70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 31 août 2024

Zappa par sa fille aînée Moon Unit


Je viens de terminer la lecture de Earth To Moon, les mémoires de Moon Unit Zappa, fille aînée d'un des pères de mon récit. À Cincinnati en juillet 1968, avoir mis, par hasard, sur la platine de Jeff le disque We're Only In It For The Money des Mothers of Invention décida de ce que j'allais faire de ma vie. J'avais 15 ans, aucune aptitude artistique particulière si ce n'est un goût prononcé pour le rêve, mais je ferai de la musique. En 2004, pour un article de Jazz Magazine intitulé Les M.O.I., l'émoi et moi, j'ai raconté comment, en octobre 1969 au Festival d'Amougies j'enjambe les barrières pour interroger mon idole, Frank Zappa. Il a la gentillesse de répondre à mes questions pendant trois quarts d'heure où je lui tiens la jambe. En août 1970, au Festival de Biot-Valbonne où il est venu seul encore cette fois, je l'identifie dans la foule et lui propose de l'aider à trouver un ampli et des musiciens ! Notre dernière entrevue date de décembre de cette année-là au Gaumont-Palace. Je n'essaierai jamais de l'imiter en quoi que ce soit, mais sa musique, particulièrement ses débuts avec la première mouture des Mothers et ses œuvres symphoniques comme 200 Motels ou les dernières avec l'Ensemble Modern, me suivra tout au long de sa carrière jusqu'à son actuelle reconnaissance, posthume. À la fin des années 60 je faisais figure de grand hurluberlu d'aimer Zappa et Beefheart.
Ayant eu la chance de rencontrer ensuite nombreux artistes que j'admirais, et cherchant toujours un juste équilibre entre mon quotidien et mon travail artistique, ce qui peut paraître paradoxal si je me réfère à l'inévitable question à la mode entre l'homme et l'œuvre, je me suis forcément intéressé à la vie de Frank Zappa. J'avais très tôt compris que c'était un bourreau de travail, qu'il n'avait pas d'amis et que sa fidélité à sa femme Gail consistait à revenir dans le berceau familial lorsqu'il n'était pas en tournée. J'ignorais ses liaisons amoureuses sérieuses en Allemagne et en Nouvelle Zélande qu'évoquent sa fille Moon, mais j'en connaissais d'autres. Après sa mort en 1993, nous savions que sa veuve était un dragon épouvantable qui protégeait son œuvre parfois de manière absurde, or Moon Unit révèle la famille dysfonctionnelle que ses parents avaient créée avec leurs quatre enfants, Dweezil, Ahmet Emmukha Rodan, Diva Muffin et elle-même. Si Frank (ils refusaient de se faire appeler Papa et Maman) était connu pour ses absences, Gail est une femme vraiment méchante qui ira jusqu'à semer la zizanie entre frères et sœurs, en ne respectant pas les dernières volontés de son mari et en laissant un testament facteur évident de conflits entre eux.
Les mémoires de Moon Unit, qui a aujourd'hui 56 ans (son père est mort à 52 ans), racontent avec humour sa propre trajectoire, dont évidemment le tube Valley Girl interprété avec son père lorsqu'elle avait 14 ans. C'est un livre thérapeutique, d'abord pour elle, avec le besoin de sortir les cadavres du placard, mais sa sincérité touchera nombreux lecteurs ou lectrices qui se reconnaîtront dans l'omerta, factrice de névroses, presque toujours d'origine familiale. J'ai évidemment préféré les anecdotes qui touchent au héros de mon adolescence, plutôt qu'à la perversité de Gail ou aux difficultés de Moon Unit. C'est aussi le portrait d'une époque, une époque où l'on vivait nu, sous un machisme déguisé en libération sexuelle, un portrait d'enfant de star plutôt rock 'n roll. Pour l'instant, il n'existe qu'une version anglaise, mais je suis certain que Earth To Moon (façon dont ses parents s'adressaient à elle !) sera traduit en français prochainement. Ce n'est pas de la grande littérature et ça se lit facilement.

vendredi 30 août 2024

Iquitos, huitième étape


La compagnie Latam, égale à elle-même, à deux heures de retard, mais nous réussissons à attraper notre correspondance pour Iquitos puisqu'il faut repasser par Lima pour remonter en Amazonie. Il n'existe aucune route. L'autre solution est le bateau, mais les navires marchands mettent des jours et des jours. Iquitos est comme une île au milieu de la forêt.


C'est la seule grande ville du monde (500 000 habitants) à n'avoir aucun accès routier. Avec ses triporteurs à moteur, sa circulation intense, ses marchés odoriférants, sa pollution aussi, on se croirait en Asie du Sud-Est. Nous n'y faisons halte qu'une nuit, le temps que je goûte le ragoût de caïman.


Au marché j'essaie de reconnaître les poissons. Nous continuons à manger du ceviche partout où nous allons, car on en pêche aussi dans les lacs et les rivières. Ici nous goûterons, entre autres, paiches et piranhas. Les piranhas n'attaquent jamais une proie en mouvement à moins qu'elle ne saigne. On peut donc se baigner parmi eux sans danger.


Partout où nous allons nous privilégions la marche à pied aux taxis et moto-taxis, histoire d'appréhender la vie quotidienne. Alors, "a marché, a beaucoup marché", pas qu'entre Denges et Denezy ! J'ai heureusement écouté le conseil de ma fille d'acquérir, avant de partir, de bonnes chaussures de marche.


Une "vedette" rapide doit nous emmener sur l'Amazone pour rejoindre le lodge "de luxe" où nous allons passer six jours, en fait deux lieux différents qui nous permettront d'appréhender la rain forest, la forêt amazonienne, la jungle, avec ses plantes dangereuses et ses animaux que l'on n'apercevra forcément que de loin. Pour les voir de près autant aller au zoo (« avec zizi, c'est ma petite amie !»), ce que nous ferons la semaine prochaine à Tarapoto, en visitant Urku, centre de sauvetage d'animaux saisis à des trafiquants : tapir, iguane, ocelot, tortues, etc.


En attendant, je photographie un chien noir sans poils, spécialité péruvienne. Leurs quelques poils sur le caillou, certains même blonds, les font ressembler à des punks !

jeudi 29 août 2024

Machupicchu, septième étape


Le train qui nous emmène à Aguas Calientes roule en moyenne à 25 km/h. En France on appellerait cela un tortillard. Il faut quatre heures pour faire 90 km ! Des enfants hurlent. Le responsable du wagon nous sert un gobelet d'eau. El condor passa est diffusé en boucle. Je déteste ce genre de musique. Que c'est bon quand ça s'arrête ! Ailleurs nous entendrons des musiques péruviennes autrement plus variées, même si Yma Sumac reste étonnamment absente.


