70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 15 janvier 2025

Rencontre avec John Cage


ATTENTION : les 2 vidéos se mettent en route toutes seules sans que je n'y puisse rien. Regarder l'une après l'autre ! A moins que vous ne préféreriez jouir d'un concept cagien qui m'échappe totalement !!

En mai 2006 [date de cet article], Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelait que j'avais écrit à propos de l'héritage d'Edgard Varèse "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait penser à Cage, surtout 4'33", ajoutait mon ami américain. [Depuis, je me suis rendu compte à quel point la pensée de John Cage influence tant d'artistes et de philosophes, alors que sa musique est beaucoup moins bien perçue.]

Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... Cage était un personne adorable, attentive et prévenante. Heures exquises. J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsqu'il y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... En 1982, le Drame avait joué une pièce sur les indications du compositeur. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! J'aime pourtant énormément les compositions de Goebbels.


Pour le film d'Antène 1, l'une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée en 1975. Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo Arijon. Sur la deuxième, il filme Francis... La séance se déroulait dans ma cave du 7 rue de l'Espérance. Nous enregistrions quotidiennement dans cette pièce dont l'escalier débouchait sur la cuisine de la petite maison en surface corrigée que je louais sur la Butte aux Cailles. C'est un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.


Bernard Vitet y joue d'un cor de poste, Francis Gorgé est à la guitare classique et au frein, une contrebasse à tension variable inventée par Bernard. Nous jouons tous des trompes qu'il a fabriquées avec des tuyaux en PVC et des entonnoirs ! Je programme mon ARP2600 et souffle dans une trompette à anche et une flûte basse, toutes deux conçues par Bernard.
Je me souviens encore de Merce Cunningham traversant au ralenti la scène où nous avions joué comme un grand et vieux bonzaï. J'aimais le synchronisme accidentel qui régnait entre la danse et la musique. Un jour où l'on demanda à Cage qu'elle était exactement sa relation avec le chorégraphe il répondit malicieusement : "je fais la cuisine et lui la vaisselle !".

mardi 14 janvier 2025

C’mon Tigre Instrumental Ensemble


Je reçois toutes sortes de disques me permettant d'alimenter mon blog solidaire et militant. Si certains font fausse route, leur banalité servant de repoussoir, il en est d'autres qui me surprennent. Il en est ainsi d'un drôle de groupe italien nommé C'Mon Tigre dont je n'arrive pas à savoir si c'est un duo comme l'annonce le feuillet qui accompagne le CD ou un ensemble plus important comme le montre leur site avec ses extraits de concerts filmés. Les musiciens sont anonymes, l'instrumentation énigmatique. Polyinstrumentistes, ils semblent utiliser néanmoins pas mal de samples. Comme beaucoup de musiciens actuels ils revendiquent de composer "une bande originale pour un film qui n'existe pas". Au travers de leurs maigres explications on a également le droit à la tarte à la crème de l'utilisation de l'intelligence artificielle, ce qui n'a rien de nouveau, mais qu'il est à la mode de revendiquer. Les titres de 23 pièces ne donnent aucune information sur les histoires qu'ils sont supposés raconter et les musiques, d'une très grande variété, ne sont pas particulièrement évocatrices d'images ou de récits cinématographiques. Et pourtant ! Pourtant cette version instrumentale de leur travail (sur leur site on constate l'importance des chansons), puisque le disque, leur septième, s'intitule Instrumental Ensemble - Soundtrack for imaginary Movie Vol 1, est d'une grande richesse de timbres, de styles et d'influences, sans que ce soit facilement identifiable ou étiquetable. En cela je reconnais des cousins vivant quelque part vers Bologne, un creuset d'inventeurs musicaux très libres, possédant à la fois un lyrisme romantique, un goût pour les rythmes envoûtants, prêts à arpenter toutes sortes de paysages sonores, aussi expérimentaux que référentiels. Leurs bases sont plutôt américaines, jazz ou rock, brésiliennes ou funky. En tous cas on part en voyage, incapables de prévoir l'ambiance d'un morceau sur le suivant. Mes recherches sur la Toile me suggèrent qu'il s'agit probablement de Mirko Cisilino et Marco Frattini, épaulés par Pasquale Mirra, Beppe Scardino, Lorenzo Caperchi, Valeria Sturba, Alessandro Trabace et Daniela Savoldi, mais je peux me tromper. Leur anonymat revendiqué indique avec certitude qu'ils mettent la musique en avant plutôt que leurs individualités.

→ C’mon Tigre, Instrumental Ensemble - Soundtrack for imaginary Movie Vol 1, CD/LP CMT, Dumbo/Open Event, dist. Believe, Modulor

lundi 13 janvier 2025

Rock Pop Underground


Mon cousin Michel Bouvet est un tout petit peu plus jeune que moi, mais je partage sa fascination pour l'époque psychédélique de notre adolescence. Peace & Love ! Tous deux figurons les artistes de la famille, moutons noirs tempérés par l'explosion de couleurs qui nous anime. J'ai la chance d'être devenu musicien tandis que Michel optait pour le graphisme, ses affiches contemporaines portant la trace vive de l'arc-en-ciel lysergique de nos émois d'éternels jeunes hommes.
Le nouveau livre qu'il a concocté et qui sort le 7 février s'intitule Rock Pop Underground. Pochettes d'albums, affiches de concerts, flyers, logos de groupes de musique, comics, livres, fanzines, photographies, soit plus de 1300 œuvres, réfléchissent les tendances, les révolutions et les contre-cultures qui ont marqué les décennies depuis les années 60. Les Français appelaient alors pop le rock américain alors que pour les Anglo-Saxons la pop était synonyme de variétés. Quant à l'underground nous y baignons tous les deux. J'ai d'ailleurs la chance d'occuper 7 pages de la formidable bande dessinée éponyme Underground d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, parue en français et en anglais !


