70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 7 décembre 2023

La Fanfare au Carreau


Aujourd'hui les fanfares accompagnent souvent les luttes sociales ou les manifestations pour le climat. Cette pratique le plus couramment amatrice est toujours festive. On les croise ainsi lors d'une fête de quartier, marchant comme les Black Indians de la Nouvelle-Orléans. La Fanfare au Carreau est issue d'un atelier organisé par l'Orchestre National de Jazz en 2014, confié au tromboniste Fidel Fourneyron. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce fut une excellente initiative, puisque dix ans plus tard les inscrits au Carreau du Temple sont passés de 20 à 80, de toutes les générations, avec une instrumentation qui s'est étendue aux cordes, et que les compositions originales de Fourneyron dégagent une belle énergie. Chaque titre aux consonances gastronomiques (Pudding, Currywurst, Burger, Brûlot du Bayou) ou arboricoles (Guayacan, Tilleul) se réfère à un style différent, mais on sent une forte influence d'Amérique Centrale ou du Sud. D'ailleurs l'album se nomme Vamos Andando, en brésilien "on continue d'avancer". Cela n'interdit heureusement pas une valse, typique de notre héritage. Ailleurs la fanfare évoque l'Angleterre, Berlin, Hollywood, la Louisiane, le Venezuela ou la Colombie. Les fanfares sont bien histoires d'amitié et de solidarité, réchauffant le cœur et les jambes.
Je ne peux m'empêcher d'évoquer quelques orchestres, eux professionnels, qui me sont chers comme le Liberation Music Orchestra ou l'Umlaut Big Band qui distillent cette joie collective et communicative. Mais le merveilleux d'une fanfare comme celle du Carreau prouve que l'amateurisme vient étymologiquement du verbe aimer.
En 2021 j'avais eu le plaisir d'enregistrer L'air de rien, un album avec Fidel Fourneyron et la chanteuse Élise Caron, et à chaque projet le tromboniste se donne corps et âme, changeant de registre tout en conservant son propre style. Il partage ici son enthousiasme avec une soixantaine de musiciens et musiciennes.


→ La Fanfare au Carreau sous la direction de Fidel Fourneyron, Vamos Andando, CD Uqbar Records, sur Bandcamp

mercredi 6 décembre 2023

Séméniakoscopie


En 1997 Valéry Faidherbe participait au CD-Rom Carton que je réalisai à partir du fonds photographique de Michel Séméniako. Faidherbe nous filma, Bernard Vitet, Michel Séméniako et moi-même, dans l'espèce de photomaton inventé par le photographe où chacun pouvait faire sa propre lumière avec un faisceau de fibres optiques. Quatorze ans plus tard il imagine à son tour une machine à faire du Séméniako ! Il lui propose de restituer ainsi son geste de peintre de lumière, mais dans le mouvement. En septembre 2011, il tourne son film, Séméniakoscopie (8 minutes), dans le cadre de la résidence du photographe à Marcoussis.
"En superposant le temps de la réalisation des poses nocturnes, le film donne à voir la construction de l’image qui est l’addition sur une seule photographie de tous les coups de pinceaux lumineux colorés donnés par Michel Séméniako avec sa torche dans l’espace photographié. Il restitue ainsi la magie de cette révélation lumineuse du paysage. La bande-son documentaire restitue la concentration de cette merveilleuse fiction où la lumière réécrit l'histoire ou la géographie. Le vidéaste en profite aussi pour faire quelques expériences de mélange du temps et de l'espace, un grand désordre qui contraste terriblement avec le calme des prises de vues" (2 minutes).
Sur le point de terminer le montage de ce luxueux making of, Faidherbe, à qui j'avais présenté le photographe, effectue une quadrature de ce cercle d'amis en ajoutant quelques accords musicaux et un bout de refrain de la chanson que nous avions composée (L'ectoplasme, index 5), nous-mêmes tentés d'exprimer l'étonnante technique du photographe, paradoxalement invisible dans le cadre qu'il habite et construit.

Article du 22 novembre 2011

mardi 5 décembre 2023

Du piano-jouet


Un vent d'archives souffle sur la famille. Mon cousin Serge m'envoie notre arbre généalogique...
[Depuis cet article du 11/11/11, j'ai fait pousser cet arbre avec plus de 3000 personnes sur des branches plus ou moins proches ou lointaines, remontant jusqu'à la Révolution de 1789 pour trois de mes grands parents et jusqu'au IXe siècle pour le quatrième ! Mais ça c'est une autre histoire…].
Dans un tiroir de ma mère ma sœur Agnès retrouve de vieilles diapositives prises par mon père...
[Là aussi le paysage s'est découvert à la mort de ma mère avec les archives en haut de l'armoire. Mais revenons où nous en étions ce jour-là...]
Elsa avait quelques mois. Le petit piano n'est pas un Michelsonne comme celui que j'utilisai dès 1975 (disque Défense de), mais cela tombe à pic pour l'émission de ce soir. Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, une émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture ce 11 novembre 2011. Y [fut] diffusé un inédit de quatre minutes avec le violoncelliste Vincent Segal que nous avions enregistré comme partition pour le film sur le tableau de Chirico, Composition métaphysique, réalisé par Pierre Oscar Lévy. En plus d'un clone de Michelsonne, j'y joue de la guimbarde, du ballon de baudruche, du violon et d'un carillon. Au Studio 118 de Radio France je fais aussi le zouave pendant que mes deux collègues pianotent pour un bœuf improvisé... Qu'il est doux de ne pas toujours se prendre au sérieux et de se laisser aller à ces gamineries qui touchent pourtant à l'essence même de notre inspiration ! Si nous jouons comme des mômes, que rêver de mieux ?


Se mettre à plat ventre pour partager des jeux d'enfant nous fait glisser vers un temps que nous avions souvent oublié. Il tient autant du passé que du futur. Cet angle sous lequel alors nous regardons le monde a quelque chose de déjà vu. L'avenir n'est qu'une projection de ces images sur une toile plus grande. Un simple changement de repères.

lundi 4 décembre 2023

Extrait du concert de vendredi soir au Café de Paris


Extrait YT du concert au Café de Paris vendredi dernier. Le son n'est vraiment pas à la hauteur des belles images de Ben Lx, dommage, mais ça laisse une trace d'une rencontre merveilleuse avec Élise Dabrowski, Gwennaëlle Roulleau, Lionel Martin et Mathias Lévy !



Photo N&B © JJGFREE

La frontière verte d'Agnieszka Holland


Si La frontière verte (Zielona granica) d'Agnieszka Holland est indispensable, c'est un film très dur (mais je suis une petite nature). Le sort des migrants violemment bringuebalés entre la Biélorussie et la Pologne est insupportable. D'un côté le dictateur Alexandre Loukachenko les pousse vers l'Union Européenne pour l'affaiblir après les sanctions dont la Biélorussie est victime, de l'autre les Polonais les repoussent, motivés par un racisme historique ou mandatés par une Europe barbelée. Ces familles viennent d'Irak, d'Afghanistan, d'Afrique et espèrent trouver refuge en Suède ou ailleurs, dans une Europe fantasmée, prétendument protectrice des Droits de l'Homme. Depuis quarante ans, nous avons tout perdu, en France évidemment, mais nos voisins ne valent guère mieux.
Agnieszka Holland est attaquée par le ministre polonais de la justice, Zbigniew Ziobro, qui a comparé son film, instrumentalisé par le parti d'extrême droite PiS lors de la campagne électorales de 2023, à de la propagande nazie, comme du temps où « les Allemands, durant le IIIe Reich, produisaient des films de propagande montrant les Polonais comme des bandits et des meurtriers ». Polonaise en partie d'origine juive, Holland n'a jamais laissé son pays oublier ses exactions passées. Lors de ses précédents films elle n'a pas été plus tendre envers le régime nazi ou les exactions staliniennes. Avec son dernier film, qui a reçu le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise, forcément dérangeant pour la Pologne, la Biélorussie, mais fondamentalement pour l'Europe, elle attise envers elle une haine antisémite ou anticommuniste. Elle ne fait qu'annoncer ce qui se prépare face à une crise migratoire inévitable qui ne fera qu'augmenter et dans des proportions autrement plus importantes, que ce soit pour des raisons politiques ou climatiques. 30 000 ont déjà péri en cherchant la liberté, sur terre, sur mer et dans la forêt où l'on meurt toujours tandis que je tape ces mots. Ce qui se profile fait froid dans le dos et devrait nous révolter. Le monde part à vau l'eau. Comme toujours et partout il y a des résistants, des activistes, et face à eux l'absurdité et la violence de polices plus sauvages les unes que les autres, obéissant aveuglément aux ordres avec délectation. J'ai souvent l'impression que dans ce genre de situation ou de période, il y a 5% de salauds, 5% de résistants et le reste qui fait semblant de ne pas savoir.