Cette ville artificielle fut construite pour alimenter Machu Picchu. Elle est constituée d'hôtels, de restaurants et de vendeurs d'artisanat local. Les rues ressemblent aux travées d'un énorme magasin de souvenirs. Nous avons bien fait de choisir la visite de 7h du matin, pour faire la queue dès 5h30 au bus qui monte à l'une des sept merveilles du monde. Elle est si longue, je n'en vois pas le bout, que celle de la Tour Eiffel semblerait minuscule.


Pourtant nous arpenterons Machu Picchu sans presque personne. À un ami qui le remarque en regardant les photos que je mets en ligne sur FaceBook et Instagram, Bernard Cavanna répond, avec l'humour dont il ne se dépare jamais, que les Espagnols les ont tous tués !


On a beau en avoir vu tant d'images, la cité inca produit un effet exceptionnel. D'abord par sa situation sur la Cordillère des Andes, ensuite pour l'état de conservation de ses ruines du XVe siècle. L'endroit est magique. On comprend pourquoi les Incas y ont construit le Temple du soleil. Souvent, pendant notre voyage, nous penserons à l'album de Tintin. C'est probablement sa lecture qui nous a transportés jusqu'ici. Combien y a-t-il fallu d'esclaves pour monter ces pierres ? Combien de sacrifices humains pour amadouer les dieux ?


J'avais illustré mon premier article avec une photo où le soleil naissait au milieu des nuages, comme un rond de fumée percé par une gloire. Je prends un peu de recul et j'intègre les vestiges de Machu Picchu et des rochers qui auront peut-être été idolâtrés il y a 500 ans. Je ne suis pas mystique, mais le lieu est chargé. On y sent des forces telluriques toujours à l'œuvre.


Des lamas paissent sur les terrasses en espaliers. Le soleil monte vite. J'ai très chaud, mais je crois que c'est dû à l'effort. En Amazonie nous serons en terrain plat, et dès que je serai monté dans l'avion je retrouverai mon souffle.

mercredi 28 août 2024

La Vallée Sacrée, sixième étape


Nous sommes juste sous les 4000 mètres sur les sites de Chinchero, Morey, Maras, Ollantaytambo, Pisac, mais ce jour-là, coup de chance, je suis moins sensible à l'altitude. Nous avons heureusement choisi d'alterner un jour d'excursion avec un jour de repos. Façon de parler, car plus nous avançons, puis le soroche nous épuise dès que nous retournons à Cuzco. Le pire fut le pisco sour de Cicciolina dégusté avant un succulent steak d'alpaga. L'altitude multiplie par trois les effets de l'alcool dans mon sang, alors trois pisco sour, et je dois me tenir aux murs pour grimper jusqu'à notre havre de paix. En montant dans le minibus qui nous emmène dans la vallée, j'oublie ces expériences épuisantes.


Nous nous arrêtons d'abord à Chinchero. Une jeune femme file la laine de lama et je trouve finalement des gants à la taille d'Eliott.


Par terre d'autres femmes ramassent des pommes de terre noires qu'elles ont fait sécher au soleil pour les déshydrater.


Après les cultures en espaliers de l'époque inca à Morey, terrasses en restanques (murs de soutènement), terre fertile et canaux d'irrigation permettant de cultiver plus de 250 espèces de plantes, le spectacle des mines de sel de Maras est phénoménal.


Cela ressemble aux cuves des teinturiers marocains. En gigantesque. Ou à des tableaux de Hundertwasser ou Alechinsky. En fait de mines ce sont plutôt des marais salants qui datent de la période pré-inca. L'eau salée, du chlorure de sodium, qui coule de la montagne entre dans chaque cuve par un petit trou. Aujourd'hui, près de 800 familles sont organisées en coopérative pour gérer les 3 600 bassins produisant jusqu'à 200 tonnes annuelles de ce sel rose étonnant et délicieux, cousin de celui de l'Himalaya. Mais les autochtones ne peuvent pas se l'offrir et achètent leur sel bas de gamme en Bolivie. Pourtant cela ne coûte pas grand chose. Leur niveau de vie est évidemment très loin du nôtre.


Pour l'équivalent de 25 euros nous nous baladons ainsi en minibus toute la journée, déjeuner compris à Urubamba. À Ollantaytambo nous passons notre tour, trop fatigués pour emprunter les 435 marches et optons pour des glaces aux fruits exotiques locaux et au chocolat de Cuzco. Nous ratons la forteresse de porphyre rouge.


Arrivés après la fermeture de Pisac, nous réussissons tout de même à pénétrer dans ce somptueux site archéologique grâce à l'astucieux Richard, notre guide d'origine inca, aussi drôle que savant. Le spectacle réside autant dans les ruines que dans le paysage qu'elles surplombent. Nous rentrons à la nuit tombée. Il faut se souvenir qu'ici c'est l'hiver. Le soleil se couche vers 17h30.


Je ne résiste pas à courir après des alpagas pour envoyer leurs frimousses à mon petit-fils. Comme lamas très contents, ainsi nous au sec.

mardi 27 août 2024

Cuzco, cinquième étape


Cuzco est notre cinquième étape et non des moindres. Nous avons loué pour la semaine un studio avec une vue imprenable sur la ville. Entièrement vitrée, la maison offre un panorama incroyable, car nous sommes tout en haut, même très haut, puisque Sacsayhuamán est juste derrière nous, légèrement au-dessus, ce que nous ressentirons fortement lorsqu'il s'agira de visiter cet impressionnant site inca, situé à 3700 mètres d'altitude. Les murs en zigzag de la forteresse (planche 56 des aventures de Tintin), également centre religieux dédié au Soleil et à d'autres dieux, sont constitués de pierres gigantesques dont on peut s'interroger sur comment elles sont arrivées là. Les blocs de calcaire, qui pèsent entre 120 et 200 tonnes chacun, sont assemblés sans lien entre eux. Le lieu est immense, hallucinant. Nous y montons en fin de journée pour profiter de l'absence de touristes, mais tout au long du voyage nous serons surpris de nous retrouver en tout petit comité.


L'inconvénient, c'est que nous avons à grimper chaque fois que nous descendons au centre-ville, vers la Plaza de Armas, où trône la cathédrale. Heureusement le quartier San Blas n'est pas très loin de notre résidence. Le coin est charmant avec ses ruelles pavées de galets, découpées en leur centre par un profond caniveau, bordées de vieux murs de pierre incas.


Deuxième inconvénient auquel nous pensions échapper, le soroche, le mal des montagnes qui me terrassait déjà sur le lac Titikaka. Cuzco est à 3400 mètres. Difficulté de respirer, grosse fatigue.