En même temps que sort le livre Rock Pop Underground (384 pages, 17x23cm, impression nanographique Landa 7 couleurs, trilingue FR-EN-HU, Éditions du Limonaire), Michel Bouvet et Fanny Laffitte, commissaires de l'exposition présentée à Pécs en Hongrie, pas la porte à côté, en ont conçu une version monumentale, au format 70x100cm. Ensemble, ils avaient déjà signé Un manuel du graphiste.
Ce nouvel ouvrage est une belle occasion d'admirer les œuvres de Jorge Alderete (Mexique), Martin Andersen (UK), Jonathan Barnbrook (UK), Frank Bettencourt (USA), Big Active (UK), Chris Bigg (UK), Michel Bouvet (France), Anthony Burrill (UK), Peter Chadwick (UK) - Art Chantry (USA), Emek (USA), Laurent Fétis (France), Form (UK), Fury (France), Anita Gallego (France), Mono Grinbaum (Argentine), Igor Gurovich (Arménie), Jianping He (Allemagne), Gary Houston (USA), Melchior Imboden (Suisse), Pedro Inoue (Brésil), Dennis Larkins (USA), Alain Le Quernec (France), Yann Legendre (France), Lisa Lotito (USA), Alejandro Magallanes (Mexique), Mike Mcinnerney (UK), Stanley Mouse (USA), Vaughan Oliver (UK), Étienne Robial (France), Studio Boot (Pays-Bas), Stylorouge (UK), John Van Hamersveld (USA), Garth Walker (Afrique du Sud), Zip Design (UK)... On y trouve aussi des affiches politiques et sociales de la collection de Maurice Ronai, un entretien avec Philippe di Folco, une chronologie année par année jusqu'à nos jours... Ça part dans tous les sens, parce que rien n'arrête l'imagination des graphistes ! Alors on savoure le style de chacun/e en prenant son temps, comme avec le précédent Pop Music 1967-2017 Graphisme & musique qui était, quant à lui, axé sur près de 600 groupes et leurs pochettes de disques...

Rock Pop Underground, le pop-up store
Livres disponibles samedi 8 février, et du lundi 10 au jeudi 13 février 2025, de 14h à 19h, à la Galerie des Ateliers de Paris - 30 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris - Métro Bastille

vendredi 10 janvier 2025

Animal Opera + Tchak sur Jazz`Halo


Le multi-instrumentiste, concepteur sonore, réalisateur et omnivore musical français Jean-Jacques Birgé est de loin l'artiste qui plonge le plus loin et le plus profondément dans le « terrier du lapin » [comment traduire le « rabbit hole » ? Labyrinthe ? Monde étrange ?]. Son dernier enregistrement, « Animal Opera », n'en est qu'un aspect.
En 2006, Jean-Jacques Birgé a créé un « opéra » avec Antoine Schmitt. Une histoire impossible à résumer, celle d'une centaine (!) de « lapins » Nabaztag communicants et dotés d'une volonté « individuelle », dont deux versions sont reprises ici, « NABAZ'MOB des V2 » et « NABAZ'MOB des V1 ». Chacune délivre une musique ambient minimaliste avec des tonalités sombres et un climax apocalyptique pour la V2.
Il y a aussi 'L'Aube à Shimiyacu/Dawn at Shimiyacu', enregistré dans la forêt tropicale péruvienne selon les « liner notes ». Vingt-deux minutes d'enregistrements de terrain avec des sons de la nature et un minimum d'ajouts personnels [aucun ajout personnel, note de JJB]
Emballé dans un digipack rose vif et doublement dépliable (des lapins à foison sur la couverture) avec un livret de douze pages dans lequel Birgé explique son univers et ses méthodes de travail.
Nous mentionnons également ici 'Tchak' (Klanggalerie) avec des enregistrements de 1998-2000 réalisés par Birgé en compagnie du trompettiste Bernard Vitet. Ce dernier faisait également partie de l'imposant Un Drame Musical Instantané. D'autres « usual suspects » sont également présents.
En 2024 le CD sonne contemporain et surtout inclassable. Une « zone crépusculaire » contenant des rythmes de danse baroques à la Devo, les bleeps et effets les plus bizarres, de l'ambient imprégnée d'atmosphères orientales, des morceaux de transe répétitifs, du trip-hop loungy et de l'électro-jazz trash. S'agit-il de jazz, de rock, d'avant-garde, de pop ou d'un sous-genre alternatif ? C'est tout cela et bien plus encore. Un programme dérangeant à tous points de vue, avec l'attitude des Monty Python et de Jimi Tenor, mais aussi celle de Telex et du duo Suicide.
2025 marque le 50e anniversaire du label de Jean-Jacques Birgé. Curieux de voir ce qu'il nous réserve à cette occasion. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le catalogue de GRRR est à découvrir en priorité.

Georges Tonla Briquet sur Jazz`Halo, traduit du néerlandais

BANDCAMP Animal Opera
GRRR Records
Tchak
Jazz’halo récent Jean-Jacques Birgé – Pique-Nique Au Labo
Jazz’halo récent Jean-Jacques Birgé – Pique-Nique Au Labo 3

Court-circuit, en duo avec Ravi Shardja


Court-circuit, [...] album enregistré au Studio GRRR, est un duo improvisé avec Ravi Shardja, pseudo de Xavier Roux. Écoute et téléchargement gratuits. [...] Ravi avait apporté sa mandoline électrique et un mélodica. La musique du groupe Gol, dont il fait partie, me ramène aux premières années d'Un Drame Musical Instantané, bricolage inventif un peu destroy. En enregistrant je pense au jeu du roman de Cocteau, Les enfants terribles, dont Jean-Pierre Melville tourna l'adaptation. À la fois tendre et cruel. La photo de la pochette prise au garage me soufflera le titre des cinq morceaux : Monocycle, Deux roues, Sur trois pattes, Déviation, Ex Aequo. La progression est évidente. Si ce 20 avril 2012 est électrique j'ai l'impression d'entendre deux écureuils galopant imperturbablement chacun dans sa roue motrice. Et ça roule !