Agnieszka Holland renvoie la Pologne à son hypocrisie catholique et l'Europe à son inutilité, si ce n'est dans sa politique dictée par des intérêts strictement économiques, donc mortifères. Son film est très fort. Il met en scène des êtres humains, aux langues si différentes les unes des autres, heureusement pas que dans l'immonderie, mais dans leur beauté et leur solidarité. Si la forêt verte tourne dès les premières secondes au noir et blanc, c'est à la fois pour lui donner une impression d'actualités et parce qu'une mise en couleurs risquerait d'en faire un spectacle, tant le cinéma de divertissement rend l'horreur fictionnellle, voire fictive. Comme Cocteau le proclamait dans une Histoire féline, magnifique chapitre du Journal d'un inconnu évoquant les poètes témoins de l'impossible : "ne pas être admiré, être cru." La frontière verte est un no man's land, la terre d'aucun homme, une zone invivable où s'embourbent les réfugiés, mais surtout l'humanité tout entière.

Trois heures plus tôt, j'avais regardé May December, le dernier film de Todd Haynes que j'avais trouvé très beau et sensible. Mais après La frontière verte, ce drame psychologique m'a paru fade et dispensable, à vouloir expliquer une fois de plus comment fonctionne une névrose familiale. D'une certaine manière, dans le jeu des doubles où une comédienne en incarne une autre, je préfère nettement Little Girl Blue de Mona Acache où Marion Cotillard est époustouflante, peut-être parce que j'apprécie que la fiction documente ou que le documentaire assume sa mise en scène. Décidément je n'aime pas les frontières.

samedi 2 décembre 2023

Du gâteau


Nuit presque blanche après le concert au Café de Paris. J'ai tout rebranché dans le studio. Je pense souvent à Jean Renoir qui disait que ses films n'étaient pas une tranche de vie, mais une tranche de gâteau. Hier soir nous avons été particulièrement gourmands. On en a repris trois fois.
Merci à Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Lionel Martin, Gwennaëlle Roulleau qui ont partagé ces agapes. Merci au public qui a joué le jeu en tirant les cartes prétextes à nos compositions instantanées et dont la présence m'a beaucoup touché. Merci à Arnaud et Manon qui m'ont offert cette carte blanche. Merci à Vincent et Hervé qui ont assuré la technique et l'intendance. Merci à Tom Val qui a joué le jeu en nous rejoignant sur scène. Merci à Jérôme Jawaka Janvrin pour la photo. Merci à Ben Lx qui a tout filmé (même si le son y est un carnage 😉 ). Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont inspiré depuis tout ce temps.
Et maintenant, en route vers de nouvelles aventures...

vendredi 1 décembre 2023

Elliott Erwitt [1928 — 2023]


Le photographe Elliott Erwitt vient de nous quitter. Je republie un extrait de l'article du 11 juillet 2012 que j'avais envoyé d'Arles alors que j'assumais le rôle de directeur musical des Soirées des Rencontres. Ici au Théâtre Antique la percussionniste Linda Edsjö l'accompagne tandis qu'Antonin Trí Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette venons leur prêter main forte. Sur le lien vous pouvez assister à sa présentation en deux parties vidéographiées. Grande tristesse face à la disparition de cet homme extraordinaire.

ARTE Creative met en ligne les Soirées des Rencontres de la Photographie qui se sont déroulées au Théâtre Antique d'Arles la semaine dernière, du 3 au 7 juillet 2012, sous la voûte étoilée.
Commençons par Elliott Erwitt accompagné par la percussionniste Linda Edsjö. Pour quelques passages Antonin-Tri Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette, les rejoignons. Arte a découpé la prestation d'Erwitt en deux parties.


Directeur musical, j'ai choisi les musiciens et musiciennes qui sont intervenus en direct, y participant parfois, composé une petite pièce symphonique pour le Prix Pictet, enregistré mon doigt sur une vitre pour l'animation que Grégory Pignot a réalisé du jingle des Rencontres d'après l'affiche de Michel Bouvet, illustré musicalement quelques autres sujets.


Les réalisations sont de Coïncidence (Olivier Koechlin, François Girard, Valéry Faidherbe).

C'est ce soir (vendredi) !


Si vous avez réussi à échapper à ma communication invasive, c'est la dernière annonce pour le concert de ce soir, exceptionnel car je ne joue plus beaucoup en public. C'est un véritable plaisir, et je réponds autant que possible aux invitations chaleureuses des programmateurs, souvent des jeunes gens curieux qui ne se sont pas encore cantonnés à reprogrammer éternellement leurs vieux potes. Aujourd'hui merci à Arnaud et Manon de Sport National qui organisent depuis 2015 des concerts de musicien/ne/s aux pratiques expérimentales, depuis avril 2023 au Café de Paris, et qui m'ont confié cette carte blanche. Ils clament justement "saute-mouton : quand Sport National confie la programmation d'une soirée de concerts à un.e "autre", les yeux fermés, mais les oreilles, en éventail." Ayant pendant longtemps attendu le coup de téléphone de Monsieur De Mesmaeker, voilà 25 ans que je laisse cette initiative aux amateurs, entendre à celles et ceux qui aiment. De temps en temps le téléphone sonne, un mail tombe dans la boîte et cela me ravit. Comme vous en jugez régulièrement, je suis loin d'être désœuvré. Jouer avec des musiciens et des musiciennes aussi sympathiques qu'imaginatifs que le violoniste Mathias Lévy, la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski, l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau, le saxophoniste Lionel Martin, est un plaisir sans mélange. Une élévation ! J'ai plutôt l'habitude de partager ces agapes en studio, quitte à produire deux albums, CD Pique-nique au labo vol.1/2 et vol.3), mais le réaliser devant et avec vous décuple l'excitation de la rencontre. Je n'ai pas la moindre idée de la musique que nous produirons ce soir. La surprise sera partagée.
L'évènement est sur FaceBook.

jeudi 30 novembre 2023

IN C pour 20 sonneurs


L'année dernière j'écrivais : " L'interprétation de la pièce In C de Terry Riley au 104 par vingt sonneurs sous la houlette d'Erwan Keravec fut absolument vertigineuse. Les musiciens perchés sur des estrades entouraient le public médusé. Certains avaient fini par s'asseoir en tailleur, d'autres tournaient autour, à l'intérieur ou à l'extérieur du cercle, comme si la nef était un stūpa. Il abritait en effet une relique, puisque In C, composée en 1964, est considérée comme la première œuvre du courant minimaliste américain que nous appelions alors répétitif. J'en connaissais une bonne vingtaine d'interprétations, mais celle-ci fut particulièrement magique, sorte de monstre tellurique où les bombardes aiguës, les cornemuses, les bombardes barytons créées pour l'occasion, les sirènes varésiennes enveloppaient les spectateurs hypnotisés par ce bagad aux accents contemporains...". Aujourd'hui l'enregistrement, pourtant réduit à la stéréophonie du CD, garde sa monstrueuse puissance. Cela s'écoute le plus fort possible, le plus fort que vous puissiez le supporter. Oubliez les voisins ! Pendant un peu moins d'une heure les murs de Jéricho trembleront. Et ça tourne, ça tourne entre les haut-parleurs gauche et droit, rebondissant sur les murs qui leur font face et du sol au plafond.