Le matin nous descendons prendre un exquis petit déjeuner végétarien chez Qura avant de courir les magasins pour répondre aux désirs de la famille qui a pris ses quartiers d'été à L'île Tudy, Finistère sud, rituel d'autant plus justifié cette année que ma fille Elsa accouchera à Quimper le jour de notre retour. Merveilleuse nouvelle, la bambinette est née coiffée. En attendant, la perte d'appétit nous entraîne à sauter le dîner. Nous nous régalons le midi chez Greenpoint ou Pachapapa à San Blas. Le soir un empanadas ou rien du tout. Il faut dire que les nuits très très fraîches ne nous poussent pas à sortir lorsqu'elle est tombée. Par contre le jour, au soleil, on peut se promener en bras de chemise. Les maisons sont mal ou pas chauffées du tout, très mal isolées. L'air glacial passe entre les vitres coulissantes.


Je m'intéresse toujours aux petits détails qui peuvent en dire long sur les coutumes des peuples dont nous découvrons le pays. Par exemple, les douches sont dite "pluie", sans flexible, ce qui n'est vraiment pas pratique. La vétusté des canalisations interdit de jeter du papier dans les toilettes comme dans beaucoup de pays pauvres, mais on est loin de l'hygiène des douchettes des pays arabes ou de la casserole de ceux du sud-est asiatique. Comme ce détail peut surprendre sous ma plume, je précise qu'à la maison j'ai installé le système Boku, dit toilettes japonaises à la française. En voyage ces détails sont effectivement déterminants, un peu comme la tolérance à d'autres cuisines que la nôtre. Nous avons choisi de nous poser une semaine à Cuzco pour prendre le temps de visiter la Vallée Sacrée et l'une des sept merveilles du monde, Machu Picchu.

lundi 26 août 2024

Le lac Titikaka, quatrième étape


Ce que j'écris avec quelques jours de décalage sera publié seulement à notre retour après un voyage de cinq semaines au Pérou. L'Uros Samaraña Uta Lodge nous semble d'un luxe inouï en regard des endroits où nous avons jusqu'ici séjourner. Comme partout ici, les autochtones vivent essentiellement du tourisme. Ce somptueux Airbnb du lac Titikaka est construit sur une des îles flottantes constituées de totora.


Les bateaux ressemblent à des dragons vikings et les sculptures animalières sont également réalisées avec ces roseaux légers agglomérés. Nous ne parlons que très peu espagnol, mais les applications du smartphone me permettent de traduire instantanément, sans contresens. De toute manière ici les Amérindiens communiquent en langue aymara. Plus au nord ce sera le quechua.


Leur gentillesse est exemplaire. Nous sommes reçus comme des princes, Clemente et Gina nous apportent des truites grillées qu'ils élèvent derrière la maison ou du poulet aplati avec de la quinoa, des patates et du riz. Heureusement que nous avions prévu de nous y reposer car le soroche, le mal des montagnes, m'a mis totalement k.o. J'ai droit à tous les symptômes, sauf le mal de tête. Nous sommes tout de même à près de 4000 mètres de haut ! Il est possible que mon absence de thyroïde ait accentué la fatigue. Il faudra que j'interroge l'endocrinologue. Je tiens à peine debout, le souffle très court, le ventre en compote et des vertiges qui me font avoir des hallucinations nocturnes m'empêchant de dormir. Et j'ai perdu l'appétit, ce qui chez moi est un signe alarmant ! C'est bien, au moins je maigris. D'ici la fin du voyage j'aurai perdu cinq kilos. Nous profitons de ce lieu enchanteur en regardant s'ébattre les poules d'eau et les canards andins au bec bleu.


Sensation étrange de marcher sur les îles flottantes, comme si le sol s'enfonçait sous nos pas.


Après deux jours sur le lac nous regagnons la terre ferme pour repartir en bus demain de Puno vers Cuzco, « la perle du Pérou ».

vendredi 23 août 2024

Puno, troisième étape


Nous avons beau avoir tout réservé, rien ne se passe en effet comme prévu. Le très confortable bus de la compagnie Cruz del Sur a pris plus de deux heures pour réparer une roue crevée au milieu de nulle part. La nuit était tombée, nous étions condamnés à ne pas quitter nos sièges et nous ignorions tout de la panne. Arrivé tardivement à Puno, je me suis rendu compte qu'il m'était très difficile de respirer. Le mal de hauteurs ! À 3812 mètres le lac Titikaka est le plus haut du monde, du moins parmi les navigables. Heureusement la Casa Panq'arani est très agréable. Des fleurs, des oiseaux, des chats et des hôtes très gentils. Nous ne voulions pas tout réserver à l'avance, mais les meilleurs endroits sont très tôt pris d'assaut et certains sites, comme le Machu Picchu, sont contingentés. Nous avons rencontré des touristes qui avaient fait le voyage pour rien, refoulés à l'entrée. Nous avions compulsé le Lonely Planet et le Guide du routard, étudié maints sites Internet, récolté les conseils de précédents voyageurs ou d'amis péruviens, nous y prenant plusieurs mois en amont. C'était prudent, car ayant laissé en suspens les trajets en bus, il ne restait plus que deux places quatre jours avant la traversée. Nous avons eu chaud. Façon de parler...


La bonne idée avait été d'acheter des pulls en baby alpaga à Arequipa, car ici il fait très froid lorsqu'on n'est pas au soleil. La nuit, le thermomètre descend en dessous de zéro et les chambres ne sont pas chauffées. De plus, les fenêtres ne sont pas jointives et l'air glacial passe entre. Les Péruviens vivent en anorak à l'intérieur de leur maison. Notre panoplie comporte donc bonnets, gants, écharpes, chauffrettes. J'en ai trouvé des électriques qui se rechargent en USB. Autres gadgets acquis avant de partir, des AirTags permettant de localiser nos valises. Ce genre de gadget peut être utile à condition de n'y avoir recours qu'en cas de problème, sinon cela rajoute simplement de l'angoisse pour rien.


En sortant ce matin nous avons croisé un enterrement. J'ai raté la photo de l'impressionnante procession, mais j'ai enregistré les musiciens qui l'accompagnaient. Guitare, basse, accordéon, avec la sono sur roulettes pour qu'on les entende jusqu'aux premiers marcheurs.


