cités et vous m'en direz des nouvelles ! Donc petit glossaire rebelle recommandé pour accompagner une sieste au soleil, un voyage en train ou prendre des notes pour imaginer quoi écouter ensuite.

→ Jean Rochard & Pierre Tenne, Le jazz en 101 citations, Éditions i, 8,50€

vendredi 9 mai 2025

Sortie officielle du double CD des Déments avec Denis Lavant, Lionel Martin et JJB


Voilà, notre petit bijou sort enfin officiellement aujourd'hui et nous en sommes très fiers tous les trois. On peut trouver le double CD chez les bons disquaires distribué par Inouïe, le commander sur Bandcamp en numérique ou en dur avec le magnifique travail graphique d'Ella & Pitr. Alors qu'il ne sort officiellement qu'aujourd'hui il est déjà presque épuisé.
Pour l'évoquer, le plus simple est pour moi de recopier ici l'annonce que j'en faisais il y a deux mois. Entre temps Denis Lavant a reçu le "Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public" pour Fin de partie de Samuel Beckett, Lionel Martin a vu Evil Plan, son sixième disque d'ethiopian jazz avec Ukandanz, salué par la critique, et j'ai publié le quatrième volume des séances de Pique-nique au labo avec seize nouveaux invités.

« Ode à la vie, mélange des sons, force et beauté des mots sublimés par la puissance et le charisme du comédien Denis Lavant en transe avec le saxophone de Lionel Martin (dit Madsaxx) sur la musique débridée et sans frontières de Jean-Jacques Birgé. Liturgie rock 'n roll ! ». Après notre vinyle Fictions inspiré par Jose Luis Borges, publié sur le label OUCH! en 2022, Lionel Martin et moi-même avons invité Denis Lavant à se joindre à nous le temps d’une journée pour improviser ensemble sur des textes choisis par le comédien.

Je ne connaissais aucun des auteurs. Marcel Moreau (1933-2020), écrivain francophone belge, correcteur dans divers quotidiens, fut l’ami de Roland Topor, Anaïs Nin, Jean Dubuffet et Jean Paulhan. L’écrivain et poète André Martel (1893-1976), régent du Collège de Pataphysique, inventeur d’une langue dérivée du français, le paralloïdre, fut secrétaire de Jean Dubuffet. Xavier Grall (1930-1981) est un poète, écrivain et journaliste breton, ami d’Alain Gruel et Glenmor. D’origine gitane, André Schlesser (1914-1985), chanteur et cabarettiste, travailla avec Jean Vilar, chanta en duo avec Marc Chevalier sous le nom Marc et André, cofonda le cabaret L’écluse, écrivit Souvenance pour Barbara, et finit sa vie avec Maria Casarès qu’il épousa.

Nous avons travaillé sans filet. Nous ignorions quels textes Denis apporterait, les découvrant dans le feu de l'action. Je lui demandais simplement de quoi il était question. Lionel ne voulait rien savoir non plus des sons et des instruments que je sélectionnais en fonction. Il avait simplement apporté son saxophone ténor et une petite panoplie de pédales, alors que je bénéficiais de toutes les ressources du studio GRRR (claviers, synthés, shahi-baaja, flûtes, harmonica, guimbarde, percussion). Nous n'avons rien eu besoin de nous dire en amont. Denis laissait respirer la musique comme si tout était écrit, prévu. Nous accompagnions son récit en osmose ou contrepoint de manière à créer un décor, souligner une émotion, incarner la réplique. Le résultat est un trio, soudé, rebondissant, vibrant en sympathie comme si nous nous étions toujours connus.


De mon côté je pratique ce sport depuis longtemps en créant de très nombreux spectacles avec des comédiens. J'avais commencé les lectures en musique dès 1972. La liste des auteurs est longue : Arrabal, Philippe Soupault, Henri Pichette, Gilbert Lascault, Jean Vigo, Josef von Sternberg, Jules Verne, Edgar A. Poe, Michel Tournier, Régis Franc, Dino Buzzati, Alain Monvoisin, Dominique Meens, Charlie Mingus, Michel Houellebecq, André Velter, Pierre Senges... J'en oublie. Quant aux comédiens j'ai eu la chance de jouer avec Pierre Peyrou, Arlette Thomas, Michael Lonsdale, Daniel Laloux, André Dussollier, Bernard-Pierre Donnadieu, Sapho, Guy Pannequin, Eric Houzelot, Abdulah Sidran, Claude Piéplu, Frank Royon Le Mée... En 1988, j'assumai le rôle de directeur musical pour les cassettes des éditions Ducaté, Annie Ernaux lisait La place, Jane Birkin les Lettres de Katherine Mansfield, Ludmila Mikael Le chemin de la perfection de Sainte Thérèse d'Avila, Annie Girardot Maudit manège de Philippe Djian. Pour l'album Le Chronatoscaphe célébrant les 25 ans du label nato j'écrivis les dialogues de Nathalie Richard et Laurent Poitrenaux, et c'est Feodor Atkine qu'on entend dans mon court-métrage Le sniper... J'ai même fait l'acteur en lisant du Pessoa, ou même doublé Ninetto Davoli chez Pasolini et Aaron de Schönberg pour Patrick Roudier ! La première version scénique du K et Jeune fille qui tombe, tombe... fut créée avec Michael Lonsdale et Un Drame Musical Instantané en 1985, avant d'être reprise en alternance par Richard Bohringer ou Daniel Laloux. Publié en CD, Le K avec Richard Bohringer fut nommé aux Victoires de la Musique en 1992, Daniel Laloux enregistrant Jeune fille... pour le label in situ. En 1996 j'enregistrai deux CD avec Michel Houellebecq, l'un pour Radio France, l'autre, Établissement d'un ciel d'alternance, dont l'auteur dit que "c'est sa seule collaboration réussie avec un musicien", sur le label GRRR.

Quant à Lionel Martin, il accompagne la poète Samira Negrouche depuis quelques années. Il a composé la musique d'un documentaire sur Patrick Chamoiseau, collabore intensément avec le metteur-en-scène Laurent Frechuret au théatre autour de Rimbaud, etc. Il a toujours adoré se produire avec de la poésie ou du texte dit, chanté ou hurlé comme avec le slameur Mehdi Kruger depuis 2010, et bien entendu au sein de No Suicide Act, acte théâtral performé avec le chanteur des ex-Bérurier Noir...