Les bombardes (trois sopranos en ut et si bémol, une soprano en sol, deux ténors en si bémol et quatre barytons en sol) sont placées en alternance avec les cornemuses (trois binious en sol, cinq cornemuses en do, une cornemuse en sol et une veuze en sol). Ajoutez quatre sirènes d'alerte à main au milieu de la pièce pour accentuer le chaos et deux foulées de pas qui viennent percuter les planchers des estrades où sont juchés les 20 extraordinaires sonneurs qui ont participé à cette aventure. Je devrais les citer toutes et tous, mais je nommerai seulement ici Julien Desprez qui endossa le rôle de conseiller artistique, les luthiers Tudal Hervieux et Jorj Botuha qui fabriquèrent la bombarde baryton en sol et les chanters pour cornemuse en do, ainsi que l'ingénieur du son Manu Le Duigou qui fait là une prouesse. Pareil aux meilleures pièces répétitives, on sort de l'écoute comme d'un voyage en pays lointain, rincé, éberlué, rafraîchi, différent, jamais indemne. On ne résiste pas à la tempête. Il n'y a qu'à se laisser porter par les vagues, chevaucher le son comme s'il venait de vous et que vous l'offriez à l'univers. Lorsque la musique s'arrête, vous serez surpris d'entendre les bruits du monde autour de vous avec une acuité inattendue.

→ Terry Riley par Erwan Keravec, In C 20 sonneurs, CD, dist. Buda Musique, 16,05€

mercredi 29 novembre 2023

Albert Brooks sans filet


Les Américains n'ont jamais compris pourquoi les Français adoraient Jerry Lewis. Sans ses succès européens Woody Allen n'aurait pas fait long feu. Et il y a Albert Brooks ! On peut donc se demander pourquoi le public ne connaît pratiquement pas ce réalisateur comique majeur, le plus profond certainement. Comme Orson Welles ou John Cassavetes, il a gagné sa vie en faisant l'acteur. Les comiques ont souvent la vie dure. Chaplin dut quitter les États Unis pour raisons politiques. Jacques Tati a fini ruiné. Brooks a interprété des rôles sérieux dans Taxi Driver, Broadcast News, Drive ou A Most Violent Year, même des rôles de méchant. Il a fait des voix pour des films d'animation comme Le monde de Nemo ou Les Simpsons. Mais son véritable génie se découvre dans les films qu'il a réalisés lui-même et dans la plupart desquels il joue.

En 1979 il parodie la téléréalité naissante avec Real Life. C'est le portrait d'un réalisateur de documentaire appelé Albert Brooks, joué par Brooks, qui pendant un an tente de faire un film sur une famille dysfonctionnelle. Ce faux documentaire est génial. C'est un bide. En 1981 il fait Modern Romance, un film sur la jalousie que lui envie Stanley Kubrick (!), il y joue le rôle d'un monteur de cinéma travaillant sur un film de science-fiction. Si je vous susurre que cela tient de l'humour juif, vous ne serez pas étonné, une sorte d'autodénigrement attendri. En 1985, nouveau chef d'œuvre avec Lost in America, l'histoire d'un couple qui abandonne sa vie aisée pour vivre dans une caravane, tombant de Charybde en Scylla. Souvenir d'Easy Rider, c'est l'autre facette de l'Amérique. En 1991, dans Defending Your Life (Rendez-vous au Paradis), il joue un divorcé qui, venant de mourir, se retrouve dans une cité purgatoire appelée Judgment City, confronté à ses peurs alors qu'il en pince pour Meryl Streep. Dans ce film fondamentalement athée la question de sa réincarnation se pose de manière procédurière. En 1996, le quadragénaire retourne vivre chez sa mère, interprétée par Debbie Reynolds (Singin' in the Rain) pour comprendre ses problèmes avec les femmes après son second divorce, or sa mère n'en a pas du tout envie ! Mother, où il joue un auteur de science-fiction à succès, marche mieux que ses films précédents. Freud est évidemment passé par là, comme chaque fois. En 1999, c'est un scénariste sur le déclin qui cherche une authentique Muse grecque, jouée par Sharon Stone (!), pour retrouver l'inspiration, comme le font James Cameron, Martin Scorsese ou Rob Reiner qu'il y croise ! Enfin, en 2005 dans Looking for Comedy in the Muslim World le gouvernement américain envoie Brooks, donc un Juif américain, en Inde et au Pakistan pour comprendre ce qui fait rire les Musulmans. Ce n'est pas le plus drôle, mais l'idée est comme toujours passionnante.


Albert Brooks Defending My Life, le film que son ami d'enfance Rob Reiner lui a consacré, lui rend justice. Rob Reiner, c'est le réalisateur de Spinal Tap, Princess Bride, When Harry Met Sally..., Misery, etc. On peut lui faire confiance. Lui aussi a fait l'acteur. Il montre comment Brooks ose des trucs incroyables lors de ses passages télévisés, sans aucune répétition, se jetant dans l'arène, parce que l'improvisation accouche toujours d'une authenticité quasi magique. Son vrai nom est Albert Einstein, ça commençait bien ! Merci Papa, dont le pseudonyme était Parkyarkarkus, un comédien en langue grecque qui se produisait dans une émission radio d'Eddie Cantor. Évidemment Albert Brooks, évoquant sa vie et ses films, est comme à l'écran, intelligent, drôle et extrêmement touchant.

mardi 28 novembre 2023

Concert exceptionnel vendredi 1er décembre


Le flyer officiel est arrivé. J'adore l'idée de saute-mouton pour annoncer notre concert ludique. On joue. Comme des enfants. Les musiciens et les comédiens sont les seuls artistes à avoir conservé linguistiquement l'idée du jeu. Nous demanderons donc au public de tirer au sort le thème de nos improvisations. Comme les cartes sont en anglais, il arrive que cela produise des annonces bizarres. Bizarres comme certains des instruments que j'apporterai. Et puis le saute-mouton m'évoque une autre histoire, plus intime. Je possède un film en 16mm noir et blanc où mon père joue à ce jeu avec Frédéric Dard (San Antonio) dont mon père était l'agent littéraire et qu'il avait découvert. C'était juste avant ma naissance. J'ai toujours été touché par ces adultes qui se comportent comme des gosses. Il est absolument indispensable de ne jamais perdre cette innocence. Le jeu sans enjeu. Comme lorsque nous composions nos premières œuvres. Quand j'écris je m'appuie forcément sur l'expérience, mais la musique me permet de m'abandonner à l'enfance. L'enfance de l'art. Se coucher chaque soir en ayant appris quelque chose, se réveiller chaque matin en ayant tout oublié. Total reset. Remise à zéro de conteur. Toute une histoire.

saute-mouton #4 - Carte blanche à Jean-Jacques Birgé
saute-mouton : quand Sport National confie la programmation d'une soirée de concerts à un.e "autre", les yeux fermés, mais les oreilles, en éventail.
Trois sets de 40 minutes
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Vendredi 1er décembre 2023 10€ (conseillé) / 7€ (réduit)
Réservation vivement conseillée (2 par personne max) par mail à sportnationalsessions@gmail.com
Espèces uniquement (préparez l'appoint s'il vous plaît) - CB au bar - Nous vous conseillons de venir dès 20h
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Café de Paris, 158 rue Oberkampf 75011 Paris, Métro Ménilmontant
Edith Piaf fit ses débuts dans cet ancien cabaret !
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SPORT NATIONAL organise depuis 2015 les concerts de musicien.es aux pratiques expérimentales. Coordonne depuis avril 2023 la programmation des concerts au Café de Paris.

lundi 27 novembre 2023

Iron Sky, 2 films de science-fiction totalement délirants


Voir Adolf Hitler alunir sur le dos d'un Tyranosaurus Rex peut vous donner une idée du délire des scénaristes des deux films intitulés Iron Sky réalisés par le Finlandais Timo Vuorensola en 2012 et 2019. La musique est du groupe slovène de musique industrielle avant-gardiste Laibach. La présidente des États Unis ressemble à Sarah Paulin. Parmi les maîtres du monde, au centre de la Terre, incarnant des vrils d'une autre planète, on reconnaîtra Steve Jobs ou Mark Zuckerberg. Vous vous amuserez des clins d'œil à Kubrick pour Folamour, Chaplin pour Le dictateur, Terry Gilliam pour L'armée des douze singes, ou encore Matrix, Jurassic Park ou Hunger Games, quand il ne s'agit pas directement des légendes fantasmatiques états-uniennes... Le pastiche vaut son pesant de cacahuètes et renvoie souvent les originaux à leur banalité scénaristique. Rares sont les films aussi loufoques comme Skidoo d'Otto Preminger ou, pourquoi pas, Hellzapoppin de H.C. Potter. C'est tout bonnement lysergique.