Extrait d'un article du 23 octobre 2012
Treize ans plus tard, jeudi 16 Janvier 2025 à 18h30 au Souffle Continu à Paris, show-case de Ravi Shardja pour la sortie de Quatre soliloques sur le label L’Eau des fleurs.

jeudi 9 janvier 2025

Le chaînon manquant


C'est une histoire que j'aime bien rappeler, même si vous la connaissez probablement déjà. Il y a très longtemps j'ai entendu Yves Coppens la raconter à la radio. Avec son ami Jean-Jacques Petter, directeur du zoo de Vincennes, le paléoanthropologue avait eu l'idée de tester l'intelligence d'un chimpanzé. À l'époque ils ne disposaient ni de caméra de surveillance ni d'autre moyen sophistiqué que de surveiller l'animal par un trou de serrure. Dans une salle du Museum d’Histoire Naturelle ils pendent donc un régime de bananes au plafond et disposent une table et une chaise à l'autre bout de la pièce. Le singe serait-il capable de se servir de ces outils ? Déplacerait-il les meubles et les empilerait-il pour atteindre le fruit convoité ? Les deux savants attendent patiemment derrière la porte. Pas un bruit ne se fait entendre. Plus étrange, Coppens collant son œil pour voir ce qui se passe ne voit absolument rien alors qu'il fait jour et que les fenêtres n'ont pas de volets. Ils ouvrent la porte pour vérifier que la serrure n'est pas bouchée. Non, tout est normal. Le chimpanzé est tranquille dans son coin. Ils referment la porte et Petter s'y colle à son tour. Et là, il voit. Devinez quoi ? L'œil du chimpanzé ! Les deux amis ont terminé la journée dans la plus grande euphorie. Coppens a décroché les bananes pour les offrir à leur sujet d'expérience, habitué qu'on le serve. J'adore cette histoire qui me rappelle la découverte du chaînon manquant entre le singe et l'homme : c'est nous, tout simplement...

Illustration : détail du tableau de Rémy Cogghe, Madame reçoit (1908) exposé à La Piscine, Roubaix.

Article du 8 janvier 2013

mercredi 8 janvier 2025

Georgette Dee, "plus grande diseuse vivante allemande"


Mes copines, évidemment germanophones, étaient étonnées que je ne connaisse pas Georgette Dee. Il est certain qu'adorant les voix graves de certaines chanteuses allemandes telles Marlene Dietrich, Zarah Leander ou Ute Lemper, j'aurais probablement dû ! Je me souviens qu'en discutant avec Hanna Schygulla, qui avait accepté le rôle principal du long métrage L'astre qu'en 1996 je n'ai pas réussi à tourner, j'étais liquéfié par l'envoûtant velouté de sa voix, un peu comme en France celle de Delphine Seyrig. J'ai conservé précieusement les interviews en français de Marlene où elle évoque le violon qui lui a fait mal ou ses magiques apparitions sur scène sous le feu des projecteurs. Voix encore plus grave, la suédoise Zarah Leander ne jouit pas du même prestige pour avoir été la "chanteuse préférée du Führer", même si elle n'a jamais adhéré au parti nazi. De la génération suivante, Ingrid Caven, Georgette Dee ou Ute Lemper perpétuent un répertoire de cabaret berlinois.


Icône gay comme Zarah Leander, Georgette Dee serait probablement un iel aujourd'hui, son site se référant à un homme alors qu'elle incarne une femme. Pour son répertoire composé de classiques (Brecht-Weill, Heine-Schumann, Porter, etc.) et de nouveautés qu'iel aime agrémenter de petites histoires drôles et provocantes iel chante en allemand et en anglais. À Paris iel était passée à Chaillot et à l'Odéon. Pour Myschtisch..., enregistré en public en 1994, Georgette Dee est accompagnée par Terry Truck qu'iel a rencontré à Londres en 1981 et avec qui iel se produira pendant trente ans, bouteille de Bordeaux et cigarettes incluses. Iel jouera au théâtre plus qu'au cinéma, poursuivant la tradition que Marlene Dietrich a popularisé dans le monde entier, femme fatale succombant à sa fatalité.

mardi 7 janvier 2025

Les couleurs du prisme, la mécanique du temps


Après le remarquable ouvrage de Daniel Caux, Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps, réunissant ses écrits, [dans mon article du 20 décembre 2012, je chroniquais] le film de Jacqueline Caux dont il fut à l'origine et qu'elle [réalisa], quatre après la mort de son mari, autour de l'école minimaliste américaine. John Cage et Daniel Caux en sont les narrateurs, grâce à des archives exceptionnelles. On retrouve donc les prestations de La Monte Young, Pauline Oliveros, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, Meredith Monk, Gavin Bryars et Richie Hawtin alias Plastikman, avec qui elle s'entretient tout au long de ce long métrage qui paraît enfin en DVD. Si le tournage récent de séances de répétition recèle maint trésor qui étonnera les plus blasés, on se serait bien passé des sempiternels plans de rues de New York (déconnectés du sujet) pour accompagner les passages de musique seule. Comme si les images manquaient de cette période, images fixes, documents, ou n'importe quoi d'autre que les tartes à la crème paysagères. Les musiques des uns et des autres auraient pu susciter quelques allégories ou synonymes plus suggestifs, mais c'est un détail. Alors que je reste hermétique au néo-clacissisme de Bryars, le passage de Cage aux répétitifs, puis de ces minimalistes ou du Miles Davis électrique à la techno devient transparent. Les couleurs du prisme, la mécanique du temps est accompagné d'un passionnant témoignage de Daniel Caux qui, autour de sa discothèque, se souvient de son parcours de découvreur... DVD trouvé encore une fois au Souffle Continu.

lundi 6 janvier 2025

Ella & Pitr Klaxonnés


Ella & Pitr ont choisi l'indépendance pour rester libres d'inventer des histoires à dormir debout qu'ils mettent en images sur les murs des villes ou par terre, des cimaises de musées ou des toiles de tableaux, des T-shirts ou des plaquettes de chocolat, des briquets ou des savons, et même des livres. J'ai la chance d'en posséder toute une collection, y compris un ange encollé qui tombe dans mon escalier, un support de bicyclettes, une fresque à dix mètres au-dessus de ma porte d'entrée et la pochette du vinyle Fictions avec Lionel Martin. Toute surface ou volume est bon/ne à prendre si cela leur permet d'inventer quelque chose, une anamorphose, un flip-book ou un spectacle entier comme Fermez les yeux vous y verrez plus clair qu'ils ont créé à la Comédie de Saint-Étienne et avec lequel ils partiront en tournée à partir de ce printemps, une féérie graphique un poil (de pinceau) circassienne qui ne ressemble à rien d'autre.