Et puis, même si sa notoriété est liée aux films de Leos Carax, Denis Lavant est avant tout un homme de théâtre, se définissant comme un saltimbanque. Il a aussi enregistré quelques disques fameux dont certains avec des musiciens comme Thierry Müller, Quentin Rollet, Sylvain Kassap, Ramon Lopez, Claude Tchamitchian, Serge Teyssot-Gay, Jérôme Voisin, Sylvain Lemêtre, Serge Bertocchi et d'autres.


Chaque fois l'enjeu réside pour moi à mettre en valeur le texte sans reléguer la musique à un fond sonore. Comme dans un film, l'acteur principal n'oblitère pas les autres protagonistes, le décor, la lumière, le montage, etc. Les évocations radiophoniques comme Les maîtres du mystère que j'écoutais enfant m'ont certainement marqué. Je connais encore par cœur les adaptations sonores de La marque jaune ou Buffalo Bill, mais ce sont certainement L'histoire du soldat de Ramuz et Stravinski, Un survivant de Varsovie d'Arnold Schönberg, les opéras du début du XXe siècle qui m'ont donné le goût de cette rencontre entre musique et littérature.

Voilà donc l'objet imprimé sur du carton retourné, une partie de plaisir vécue un jour où la neige tombait sur Paris. Ella & Pitr, qui avaient déjà réalisé la pochette du vinyle Fictions pour Lionel et moi, ont réitéré, avec des taches projetées sur un mur, avec des yeux comme deux oreilles sortant de chaque côté du digisleeve trois volets.

→ Denis Lavant, Lionel Martin, Jean-Jacques Birgé, Les déments, double CD GRRR+OUCH!, dist. Inouïe

jeudi 8 mai 2025

Petit guignol et grand guignol du Munstrum


Le Théâtre Public de Montreuil affiche complet pour les représentations de Makbeth par le Munstrum Théâtre. Il faut probablement être abonné pour être certain d'avoir des places. La file de celles et ceux qui s'inscrivent sur la liste d'attente une heure avant le spectacle est longue. Ce sont essentiellement des jeunes, plutôt une bonne nouvelle. Le spectacle s'adresse explicitement à eux, farce parodique bourrée de références qui leur parlent, humour régressif qui va chercher tant dans la petite enfance que dans leurs passions adolescentes. Loin de Shakespeare dont il ne reste que l'intrigue, il convoque Guignol et Game of Thrones avec effets sonores puissants à base de basses puissantes, chansons pop américaines et effets très réussis de lumière et de fumée. Le premier quart d'heure est une scène de bataille saignante dans l'obscurité où les rideaux de fumigènes jouent les ellipses. La paranoïa, si elle exprime la méfiance et la suspicion, s'appuie sur une mégalomanie où les instincts de pouvoir sont contrariés par des signes irrationnels. Celle de Makbeth renvoie évidemment à Netanyahou, Poutine ou Trump. Avec ce dernier la rivalité clownesque est difficilement surpassable, mais ici l'on rit. Je pense au Dictateur de Chaplin. "Tuons-les tous avant qu'ils nous tuent !" est leur moteur. Le Munstrum fait gicler le sang en veux-tu en voilà. Il n'y a pas de limites. J'ai ri quand la victime est un des techniciens de plateau. Leurs masques les rend androgynes, voire plutôt mâles, on s'en aperçoit quand vient le salut qui se cachait derrière. L'énergie chorégraphique des comédiens exige aussi une jeunesse des corps.


Dans ce spectacle de poudre et de salpêtre le public retrouve la grandiloquence des blockbusters américains revue par une poésie critique typiquement européenne. Il est probable que relire Bienvenue dans le désert du réel de Slavoj Žižek m'apporterait une analyse plus fine de ce spectacle qui mêle le petit Guignol et le Grand Guignol. Les spectateurs rient aux mimiques les plus caricaturales, au jeu grossier, mais la violence est celle de notre époque, sans plus aucun rempart, sans plus aucune justice, sans plus aucune morale. C'est aussi celle de l'humanité. La fascination se confronte à la révulsion. La fréquentation du théâtre est une bonne nouvelle. Elle offre une distance que le cinéma n'apporte pas toujours. Le phénomène d'identification y est moins prenant, moins hypnotique, et la distanciation s'y exerce plus facilement.

À la fin de son article de mardi dans Mediapart, Jean-Pierre Thibaudat rappelle que Makbeth a été créé à Chateauvallon en février, le spectacle poursuit sa tournée au Théâtre Public de Montreuil jusqu’au 15 mai, puis les 22 et 23 mai à La Filature de Mulhouse et du 10 au 13 juin au Théâtre du Nord de Lille. D’autres dates suivront dont à Paris le Théâtre du Rond Point cet automne.

mercredi 7 mai 2025

Sept psychopathes et un bipolaire


Deux films qui m'avaient plu, mais que j'avais oublié depuis cet article du 30 janvier 2013 !...

Il était une fois... Un thriller hors du commun où le scénario mêle la fiction avec la fiction, celui du film s'écrivant au jour le jour sans que l'on sache ce qui est de l'ordre de l'imagination ou pas. Brouiller les cartes, ici de saignants valets de carreau, permet à l'histoire tordue de se construire et au spectateur de s'amuser de cette farce abracadabrante et hilarante contée par le réalisateur de In Bruges (Bons baisers de Bruges), film qui nous avait déjà surpris par son ton original et insolent. 7 psychopathes, le second long métrage de Martin McDonagh possède un humour noir british encore plus décapant que le précédent. Son architecture, sorte de film dans le film à la sauce peyotl et fausse mise en abîme, est un modèle du genre. De plus, la distribution permet de savourer cette fois le jeu ébouriffant de Colin Farrell (déjà excellent dans In Bruges), Sam Rockwell, Woody Harrelson, Tom Waits, Harry Dean Stanton et, last but not least, le "danseur" Christopher Walken. L'un des meilleurs films de ce début 2013 !