Dans le premier film un astronaute afro-américain est blanchi pour l'aryaniser. Mais je préfère ne pas dévoiler l'intrigue abracadabrante et vous laissez simplement les bandes-annonces qui ne déflorent pas trop l'absurdité de l'entreprise...


Le second film, qui se passe vingt ans plus tard, exploite les théories de la Terre creuse et m'a semblé encore plus drôle que le précédent. Je suis maintenant impatient de voir le troisième volet, The Ark : An Iron Sky Story, qui serait sorti en 2022, toujours avec Udo Kier et dont l'action se passerait essentiellement en Chine... Si ces aventures peuvent sembler rocambolesques, elles ne le sont hélas pas forcément plus que celles que s'invente l'espèce humaine, dans son absurdité criminelle et suicidaire.

vendredi 24 novembre 2023

Concert à cinq le 1er décembre avec Gwennaëlle Roulleau et...


À l'occasion de la seconde annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie l'article que j'avais écrit en mai 2022 pour l'album intitulé "Scénographie" enregistré avec l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le sax ténor Lionel Martin, le violoniste Mathias Lévy et la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski.



Un nouveau Pique-nique au labo, le premier de 2022, avec Gwennaëlle Roulleau, est en ligne, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. Comme pour la trentaine d'albums qui l'ont précédé sur le même principe, j'ai invité l'électroacousticienne au Studio GRRR à enregistrer toute une journée, librement, histoire d'apprendre à nous connaître. J'avais entendu Gwennaëlle une seule fois en concert, mais j'avais été particulièrement séduit par son geste instrumental et la spatialisation sonore qu'elle maîtrisait grâce à Usine, le logiciel d'Olivier Sens. Les concerts de lap-tops (ordis portables) m'ont toujours ennuyé lorsque le spectacle offre celui de presse-boutons autistes qui semblent ne pas avoir conscience de la présence du public.
Pour cette séance où nous enregistrons pour nous rencontrer, plutôt que le contraire qui est le lot commun de notre métier, j'ai proposé de nous inspirer de photos de films trouvées dans un hors-série des Cahiers du Cinéma de 1980 intitulé Scénographie. De la présélection de vingt-cinq, nous en avons choisi une huitaine au fur et à mesure de la journée. Aucune référence aux films de Kurosawa, Bresson, Garrel, Lumière, Cocteau, Dreyer, Méliès n'était recherchée. Partir simplement d'une image et se laisser aller à la rêverie musicale ! Dans la plupart des cas nous avons néanmoins conservé le titre des films en nous les réappropriant dans le cadre de nos compositions instantanées.


Il n'est pas si facile pour moi de jouer avec un ou une autre musicien/ne électronique, car souvent je m'y perds, ne sachant plus du tout qui fait quoi, les gestes n'étant pas aussi explicites qu'avec les instrumentistes classiques, surtout lorsqu'on est penché sur les siens. Après avoir écouté plusieurs fois le mixage, il m'arrive souvent de revenir vers les pistes séparées pour comprendre l'origine des sons. C'est ce que j'ai réalisé récemment avec Fictions, le vinyle en duo avec le saxophoniste Lionel Martin, à paraître prochainement sur le label Ouch!. J'avais oublié qu'il m'était arrivé de transformer en direct les sons de mon camarade de jeu. De quoi en perdre mon latin !
Ici Gwennaëlle produit essentiellement des sons électroniques et électroacoustiques, encore qu'elle ait trafiqué une caisse claire qu'elle est allée chercher dans mon capharnaüm pour un résultat étonnant. De mon côté je me sers de plusieurs échantillonneurs américains, de synthétiseurs russes (le Lyra-8 que Gwennaëlle m'emprunte d'ailleurs pour un morceau, l'Enner et le renversant Cosmos), de mon nouvel ARP 2600, d'un harmonica, d'une guimbarde excitée par un électro-aimant, de petits carillons et de la pédale Eventide H9Max.


Choisissant donc chacun/e à son tour, une image dans le corpus que j'avais rassemblé, nous avons ainsi enregistré La forteresse cachée, Au hasard Balthazar, Le révélateur, La Ciotat, Le sang d'un poète, Candélabres, Le mariage de Thomas Poirot... Certaines pièces sont graves, d'autres comiques, certaines sont suffocantes, d'autres respirent. Pour la couverture, j'ai conservé le verso de la revue illustré par Voyage en Italie de Rossellini en choisissant un jaune proche de celui de la collection historique des Cahiers du Cinéma, mais nous n'avons pas eu le temps de jouer à partir de cette image. Nous avions commencé à 10h, il était déjà 16h30, le moment de plier bagage. C'était le 12 mai dernier. Le temps de revenir de mon voyage à Rennes, je mixai aussitôt l'ensemble et le mis en ligne. Aucune production discographique n'offre cette réactivité qui m'enchante, car il se passe souvent un, deux ou trois ans entre un enregistrement et sa diffusion, alors que nous sommes bien loin, préoccupés par de nouvelles créations. Voilà, c'est tout frais, c'est même tout frais payé, puisque son accès est gratuit !

→ Jean-Jacques Birgé & Gwennaëlle Roulleau, Scénographie (également sur Bandcamp)
→ CD Pique-nique au labo 3 avec 20 autres invités, Disques GRRR, dist. Orkhêstra / Les Allumés du Jazz / Bandcamp

Article du 22 mai 2022

jeudi 23 novembre 2023

Les aventures glaçantes d'un sauna


J'ai la douloureuse impression de m'être fait arnaquer, et ce à plus d'un titre. Il y a sept ans j'ai acheté un sauna infrarouge extérieur à la société Atrium Concept. Or récemment un problème électrique a fait griller une partie de la centrale qui alimente les onze lampes, la lumière et l'auto-radio. La société en question, qui s'était bien gardée de préciser que la cabane de jardin était construite en Chine, a arrêté de commercialiser ses saunas pour se focaliser sur les pergolas. Elle m'assure n'avoir aucun contact avec son ancien fournisseur dont elle se dit incapable de me donner ses coordonnées. À l'époque de l'acquisition de mon Andromède 6, j'avais découvert le bol aux roses en recevant une lampe défectueuse depuis Hong Kong. Aucune marque ne figurait sur la cabane en kit, 500 kilos à monter soi-même. Depuis, j'ai profité quotidiennement de la douce chaleur et résolu ainsi partiellement mes problèmes vertébraux.
Hélas, il y a quelques jours, alors que j'étais allongé sur l'une des banquettes, j'ai entendu un krrrrrr inquiétant suivi d'une coupure de courant et d'une petite odeur de brûlé. J'ai eu du mal à trouver un réparateur, mais la société SMIPE m'a donné un rendez-vous rapide. Petit hic, le diagnostic est facturé 195€. J'aurais dû me méfier, surtout après avoir lu les commentaires sur le net, mais je n'avais pas vraiment le choix. Un pisciniste (!) a donc ouvert la centrale électrique, pris quelques photos et m'a assuré qu'il allait remédier à la panne en changeant les composants. Quelques jours plus tard, je recevais un mail m'expliquant que "suite à notre visite technique, nous sommes au regret de vous annoncer que les pièces de votre sauna ne sont plus disponibles. Après recherche nous avons pu trouver un matériel qui pourrait éventuellement correspondre. Nous pouvons tenter d'adapter ce matériel mais cela entraînera des modifications au niveau du sauna et son fonctionnement." Comme je demandai des précisions, on me répondit que "certains éléments du sauna ne seront peut-être pas adaptables tels que la lumière ou la musique. Il faudra aussi changer le panneau de commande qui n'a pas la même forme que l'ancien et laissera sûrement un trou apparent. Cette solution aurait un coût d'environ 2000 euros pièces et main d'œuvre comprises. Nous pouvons par ailleurs vous proposer un devis pour l'installation d'un nouveau sauna ce qui sera pour vous une solution peut-être plus avantageuse financièrement. Dans ce cadre, le prix des saunas varient entre 4000 et 6000 euros. Nous pouvons également nous débarrasser de l'ancien moyennant un supplément de main d'œuvre." Je demandais donc encore une fois des précisions, en particulier en quoi la seconde proposition était "peut-être plus avantageuse financièrement" (!), mais ne reçus plus aucune réponse.
Voilà où j'en suis. J'hésite à chercher un autre réparateur (mais y en a-t-il de réellement compétent ?), à détruire la baraque pour en remonter une autre (aïe, la douloureuse), à transformer le bâti en sauna traditionnel en acquérant simplement un poêle électrique avec des pierres qu'on arrose de temps en temps (peut-être pas si bête, mais où m'adresser ?) ou à transformer mon ancien sauna en abri de jardin ! En attendant je sue sur mon vélo d'appartement en sillonnant les paysages du Bhoutan ou du Costa Rica.