Ce n'est pas tout ça, le taxi vient nous chercher pour nous emmener au port où nous devons embarquer pour les îles flottantes Uros.

jeudi 22 août 2024

Arequipa, deuxième étape


C'est l'hiver au Pérou. Il faisait bon à Lima, mais nous avons trouvé le ciel bleu à Arequipa, bien que les nuits y soient frisquettes. C'est un des points qui m'inquiétaient un peu avant de partir. Le soleil nous ayant cruellement manqué à Paris cette année, quelle drôle d'idée d'aller passer ces semaines de juillet-août dans l'hémisphère sud où les saisons comme les gens marchent la tête en bas. L'attraction de l'exotisme comme celle dite terrestre eurent raison de nos inquiétudes. Certes le siphon des toilettes tourne dans le sens contraire de chez nous, mais les différences de hauteur sont ici plus importantes que la latitude. Lima est au bord de l'Océan Pacifique, mais Arequipa est déjà à 2300 mètres de haut et nous allons dépasser les 4000 mètres avec l'appréhension du mal des montagnes qu'ici chacun/e redoute. Nous nous sommes entraînés à mâcher des feuilles de coca pour atténuer les effets hypothétiques désagréables que certain/e/s subissent, mais c'est franchement dégueulasse, enfin pas tant que ça, juste un peu amer ; le problème est que chiquer en laisse plein les dents. De l'autre côté de la frontière on appelle même cela le sourire bolivien ! Donc plutôt que mastiquer ses feuilles sèches qui finissent en boule sous les joues, nous avons acheté en pharmacie un mélange de coca, guarana et gingembre. On verra plus tard que cela n'eut que peu d'effet, ou, sinon, dans quel état aurions-nous subi le soroche sans n'avoir rien essayé ? Lors d'un trek au Népal il y a trente ans, le sherpa nous avait expliqué que ce mal des montagnes peut arriver à n'importe qui, même après des années, et même à lui ! J'espérais passer au travers, par une foi qui frise le mysticisme, mais cette composante de mon caractère obsessionnel n'a pas toujours été à la hauteur de mes espérances.
Dans le jardin de l'Hostal Casona Solar, je réussis à filmer un joli colibri, excité comme une puce, qui butine la corole des fleurs en faisant du surplace devant les chambres en sillar de cette ancienne maison coloniale du XVIIIe siècle. Au son j'avais d'abord cru que c'était un gros insecte.



La visite la plus extraordinaire fut celle du Monestario de Santa Catalina, une petite ville en soi avec ses rues rouges dans lesquelles donnaient les cellules des recluses. Ses 20000 mètres carrés occupent tout un pâté de maisons entouré de hauts murs. Dans ce monastère fondé en 1580 par la riche veuve doña María de Guzmán, les jeunes novices, placées par leurs riches familles, toutes à leurs prières, ne devaient prononcer aucun mot. Quatre ans plus tard, à raison de cent pièces d'or par an, elles pouvaient prononcer leurs vœux ou sinon déshonorer leur famille. Notez qu'elles s'y enfermaient tout de même avec une ou plusieurs domestiques ! Les meilleures cellules possédaient une cuisine, un four à pain et je suppose que le petit coin reculé servait de toilettes. On n'imagine jamais à quel point les gens et leurs espaces de vie devaient puer à cette époque-là... Promenade superbe, à la découverte des peintures réalisées par les nonnes, des cloîtres, du réfectoire commun, du clocher, de la chambre mortuaire (salle dite De Profondis), de la chapelle et du petit labyrinthe qui les dessert.



L'autre attraction touristique est le Museo Santuarios Andinos où est exposée la "momie" de Juanita, une jeune inca découverte gelée au sommet du Mont Nevado Ampato en 1995. La glace conserva son corps quasiment intact depuis le XVe siècle. Lors de notre visite, Juanita étant stockée au congélateur à cause de la chaleur saisonnière, est exposée une réplique fidèle à l'originale. Nombreux objets trouvés dans sa tombe permettent à notre guide de détailler la longue préparation et les conditions des sacrifices humains dont étaient souvent victimes de jeunes enfants, préparés au supplice depuis leur naissance, en offrande à leurs dieux.




Ma petite sœur m'avait prévenu, ce que je savais déjà: tout ne se passe jamais comme prévu lors d'un voyage comme le nôtre. Nous en avions déjà fait les frais avec un retard de cinq heures de la compagnie low-cost chilienne Sky, mais le guano d'un urubu nous contraria vivement. Comment ce petit vautour a-t-il réussi à nous repeindre en vert tous les deux en même temps, c'est un mystère. Je n'avais jamais été recouvert de ma vie d'autant de merde. Heureusement c'est parti à l'eau et, après un nettoyage ardu mais réussi, nous en fûmes pour une bonne rigolade. À propos de fumée, en cinq semaines je n'ai croisé absolument personne avec une cigarette au bec, excepté ma compagne dont personne ne semblait remarquer cet appendice incongru.

mercredi 21 août 2024

Lima, première étape (2)


Nous étions évidemment sur les traces de Tintin et Milou, périple qui nous mènerait jusqu'au Temple du Soleil à Machupicchu. Mais pour le moment, c'était plutôt L'oreille cassée qui était évoqué dans le plus beau musée de Lima, le Museo Larco. Fondée en 1926 par l'archéologue et collectionneur Rafael Larco Hoyle, cette collection privée d'art préhispanique est à tomber à la renverse. En marge des galeries présentant les plus belles pièces, on peut visiter, ce qui est rare dans un musée, ses réserves, soit plus de 50 000 objets.


Les cultures cupisnique, chimú, chancay, nazca et inca y sont représentées. Les vases, bijoux, instruments de musique, textiles sont remarquablement éclairés, offrant un spectacle incroyable d'art précolombien. Certaines pièces montrent que les indigènes n'attendirent pas les Espagnols pour vivre de manière saignante, les civilisations se succédant parfois dans une extrême violence. Car il n'y eut pas que des sacrifices humains pour plaire aux dieux, mais surtout des guerres meurtrières frisant régulièrement le génocide. Je ne vais pas me lancer ici dans une histoire du Pérou, mais il est important de comprendre que, pour que Francisco Pizzaro en prenne le contrôle avec seulement 168 hommes, il fallait que l'empire inca soit déjà affaibli par des guerres civiles qui les opposaient aux autres peuples andins, et également des épidémies ravageuses. Avide de voler l'or et tout ce qu'ils pourront rapporter en Espagne, les conquistadors trahiront leurs engagements, s'entredéchireront, en faisant régner la terreur. Si l'on compare avec le reste du monde, à ces époques-là particulièrement, jusqu'à notre propre territoire qu'on appelle la France, nous n'avons pourtant pas de leçon à donner en ce qui concerne la barbarie humaine !


Ces tiares, bijoux de nez, boucles d'oreille et parures chimús en argent ne devaient pas être faciles à porter ! Elles datent de l'époque impériale (1300-1532 après J.C.).