N'en restons pas là, lorsque sortent des films vraiment réjouissants qui nous réconcilient avec le cinéma quand la presse tant spécialisée que généraliste continue de se gargariser avec les pan-pan-boum-boum de Tarantino, Bigelow, Affleck, les exercices de nostalgie moderne de Ferrara, Gomes et consorts, ou le verbeux et laborieux Lincoln... On devait à David O. Russell un film dont l'affiche nous avait fuir, mais dont les dialogues et la réalisation nous avait épatés, Three Kings (Les rois du désert), chasse au trésor en pleine guerre d'Irak avec Clooney, Jonze, Wahlberg et Ice Cube. Le revoici avec une nouvelle comédie dramatique, Happiness Therapy, parfois présentée sous le titre Silver Linings Playbook. Histoire de fous également, mettant en scène un prof dont la bipolarité a fait tout perdre, mais qu'une rencontre va transformer. Si Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Robert De Niro et toute la distribution sont là encore remarquables, c'est au montage que l'on peut immédiatement repérer les films qui sortent de l'ordinaire. La succession des plans n'y illustre pas la progression du scénario, mais crée des émotions, leur rythme s'appuyant sur les ellipses générées par les coupes. Si les conventions musicales ne viennent pas tout saccager on a des chances de tomber sur l'oiseau rare... À l'opposé, de belles images font rarement un bon film, même si cela ne gâche pas le reste ! Happiness Therapy réussit à montrer avec beaucoup d'humour la folie ordinaire, là où la plupart des cinéastes tracent une ligne caricaturale entre les souffrants et les bien portants. Le happy end attendu n'est hélas pas du niveau de la première heure [...].

mardi 6 mai 2025

Massacre à la tronçonneuse


J'ai la chance d'avoir des voisins hyper sympas qui me donnent un coup de main lorsque ce ne serait plus du tout raisonnable que je m'y colle seul. Je ne pourrai jamais leur rendre la pareille puisque dans vingt ans ils auront l'âge que j'ai aujourd'hui. J'espère seulement qu'ils auront de nouveaux bras quand il faudra poser un linoleum à la cave ou abattre un arbre comme dimanche. Heureusement il y a mille et une manières de s'entraider. Je m'y emploie. La grêle de samedi n'avait pas fait trop de dégâts, il avait juste fallu balayer les feuilles cisaillées et les fleurs coupées, ce qui représente plus de boulot qu'on ne peut l'imaginer. Le bouleau ayant rendu l'âme à la dernière sécheresse, le charme se portant fidèle à lui-même, les bambous accusant le coup, nous nous sommes attaqués au tamaris bien mal en point pour la première fois en vingt-cinq ans. Éric s'est donc emparé de la tronçonneuse et s'est mis à trancher à tout-va. Mais tout ne va pas si bien si l'on sectionne la fibre qui me relie à Internet ! Je l'avais pourtant averti de faire attention, mais le câble ressemble à une des dizaines de brindilles qui sautent comme un feu d'artifice sous la lame. Donc le soir vers 22 heures je m'aperçois que la box affiche un trait blanc qui ne dit rien de bon, plus de réseau ! Perché sur un escabeau je constate les dégâts à la lampe de poche et laisse un message aussitôt à Orange dont l'excellent service après-vente explique peut-être que le prix de l'abonnement est nettement plus élevé que chez Free. Le lendemain matin leur technicien vint armé d'une cliveuse de fibre optique, d'une soudeuse idoine, d'un nettoyant à alcool isopropylique, de manchons de protection thermorétractables et d'un boîtier d'épissure. Encore fallait-il qu'il y ait assez de mou (pas pour les chats qui s'en fichent comme du déclin de l'empire américain, même s'ils passent une partie de la journée perchés en haut du mur), soit environ 30 centimètres de chaque côté. C'était juste, mais la connexion avec le monde est revenue, d'autant que j'en avais sérieusement besoin pour diverses tâches dont l'envoi à Sonia de la musique du second épisode sur la cybersécurité que je terminai de ce pas pour un site web destiné aux 13-18 ans.

lundi 5 mai 2025

Rien de trop beau pour les dieux


Agnostique, il m'aura fallu tout ce temps pour que j'accepte la notion de sacré que tant d'amis ont tenté en vain de me faire admettre. Il aura suffi que je lise le texte de Jean-Hubert Martin dans le catalogue de l'exposition Rien de trop beau pour les dieux pour m'ouvrir les yeux sur ce qui me chiffonnait et que je sentais pourtant évident. Il faut dire que mon père avait fait fort en me répétant la phrase qu'il tenait de Georges Arnaud, écrivain qu'il avait découvert lorsqu'il était agent littéraire : " Si Dieu existait, ce serait un tel salaud qu'il ferait mieux de ne pas s'en vanter !". Je n'avais que cinq ans et cela m'évita toute crise mystique. J-H M rappelle que "à l'exception de quelques artistes qui se sont préoccupés de Dieu, comme Boltanski, Beuys (tentant de ranimer un lièvre) et Nitsch (aspergeant ses comparses de sang), la très grande majorité d'entre eux est totalement étrangère aux questions que soulèvent les religions... Hegel alla jusqu'à défendre l'idée que tout art véritable est sacré... Force est de constater que même notre société matérialiste se détournant du christianisme ne peut se passer d'une forme de transcendance et de spiritualité. On peut postuler que la science et le rationalisme viendront à bout de tous les phénomènes inexpliqués, ils en sont encore loin...". J'admets que la notion d'infini et la question sans réponse ont toujours satisfait mon extrême curiosité. "Il est pourtant un domaine où l'esprit rejoint la matière, c'est celui de l'art. Comment expliquer les prix extravagants qu'atteignent actuellement certaines œuvres, sinon qu'elles sont le réceptacle de qualités transcendantales que nous leur attribuons... Le culte du beau autrefois pratiqué par de nombreux souverains n'est pas uniquement une démonstration de pouvoir, comme on l'entend sans cesse ressasser aujourd'hui, mais aussi une structure intellectuelle et spirituelle qui confère un ordre et un apaisement de l'esprit s'opposant au chaos du monde. Le musée et le lieu où le public vient pratiquer le culte des ancêtres et pour une certaine strate sociale découvrir les œuvres des artistes actuels permettant à la sensibilité d'y trouver le plaisir d'une plénitude et un miroir à l'imaginaire. De ce fait, on parle souvent de sacré concernant les œuvres de musées. Il est vrai que le musée du XIXe siècle singe les temples antiques avec fronton et colonnes, mais il s'agit là une fois encore d'un sacré laïc d'inspiration républicaine. Or, ce dont il est question dans cette exposition, n'est pas de l'ordre de cette spiritualité athée qui baigne l'art, mais bien au contraire de rituels, issus de religions et de croyances diverses qui s'infiltrent de plus en plus dans le monde de l'art contemporain." J'avais peut-être oublié tout cela, bien que je l'évoquais dans mon article du 4 septembre 2014 sur son livre L'art au large. J'ai parfois la tête dure.