Le duo d'artistes plasticiens fait preuve d'un humour poétique et d'une tendresse œcuménique qui rend leurs œuvres particulièrement attachantes. Ils n'ont pas encore mis de détachant sur le marché, mais leurs éponges sous blister effacent déjà la mémoire. Où en étais-je ? Ah oui. L'indépendance. J'ai commencé comme cela. L'indépendance permet de faire ce qui leur plaît et d'en vivre, mais elle restreint fatalement leur rayon d'action. Lorsque Gallimard publie leur rétrospectif Comme des fourmis on peut le trouver pratiquement partout, mais lorsqu'ils choisissent d'éditer leurs derniers livres à compte d'auteurs, en en soignant chaque détail, de la mise en pages à la fabrication, il faut passer par leur site Superbalais. C'est par exemple le cas pour le tout nouveau, tout chaud, Klaxonnés (même si ce sont des rapides !). Ce volume de 320 pages format A4 pesant pas moins de 1,657kg revient sur les derniers dix ans de créations plus dingues les unes que les autres. Toitures géantes, murs édifiants, anamorphoses incroyables, collages et dessins sont cette fois accompagnés de textes de Jonathan Roze, Sabine Bledniak, Emile Parlefort, Camille Boitel, Jeanne Vimal, David Demougeot... Ella & Pitr aiment les objets dérivés, mais pour eux tous leurs objets sont dérivés, qu'ils collent dans la rue, peignent le toit d'un building ou un barrage toute hauteur, une toile pour la galerie ou leurs petits cahiers dans lesquels ils n'arrêtent jamais de griffonner, ils dérivent comme un bateau en papier dans le ruisseau de mon enfance. Devenus hyperréalistes, leurs Plis et replis donnent envie de s'y emmitoufler comme dans la robe de chambre en laine des Pyrénées de ma grand-mère.


Leurs images, minimalistes, provocatrices, généreuses, font rêver. Elles leur permettent d'abord à eux de s'évader. S'évader des clichés et des tiroirs bien rangés dans lesquels on serait tenté de les enfermer. Il y a toujours un avant et un après, comme une case de bande dessinée, un tableau pris sur le vif, un instantané figé dans le temps. Où que j'ouvre par exemple Klaxonnés je tombe sur une question que leur imagination a concrétisée sous la forme d'une bribe. À chacun ensuite de se faire son cinéma. Que l'on préfère l'abstraction ou la figuration, le conceptuel ou le réalisme, on tombe facilement sous le charme de ces créations graphiques à quatre mains où le vertige et la farce sont les maîtres du jeu.

vendredi 3 janvier 2025

The Archetypal Syndicate


Voilà plusieurs décennies qu'aucun courant majeur n'est apparu en musique. Rien depuis le reggae, le rap ou l'électro qui se déclinent à toutes les sauces sans décliner pour autant. Entendre que les majors de l'industrie du disque ne se donnent plus les moyens de piller les niches inventives. Les avant-gardes sont un concept dépassé puisqu'il n'y a plus d'arrière-garde. Et pourtant, oui pourtant, sortent chaque mois de fantastiques galettes d'une rare vitalité, mais comme les marchands ne lui ont pas trouvé de nom, elles restent dans les marges. Ces musiques hybrides sont le fruit d'affranchis qui jouent à saute-frontières, picorant ici et là des danses traditionnelles et des envolées psychédéliques, des improvisations jazzy et des tourneries rock 'n roll en les accommodant à leur sauce, souvent influencés par les minimalistes qu'on appelait auparavant répétitifs, et distordant avec espièglerie la ligne claire.
The Archetypal Syndicate est de ceux-là. Si le timbre de l'orchestre est homogène comme dans un groupe de rock, il est néanmoins le fruit d'individualités comme dans un groupe de jazz. Quant à leur inspiration elle va se nicher dans les musiques traditionnelles qu'on appelle parfois "du monde" pour rappeler leur popularité (pop !). L'instrumentation du trio formé par Paul Wacrenier (gumbri, likembe, mbira), Karsten Hochapfel (guitare électrique, guitare portugaise, banjo, violoncelle) et Sven Clerx (batterie, percussions, shruti box) suit le contour des continents africain, américain, asiatique et européen. Ces derviches tourneurs de ce premier quart de siècle (oui déjà) jouent sur la transe. Plus on est de fous plus on rit. Pour ce deuxième album ils ont invité la violoniste Sarah Colomb, le guitariste Richard Comte, le violoniste Clément Janinet, la guitariste électrique Tatiana Paris, le sax ténor Julien Pontvianne. La musique du Syndicat ressemble à un gamelan sur lequel auraient déteint tous ces instruments, le fest noz d'un autre hémisphère, un boléro ravélien passé au tamis du rock...

→ The Archetypal Syndicate, Happy Transmutation, CD Nunc, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

jeudi 2 janvier 2025

Comment analysez-vous cette image ?


Ça fait froid dans le dos. Profil sur X : https://x.com/BrunoRetailleau

Bonbon Flamme


Le quartet réuni par Valentin Ceccaldi porte bien son nom. Bonbon Flamme est une friandise qui vous réchauffe. Les marchands finiront bien par coller un nom à ces musiques inventives qui possèdent la liberté du jazz, l'énergie du rock, les expérimentations de la musique contemporaine et les mélodies de la pop. Possédés, ils le sont. Valentin Ceccaldi au violoncelle, le guitariste Luís Lopes, le pianiste Fulco Ottervanger (ici sur un piano droit et des synthétiseurs) et le batteur Étienne Ziemniak créent des climats envoûtants aux accents dansants. Ceccaldi, rentré du Mexique, s'en inspire largement, entre les saveurs gustatives relevées et les facétieux petits squelettes, manière de prendre du recul avec la mort comme avec la vie en les peignant de couleurs éclatantes. Tout cela sérieusement avec humour, un ragtime de Scott Joplin se déclenchant au milieu du disque, sorte de boîte à musique, de musique en boîte, de boîte ou de musique, se déglinguant méchamment comme si les automates revendiquaient leur autonomie en glissant vers le free jazz.