Pareil pour cette magnifique tiare et le reste des bijoux en or massif... Le site du Museo Larco offre de nombreux détails, photos et explications sur les différentes cultures exposées.


Le jardin, qui abrite cette demeure du XVIIIe siècle, ancienne résidence d'un vice-roi, offre un cadre paisible et particulièrement agréable, avant de rejoindre le bâtiment exposant une belle collection d'objets érotiques des périodes préhispaniques.


La veille nous avions visité le MALI (Museo de Arte de Lima) qui présente des œuvres depuis l'époque précolombienne jusqu'à nos jours. Le contorsionniste cupisnique, étonnant vase datant de 3000 ans avant J.C., est le symbole du MALI.


Au rez-de-chaussée je me balance sur des fauteuils-toupies contemporains dont il m'a été impossible de trouver l'astucieux auteur.


Après la visite du MAC, petit musée d'art contemporain proche de notre hôtel, du Monestario de San Francisco et de ses catacombes, un bon pisco sour au Bar Piselli me remet en jambes. Lorsque cela ne suffit pas, j'utilise le Theragun qui est désormais de tous mes voyages. Il m'évite les courbatures et fait disparaître la moindre douleur musculaire !

mardi 20 août 2024

Lima, première étape (1)


La première image forte fut celle du Pacifique. Je ne l'avais vu que deux fois, depuis la côte ouest des États Unis en 1968 et en 2000. À Lima il fait souvent gris. La capitale péruvienne n'a pas la réputation d'une ville particulièrement excitante, peut-être à cause de ses embouteillages et de la pollution qu'ils provoquent. C'est une idée idiote, car il n'est pas d'endroit où notre curiosité ne peut s'exercer. En choisissant le quartier de Barranco, nous y avons vécu d'agréables promenades loin du tumulte limanien...


Même si le jour de notre arrivée nous sommes tombés sur la commémoration de l'anniversaire des 150 ans du quartier... Devant la tribune officielle, où les discours hagiographiques étaient diffusés par des haut-parleurs surpuissants, défilaient les écoles, les associations culturelles et sportives, les pompiers, les employés de la ville, tous et toutes dans leurs uniformes de travail. C'était la fête, et nous en prîmes notre part !


Ce sont pourtant les ceviche de la Canta Rana, il y en a dix-sept au menu, qui nous mirent le pied "à les trier". J'ai, par exemple adoré celui aux coquilles saint-jacques noires. Car, entre les guides et les conseils d'amis, il faut toujours faire son chemin à la machette. On pourra d'ailleurs s'en resservir d'ici quelques semaines, dans la selva, la forêt amazonienne, pour avancer au milieu des lianes et des arbres aux écorces piquantes ou empoisonnées.


Le riz aux calamars à l'encre de seiche était tout aussi renversant, mais j'aurais pu m'abstenir de le commander en plus ce jour-là tant les portions sont gigantesques. À Lima les plats pour une personne pourraient en nourrir quatre affamées ! Un autre jour, les tripes servies avec du boudin noir haché menu, m'ont fait élire Isolina comme un autre de nos restaurants préférés, parmi ceux abordables du quartier. J'aurais bien essayé certaines grandes tables, le Pérou étant un pays où la gastronomie est luxuriante, mais ils ne sont pas dans nos moyens. De toute manière nous repasserons par Lima à la fin de notre périple, sachant également que chaque région a sa cuisine propre. À notre halte prochaine je pourrais goûter le steak d'alpaga (c'est du lama, l'équivalent pour nous du mouton en terme d'élevage) ou le cuy entier aplati (cochon-dinde, prononcé couille).


L'alpaga fournit aussi une des laines les plus douces au monde, surtout le baby alpaga, la vigogne (petit lama sauvage) atteignant des sommes astronomiques. Nous craquons pour des vêtements aussi chauds que soyeux qui nous seront bien utiles prochainement sur les hauts plateaux. C'est un des beaux souvenirs à rapporter du Pérou. Mais il n'y a pas que la bouffe et le shopping !


S'il n'y avait qu'un lieu à visiter à Lima ce serait indubitablement le musée Larco. Mais ça, c'est une autre histoire que je vous conterai demain.

lundi 19 août 2024

Un rêve d'enfant


Remettre le compteur à zéro est une constante de ma vie, peut-être une obsession, certainement un choix. C'est se demander si l'on est sur la bonne route ou s'il serait temps d'emprunter le chemin des écoliers. Cela vaut pour mon travail, mais aussi pour les grandes décisions, car on ne peut jamais revenir en arrière. Aucun regret n'était envisageable, et la responsabilité remplace ainsi toute culpabilité. Je souhaite donc conserver mes meilleurs souvenirs tant que je suis à même d'en avoir ! Lorsqu'en 1993 je suis revenu du siège de Sarajevo j'ai fait la liste de tout ce que je n'avais pas encore réalisé et dont j'avais rêvé. Cela m'a poussé à quelques bêtises, mais aussi à jouir de certains rêves d'enfant, ou d'homme, tout simplement. La forêt amazonienne fait partie de ces récits d'aventures qui alimentèrent mes jeunes années de découverte. Après le Journal de Tintin mes parents m'avaient abonné à la revue Tout l'univers. Avec les romans de Jules Verne il est probable que Le temple du soleil a décidé de ce que j'allais devenir. Je n'ai pas choisi la carrière d'explorateur, mais la création cinématographique et musicale m'a permis d'arpenter des espaces vierges où l'on pouvait vivre l'inimaginable. Au Laos j'avais adoré la forêt primaire et sur le disque Carnage j'avais déjà envisagé La fièvre verte. C'est la lune pour un petit parisien. Alors, lorsque Christiane a évoqué le Pérou comme destination pour les grandes vacances mon sang n'a fait qu'un tour, un tour d'un monde inconnu, sauvage, dépaysant. J'ai toujours été attiré par les pays dont je ne parle pas la langue. Mon espagnol et si rudimentaire que j'avais néanmoins évité jusqu'ici l'Amérique du Sud. Tant pis, tant mieux, je me lance, d'autant que nous croiserons probablement des Péruviens dans la langue nous est totalement étrangère. Le 12 juillet nous nous sommes donc envolés pour Lima, ce qui avait aussi le mérite de quitter Paris et ses jeux du stade.

vendredi 12 juillet 2024

Bye bye


Le retour de mes articles est programmé pour le 19 août, lorsque nous serons rentrés de notre incroyable périple. C'est une question de santé de ne plus penser à ce que je publierai demain, ce qui ne m'empêche pas de prendre des notes et des photos qui alimenteront plus tard mon récit de voyage. J'emporte aussi le petit Nagra, car je ne voudrais pas manquer la symphonie de la nature. Cela m'était arrivé en 2008 à Nong Khiaw, au Laos. Je ne souhaite pas rater pareille merveille une seconde fois ! Nous nous envolons tranquilles, sachant que la maison et les chats sont en de bonnes mains, arrosage du jardin et câlins félins à la clef. Nous aurons probablement froid dans les hauteurs et chaud dans la forêt profonde, ce qui complique un peu l'organisation de la valise pour qu'elle reste légère. Je suis ennuyé de ne pas avoir appris l'espagnol, n'ayant inlassablement répété que les premières leçons. Je fais abstraction du bilan carbone que nous taisons humblement, mais mes rêves de jeunesse réclamaient cette entorse. Demain il pourrait être trop tard. Voilà quatorze ans que je n'avais fait un si grand voyage. J'enverrai probablement quelques images sur FaceBook ou Instagram, histoire de dire qu'on est toujours vivants. À bientôt...