Je cite vite fait Jean-Hubert Martin dont je loue le travail depuis 1989 où l'exposition Les magiciens de la Terre révolutionna l'espace muséal. J'eus ensuite l'immense chance de sonoriser les vingt-six salles de son expo Carambolages au Grand Palais. L'historien et curateur, qui mit en avant la notion de plaisir plutôt que la sempiternelle leçon sur fond chronologique, place toutes les œuvres sur le même pied, qu'elles que soient leurs origines géographiques ou historiques, signées ou pas, art brut ou contemporain, etc. Donc, en 2016, j'achetai tout ce que je trouvais sur l'un de mes héros, souvent décrié pour iconoclastie (un comble !), catalogues que la RMN ne réimprime jamais lorsqu'ils sont épuisés et qui atteignent parfois des prix astronomiques. Venu écouter l'un de mes Apéro Labo et apercevant dans ma bibliothèque Le théâtre du Monde, Le Château d'Oiron et son cabinet de curiosités, Grand Bazar, La mort n'en saura rien, Une image peut en cacher une autre, Dali, Ilya & Emilia Kabakov, Altäre (Autels), Africa Remix, etc., Jean-Hubert me dit qu'il pourrait se croire "chez lui" ! Alors, ne pouvant me rendre à Crans en Suisse à la Fondation Opale, qui lui avait laissé carte blanche, où venait de se terminer Rien de trop beau pour les dieux (Autels et création contemporaine), j'achetai son catalogue que je dévorai aussitôt.


Soixante œuvres étaient présentées en trois étapes : "autels issus de cultures du monde entier, au carrefour de l’architecture sacrée et de l’objet mobilier à activer lors de cérémonies / artistes souvent marginalisé·e·s, né·e·s dans la première moitié du XXème siècle qui se réfèrent directement à leur croyance et revendiquent cette double appartenance à la religion et à l’art moderne voire à l’avant-garde / nouvelle génération d’artistes décomplexée par rapport à la colonisation, qui milite en faveur de la reconnaissance de leur culture, en particulier celles autochtones, et la mise en valeur des aspects religieux, qu’ils soient dogmatiques, chamaniques ou animistes. L'exposition propose une réflexion sur le lien entre l’art, la spiritualité et la culture. En élargissant le champ de ce que nous considérons comme « art », les visiteur·euse·s sont invité·e·s à se confronter à la manière dont les institutions occidentales ont historiquement défini et limité cette notion... L’exposition cherche à lever le voile sur les expressions visuelles des cultures autochtones, souvent ignorées dans le contexte de l’art contemporain, et à révéler leur pertinence actuelle." Le catalogue est découpé par continent. Que dire de mieux, il faut le voir, le texte de présentation est remarquable, les images font rêver, ouvertures vers autant de possibles que d'impossibles. Le rêve, sans aucun doute.

Illustrations : catalogue Fondation Opale 35€ / Affiche de Carambolages, anonyme flamand (1520-1530) / Hervé Youmbi et son masque Scream © Muriel Maalouf

vendredi 2 mai 2025

Le Modèle Standard de Masse


Suis-je seul dans l'univers à vouer un culte à Francis Masse ?
Suis-je seul dans l'univers à vouer un culte ?
Suis-je seul dans l'univers ?
Suis-je seul ?
Suis-je ?
Gloups !

Les matheux s'en donneront à cœur joie, les poètes s'envoleront vers les étoiles, les amateurs de BD en auront pour leur compte et tous finiront par se marrer. En déménageant de Grenoble vers l'Hérault, Francis Masse a fait exploser le carcan de la bande dessinée, il a construit, sculpté, sérigraphié et le voici de retour avec un nouveau concept, le dessin d'humour scientifique ! Sur chaque page, un dessin, une légende (en français et en anglais !), presque un modèle standard... Les mots compliqués pour les rétifs à la théorie de la relativité sont en italiques et clairement expliqués dans un petit glossaire à la fin de l'ouvrage. Car le Modèle Standard avec des capitales renvoie à la physique des particules. Fan de ses courts métrages hirsutes où Albrecht Dürer croise le flaire avec Luis Buñuel je retrouve en une seule vignette la profondeur philosophique de ses sagas d'aimant ciel, s'appuyant toujours sur le réel d'après-demain, sorte de surréel spéculatif où l'humour ne se moque jamais de la science, bien au contraire, mais la souligne en allégories loufoques sans entamer la rigueur de l'analyse. Si les équations vous rebutent vous pourrez toujours apprécier l'adéquation entre les superbes images à la plume et au pinceau et les évocations quantiques et cosmologiques de ce bel ouvrage de 112 pages édité par Le Chant des Muses. Et Masse de conclure dans sa préface : « Maintenant, il est trop tard, le trou noir (de chine) nous absorbe… Accrochez-vous au pinceau, dans ces pages, les échelles se dérobent… »

A part cet article du 4 février 2013, on trouvera sur cet auteur Retour de Masse (30 avril 2007), La nouvelle encyclopédie de Masse (17 novembre 2014) et Volume 2 de Masse (5 mai 2015). J'en profite pour acquérir deux petits fascicules qui manquent à ma collection, Les deux du dock et La dernière séance.

jeudi 1 mai 2025

Sun Ra aux Nuits de la Fondation Maeght


Le label anglais Strut Records publie un coffret exceptionnel de Sun Ra et son Arkestra aux mythiques Nuits de la Fondation Maeght. Jusqu'ici n'existaient que deux vinyles du label Shandar sortis en 1971. Le coffret de 4 CD (ou 6 vinyles) offre l'intégralité (pratiquement quatre fois plus) des deux nuits incroyables auxquelles j'assistai, avec ma petite sœur Agnès, alors que je n'avais pas dix-huit ans. En l'écoutant j'ai la rare impression de faire un voyage dans le temps, la musique me rappelant des émotions et sensations oubliées, des images exclusivement mentales n'ayant pas forcément trait à la musique. Le 16 septembre 2011 j'avais rédigé un petit article à l'occasion de la découverte au grenier de diapositives que j'avais prises le premier soir, car il y eut deux représentations, les 3 et 5 août 1970. L'enregistrement public donne un magnifique témoignage de l'invention et de la diversité des compositions dont mon souvenir est mélangé puisque j'assistai aussi à toutes les répétitions. Sun Ra joue évidemment du piano, de l'orgue électrique, mais aussi du synthétiseur, un Minimoog, d'une manière très personnelle à l'époque, totalement free. Quant à l'orchestre, un peu décalqué par le voyage depuis New York, il respire une fraîcheur inouïe, entre fanfare mélodique d'où sort la voix de June Tyson et interventions hirsutes des merveilleux saxophonistes Marshall Allen, John Gilmore, Pat Patrick, Danny Ray Thompson et Danny Davis. Je suis par contre étonné par les silences entre les morceaux ; gommer les applaudissements ou les bruits du public casse l'ambiance.