Sous l'écorce, la sève révèle sa tendresse. Sucrée comme celle de l'érable. Salée comme les notes qu'il faudra tout de même honorer. Acide comme le citron sur un buvard. Combien faut-il de shots de tequila (chupitos) pour faire exploser (boom boom) les crânes squelettiques (calaveras) ?

→ Bonbon Flamme, Calaveras Y Boom Boom Chupitos, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 31 janvier 2025 (concert le 7 février à la Dynamo de Pantin)

mercredi 1 janvier 2025

2025 = 50e anniversaire des disques GRRR


Si la nouvelle année s'annonce belle pour certain/e/s, elle ne le sera pas pour tout le monde, ce monde qui part à vau-l'eau et qu'il faut sans cesse rappeler à l'ordre ou au désordre pour être au rendez-vous l'an prochain à la même date. On peut toujours faire semblant, mettre des petits chapeaux pour étouffer les cerveaux, lancer des confetti comme de la poudre aux yeux, faire sauter les bouchons de champagne ou simplement se mettre à genoux, nous savons hélas qu'on meurt à l'autre bout de la planète ou même en bas de chez soi. Si ce n'était qu'une réalité biologique nous pourrions la fêter à la mexicaine, mais elle s'accompagne d'horreurs comme seule l'humanité sait en fabriquer. Je pourrais vous parler de la Palestine, qu'un génocide s'y perpétue sans que nos gouvernements n'y fassent rien, de quoi faire retourner mes ancêtres dans leurs tombes si on savait seulement où les monstres les ont creusées. Vous pourriez me citer tous les endroits de la planète où l'on crève de faim, où il est interdit de parler, et même de penser sans risquer la peine capitale, parce qu'on est une femme, ou simplement différent. Les idées les plus rétrogrades gagnent partout du terrain, chez nous comme ailleurs.
Et pourtant, pourtant cela ne m'empêche pas d'espérer la relève, le sursaut salvateur, le retour vers la solidarité, pas seulement entre humains, mais aussi vis à vis des autres espèces que nous détruisons méthodiquement. Que revienne le doute dans notre société pétrie de bons sentiments, mais qui refuse de voir les effets de bord !
Après ces propos rabat-joie qu'il me semble répéter chaque année, je vous souhaite que celle-ci soit la meilleure possible, rappelant tout de même qu'aujourd'hui nous dansons sur un volcan. Tant de temps s'est écoulé depuis que nous souhaitons la bonne année. 2025 marquera pour moi le 50e anniversaire des disques GRRR. Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, l'album qui inaugura le label, est devenu culte. Plus d'une centaine ont suivi. J'avais 22 ans. Je rêvais de paix et d'amour. Fallait-il que nous soyons naïfs ! Pourtant j'en ai cueilli à pleins bouquets. De l'amour plus que de la paix. Les deux sont-ils compatibles ? Je n'ai d'yeux que pour la dialectique. Dans le marasme traversé j'ai eu la chance de vous avoir, vous mes ami/e/s, vous mes amours. Sans vous je ne pourrais pas vous souhaiter mes meilleurs vœux malgré les pensées noires qui m'accablent, je ne pourrais rêver en couleurs, imaginer de nouvelles utopies, construire des châteaux en Espagne, faire sonner le monde comme un feu d'artifices de musiques plus dingues les unes que les autres, partager ces tranches de vie joyeuses dont la solidarité est la clef. Ô que je vous aime et vous aimerai jusqu'à mon dernier souffle !

Logo GRRR dessiné par Raymond Sarti en 1991.

mardi 31 décembre 2024

Les films du dimanche soir


De temps en temps, plutôt que de tenter de découvrir de nouvelles perles rares, je reviens vers des films qui m'ont marqué et que je pourrais affubler du terme de chef d'œuvre. Ils ne le méritent pas tous, mais ils correspondent bien à ce que nous appelons les films du dimanche soir (cela marche aussi pour les réveillons sous la couette !). Ce sont parfois des films passés un peu inaperçus à leur sortie, parfois leur succès n'a pas duré, parfois ce sont des tubes. Ainsi récemment j'ai sorti de mon chapeau les formidables Eo de Jerzy Skolimowski (2022) et White God de Kornél Mundruczó (2014), les films d'animation Watership Down (La colline aux lapins) de Noam Murro (2018), Ruben Brandt, collector de Milorad Krstić (2018) et Paprika de Satoshi Kon (2006), les documentaires expérimentaux The Savage Eye de Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick (1960) et La Route parallèle de Ferdinand Khittl (1962), Falbalas et Le trou de Jacques Becker (1945,1960), Colonel Blimp et I Know Where I'm Going de Michael Powell... Mais aussi Trois enterrements (The Three Burials of Melquiades Estrada) de Tommy Lee Jones (2005), 7 Women de John Ford (1966) et Convoi de femmes (Westward the Women) de William A. Wellman (1951), Le petit fugitif de Morris Engel et Ruth Orkin (1953) et Tamara Drewe de Stephan Frears (2010), Le chant du loup d'Antonin Baudry (2019) et Diamant noir de Arthur Harari (2015), To Kill a Mocking Bird de Robert Mulligan (1962), Ball of Fire et The Big Sleep de Howard Hawkes (1941, 1946), Tout ça pour ça de Claude Lelouch (1993) et Un singe en hiver de Henri Verneuil (1962), je ne suis pas sectaire, Nurse Betty et Fausses Apparences (The Shape of Things) de Neil LaBute (2000, 2003), Strange Days de Kathryn Bigelow (1995) et Les Fils de l'homme (Children of Men) d'Alfonso Cuarón (2006), et même les miens The Sniper, Idir et Johnny Clegg a capella et La nuit du phoque, ou un coup d'œil en arrière vers les séries Six Feet Under, BrainDead, Utopia, Happy!, Downton Abbey, The Americans... J'indique quelques liens vers des articles que j'ai écrits sur ces films lorsque c'est le cas... J'en oublie forcément, mais ce n'est pas non plus la liste de l'île déserte, il ne faut pas tout confondre.