Illustration : John Constable, Cloud Study, 1822

jeudi 11 juillet 2024

Edward Hopper, inventeur du "déjà vu"


La couverture médiatique de la rétrospective Edward Hopper [ressemblait] à un raz-de-marée alors que l'exposition [débutait ce 10 octobre 2012]. Il n'y a pas que Télérama et Libération à avoir publié des numéros spéciaux ; ainsi l'offre libraire est incroyable, qu'elle soit directement liée au peintre américain, à ceux qui l'ont formé ou aux artistes qui s'en sont inspirés. Les amateurs de peinture se [seront donc rués] au Grand Palais, mais les fans de bande dessinée et les cinéphiles devraient absolument suivre le mouvement, comme les amateurs de littérature et les musiciens, tant la trace de Hopper se fait sentir dans tous les domaines artistiques. C'est dire que s'il [était] une exposition à voir à Paris, [c'était] bien celle-ci. La pâte de cet artiste n'a pourtant pas l'impact des originaux d'autres peintres lorsque l'on découvre enfin ce que l'on a connu qu'en reproduction, mais un tel rassemblement d'œuvres, dans leur format réel, nous plonge dans une histoire qui n'en finit pas.

D'un côté, la technique de Hopper, son style lisse, explique bien l'afflux de produits dérivés, cahiers, agendas, affiches, magnets, cartes postales, catalogues, etc., dont nous sommes inondés. D'un autre, le mérite de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition, est d'avoir replacé Edward Hopper dans une chronologie biographique montrant qu'il n'est pas simplement une icône fondatrice du mythe américain, avec une forte critique caustique et dépressive, mais que ses sources parisiennes sont capitales dans sa formation. Si ses toiles réalisées lors de trois séjours à Paris entre 1906 et 1910 et ses illustrations de la Commune de Paris en portent le témoignage, toute son œuvre renvoie à Degas, Marquet ou Vallotton, en tout cas pour la manière de traiter ses personnages. Ses travaux de commande pour la publicité montrent à quel point ses illustrations ont marqué son œuvre, tandis que la lumière, composante majeure de ses toiles à venir, tient probablement plus de ses lectures du transcendantaliste Ralph Waldo Emerson tant ses flous sont philosophiques. L'universalité de cet immense artiste s'explique par ces multiples approches, narrative et énigmatique, fictionnelle et documentaire, figurative et abstraite... On admirera ainsi les gravures et aquarelles qui ont précédé les grands et sublimes tableaux qui l'ont rendu célèbre.

Ce qui frappe avant tout est l'impression de "déjà vu", expression américaine empruntée à la langue française, sorte d'effet Glapion qui nous fait croire que nous connaissons ses toiles alors que nous y reconnaissons leur empreinte sur le cinéma et l'imagerie américaine. On a cité Hitchcock, Lynch ou Wenders. On pourrait ajouter Antonioni et bien d'autres. Les paysages vides sont éminemment cinématographiques comme les personnages coupés en bord cadre rappellent la photographie, les fenêtres ouvrent sur des hors-champs dont on ne saura jamais rien, les tableaux évoquant des films sans histoire, énigmes à jamais closes sur elles-mêmes, ne laissant aucune place à l'interprétation, pas plus qu'ils n'imposent le moindre sens. L'œuvre ouverte ne se laisse jamais refermer par le spectateur. La réalité n'existe pas. Nous sommes en face de projections vaines qui nous renvoient à notre inanité.

P.S.: j'ai acheté l'appli iPad D’une fenêtre à l’autre commentée par Didier Ottinger que nous avons eu la chance d'avoir pour guide tout au long de l'exposition. [...] Signalons enfin l'incontournable film The Savage Eye de Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, joyau évoqué dans cette colonne il y a près de trois ans et que Hopper lui-même conseilla "si vous voulez connaître l'Amérique" ! [...]

Illustration : First Row Orchestra (1951), huile sur toile 79x101,9 cm, Washington D.C. Hirschhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de la Fondation Hirschhorn.

mercredi 10 juillet 2024

Errare humanum est


[Depuis cette] discussion passionnée, rapportée le 8 octobre 2012, avec Valéry Faidherbe sur le rôle capital de l'artefact dans la création artistique, il a, entre autres, réalisé le magnifique chapitre Les champs les plus beaux de mon film Perspectives du XXIIe siècle qui sera projeté le 31 octobre au Musée d'Ethnographie de Genève (MEG) suivi d'un concert avec Amandine Casadamont.

Nous avions assisté la semaine dernière à la projection d'Impressions de Jacques Perconte au Couvent des Bernardins. Le vidéaste compresse ses plans en abîme pour faire surgir des formes et des couleurs incroyables dont les mouvements acquièrent une puissance poétique époustouflante. Je me suis carrément envolé avec les oiseaux qui laissent une trace rémanente dans le ciel de Normandie ou j'ai cru rêver en symbiose avec la tendresse des deux vaches psychédéliques qui se confondent avec l'herbe qu'elles broutent. Jacques a aussi réalisé MEG 2152, un autre merveilleux chapitre de Perspectives du XXIIe siècle, avec des truites cette fois !

Continuant dans la métaphore animalière Valéry cite l'opéra Nabaz'mob que j'ai composé avec Antoine Schmitt pour cent lapins communicants. L'erreur dans le système produit des variations infinies de l'œuvre et lui donne son sens, réflexion sur l'ordre et le chaos, sur la velléité de vivre ensemble sans y parvenir. S'il s'agit de cent robots interprétant musique et ballet il n'en reste pas moins qu'ils sont programmés par des humains et que l'imperfection est le propre de l'homme. Errare humanum est.