Nous étions donc le 3 août 1970 à la Fondation Maeght et le Sun Ra Arkestra venait d'arriver des États Unis, dans lequel le contrebassiste Alan Silva jouait du violon coincé entre les genoux. On l'aperçoit derrière le Maître, c'est ainsi que l'appelaient ses musiciens intergalactiques, dans la photo en bas à gauche. Mes clichés ne valent évidemment pas ceux de Louis Grivot dit Horace ou de Philippe Gras qui étaient sur place avec Yasmina, la "black woman" chantée par Archie Shepp. Yasmina remonta ensuite à Paris en auto-stop avec ma petite sœur à leurs risques et périls puisqu'elles frôlèrent le viol sur l'autoroute du soleil.
J'ai déjà raconté comment Agnès et moi avions joué le rôle de mascottes de l'Arkestra au tout début des années 70. Assistant aux répétitions des Nuits de la Fondation Maeght sous un chapiteau gonflable, nous avons tout de suite été adoptés par le percussionniste Nimrod Hunt (Carl S. Malone) qui nous a présentés au reste de l'Arkestra. Alan Silva taquinait ma petite sœur en évoquant la comédienne Agnes Moorhead connue pour son rôle de mère acariâtre de Samantha dans la série télévisée Ma sorcière bien-aimée. Après de nombreux concerts, je réussis une seule fois à interroger "le maître". Il était, sinon, inapprochable, planant au-dessus de la mêlée comme un être déplacé, on dira littéralement sur une autre planète !
Quelques jours plus tard j'allais être à l'origine des retrouvailles d'Alan Silva et Frank Wright, mais je ne me souvenais pas de ces photos ni des sculptures dans les jardins de la Fondation que je redécouvre en compulsant mes archives. J'arrive à reconnaître Nimrod Hunt et John Gilmore, difficilement les autres. Dans Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe, Daniel Caux a merveilleusement raconté les Nuits passées là-bas, avec Albert Ayler et La Monte Young... Mes images rendent pourtant bien la folie de Sun Ra et son pétillant carnaval.
Trois ans plus tard j'achèterai le même orgue, sans le savoir, un Farfisa Professional qui marquera ma véritable entrée en musique. Je le revendrai pour mon ARP 2600, le rachèterai, le revendrai, vendrai aussi mon ARP. Probablement deux bêtises de ma part. Plus jamais je ne revendrai mes instruments de cœur.

→ Sun Ra & His Inter-Galactic Research Arkestra, Nuits de la Fondation Maeght, 4CD avec un livret de 36 pages (ou coffret 6 LP avec livret 12 pages), Strut Records

mercredi 30 avril 2025

La Passion selon Béatrice


Je ne m'y attendais pas, n'étant ni spécialement fan de Béatrice Dalle ni amateur de ce genre de documentaire, mais je regarde tout, du moins j'essaie, la quantité de disques et de films à écouter et regarder ne doit pas m'empêcher de travailler à mes propres œuvres. Fabrice du Welz, dépité de ne pouvoir réaliser un film de fiction avec la comédienne faute de budget conséquent, transforme son projet en un documentaire où elle marche sur les traces de son héros, Pier Paolo Pasolini. Le noir et blanc, les effets de pellicule propres au cinéma d'avant-garde, les longs plans sur le visage en larmes de Béatrice Dalle, le choix de ne pas sous-titrer les intervenants parlant anglais ou italien, mais d'en laisser le soin à Clément Roussier qui traduit au fur et à mesure à l'image, les extraits de films, en font un objet extraordinairement poétique et probablement l'un des plus beaux films sur le cinéaste assassiné. Radicalement différent, je le mettrai sur un pied d'égalité avec Pasolini l'enragé qu'avait tourné Jean-André Fieschi en 1966 pour la série Cinéastes de notre temps où Pasolini s'exprime en français. Soixante ans plus tard, Fabrice du Welz accompagne Béatrice Dalle sur les traces de L'Évangile selon saint Matthieu, à la rencontre des lieux, Bologne, Venise, Matera, Ginosa, Ostia, et de personnes qui ont connu Pasolini, un restaurateur, le gardien d'une ville désertée ou Abel Ferrara. Au travers du portrait de la comédienne, trash et sans fioriture, nature et pleine d'humour, La Passion selon Béatrice dessine celui du cinéaste martyr, insufflant un sens du sacré qui me surprend.


Dans les bonus, dont l'éditeur Carlotta est toujours maître, Fabrice du Welz donne quelques clefs de ce mystère, plus un long podcast exalté consacré à Pasolini en compagnie de l'historien du cinéma Fathi Beddiar et Béatrice Dalle. Il y a aussi la bande-annonce, mais il faut se méfier de bandes-annonces, comme des critiques !

→ Fabrice du Welz, La Passion selon Béatrice, Blu-Ray Carlotta, sortie le 6 mai 2025