lundi 30 décembre 2024

Torticolis


Devant déplacer des poids lourds j'ai protégé mon dos en oubliant mon cou. Voilà donc une semaine que je suis terrassé par un torticolis aigu dont la douleur est permanente. Cela ne remonte pas à hier puisqu'en 1532 Rabelais l'écrivait déjà tortycolly ! Après être allé chercher une minerve en haut du placard j'ai pris mon mal en patience, le tramadol-paracétamol ne faisant étonnamment que peu d'effet, tout comme le massage à la gaulthérie couchée. J'ai tout essayé, le tube de Ketum et le bâton de moxa. Cela fait si mal, et sans interruption, que j'ai l'impression de vivre derrière un rideau de fumée, un filtre que tout, absolument tout, traverse, ouaté. Ma vue et mon ouïe s'en trouvent affectées. J'entends moins bien, comme éloigné de la réalité. Il m'est indispensable de me concentrer pour oublier la douleur lancinante, effort paradoxal puisque j'ai un mal fou à me concentrer sur quoi que ce soit. J'y pense et puis j'oublie, mais j'y pense beaucoup plus que je n'oublie. Il est étrange que la douleur aiguë à droite ait changé de côté pour devenir sourde à gauche. Je me fais l'effet d'un échassier, le cou raide, mon mètre de couturière s'étant métamorphosé en mètre pliant. La minerve me tient droit, mais je dois l'ôter la nuit où le moindre mouvement est particulièrement pénible. Étrange symptôme, la douleur se déplace de jour en jour, d'abord aiguë à droite elle a migré sourde à gauche, avant de produire de terribles crampes dans le cou. Mais elle ne passe pas. Je garde un calme olympien en attendant un rendez-vous osthéopathique, espérant qu'étudier la douleur l'apprivoise jusqu'à la faire disparaître, comme j'ai appris à le faire à vingt ans en lisant Bras cassé de Henri Michaux.

samedi 28 décembre 2024

La fin de Facebook ?


J'ignore si le réseau social est complice ou victime de sa récente dérive. Mon mur, probablement le votre, est depuis quelques semaines vampirisé par des annonces encyclopédiques qui noient les communications de mes "amis". Je bloque à tour de bras, mais deux mains n'y suffisent pas. Ce pourrait être de la publicité, mais ce sont des infos se voulant tantôt sensationnelles, tantôt informatives, plus ou moins en relation avec mes centres d'intérêt, sauf que je n'en ai rien à faire, me servant de Facebook essentiellement professionnellement. J'y recopie certes mon blog, drame.org/blog, mais ce n'est même pas son miroir qui se trouve dans les faits sur Mediapart.
Dans un premier temps je vais continuer à l'y afficher, en vous suggérant de me lire sur mon site comme le font de nombreux amis (sans guillemets cette fois) ou sur Mediapart (où je pense rassembler plus de lecteurs et lectrices). Dans les deux cas c'est toujours gratuit, sans avoir besoin de s'abonner. Plus tard je prévois de quitter FaceBook, voire Instagram (où je place aussi une autre copie de mes articles), le temps que vous changiez vos habitudes. Si, comme moi, vous êtes gavés par la dérive de FB, vous serez soulagés par cette mutation. Drame.org et Mediapart ont de plus l'immense avantage de proposer des hyperliens et de placer les illustrations aux bons endroits à l'intérieur du texte.
J'ignore quel moyen de communication vous choisirez pour nous tenir informés à votre tour, mais je ne vois plus vos informations sur mon mur, totalement noyées par ce flux gigantesque, probablement généré robotiquement. A moins que FaceBook réagisse en filtrant tout ce que nous n'avons pas demandé à voir, mais c'est de pire en pire.
Instagram ne vaut guère mieux, les stories sont éphémères, les mails sont également perdus parmi la pub et les spams. LE SYSTÈME S'ÉTOUFFE DE LUI-MÊME. C'était prévisible si l'on connaît les lois de l'entropie. Sans bouleversement les jours de Facebook sont comptés. Que pouvons-nous inventer pour nous y retrouver ?