Chez tous les grands artistes c'est l'erreur ou la maladresse qui fait le style. Le reste n'est qu'académisme (le caca des mîmes). En poussant les machines dans leurs derniers retranchements l'artiste s'approprie la technique en la dévoyant de son propos initial. Lorsque je programme des sons sur un synthétiseur les plus intéressants sont ceux que son fabricant n'a pas prévus. Nous nous jouons de ces erreurs pour créer, cette perversion nous permettant de retrouver plusieurs travers qui caractérisent à la fois les artistes, mais aussi les humains dans leur nature dénaturée (je pense au magnifique roman de Vercors, Les animaux dénaturés) : l'imperfection poussée jusqu'au sublime, la maîtrise et son impossibilité, la vanité, vanité de faire et, plus encore, de défaire.

Et Bernard Vitet de me rappeler la fin de la citation latine : sed perseverare diabolicum ! Et Bernard de casser sa pipe l'année suivante.

P.S.: il en est de même avec l'IA qui produit du banal à base de banal à moins de se saisir de l'outil et de pervertir les processus pour aboutir à des œuvres qui nous ressemblent.

mardi 9 juillet 2024

Arnaque, poison ou réalité augmentée ?


J'ai souvent rêvé de devenir le Airto Moreira de la chanson française. Comme Airto Moreira, percussionniste, entre autres, de Miles Davis sur l'album Bitches Brew, personnalisait les morceaux en ajoutant du persil aux orchestrations, j'adorerais saupoudrer les arrangements avec quelque gimmick de mon invention. Ces épices rares donneraient une couleur inédite à la musique, un petit quelque chose de plus, une perspective. J'imaginerais des sons électroniques ou bruitistes adaptés à chaque chanson, narratifs ou purement sensibles. Insuffler une brise cinématographique dans la musique à l'image des artistes qui soulignent leurs interprétations d'un jeu dramatique.
Il y a quelques années, directeur artistique pour le chanteur mahorais Baco, j'avais mixé les klaxons d'un embouteillage à la section de cuivres pour une chanson sur la pollution, fait traverser l'océan indien à un voilier encerclé d'oiseaux marins, lui avait donné la réplique grâce à la voix de personnages qu'il évoquait, autant de contrepoints en forme de contre-champs, voire de hors-champ. Aucune illustration redondante, mais l'installation d'une dialectique qui multiplie les lectures. Une autre fois, j'avais recréé une scène de film pour un cover de Sorry Angel de Gainsbourg par le guitariste Jef Lee Johnson avec la comédienne Nathalie Richard. Ou imaginé de courts interludes pour les trois albums du somptueux Chronatoscaphe commémorant le quart de siècle du label nato. Etc.
Hier après-midi, le violoniste Lucien Alfonso est passé au studio pour que j'ajoute des sub-basses à l'enregistrement d'un morceau du premier album du Toukouleur Orchestra. Avec juste un sax et un violon certains arrangements sonnent comme la section de cuivres de Soft Machine sur des rythmes afro ! Les années 70 ont laissé de sacrées traces. Nous avons ensuite fabriqué des sons supersoniques, entre jet et cosmos, trafiquant sa voix avec l'Eventide H3000 et terminé la séance avec les suraigus d'un supposé satellite et la fraise d'un dentiste. J'ignore si nous avons atteint le nirvana annoncé par le titre, mais j'ai eu un peu de mal à redescendre pour écrire mon article.
Nous n'avions pourtant usé d'aucun expédient, ni végétal, ni chimique, ni même sonore, puisque nous n'avons encore jamais testé les drogues sonores d'I-Doser. Ces centaines d'épices aux noms évocateurs s'écoutant au casque seraient susceptibles de produire des effets comparables à certains hallucinogènes, émotions orgasmiques et autres produits illicites qui font chavirer le ciboulot. Arnaque, poison ou réalité augmentée, allez savoir...

Article du 4 octobre 2012 (liens mis à jour)
Illustration : JJB, 1969

lundi 8 juillet 2024

Entrée à volonté


On entre. On sort. Par la porte. Par la fenêtre. On entre. On sort. Par le col ou le bistouri. Les pieds devant. La tête la première. On entre. On sort. La tête haute. Les épaules rentrées. On entre. On sort. Comme un hareng ou en ermite. En rang d'oignons ou avec un drapeau. On entre. On sort. La glace explose en mille morceaux. Le vent s'engouffre. Les tapis volent. On entre. On sort. Question de volonté. Ou d'appétit. Mais question sans réponse. On entre. On sort. Sur la pointe des pieds. En fanfare. Comme si de rien n'était. Avec les honneurs. On entre. On sort. Au delà du seuil rien d'autre n'existe. C'est si court. Que l'on marche ou que l'on courre. Pas le temps de dire ouf. On entre. On sort. D'un pied sur l'autre. Une hésitation. Mine d'entrer. Semblant de sortir. Plus vite cette fois. Une vibration. On y entre. Encore plus vite. Encore. Encore. On ne s'en sort pas.

Article du 2 octobre 2012

vendredi 5 juillet 2024

Parmi les nénuphars


Lorsque je prends des photos je vais souvent au plus vite pour ne pas perdre l'intention initiale. Sans prendre le temps de chausser mes lunettes, je cadre à peu près en espérant que ça colle. Il est toujours possible de recadrer, même si mes meilleures images ne l'ont pas justifié. Et puis l'écran de mon smartphone est riquiqui comme sur tous ces trucs de poche qui ont supplanté les appareils photo chez les amateurs. C'est un peu comme lorsque j'improvise, j'enregistre, mais je ne connaîtrai objectivement le résultat qu'à la lecture.
Hier après-midi je me promenais donc dans le Jardin des Plantes près de la gare de Nantes lorsqu'Eliott a voulu voir la mare aux grenouilles. Comme celles-ci semblaient cachées, nous nous sommes penchés sur les nénuphars qui venaient d'éclore. Juste avant de nous diriger vers Dépodépo, le jardin créé par l'illustrateur Claude Ponti, où Eliott rêvait d'aller se cacher dans les pots de fleurs géants, j'ai cherché à photographier une fleur plein pot sans me rendre compte qu'une grenouille était dans le champ. Ce sont les amies à qui je l'ai fait suivre qui l'ont instantanément remarquée. En fait, s'il l'on faisait bien attention on en découvrait d'autres camouflées parmi les feuilles en forme de cœur. Comme elles étaient trop loin pour qu'on les embrasse (on ne sait jamais), Eliott tenta de leur cracher dessus, sans succès. Elles ne bougèrent pas d'un cil. Nous les avons laissées à leur bain de soleil pour admirer L'homme de bois de Fabrice Hyber, un géant d'où coule de l'eau par tous les orifices (tous, on vous dit, même si les guides en évitent soigneusement le détail) et qui devrait se végétaliser ainsi d'ici septembre grâce aux mousses et fougères que l'humidité favorise. Il fait partie du Voyage à Nantes, des installations contemporaines et des expositions comme celle de Pierrick Sorin qui sont présentées jusqu'au 8 septembre et que l'on peut rencontrer en suivant une ligne verte peinte sur les trottoirs de la ville. Certaines deviendront pérennes.
Nous sommes rentrés à Indre où Will Guthrie présentait le travail de ses élèves batteurs et joueurs de gamelan dans un jardin près du port. Il était temps que je regagne mes pénates pour préparer le grand départ.