mardi 29 avril 2025

Denman Maroney et l'hyperpiano


J'ai l'habitude d'appeler mes découvertes "des biscuits pour l'hiver", mais pas question d'attendre le froid pour profiter des deux disques de Denman Maroney qu'il m'a offert la semaine dernière lors d'un repas organisé par mon amie Pascale Labbé. Elle savait évidemment que nous nous entendrions à merveille. Denman était venu accompagné de sa femme, Erin Martin, ancienne ballerine à l'American Ballet Theatre et chez Jerome Robbins. Les évocations de Bronislava Nijinska, Charles Ives, John Cage, Guillaume Orti ou Benoît Delbecq agrémentent le repas ensoleillé que Pascale a concocté. Comment avais-je pu passer à côté de ce compositeur fantastique, sorte de Conlon Nancarrow qui swinguerait comme Thelonious Monk, retour à l'envoyeur où le jazz se réapproprierait ses polyrythmies et ses polytemporalités complexes ? Denman Maroney joue de ce qu'il appelle son hyperpiano avec ses deux mains quand Nancarrow ne composait que pour pianos mécaniques. Une sur les touches, l'autre dans les cordes, le pianiste, qui a rapporté en France son Steinway O de 1918 depuis le New Jersey, a enregistré 60 disques dont la moitié sont heureusement sur Bandcamp, avec de nombreux musiciens que j'apprécie particulièrement comme Mark Dresser, Shelley Hirsch, Tim Hodgkinson, Leroy Jenkins, Dave Douglas, Barre Phillips ou le poète Steve Dalachinsky.
La conversation va d'Henry Cowell à Frank Zappa en passant par Olivier Messiaen et Monk dont Maroney livre une passionnante interprétation de Stuffy Turkey dans le double CD The Air-Conditionned Nightmare avec son quintet composé du saxophoniste ténor Robin Fincker, du bassiste Scott Walton, du batteur Samuel Silvant et dans le premier disque de la chanteuse Émilie Lesbros. Sur son site le compositeur met généreusement en ligne partitions, exemples de polytemporalités et les techniques de son hyperpiano qui se fond incroyablement au timbre de l'orchestre comme l'anche à l'archet ou les marteaux à la batterie. L'instrument n'est pas préparé, mais frotté, frappé, pincé, etc. avec toutes sortes d'objets.
En opposition à ces compositions remarquablement agencées, O KOΣMOΣ META n'est qu'improvisations de Maroney avec Scott Walton et le batteur Denis Fournier. Ce "monde d'après" date de juin 2021, après le confinement, utopie merveilleuse de la parfaite entente entre trois musiciens exceptionnels. Improvisation ou composition instantanée, la question peut se poser. Le jazz marque sa place, moins de répétitions, autant de variations, la (relative) brièveté des pièces permettant de contenir les inspirations. On sait toujours commencer, mais comment finir ? Fournier ne noie jamais l'ensemble avec ses cymbales, préférant les peaux ou de drôles de métaux. La basse assume son rôle sévère, souvent en pizz. L'hyperpiano, tout en élégance, mène la danse, danse de Saint-Guy néanmoins contenue, maîtrisée ! Retour au premier disque plus proche de mes aspirations, je m'offre ainsi un second tour.

→ Denman Maroney Quintet, The Air-Conditionned Nightmare, 2 CD Neuma Records
→ Denman Maroney - Scott Walton - Denis Fournier, O KOΣMOΣ META, CD RogueArt

lundi 28 avril 2025

Aux MIAM et Mo.Co


Faire le détour par Sète vaut toujours le jus. Cette fois un jus d'orange puisque le MIAM, le Musée International des Arts Modestes, expose des centaines de papiers d'agrumes et d'objets qui y ont trait dans le cadre de Superbemarché. Des origines naturelles et mythologiques au commerce intergalactique on peut admirer l'imagination des graphistes vitaminés. Me revient alors une anecdote familiale qui m'inspira la chanson Toï et Moï enregistrée avec Bernard Vitet et Michèle Buirette pour le disque Carton paru en 1997. Mon père en frimeur patenté, pérorant devant ses futurs beaux-parents et voyant arriver le dessert, nous sommes en 1951, avait voulu étaler sa culture gastronomique et ses dons pour les langues étrangères. Voyant arriver sur la table des oranges Toi et Moi, marque qui existe toujours, s'était exclamé "Miam, des oranges Toï ète Moï !". On peut l'entendre sur Bandcamp.


C'est aussi toujours un régal de revoir les vitrines de Bernard Belluc, autant de petites madeleines qu'il y a d'objets, récoltés aux puces ou dans les arrières boutiques. Belluc est avec Hervé di Rosa à l'origine du musée aménagé par l'architecte-scénographe Patrick Bouchain. Le reste des collections est toujours fascinant, retour vers l'enfance et l'enfance de l'art.


Arrivés à Montpellier, nous jetons cette fois notre dévolu sur l'exposition Éprouver l'inconnu au Mo.Co, le musée d'art contemporain. Le choix d'œuvres à la thématique "art & science" est très inégal, évidemment surtout sur les plus contemporaines, allant tout de même de Bernard Palissy, Victorien Sardou, Jean Painlevé, Ernst Haeckel à Emma Kunz, Nam June Paik, Tetsumi Kudo, Kiki Smith, Anna Zemánková, H.R.Giger, Guadalupe Maravilla, Morgan Courtois... L'une d'elles nous a fait beaucoup rire. L'artiste chercheur.se americano-chinois.e Mary Maggic expose une vidéo hilarante sur un atelier d'extraction d'œstrogène à partir d'urine, pour accroître l'accès des femmes transgenre à une autonomie corporelle radicale, en se jouant des clichés des émissions de télé-réalité gastronomiques. Et puis nous avons regagné la garrigue pour nous reposer un peu avant le retour.

Superbemarché, exposition au MIAM à Sète, jusqu'au 8 mars 2026
Éprouver l'inconnu, exposition au Mo.Co à Montpellier, jusqu'au 18 mai 2025

dimanche 27 avril 2025

Pilgrim


Au fond, Pilgrim. Plus loin, un champ de coquelicots. Ou la garrigue qui monte et qui descend…

vendredi 25 avril 2025

Reflets d'argent


Arpenter la plage. Ramasser des coquillages. S'achever avec une crème glacée géante. Pendant les grandes vacances je mets le blog en jachère, mais si je pars une semaine je ne m'autorise aucune pause. La route défile. Le ciel est magiquement bleu. Je prends des couleurs. J'aime les couleurs comme un vampire se délecte du sang de ses victimes. Elles perdent les leurs, mais elles en retrouveront d'autres à leur tour. Je m'égare. S'égarer, c'est le propre des vacances. "Les vagues recopient cent fois le verbe aimer", ce sont des vers de Cocteau qui me reviennent souvent sans que je le veuille, comme ceux de Prévert dans Barbara, une des mes chansons préférées, si terrible soit-elle : "Je dis tu à tous ceux que j'aime, même si je ne les ai vus qu'une seule fois, je dis tu à tous ceux qui s'aiment, même si je ne les connais pas." Alors je cherche les mains qui s'étreignent, ou des baisers, secrets ou cannibales. Sur la plage les enfants font des châteaux. Ils rêvent. Il ne faut jamais cesser de rêver éveillé. Changer de rythme offre la liberté de penser, de penser par soi-même, sans répéter les usages que la mode ou la bienséance exigent. Les nouveaux puritains manquent de subtilité. Décidément je m'égare. Je devrais me cantonner aux spécialités du pays, tielles ou tellines, Pic Saint Loup ou Picpoule de Pinet. Comment ne pas se délecter de la philosophie de bistro ? C'est si bon de retrouver ses ami/e/s et de partager les mêmes interrogations sur le monde. C'est toujours le temps de le refaire. Jusqu'à la prochaine fois. Il en faudra d'autres, des prochaines fois, des fois inattendues, pleines de surprises, tendres et féériques.