vendredi 27 décembre 2024

La cinéphilie de Carlotta


J'ai mauvaise conscience lorsque s'accumulent les DVD ou Blu-Ray sans que j'ai le temps de les chroniquer. J'y arrive heureusement de temps en temps, mais je m'interdis généralement d'évoquer un coffret sans en avoir vu l'intégralité, bonus inclus, valeur ajoutée précieuse lorsqu'on s'intéresse vraiment au cinéma. Or un éditeur comme Carlotta (référence au film Vertigo d'Hitchcock) réalise un travail fabuleux et colossal pour un cinéphile. L'année ne dépassant que rarement 365 jours et les projections occupant essentiellement mes soirs, lorsque je ne travaille pas, ne sors pas au spectacle ou pour voir des amis, je suis coincé. J'écris cet article un peu paresseux alors que je combats un torticolis aigu en espérant arriver à me concentrer ! Je regarde évidemment beaucoup d'autres choses, anciennes ou récentes, films ou séries... Je n'ai pas le même problème avec les disques que j'écoute en journée et qui me prennent tout de même beaucoup moins de temps.
J'ai rassemblé six coffrets de grand intérêt, il y en a d'autres, alors que je n'ai fait que les effleurer. J'ai pourtant vu tous les films de Jean Eustache ou de Pier Paolo Pasolini dans le passé, mais il me serait indispensable de les revoir pour en parler avec un point de vue personnel qui a probablement évolué avec le temps. À signaler que tous ces films ont été superbement remasterisés. Le coffret Eustache est accompagné d'un livre de 160 pages, et tous les longs métrages et trois courts sont enrichis de 2 heures 30 d'archives télévisées et radiophoniques exclusives... [Correction : j'avais oublié que j'avais déjà chroniqué ce coffret ! Aïe aïe aïe, ça commence mal]...
Celui de Pasolini offre neuf films de 1961 à 1969 avec six heures de suppléments dont l'incontournable Cinéastes de notre Temps "Pasolini l'enragé" réalisé par Jean-André Fieschi (version longue de 98 minutes) ; y figurent mes préférés, La Ricotta et Des oiseaux petits et grands (Uccellacci e uccellini), mais je regrette l'absence de ses courts métrages de l'époque (comme La Terre vue de la Lune et Che cosa sono le nuvole ?) que j'adore tout autant, probablement grâce à la présence de Toto et Ninetto Davoli.
Le récent coffret consacré à Otar Iosseliani est carrément une intégrale en 9 Blu-Ray, soit plus d'une vingtaine de courts et longs métrages, documentaires et fictions, avec un livret de 220 pages. Il y a une poésie unique chez Iosseliani, une poésie d'anthropologue, la comédie agissant comme un antidote à l'absurdité de l'humanité.
Je suis moins sensible aux coffrets de Stanley Kwan et Shin'ya Tsukamoto, même s'ils m'intéressent également. Celui de Kwan présente quatre films dont une version Director'cut de 155 minutes de Center Stage et un documentaire sur le cinéma chinois axé sur le genre et la sexualité par Kwan lui-même. Romantisme hong-kongais et corrosivité nippone ! Le coffret de Tsukamoto propose huit longs métrages, deux moyens métrages et un livret de 80 pages toujours aussi soigné. Les suppléments débordent de l'un comme de l'autre. Je me demande parfois si je ne devrais pas essentiellement évoquer les bonus qu'on ne trouve évidemment pas ailleurs et qui font pour moi tout l'intérêt de ces riches rétrospectives. Mais j'avoue par exemple préférer Mizoguchi, Oshima ou Imamura que l'on retrouvera au catalogue.
Pour terminer, le coffret World Cinema Project présenté par Martin Scorsese offre huit découvertes du patrimoine cinématographique mondial dont j'avais chroniqué trois d'entre eux il y a douze ans (Les révoltés d'Alvarado, Transes, La flûte de roseau). Je m'y replongerai une des ces nuits, mais en attendant et en fonction de vos goûts, laissez vous séduire par ces festivals fantastiques qui permettent d'entrer dans le monde d'un cinéaste ou de découvrir des œuvres rares. Si les contrats d'édition étaient éternels, Carlotta pourrait jouer un rôle de cinémathèque domestique, mais certains films disparaissent hélas parfois de leur catalogue.

jeudi 26 décembre 2024

Avec Annie Ernaux, Katherine Mansfield, Sainte Thérèse d'Avila, Philippe Djian...


Il y a deux ans, à l'occasion du Prix Nobel de littérature attribué à Annie Ernaux, j'avais exhumé la cassette d'extraits de La place "lus par l'auteur". En 1987 je l'avais accompagnée musicalement avec Francis Gorgé à la guitare et Michèle Buirette à l'accordéon avec qui j'avais composé la partition. J'enregistrai aussi une cour de récréation, la campagne... Sinon je jouais essentiellement de l'échantillonneur. C'était le début de cet instrument qui peut utiliser des sons d'instruments préenregistrés. Cour de récréation / L'histoire commence / Marche de la vie / Clarinette basse / Accordéon / Campagne / Dispute / Ville / La vie / Dureté / Arpèges / Finale. J'assumais alors le rôle de directeur musical des Éditions Ducaté, une collection de cassettes audio littéraires à une époque où ce n'était pas encore à la mode.
De mon côté j'avais commencé les lectures en musique dès 1972. La liste des auteurs est longue : Arrabal, Philippe Soupault, Henri Pichette, Gilbert Lascault, Jean Vigo, Josef von Sternberg, Jules Verne, Edgar A. Poe, Michel Tournier, Régis Franc, Dino Buzzati, Alain Monvoisin, Dominique Meens, Michel Houellebecq, André Velter, Pierre Senges... J'en oublie beaucoup. Quant aux comédiens j'ai eu la chance de jouer avec Michael Lonsdale, Daniel Laloux, André Dussollier, Bernard-Pierre Donnadieu, Sapho, Guy Pannequin, Eric Houzelot, Claude Piéplu, Frank Royon Le Mée, Denis Lavant... Le K avec Richard Bohringer avait même été nominé aux Victoires de la Musique. J'ai aussi fait l'acteur en lisant du Pessoa !


En 1988, pour les éditions Ducaté, Jane Birkin lisait les Lettres de Katherine Mansfield que je ponctuai au piano entre chaque. Face A, les lettres à John Middleton Murry. Face B, celles à Richard Murry. Je retravaillerai avec Jane Birkin, comme avec Bulle Ogier, en 1995 pour le CD Sarajevo Suite sur des poèmes d'Abdulah Sidran. Pour l'album Le Chronatoscaphe j'écrivis les dialogues de Nathalie Richard et Laurent Poitrenaux. C'est Feodor Atkine qu'on entend dans mon court-métrage Le sniper...


Pour Le chemin de la perfection de Sainte Thérèse d'Avila lu par Ludmila Mikael je me souviens m'être demandé comment faire. J'étais allé enregistrer des bruits d'église à Notre Dame du Perpétuel Secours située à côté de chez nous, boulevard de Ménilmontant. Je jouais essentiellement de l'échantillonneur avec des voix, des cordes, des percussions...