Fictions de Birgé & Martin dans Bad Alchemy


Aïe, il y a un trou béant dans ma birgéologie. Parce que Fictions (Ouch ! Records, V0001/20, LP) n'est pas sorti chez GRRR, mais chez un parent onomatopéique qui pince en tournant, Ouch !, soit LIONEL MARTIN. Son saxophone ténor, son looper et ses pédales d'effets s'accordent avec les claviers, Lyra-8, The Pipe, percussions, erhu, voix, guimbarde et flûte de JJB. Martin a gagné ses galons de Madsaxx à Lyon avec le trio Résistances, Ukandanz et le pianiste Mario Stanchev. C'est lui qui, après s'être régalé magiquement d’andouillette, de gratons et de purée patate-céleri rave-réglisse-sirop d'érable, a proposé de partir des phrases du livre de J.L. Borges, qu'il avait découvert grâce à "Perramus" d'Alberto Breccia & Juan Sasturain : 'Le jardin aux sentiers qui bifurquent', 'À l’espoir éperdu succéda comme il est naturel une dépression excessive' (extrait de 'La bibliothèque de Babel'), 'Nos coutumes sont saturées de hasard' (extrait de 'La loterie à Babylone') et 'Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum' (extrait de 'L'implacable mémoire'), où Ireneo Funes, au lieu d'avoir une mémoire plus courte que la plus courte des chemises de nuit (comme moi), en a une si monstrueuse qu'il pourrait se souvenir mot pour mot de l'intégralité d''Ulysse'. Birgé, qui aime optimiser la musique par la convivialité, l'amitié et la gastronomie, s'est à nouveau plongé, comme un somnambule, dans la poésie sonore du fantastique, constatant avec le recul : rien de comparable à ce que j'ai fait jusqu'à présent. Presque méditatif, même si c'est aussi riche et coloré que d'habitude, avec des différences de dynamique incroyables. Ce sont les seules différences qu'il admet, pas celles de l'âge, de la célébrité ou du style. Pour lui, jouer ensemble est un mode de conversation privilégié qui permet d'entrer modestement dans l'intimité de chacun. Et de redécouvrir ainsi les raisons profondes de chaque engagement, qui remontent, sans doute pour chacun, loin dans l'enfance. Ici, un cheval s'ébroue et hennit dans le jardin, Martin pique et meugle, Birgé fait de la dentelle au balafon. L’enjeu est ensuite celui du discret espoir que la révolte ne soit pas suivie chaque fois par une déception. Tous deux en rêvent, Martin l'évoque avec son bec d'oiseau de mer et son blues hymnique et timide, Birgé avec ses tremblantes baguettes. Est-ce par hasard qu'il joue de la guimbarde et de la trompette sur le ténor qui boue ? Et qu'est-ce que la compulsion du souvenir emporte si élégamment avec elle ? En vagues douces et amples, langage mutilé, grondant et pétillant d'écume, avec des coups de saxo ostinato, des sons de synthé fantomatiques, comme une vague stationnaire teintée des sons du saxo, heurtée parfois de manière sourde, certainement sans ‘ouch’ ni ‘grrr’, inexorablement captivant. [BA 122 Rigobert Dittmann, traduit de l'allemand tant bien que mal par JJB].

mercredi 22 novembre 2023

Le kaléidoscope de Jérôme Lefdup


Avec son exposition Chaînons manquants, le vidéaste Jérôme Lefdup joue sur le paradoxe temporel, quand l'avenir exhume le passé dans un présent plus fragile que jamais. Par la magie de la réalité augmentée, des œuvres créées il y a 20 ou 40 ans sont ranimées par une application gratuite pour smartphone, EyeJack, qu'il avait déjà utilisée pour la pochette du vinyle Addendum, réalisée avec son frère aîné Denis, compositeur et designer sonore. Parce qu'il n'y a pas un, mais deux Lefdup, parfois signant simplement Lefdup & Lefdup ! Cette fois c'est la fête du cadet qui présente une collection de petits tableaux augmentés et d’objets-vidéo où l'illusion du relief renvoie à la magie de l'enfance. En scannant le QR-Code placé sous chacun, les images s'animent, offrant une petite danse d'art naïf soulignée par une charmante musique répétitive et rythmique. Je pense à la phrase d'un spectateur ou d'une spectatrice relevée par Jean Cocteau, en 1917 au Chatelet, lors de la première de Parade créé avec Erik Satie, Léonide Massine et Pablo Picasso : "Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants". Ils adoreront Chaînons manquants, comme celles et ceux qui n'ont pas perdu l'innocence de savoir encore jouir du merveilleux.


Lors du vernissage lundi soir les amis étaient au rendez-vous. Je suis toujours heureux de croiser Martin Meissonnier qui me rappelle le petit Martin lorsqu'il était assistant à France Musique dans les années 70 alors qu'il est devenu un grand producteur et réalisateur. Plus loin j'aperçois Marc Caro dont les films rappellent nos premières lectures de bandes dessinées ou Bertrand Belin, venu en voisin, en discussion avec Denis dont les roues sont peintes telles un phénakistiscope, couleurs vives qui tranchent avec la grisaille urbaine. J'écoute Tambour Vision en tapant ces mots, Que dalle tout...


→ exposition Jérôme Lefdup, Chaînons manquants, jusqu'au 30 novembre 2023, tous les jours de 14 heures à 19 heures
→ projection d’une double compilation Lefdupienne le samedi 25 novembre à 20h30
→ décrochage le jeudi 30 novembre à partir de 18 heures
à la Guillotine / Les Pianos - 24 rue Robespierre à Montreuil, atelier au fond de l’allée dans un des anciens entrepôts des pianos Hanlet

mardi 21 novembre 2023

Concert à cinq le 1er décembre avec Lionel Martin et...



À l'occasion de l'annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie les trois articles que j'avais écrits en mai 2021 et 2022 pour l'album devenu vinyle intitulé "Fictions" que j'avais enregistré avec le saxophoniste Lionel Martin (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le violoniste Mathias Lévy, la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski et l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau.