jeudi 24 avril 2025

Retour à Arles


Je n'étais pas retourné à Arles depuis 2014. J'y avais assumé le rôle de directeur musical des Soirées des Rencontres de la Photographie pendant une dizaine d'années à partir de 2001. Dire que je connais la ville comme ma poche est un peu exagéré, mais je m'y promène les yeux fermés, ce qui n'est pas une bonne idée si je veux profiter du Festival du Dessin qui s'y déroule jusqu'au 11 mai. Comme nous n'avons pas beaucoup de temps nous choisissons d'abord l'Espace Van Gogh où sont exposés François Aubrun, Jean Scheurer, Francine Simonin, Sonja Hopf, Michel Roux, Valentine Schopfer, Annette Messager et Philippe Mohlitz. Ce sont ces deux derniers qui m'emballent le plus, Messager pour ses récentes aquarelles explorant les cycles de la vie et de la mort, Mohlitz pour ses fictions gravées d’une incroyable minutie réalisées directement sur le métal à la pointe sèche. Nous filons ensuite à l'Église Sainte-Anne, place de la République, où Antoine de Galbert a sélectionné 150 œuvres de sa collection où l'art brut côtoie des sommités aussi bien que des inconnus, mais toujours d'un exceptionnel pouvoir évocateur. Après le déjeuner dans un petit restaurant caché dans une ruelle dont je me souvenais nous marchons jusqu'à la Fondation Luma qui était encore en construction à ma dernière visite.


La magnifique tour construite par Frank Gehry me rappelle tout de même le rocher des singes du zoo de Vincennes, mais le bâtiment est plein de surprises passionnantes, des murs en cristaux de sel à la vue superbe sur la région depuis la terrasse du neuvième étage sans parler de ses volumes aux lignes brisées dont il s'est fait une spécialité. Si j'ai trouvé les expositions actuelles absolument sans aucun intérêt, j'ai énormément apprécié la bibliothèque au troisième étage, appelée pour l'occasion "la Bibliothèque est en feu", et ses ressources permanentes. Un casque sur les tempes, nous découvrons cette métafiction créée et écrite par Charles Arsène-Henry dans l'espace conçu avec Dominique Gonzalez-Foerster et Martial Galfione, développant, avec d’anciens étudiants de Shapes of Fiction (Architectural Association School of Architecture, Londres), un programme de recherche dans les profondeurs de ses bibliographies. L'effet est sensationnel, univers parfaitement markerien au milieu de la bibliothèque où travaillent actuellement quotidiennement un écrivain et un chercheur et qui n'accueillent que douze personnes à la fois.


Pour m'en aller, le gamin que je suis n'a pu résister à emprunter le toboggan pour rejoindre le rez-de-chaussée. J'ai toujours adoré les gamineries des architectes, comme Le Corbusier à La Cité Radieuse, qui ont préservé une certaine fantaisie malgré ou grâce à leur notoriété. Et puis nous avons repris la route, puisque demain nous nous dirigerons plus encore vers le sud.

mercredi 23 avril 2025

Des bougies, des lapins et des couleurs


Ce n'est pas la première fois qu'une scène qui n'a rien à voir me rappelle l'opéra Nabaz'mob que nous avions composé avec Antoine Schmitt. Est-ce le regret de ne pas l'avoir remonté depuis 2013 ? Il est certain que nous aimerions faire revivre les cent lapins connectés qui dorment depuis dans des cantines en métal dans un sous-sol de Pantin. Des pantins ? Certes non, le lagomorphisme poussait tout un chacun à les considérer comme des entités vivantes, dotées du libre-arbitre. Ils sont en fait beaucoup plus nombreux, puisque depuis la création en 2006 il est arrivé que trois clapiers jouent simultanément dans trois villes différentes ! Il nous faudrait simplement vérifier qu'ils sont tous d'accord. Nous les installerions ainsi dans le salon-cinéma, invitant d'abord les amis à retrouver la magie du spectacle. En attendant, on trouve sur Bandcamp un CD, paru il y a quelques mois, de l'enregistrement audio de deux représentations de l'opéra interprété par 100 Nabaztag différents.


Les bougies qui m'y ont fait penser sont celles consacrées à la vierge noire des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, où nous sommes passés ce lundi de Pâques. Sara la noire est surtout vénérée par les Gitans. Notre prétexte était plutôt de voir la mer et de manger des fruits de mer. J'en ai profité pour me racheter des pantalons de gardian à ma (nouvelle) taille. Il faut vivre avec son temps !

mardi 22 avril 2025

Dernières acquisitions instrumentales


Cela n'a jamais été facile d'acquérir les instruments de musique qui me correspondent. Pendant longtemps je suis allé en essayer à MusicLand, Univers-Sons, dans les magasins de Pigalle ou chez quelque importateur. Les conseils du vendeur et ses démonstrations étaient évidemment déterminants. C'est ainsi qu'en 1973 je me suis retrouvé avec mon premier synthétiseur, un ARP 2600, et je me demande encore qui était le musicien qui m'a convaincu alors que je n'étais pas venu pour cela ! J'ai régulièrement cherché des instruments sortant de l'ordinaire, or l'on n'en trouve plus dans les magasins ne vendant plus que le truc à la mode qui sera remplacé l'année prochaine. Aujourd'hui je compulse Internet, me fiant aux explications des constructeurs et aux vidéos de démo ou aux tests de geeks plus ou moins compétents. Récemment j'ai donc réalisé plusieurs acquisitions, dont deux ont particulièrement répondu à mes espérances.
J'ai été déçu par l'hydrophone dont je n'ai pas trouvé d'utilisation intelligente. J'ai hésité une journée entière à m'offrir le Stylophone Theremin, regardant tous les tutos, pour finalement l'offrir intelligemment à mon petit-fils pour ses sept ans ; j'ai ajouté le Stylophone Beat pour qu'il puisse s'accompagner, d'autant qu'il prend des cours de batterie avec Will Guthrie. La réverbe Strymon Nightsky et la distorsion Harvezi Hazze de Soma se sont agréablement ajoutées à la pédale d'effets H9 d'Eventide pour torturer différents instruments que je leur envoie, soit la shahi baaja, le Kaossilator ou des ambiances de field recording.
Très récemment j'ai acquis deux machins, l'un très utile, l'autre merveilleusement adapté à ma pratique. Le premier est très simple : la boîte de direct et commutateur SS-6 MKII Switchable Input Stereo DI de Franklin me permet de brancher six appareils stéréophoniques sur la même paire de voies de la table de mixage ; je passais mon temps à brancher et débrancher des instruments dont le mixage ensemble était inutile. Le second, un logiciel, l'échantillonneur aléatoire Rando, va piocher dans la plupart des sons de mes banques de données de manière très ludique, avec un séquenceur et des effets permettant d'agir à la volée. MonkeyC améliore sans cesse cette application inventive encore en développement. Il arrive à point nommé car j'ai commencé à composer des musiques rythmées pour une web-série sur la cybersécurité, destinée aux 13-18 ans.