La quatrième cassette n'est jamais parue. Philippe Djian s'était opposé à la publication de Maudit manège lu par Annie Girardot. Il détestait son interprétation. L'enregistrement de la comédienne n'avait pas été facile pour Claudine Ducaté. Cette fois la musique originale était signée Un Drame Musical Instantané, trio que je formais avec Bernard Vitet à la trompette et Francis Gorgé à la guitare électrique : Générique 1 / Attaque cardiaque / La mercédès file / Générique 2 / Générique 3 / Piano Jazz/ Piano Tragédie / Sprint des 2 petites filles / Attaque cardiaque / Générique 4.

mercredi 25 décembre 2024

Collage raisonné A


Comme je le racontais au début du mois en évoquant l'exposition de Sun Sun Yip, j'ai la chance d'avoir quelques amis plasticiens qui me font rêver. Deux de ces camarades qui me sont très chers nous ont récemment offert des tableaux à accrocher au mur. J'ai beau avoir une maison relativement grande, les surfaces ne sont pas extensibles et j'ai choisi d'en garder certaines immaculées, histoire de reposer mes yeux, de me laisser aller à la rêverie à partir du vide, d'y projeter de la lumière ou des films. Je venais de trouver la place du triptyque Dans le vent confus du voyage de mc gayffier quand me vint l'idée de placer l'impression Collage raisonné A d'Éric Vernhes sous l'oléarium du salon, derrière le divan rouge, près de tableaux possédant tous une dominante de cette couleur. L'oléarium est un une sorte d'aquarium rempli d'huile ayant servi de loupe devant un téléviseur des années 50 et utilisé par Raymond Sarti dans son décor du K de Dino Buzzati pour Un Drame Musical Instantané. Combien se sont fendus de grimaces en se plaçant de chaque côté de l'objet incrusté dans l'épaisseur du mur. À la droite de l'œuvre d'Éric Vernhes on peut en admirer d'autres de mc gayffier, Sun Sun Yip, Arlette Martin, Aldo Sperber... Dans le bas à droite de la photo apparaît l'ombre d'une oreille d'un Nabaztag.
Ayant déjà écrit plusieurs articles sur son travail et connaissant ses aptitudes incroyables à manier les techniques les plus primitives aux plus contemporaines, j'ai demandé à Éric comment il avait réalisé cette abstraction. Collage raisonné A est donc un arrêt sur image d'un assemblage de mèches d'un logiciel génératif qu'il a inventé. Me référant à d'autres de ses créations picturales j'y pressens une partition musicale d'une œuvre complexe où les textures sont rythmées par les surfaces. Comme toute représentation graphique sonore il faut s'approcher pour constater la précision des points (pixels ?), des à-plat et des brumes, et envisager de les interpréter.
Dans cette lointaine perspective, muni d'une perceuse, j'ai esquinté le mur de béton sans succès pour y visser un piton, optant finalement pour un scotch double face ne pouvant supporter le poids du cadre qui a glissé en brisant la vitre, heureusement sans abîmer le papier. Le verre indiquait de nouvelles lignes musicales, mais le danger de se couper et le respect de l'intégrité de l'œuvre m'obligèrent à mettre de côté cette collaboration artistique involontaire. Éric m'a rassuré en m'annonçant qu'il passerait avec une perceuse plus puissante et une vitre empêchant le papier de jaunir avec le temps. Je ne suis pas du tout bricoleur, même si je m'y colle régulièrement. Mes mains ne sont à l'aise que devant des claviers, qu'ils soient à écrire, à cuire ou à jouer, encore que je tape à deux doigts, fais ce que je peux sur les touches noires et blanches, improvisant sans cesse, soit rectifier le tir de la phrase précédente sans faire tilter le flipper. De quoi forcément perdre la boule lorsque je ne suis plus dans mon élément !

mardi 24 décembre 2024

Dans le vent confus du voyage


Il fallait bien que cela arrive un jour, j'ai accroché le triptyque sur toile Dans le vent confus du voyage dans l'escalier qui mène au premier étage alors que j'avais toujours évité de casser le blanc des murs. La plasticienne mc gayffier, "technicienne de surface" aux multiples talents, nous a fait ce somptueux cadeau pour nos anniversaires. Le texte est tiré du Livre d'heures de Rainer Maria Rilke tel que cité par Jean-Luc Godard dans ses indispensables Histoire(s) du cinéma. Du même réalisateur, huile cette fois plutôt qu'acrylique, Ces fleurs ont été cueillies dans Le livre d'images, son dernier chef d'œuvre (2019). Avec entre les rails, une autre huile, celle-ci reprenant le célèbre photogramme de Dziga Vertov dans L'homme à la caméra (1929), le triptyque est complet, recomposé, Ces fleurs entre les rails dans le vent confus du voyage. J'ai toujours adoré les photogrammes. Dans le passé nous n'avions qu'eux pour nous souvenir, la vidéo n'existant pas. Quant au son j'enregistrais dans les salles de cinéma avec un magnétophone à cassette. En les peignant mc gayffier rallonge le temps, arrêt sur image qui joue de l'éphémérité de la vie.

Les fleurs du jardin
Chaque soir ont du chagrin.
Oui, mais dès l'aurore
Tous leurs chagrins s'évaporent.
Quel est l'enchanteur
Qui guérit tant de douleurs,
Quel est ce magicien ?
C'est le soleil.

C'est la chanson que chacun, chacune, fredonne à tour de rôle dans Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir (1932). C'est encore plus clair avec le train qui fonce sur le caméraman. Les cadres en bois donnent également de l'épaisseur aux trois petites toiles. Tranches verte, noire ou pointillée comme les perforations d'un film en celluloïd. L'intertitre souligne la poésie de réel qui fricote avec l'imaginaire. Les temps confondus se mêlent parce qu'il n'y a ni passé, ni présent, ni futur pour un cinéphile. Juste des images. Les paroles de Renoir continuent, nous renvoyant à ce que nous avons de plus cher... Je pense ainsi au champ de marguerites repiquées dans Le plaisir de Max Ophüls (1952). Un anniversaire...

L'hiver dans les bois
Les oiseaux meurent de froid.
Leurs nuits dans les bois
Sont comme des tombes blanches.
Avril reparaît
Et soudain dans la forêt
Mille voix en même temps
Bénissent le printemps.
Mon printemps est mon sourire
Quand mon cœur souffre et soupire.
Ton sourire est mon printemps,
Mon printemps...