Hier matin, Lionel Martin a proposé que nous tirions au hasard des phrases de Fictions de Jorge Luis Borgès comme thèmes de nos compositions instantanées. Je n'ai pas relu ce merveilleux recueil de nouvelles depuis 1975 alors que c'est le livre de chevet actuel du saxophoniste lyonnais. Et nous nous sommes lancés à l'assaut de ces phrases mystérieuses, lui au ténor, moi comme d'habitude en homme-orchestre. La musique c'est bien, c'est encore mieux lorsqu'elle s'accompagne de convivialité, d'amitié et de gastronomie. Le soir précédent, nous avons ainsi dégusté andouillettes et gratons remontés par Lionel, accompagnés d'une purée patate-céleri rave-réglisse-sirop d'érable que j'avais préparée et d'un Saint-Joseph dû aux bons soins de Christophe Charpenel qui nous a photographiés sous toutes les coutures...


Lionel utilise deux boucleurs et quelques pédales d'effets, son saxophone étant sonorisé par une cellule. Moins sobre, j'ai utilisé, en plus de mes claviers, mes deux synthétiseurs russes en même temps, la Lyra-8 et The Pipe, jumelé deux Tenori-on, transformé le son de la shahi-baaja avec l'H9 d'Eventide, et soufflé, gratté, frotté, frappé toutes sortes d'instruments acoustiques. N'utilisant pour une fois aucun micro sensible, nous avons pu jouer sans casque, baignant dans le son grâce aux deux paires d'enceintes qui nous encerclent. Les Fictions de Borgès nous ont évidemment fortement inspirés et j'ai hâte maintenant de passer au mixage des deux heures récoltées. [...]


Enregistré mardi, mixé le lendemain, livré aujourd'hui vendredi !
En plus, cet album de 88 minutes est gratuit, libre à vous de l'écouter ou d'en télécharger les 12 pièces magiques enregistrées en duo avec le saxophoniste lyonnais Lionel Martin. Il y a d'une part l'histoire, le documentaire, comment nous nous sommes retrouvés au Studio GRRR sans nous être jamais rencontrés auparavant, et d'autre part les Fictions inspirées par la lecture du recueil de nouvelles de Jorge Luis Borges, autrement dit, la musique...

Mon blog est devenu un lien social important pour un compositeur professionnellement confiné à l'année, aussi la situation critique n'a pas changé grand chose si ce ne sont les sollicitations extérieures qui se sont raréfiées. De nombreux musiciens et musiciennes m'écrivent pour que nous nous rencontrions, en particulier les plus jeunes dont j'ai chroniqué les travaux dans cette colonne. Et puis on passe voir le dinosaure comme on lisait les histoires de l'Oncle Paul. Jouer ensemble est un mode de conversation privilégié qui permet d'entrer dans l'intimité de chacune et chacun, pudiquement, contrairement à certains de mes billets extimes. Passer une journée conviviale à improviser, sans les pressions financières ou de notoriété que la profession a installées malgré nous, faisant fi des frontières de styles, de générations ou de chapelles, offre de retrouver les raisons profondes de notre engagement, remontant loin dans l'enfance, dans l'enfance de l'art. De mon côté j'aime aussi solliciter les créateurs et créatrices qui m'impressionnent. Jeune homme, je montais au charbon et j'eus la chance de rencontrer mes héros d'alors, Frank Zappa, Sun Ra, George Harrison, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal et bien d'autres que j'interrogeais avec des étoiles dans les yeux. On est toujours bien reçu lorsqu'on pose les bonnes questions. [...]

J'avais donc chroniqué les duos de Lionel Martin et Mario Stantchev autour du précurseur du ragtime et du jazz, Louis Moreau Gottschalk, le disque des Tenors Madness ou ses récents solos in situ et j'avais été surpris que cet étonnant saxophoniste ne soit pas plus connu de ses congénères. Peut-être était-ce le fruit trop mûr de la ségrégation parisienne ? De plus, Lionel Martin avait monté son propre label de disques, Ouch !, onomatopée piquante rappelant mon mordant GRRR. Intérêt mutuel pour la bande dessinée et les images en général. S'il fait partie des fans du vinyle et de ses grandes pochettes offrant aux graphistes plus de liberté, tel son dernier illustré magnifiquement par Robert Combas, il sait s'adapter à toutes les situations, comme celle qui nous réunit ici, lui et moi, mais vous aussi.


Montant de Lyon à Paris, il apporta quelques spécialités culinaires de sa région, accompagné par le photographe Christophe Charpenel qui le suit partout en vue de son prochain album. La veille, après le dîner, comme je leur faisais visiter la maison et le studio, et que je demandai à Lionel s'il avait un choix thématique pour nos improvisations, que je préfère toujours appeler compositions instantanées, il sortit son livre de chevet actuel, le livre de Borges dont la lecture lui avait été suggérée par celle de la bande dessinée Perramus d'Alberto Breccia et Juan Sasturain. J'allais aussitôt chercher mon exemplaire dans la bibliothèque où sont rangés les romans. De mon côté je dois à Jean-André Fieschi la découverte en 1975 de cet auteur majeur qui influença tant d'artistes bien au delà du cercle littéraire, même si ma préférence argentine va à L'invention de Morel de son ami Adolfo Bioy Casares. Ils écrivirent d'ailleurs ensemble Six problèmes pour Don Isidro Parodi en 1942 (deux ans avant Fictions), Chroniques de Bustos Domecq en 1967, et Nouveaux contes de Bustos Domecq en 1977.


Comme chaque fois, c'est à la réécoute que je découvre ce que nous avons enregistré. Lors de l'enregistrement j'agis en somnambule, même si je dois assurer la technique de la séance. Et comme chaque fois, la rencontre me fait faire des choses que je n'ai jamais faites. Il faut souligner que là aussi je me fais de nouveaux amis tant la complicité se révèle fructueuse. Lionel avait choisi de se concentrer sur le ténor, un Keilwerth. Il apportera probablement soprano et baryton la prochaine fois, puisque nous avons prévu de vivre de nouvelles agapes avec le percussionniste Benjamin Flament. Ma proximité avec Sidney Bechet (j'avais cinq ans) l'a marqué durablement au point de glisser quelques notes de Petite Fleur dans l'une des pièces ! Je suis surpris du calme olympien de cet ancien punk qui tisse et trame nos fictions en rêveur éveillé. De mon côté, je joue évidemment des claviers, mais il y a tout de même un morceau où je n'utilise que mes deux synthés russes plutôt noisy, un autre où j'associe mes deux Tenori-on, ailleurs le générateur d'impulsions pour guimbarde, et tout un tas d'instruments acoustiques plus ou moins transformés par l'électronique.


Les phrases tirées au hasard dans Fictions ont poussé la musique vers ce réalisme magique, poésie du fantastique propre à l'écrivain argentin. Pour la petite histoire j'ai choisi les phrases des index impairs et Lionel les pairs. Pour la pochette j'ai retrouvé une photographie de ce que sont les nuages éclairés par la lune qui me semble bien coller à la suite de nos frasques : Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, Le jardin aux sentiers qui bifurquent, La loterie est une part essentielle du réel, Nos coutumes sont saturées de hasard, Une autre inquiétude se répandait dans les bas quartiers, Dormir c’est se distraire du monde, Le dialogue ambigü de quelques inconnus sur un quai, Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum, La visuelle et la tactile, À l’espoir éperdu succéda comme il est naturel une dépression excessive, Le nord magnétique, soit 88 minutes qui se terminent par un court Prologue.

→ Jean-Jacques Birgé & Lionel Martin, Fictions, GRRR 3105, en écoute et téléchargement gratuits

Photos © Christophe Charpenel


Je viens de recevoir FICTIONS, notre nouveau disque enregistré en duo avec le saxophoniste lyonnais Lionel Martin. La pochette peinte par Ella & Pitr, tendrement grinçante et drôlement abrasive à l'image de nos labels respectifs (Ouch! et GRRR), est éclatante. C'est toute une histoire. Ou plusieurs, allez savoir ! Épinglés comme des papillons sous enveloppe transparente, mais debout, étendus, serions-nous à l'abri du temps ? On doit aussi le magnifique travail sérigraphique à Geoffrey Grangé (L’Apothicaire), avec son rabat magnétique. Le vinyle sortira officiellement le 3 juin, mais on peut dores et déjà le commander sur le site de Ouch! Records ou Bandcamp. Il faudrait même mieux, parce que l'objet va devenir très vite collector, d'autant que son tirage numéroté est limité à 300 exemplaires. Quant à la musique, elle m'enchante. Rien à voir avec tout ce que j'ai fait jusqu'ici. Quasi méditative, même si elle est aussi riche et colorée que d'habitude, avec des différences de dynamique incroyables, elle transporte littéralement ! On me demande donc comment cela s'est passé...