lundi 21 avril 2025

Nous ne sommes que des marionnettes


Version initiale sérieuse tout de noir vêtu ou fleurie après rectifications, il n'empêche qu'on fait mumuse avec les Starter Packs en faisant chauffer les centraux qui polluent toujours un peu plus la planète. Dans un premier temps j'ai souri aux choix du robot qui est allé glaner sur le Net la Série limitée "Pluriartiste polymorphe" incluant dans la boîte :

🎧 Casque audio vintage AKG pour écouter des sons impossibles à classer entre jazz, électro, théâtre radiophonique et bruitages absurdes
🎹 Synthétiseur comme l’un des premiers que j'ai utilisés, permettant de créer des sons électroniques analogiques avec un soupçon de chaos
📚 Micro-livre "Somnambules", œuvre onirique à lire en écoutant la bande-son intégrée (bouton audio au dos du livre)
🎙️ Mini-micro Radio France parce qu’on ne compterait plus mes créations radiophoniques et documentaires sonores pour France Culture et consorts (!)
🎭 Marionnette de théâtre en référence à mes collaborations avec des metteurs en scène, compagnies de théâtre et performances immersives
🖥️ Tablette avec appli de réalité augmentée pour explorer mes œuvres interactives en AR (comme "Alphabet", "USA 1968", etc.)
🐠 Petit poisson rouge "Zorn le Silencieux", clin d’œil à mon univers absurde, poétique et souvent un brin surréaliste
👕 T-shirt noir avec logo GRRR, le label mythique que j'ai fondé, signe de ralliement des amateurs de créations hors format.

Ce sont les termes employés par ChatGPT. Pour parfaire l'ego-trip, j'ai corrigé ici les approximations du texte fourni par le logiciel d'intelligence artificielle et lui ai demandé plus de couleurs (orange et bleu), une chemise à fleurs, de supprimer la montre au poignet et d'ajouter une référence cinématographique, ce dont il s'est acquitté de bonne grâce. Alors évidemment je me suis trouvé plus vieux que je ne m'imaginais. Trop de barbe me fait ressembler à Sigmund Freud. Cela ne me déplaît pas vraiment. Je me suis souvenu que j'avais commencé à faire de la musique dans ma chambre d'adolescent avec un casque sur les oreilles pour ne pas embêter mes parents et parce que je n'avais pas de meilleur système d'écoute ; j'ai continué ainsi à m'isoler du monde en en créant un qui me convenait mieux, un monde de rêve où régnait l'amour et la paix, et je trouve toujours qu'il est confortable de n'entendre rien d'autre que ce qui est dans ma tête, j'enregistre donc souvent en partageant les sons de l'orchestre au travers de cet écheveau de câbles. La référence à l'œuvre Somnambules, créée avec Nicolas Clauss et disparue du Net, m'a rappelé qu'enfant j'étais somnambule et qu'il m'arrivait de courir la nuit autour de la table de la salle à manger les yeux fermés sans me cogner, et puis là aussi j'ai continué à vivre en somnambule mes activités artistiques qui m'échappent totalement dans le feu de l'action, même si elles ont été soigneusement préparées et que je m'y retrouve lorsqu'elles sont terminées. J'ignore comment le poisson rouge est sorti de l'eau ; une carpe c'est muet en effet, et je suis un terrible bavard (sic mes articles quotidiens !) ; est-ce plutôt le cousinage avec le compositeur américain dont je me suis senti proche à ses débuts, mais avec qui je suis brouillé depuis que je lui ai confié que j'étais anti-sioniste ? Ou bien est-ce à cause du nouveau décor de la cave après l'inondation de cet automne ? En tout cas, nous sommes bien devenus des marionnettes entre les mains du réseau, déshumanisés, formatés, standardisés, américanisés, et les particularités dont nous sommes affublés ne sont que poudre aux yeux. Alors pourquoi m'y plie-je ? Parce que je suis toujours le gamin somnambule qui adore s'amuser, un casque sur les oreilles, des jouets tout autour de lui dont naissent des objets inattendus.

dimanche 20 avril 2025

Pique-nique au labo 4 sur Jazz'halo


Quatrième volet de cette saga où le multi-instrumentiste Jean-Jacques Birgé a de nouveau réuni autour de lui des musiciens qui se sont mis à improviser entre eux sans aucun arrangement préalable. Au total, ils sont dix-sept à se risquer à l'exercice de style. Parmi eux, Hélène Duret et Roberto Negro.
Le concept clé est de faire de la musique pour se rencontrer et non l'inverse comme c'est généralement le cas. Une partie du défi consiste à déterminer le thème de chaque pièce en tirant au hasard son sujet. La surprise était donc garantie, tant pour les interprètes que pour le public qui assistait aux concerts.
Pour chaque morceau le livret du CD indique précisément qui a joué de quel instrument. Les combinaisons les plus étranges ont ainsi vu le jour. Le fait que Birgé lui-même utilise chaque fois un large éventail d'instruments augmente la tension. En outre, il fait partie de tous les « groupes » et est responsable du mixage final. Il a veillé à ce que les quatre pièces en studio soient reliées entre elles de manière transparente, de sorte que l'auditeur semble plongé dans un flux homogène pendant trente-huit minutes. Bien que les cinq extraits en direct soient interrompus par des applaudissements, le résultat final est similaire.
Décrire ce qui se passe ici est pratiquement impossible. Nous nous contenterons d'indiquer qu'il ne s'agit pas d'une orgie d'excès sonores, mais d'une expérience d'écoute très particulière où des adjectifs tels qu'aliénant et énigmatique, mais aussi poétique et cinématographique, sont les plus appropriés, bien qu'ils tiennent place bien sûr dans ce contexte. Ce n'est que dans le dernier morceau que l'agitation nécessaire apparaît.
Une immersion et une concentration totales garantissent un voyage fascinant. C'est aussi la meilleure façon de connaître les principaux protagonistes du monde de l'improvisation française. Une sortie appropriée pour le cinquantième anniversaire du label GRRR dont le site Internet est une véritable mine d'or !
Georges Tonla Briquet

Article original en flamand