Schönberg par Huillet et Straub
Par Jean-Jacques Birgé, mercredi 17 octobre 2007 à 01:29 :: Cinéma & DVD :: #703 :: rss
Les films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub se prêtent bien à l'édition DVD. L’intimité sied bien au couple, tant ils paraissent toujours s’adresser à chacun individuellement, à l’endroit même où les questions prennent forment. Personnalités absolument complémentaires, Danièle disparue l’an passé, comment Jean-Marie continuera-t-il son chemin ? Lorsque j’étais jeune homme, j’appréciais leur gouaille à l’accent parigot et leur engagement. Leurs colères étaient à l’image de leur travail, ni dramatiques ni épiques, mais simplement rigoureuses, comme venues d’une longue tradition de résistance.
Les Éditions Montparnasse proposent le premier volume d’une intégrale qui paraîtra à raison de deux coffrets par an. À côté de leurs deux premières œuvres, Machorka-Muff et Non réconciliés (Nicht Versöhnt), voici une magnifique manière de découvrir Arnold Schönberg avec les trois films que Huillet et Straub consacrèrent au compositeur dodécaphoniste viennois. Machorka-Muff est "l’histoire d’un viol (viol d’un pays auquel on a réimposé une armée, alors qu’il était heureux d’en être débarrassé)." Non réconciliés est celle "d’une frustration (frustration - de la violence) – d’un peuple qui a raté sa révolution de 1849, et qui ne s’est pas libéré lui-même du fascisme".
Pour présenter Schönberg, Jean-Marie Straub scande "Danger menaçant, peur, catastrophe". Ce sont les seules notes que le compositeur a laissées pour sa Musique d'accompagnement pour une scène de film. Dans leur Introduction, les cinéastes filment un homme lire une lettre de Schönberg de 1929 à son ami Kandinsky pour s'insurger contre ses positions antisémites et contre le tournant terrible que va prendre l'histoire. Suivent un discours de Brecht de 1935 contre le fascisme, la photo des Communards dans leurs cercueils, un bombardier, un article sur Auschwitz. Pas de film. Juste la musique.
L'orchestre s'accorde d'abord, c'est le seul moment réussi dans un concert classique même lorsque le reste est raté ! Filmé à la Dreyer, D'aujourd'hui à demain est un opéra bouffe où le compositeur cherche à montrer "que ce qui n'est que moderne et à la mode ne vit que d'aujourd'hui à demain." Une femme récupère son mari en suscitant sa jalousie. Sous couvert d’une scène de ménage, Schönberg fait une critique sévère du monde de 1929, l’année de la lettre… Si Danièle Huillet est reconnue comme l'alter ego de Jean-Marie Straub, l'auteur du livret, sous le pseudonyme de Max Blonda, n'est autre que Gertrude Kolisch, seconde femme de Schönberg. Gertrude est le titre du dernier film de Dreyer. Les chefs d'œuvre se croisent, et parfois se rencontrent.
Le plat de Résistance est l’opéra Moïse et Aaron, combat essentiel de l’idée contre l’image, opposant le geste et la parole. Depuis trente ans, la photo des deux barbus trône au milieu des rares bibelots de ma bibliothèque. Si Wozzeck de Berg et Pelléas et Mélisande de Debussy m’ont fait comprendre et apprécier l’opéra, celui de Schönberg est le seul qui m’ait autant fait réfléchir. Les deux actes (le troisième est inachevé) reposent sur une seule série de douze sons et ses variations. L’orchestre dirigé par Michael Gielen est enregistré, mais les chanteurs sont en direct dans les lieux mêmes de l’action. Chef d’œuvre du cinéma, chef d’œuvre de la musique du XXème siècle, Moïse et Aaron est un des rares exemples où le film n’est pas une valeur ajoutée, mais l’analyse critique d’un processus, tant dans l’exposé de son argument que dans la musique.
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