[...]

J’ai traduit la phrase latine que l’on retrouve sur les macarons du disque : « de sorte que rien de ce que nous entendons… / … ne peut être répété avec les mêmes mots. » Et j’ai demandé à Ella & Pitr de réaliser la sérigraphie de la pochette pour laquelle ils ont eu toute liberté. Plus un artiste est libre, plus il se sent à l’aise pour créer. Cela s’entend, cela se lit, cela se voit !

→ Jean-Jacques Birgé & Lionel Martin, Fictions, LP OUCH! V0001/20, 35€
→ Jean-Jacques Birgé, Double CD Pique-nique au labo avec 28 autres invités, Disques GRRR, dist. Orkhêstra / Les Allumés du Jazz / Bandcamp
→ Jean-Jacques Birgé, CD Pique-nique au labo 3 avec 20 nouveaux invités, Disques GRRR, dist. Orkêstra et Les Allumés du Jazz, également sur Bandcamp

Articles des 12 et 14 mai 2021, ainsi que 12 mai 2022

lundi 20 novembre 2023

2 nouvelles chroniques dans Bad Alchemy


Deux articles de Rigobert Dittmann, pour la revue allemande Bad Alchemy, traduits tant bien que mal par mes soins, sur les deux albums virtuels les plus récents produits sur le label GRRR, dans la collection des Pique-nique au labo, dont on peut espérer une trace dans le prochain volume 4 sous format CD.

Le 8.10.23, Listen To The Quiet Plattfisk (digital), le 35e album de la série "Pique-nique au labo", est paru, piloté par les cartes Oblique Strategies. 'Retrace tes pas', 'Listen to the quiet voice', 'Make a sudden, destructive unpredictable action ; Incorporate' et 'Don't be frightened of cliches' furent les tâches, toujours un peu énigmatiques, auxquelles se sont attelés de bonne grâce ISABEL SÖRLING, voix, electronics & guitare électrique, MAËLLE DESBROSSES, violon alto, contrebasse, arbalète & voix, et JEAN-JACQUES BIRGÉ, claviers, synthétiseur, flûte, guimbardes & percussions. En guise de récompense, l'hôte sert chaque fois des mets délicieux qu'il cuisine lui-même. Cette fois-ci, il s'agissait de filets de poisson arrosés d'un délicat bouillon dashi et accompagnés d'une purée de carottes, panais, pommes de terre, radis et oignons à l'ail noir, le tout accompagné d'un sorbet carotte-orange-safran ou d'une glace à la vanille. La Suédoise, qui vit à Paris, a chanté Moondog au Cabaret Contemporain sur le label Sub Rosa, on a pu l'entendre avec Bribes 4 sur Coax Records, elle a également chanté dans Deep River avec Paul Lay et avec Anne Paceo/Shamanes. Desbrosses, fille de pharmacien de Châlons-sur-Saône, est passée du classique moderne au libre arbitre, par exemple dans Metéore avec Fanny Meteier (que Birgé a cuisiné le 30.5.23) ou avec Ouroboros. Lorsque Sörling se met à fredonner au son de la flûte, de la guimbarde et de la basse grognante, et que Birgé infiltre les pistes sonores en boucle sur un tintement hyper rapide, on se retrouve rapidement au fin fond de contrées fantastiques, enchantées par le chant et la harpe surrénale. Cette folktronique imaginaire est incroyablement facile à appréhender pour les trois musiciens, comme si les recettes étaient dans l'air, comme si la présence de Birgé suggérait une telle rêverie. Ou est-ce dû à sa magie électro particulière, avec laquelle il échantillonne, double, amortit et fait dériver les sons en jouant avec le vent ? La destruction se poursuit comme une cryptophonie bruitée s’affranchissant du temps, avec la petite parade d'une fanfare fantôme et le chant rêveur du vocodeur sur un pizzicato bien sonore. D'autant plus discordant est l'éloge des clichés, orchestré par un fantôme, parcouru par un jeu de basses couvant, mais finalement à nouveau doucement replié sur lui-même et haché par une voix d'ordinateur. [BA 122 Rigobert Dittmann]

Pour Fǔtur (digital), l'arabe 'futrun' (champignon) est une racine étymologique du français 'potiron' (citrouille). En effet, le 1er novembre, nous avons dégusté des tranches de potiron croustillantes avec de la crème aigre, une salade de radis, carottes et betteraves rouges avec du vinaigre de mûre et de l'huile d’amandons de pruneaux, et en dessert des pommes au four avec du sirop d'érable, de la glace et des sorbets. Mmmmm. JJB a partagé cela avec OLIVIA SCEMAMA et BRUNO DUCRET, qui avaient respectivement apporté un ukulélé basse électrique et un violoncelle, Ducret s'étant également emparé de la guitare de Birgé, du Cosmic Bow et du cornet, jouant de la lira calabraise et émettant des sons gutturaux, tandis que l'hôte a ajouté à ses claviers un Enner et un Terra, un Tenori-on, une flûte, une trompette à anche, une guimbarde, un harmonica et des percussions. Scemama, avec Tribalism3 et Wonderbach sur Coax, avec Masked Pickle sur Relative Pitch, et Bruno, le fils de Marc Ducret & Hélène Labarrière, en tant que partenaire de Maëlle Desbrosses dans Ouroboros et Abats, se sont révélés de "sérieux rigolos" lorsqu'ils ont joué ensemble 'Le principe d'incohérence', 'Humanisez un sans faute', 'Essayez de faire semblant !', 'Célèbre ton erreur comme une intention cachée', 'Vers l'insignifiant' et 'Distorsion du temps', les ayant pincés, caressés, transformés en sonorités, tintements et bruits. À travers Oblique Strategies, le fil rouge est devenu, pour reprendre les mots de JJB, que nous devons comprendre errare humanum comme une glorification de l'acte de création, en refusant tout désir de perfection. Le temps est presque suspendu, les sens sont ouverts en rêveur éveillé à tout ce qui se présente sans contrainte sur des pattes d'insectes ou d'oiseaux, des pas de lutins, lyrisme de violoncelle et de guitare, ficelle de tambour de bouche, avec des bridages d'harmonica et des tapotements trollesques, des grattages, des grincements de ukulélé basse. Avec des samples d'une voix qui compte, d'une voix qui s’agite, des croassements et des cris de Ducret. Courge ? Champignon de Paris ? Dans cet étrange Dreamscape, d'autres 'champignons' semblent être en jeu. [BA 122 Rigobert Dittmann]

vendredi 17 novembre 2023

La preuve par Poudingue


C'est aujourd'hui que sort officiellement le vinyle
LA PREUVE par POUDINGUE
avec sa magnifique pochette due à Étienne Mineur
et les chansons de Nicolas Chedmail, Frédéric Mainçon et Jean-Jacques Birgé
distribué par The Pusher
Sites de vente :
Dizonord
Discogs
Écoute sur Bandcamp

La preuve est un disque d’arrière-garde. La plupart de ceux qui l’ont inspiré sont morts ou rangés des voitures. De vieux ados y écorchent leurs anciennes amours. Ils témoignent d’une époque révolue, mais joyeusement assumée, digérée, recrachée. Tout était encore possible. Ou bien enfin possible. Le psychédélisme ouvrait les portes de la perception. Le romantisme n’était pas relégué à un mièvre formatage, soit un fromage sans croûte. Entamé il y a une dizaine d’années, le groupe Poudingue a de beaux restes. Ce sont les miettes du purgatoire.