jeudi 4 juillet 2024

Toujours le même tabac


Après 5600 articles en 20 ans il est compréhensible que je ne me souvienne plus de tous. De temps en temps je suis tenté d'en écrire un que j'ai déjà publié. Avec le même titre, le même point de vue, le même enthousiasme aussi. Mon cerveau ressemble à un disque dur saturé. Il faut jeter des informations pour en enregistrer de nouvelles. La mémoire et l'oubli. Pas de quoi s'affoler si, l'âge avançant, on perd le nom des gens, le titre des films, le souvenir des visages, l'endroit où j'ai posé mes lunettes... C'est ce qui m'est arrivé ce matin. J'ai tapé "Un tabac" après l'avoir pris en photo. Elle est plus jolie que celle du 17 juillet de l'année dernière, mais j'avais déjà tout dit.

UN TABAC

Les plants exposés au sud font un tabac. Ses fleurs ont pourtant l'air fané au soleil, mais elles s'épanouissent aussitôt que l'ombre du soir envahit le jardin. D'ornement, leurs feuilles ne se fument pas, enfin c'est ce qu'on dit. Je suis obligé de le croire puisque je n'ai jamais fumé, de tabac. Ma mère corrigeait mes devoirs le Disque Bleu Filtre au bec, la fumée me remontant dans les narines. Comme ce ne fut jamais un interdit, écœuré par des années d'inhalation passive, je ne m'y suis jamais mis, contrairement à la plupart de mes camarades de lycée. J'achetais pourtant des Winston ou des Marlboro, espérant m'en servir pour draguer, mais j'étais si timide que le paquet me durait trois mois, pour un résultat catastrophique. Plus tard je mélangeai les brins de Camel à mes joints. Je n'ai jamais véritablement aimé le goût. Seuls les effets m'intéressaient. Expérimentalement ! Je les roulais avec une machine, m'imaginant probablement ainsi encore en amateur, même après quarante ans de cette pratique. J'ai arrêté il y a une dizaine d'années. Cela ne m'apportait plus qu'une fatigue au réveil. L'odeur du tabac des cigarillos auxquels ma mère était passée m'obligeait à me doucher et changer de vêtements lorsque je rentrais chez moi tant son appartement empestait, même lorsque je n'y restais que dix minutes. À sa mort, quand nous avons vendu son appartement, les livres étaient recouverts d'une poussière brune d'un centimètre d'épaisseur. C'est donc la première fois que le tabac me fait un effet positif. À la tombée du soir je reste en pâmoison devant ses fleurs blanches et roses en pensant qu'un jour mes rêves les plus chers se réaliseront. Soupir ! Cyriaque et Alexandre m'ont donné des quantités de semis dispersés dans autant de pots, beaucoup de fleurs, mais aussi des tomates, céleris, choux, etc. Le lendemain matin les tabacs étaient toujours ouverts. Pendant mon voyage au Maroc qui a duré quinze jours, les bambous avaient poussé de deux mètres en hauteur. Je tente de réguler cette petite jungle. Posséder un jardin redonne un sens aux saisons, aux variations climatiques, à la lutte pour la vie, à notre animalité dénaturée...

mercredi 3 juillet 2024

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisode 2


Après le premier épisode consacré à La Maison Fournaise, celui-ci évoque le canotage sportif en exposant une périssoire, deux skiffs, un canoë et deux paires d'aviron. Le sujet proposé par la DRAC rime évidemment avec les prochains Jeux Olympiques. J'avoue avoir eu un peu de mal à trouver le ton musical jusqu'à ce que me vienne l'idée du bois, du bois dont sont faits les avirons ! Comme dans le premier épisode, j'ai utilisé le piano pour des parties plus convenues, mais c'est le marimba qui m'a donné la solution. C'est un xylophone grave aux larges lames de padouk ou de palissandre avec des résonateurs en métal. L'aspect répétitif des séquences musicales évoque évidemment les rameurs et ma manière d'agencer les timbres a quelque chose d'aquatique. J'ai juste ajouté quelques coups d'avirons au début, un train à vapeur avec sa sirène et le bruit des pages. Je n'ai aucune idée du prochain épisode, mais chaque partition sonore est très excitante à réaliser.



Étonnant Patrimoine ! - #2 Les sports nautiques d'autrefois

mardi 2 juillet 2024

Le fruit du cobra


Toujours friand de découvertes, qu'elles soient scientifiques ou culturelles, l'apparition d'un fruit inconnu à Paris Store (Belleville) éclaire ma journée d'une suave lumière. L'étiquette indique salak palm ou fruit du serpent. La drupe, d'environ six centimètres de long, ressemble à du canard laqué, mais ses écailles dures rappellent surtout la peau d'un serpent ou d'un tatou. Avant d'avoir trouvé tout ce qui le concerne sur Internet, je l'entaille sur la longueur et suce la chair entourant le noyau. J'hésite entre la pomme, la fraise et l'ananas, avec le petit côté acide du fruit de la passion. Passion, pomme, serpent, ça sonne un peu biblique, mais c'est très bon tout de même ! Je vais rechercher l'écorce dans la poubelle lorsque j'apprends la qualité de ses infusions. Il paraît qu'il ne faut rien jeter, mais j'ignore quoi faire avec les noyaux. Ces fruits d'un palmier qui poussent surtout à Java et Sumatra sont cultivés en Thaïlande, mais ils diffèrent de ceux d'Indonésie, par le goût et la forme. Je suis toujours étonné de découvrir de nouveaux légumes, de nouveaux fruits, de nouvelles racines, alors que je n'ai jamais aucune surprise avec la chair d'un nouvel animal, que ce soit un mammifère, un oiseau ou un poisson. Évidemment ils viennent de loin, pas génial pour le bilan carbone, mais les tomates ou les pommes de terre n'étaient pas non plus d'origine européenne, et nombreuses plantes asiatiques ont récemment trouvé ici des sols propices. Bon d'accord, pour les palmiers, ce n'est pas gagné, mais qui sait avec le réchauffement climatique ?!