La preuve est dans le pudding est une expression de Friedrich Engels qui signifie que la valeur, la qualité ou la vérité de quelque chose doit être jugée sur la base d'une expérience directe ou de ses résultats. L'expression est une modification d'un ancien dicton qui rend le sens un peu plus clair : la preuve du pudding, c'est qu'on le mange.

Concert à cinq le 1er décembre avec Élise Dabrowski, Mathias Lévy et...


À l'occasion de l'annonce du concert du 1er décembre au Café de Paris (20h30-23h), 158 rue Oberkampf, je republie les deux articles que j'avais écrits en mai 2019 pour l'album intitulé "?" que j'avais enregistré avec le violoniste Mathias Lévy et la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski (en écoute libre sur Bandcamp), rencontre mémorable qui méritait que nous nous retrouvions un jour (une nuit) sur scène devant vous, avec également le sax ténor Lionel Martin et l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau.



[...] Tout a commencé hier matin. La contrebassiste et chanteuse Élise Dabrowski et le violoniste Mathias Lévy sont arrivés de bonne heure pour enregistrer un album en trio dans la journée. On papotait tellement que je me suis demandé si on aurait le temps de jouer. Et puis on a enchaîné 12 morceaux de plus de deux heures en tout, avant de se quitter en se promettant qu'il fallait qu'on se revoit bientôt. Ces séances que j'organise sont basées sur la passion de notre métier ou sur le métier que nous avons choisi et qui se confond avec notre passion. D'habitude les musiciens se rencontrent pour jouer, or depuis Urgent Meeting et Opération Blow Up en 1991-92 j'ai compris qu'il fallait que nous enregistrions ensemble pour nous rencontrer. Je fais en sorte que nous soyons le plus confortablement installés possible. Je prépare toujours le studio la veille, plaçant les micros, les casques, les espaces de chacun/e, mes propres instruments, le Mac Mini qui tient lieu d'enregistreur et le MacBook sur lequel je joue via mon nouveau clavier adapté aux applis de Native Instruments et aux plug-ins Eventide et GRM Tools, etc. Je prévois aussi de provisions de bouche lorsque je n'ai pas le temps de cuisiner. Il ne faut pas que j'oublie l'appareil-photo, car il est important de laisser une trace visuelle de notre aventure.
La journée de mardi s'est donc passée comme sur des roulettes. Nous étions ravis tant de la musique que de l'expérience, déconnectée des habitudes professionnelles et des nécessités alimentaires. La seule consigne était d'improviser le plus librement, sans aucun interdit ni préjugé. Cela signifie qu'il est autorisé de jouer en do majeur ou de tenir un rythme soutenu, ce que trop d'improvisateurs de free music s'interdisent, ce qui a le don de m'ennuyer plus que n'importe quoi. L'improvisation n'est pas un genre. C'est juste une manière de raccourcir le temps entre la composition et l'interprétation. Je rabâche, mais j'ai des lecteurs/trices qui prennent ce blog en route et qui ne sont pas coltinés [les 5500 articles que j'ai pondus depuis 18 ans] ! Nous nous sommes donc amusés comme des fous. Mathias Lévy a même joué du sax alto et du venova, c'est un soprano en ut en plastique, qu'il m'a empruntés, tout comme il a désossé mon archet de violon pour le glisser sous les cordes du sien. Élise Dabrowski a pioché dans les dictionnaires alignés derrière elle pour trouver les mots, découvrant l'analogique. J'ai reconnu du français, de l'anglais et de l'allemand. Les autres langues étaient peut-être inventées ? Nous n'avons rien réécouté le soir-même, préférant continuer à refaire le monde en nous interrogeant sur les absurdités de celui de la musique.
Mais le lendemain matin, c'est-à-dire hier, j'ai peaufiné le mixage des 139 minutes qu'on avait mises dans la boîte. Je fais peu de corrections. C'est aux musiciens de contrôler leur son en jouant, mais parfois quelques petits rééquilibrages s'imposent parce que nous jouons aux casques et qu'ils ne sont pas hermétiques. Le secret est de bien placer les micros. J'avais installé trois Shoeps (voix d'Élise, contrebasse, violon) et un Shure de proximité pour tous mes bidules. Mathias avait besoin d'un Neumann en plus pour se servir de temps en temps de son violon comme d'un cymbalum en frappant les cordes dans lesquelles il glisse des petits machins. J'ai nettoyé les deux ou trois pains dans le micro, soigné techniquement les débuts et les fins et masterisé l'ensemble. La nuit précédente j'avais déjà préparé la pochette un gros ? rouge suggéré par Élise comme j'avais proposé le titre Questions. Les thèmes des morceaux étaient donnés par le jeu des Oblique Strategies que j'utilise aussi en concert. Nous avons tiré les cartes à tour de rôle. En concert je demande au public de s'en charger ! Pour terminer j'ai répertorié l'instrumentation et le minutage pour chaque pièce, et j'ai francisé les titres en les rendant un peu plus sexy. L'album virtuel [est] en ligne, gratuit en écoute et téléchargement comme [98] autres dont on peut aussi profiter en aléatoire sur la radio qui en page d'accueil de drame.org !
[...] Terminer un album le lendemain de son enregistrement fait de moi le Lucky Luke de la production discographique. [...]


Voilà, comme promis, le nouvel album est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, et c'est le 77ème ! Questions regroupe 12 compositions instantanées enregistrées en trio avec Élise Dabrowski et Mathias Lévy. Élise joue de la contrebasse et elle chante sur presque tous les morceaux, idem au violon pour Mathias, sauf que sur C'est pour quand ? il m'a emprunté mon sax alto et mon venova, mais comme j'en profite pour l'harmoniser avec le H3000 son Ayler tourne au Kirk ! De mon côté j'enchaîne comme d'habitude quantité d'instruments que je choisis en fonction du récit à construire : claviers, synthétiseur, field recording, guimbardes, baudruche, flûtes, frein (c'est la contrebasse à tension variable construite par Bernard Vitet), radiophonie (plunderphoniocs pour les anglo-saxons), groowah et toulouhou (c'est le nom que leur donne Dan Moi), chimes, trompette à anche, Tenori-on, etc. Tirant à tour de rôle les cartes des Oblique Strategies inventées par Brian Eno et Peter Schmidt, nous avons imaginé Dans l’œuvre et hors d’œuvre, Dans quel ordre faites-vous les choses ?, À quoi pensez-vous juste à l’instant ?, Utilisez une couleur impossible, Essayez de faire semblant, Un bout seulement - pas tout, Avons-nous besoin de trous ?, Les mots nécessitent-ils de changer ?, Débarrassez-vous des ambiguïtés et convertissez-les en détails, Accumulation, Écoutez la voix douce...
Si le début peut sembler très free, progressivement se fait sentir l'influence des musiques populaires comme la pop, le jazz, le trad... En fin de séance les pièces s'allongent. Si nous pressions un CD, ce serait un double album avec ses 2h19. [...] Questions est en libre accès sous format mp3, mais [on le trouve] en AIFF sur Bandcamp. [Soixante-dix albums] du label GRRR y sont accessibles.
J'ai adoré l'ambiance de notre session. [...] Après les trois premiers morceaux nous avons fait une petite pause déjeuner. J'avais préparé des rillettes de saumon (je mixe le poisson cuit avec de la crème fraîche, du yaourt, du citron et des épices), des rillettes d'agneau de l'île d'Yeu au thym citron et du caviar d'aubergine aux grains de coriandre, accompagnés de gousses d'ail noir que je prépare moi-même [...] ! Mathias préférait le café tandis qu'Élise et moi avions opté pour un Tamaryokucha, un thé vert qui ne doit infuser que 40 secondes à 70°. Je pense que ce qu'on ingère influe aussi sur ce qu'on produit !

J'ai oublié de préciser que j'ai choisi ce point d'interrogation parce qu'il me rappelait à la fois le nez rouge de l'affiche de Yoyo (film de Pierre Étaix), le Taijitu (yin et yang sont dans un bateau, etc.) et le corps (pour parties ou dans le mouvement) !

Articles des 9 et 10 mai 2019