70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 18 septembre 2025

Helsinki (14ème et dernier épisode)


Après un mois de crapahutage dans les pays baltes il était tentant de traverser le bras de mer qui sépare l'Estonie de la Finlande. Deux heures de ferry plus tard, nous voilà arrivés à Helsinki où je ne suis pas venu depuis une bonne vingtaine d'années, la dernière fois pour une conférence sur le design sonore interactif en m'appuyant entre autres sur le CD-Rom Alphabet, un de mes hits avec le disque Défense de et l'opéra Nabaz'mob !


L'architecture date ici plutôt des années 1910-1920. Ce sont de hauts immeubles le long d'avenues et de rues larges. Comme Vilnius, Riga et Tallinn, tout peut se faire à pied, à condition d'y passer la journée ! Les magasins vintage et de seconde main y pullulent depuis quelque temps. Je ne résiste pas et acquiers quelques magnifiques chemises en soie pour un prix dérisoire. Le reste est cher. Comme à Tallinn, ce sont pratiquement les prix de Paris, parfois même au-dessus. Nous faisons des courses dans les marchés couverts ou extérieurs logés sous des tentes pour ne pas systématiquement manger au restaurant. Beaucoup de saumon évidemment (tel, fumé, gravlax, soupe), de délicieux pains comme on aimerait en trouver aussi en France (du noir qui ressemble presque à du pain d'épices), des myrtilles, des pommes de terre. Il fait trop froid dans les pays scandinaves pour qu'y poussent fruits et légumes.


Il y a partout de grands parcs, et nous croisons des oies bernaches qui se chamaillent sur l'une de ces pelouses qui me font mal aux cheveux, car cela empêche forcément la diversité et la prolifération d'insectes nécessaires à un bon équilibre de la nature. Ces dernières années les bernaches se sont multipliées et posent quelques problèmes aux habitants de Helsinki.


En longeant un des nombreux lacs ("des lacs, des forêts" scandait, amusée, ma compagne avant le départ !) nous croisons même une grue cendrée près d'un monticule de land art (quinze jours plus tard je croiserai bernaches et grue cendrée en liberté au Jardin des Plantes de Nantes !).


Nous visitons évidemment les deux célèbres musées d'art contemporain, Amos Rex et Kiasma. À Amos Rex qui ne présente que des expos temporaires, nous sommes agréablement surpris par celle d'Anna Estarriola, une Catalane résidant en Finlande depuis 2004. C'est tout un travail sur le corps fantasmé, jusqu'à faire tenir des acrobates sur la tête, posés simplement par les extrémités de leurs cheveux !


Mais la grande rencontre est celle de l'artiste pluridisciplinaire Marita Liulia. J'ai connu cette amie il y a plus de vingt-cinq ans lorsque nous œuvrions dans le multimédia. Marita avait signé deux CD-Roms impertinents, The Ambitious Bitch suivi de S.O.B. (Son of a Bitch). Lors de mon séjour à Helsinki j'avais adoré son travail avec le danseur-chorégraphe Tero Saarinen et l'accordéoniste Kimmo Pohjonen. En 2003 j'avais également posé pour son Tarot, y incarnant Le Jugement. Depuis, Marita est revenue à la peinture et son succès ne fait que grandir, internationalement. Comme pigment elle utilise souvent l'or sous toutes ses formes, me faisant parfois penser à Klimt. Rien d'étonnant à retrouver une influence viennoise chez elle : depuis le début de notre périple cette tendance est présente partout, plus particulièrement dans l'architecture. On peut aussi penser à Joan Mitchell, à l'abstraction lyrique ou un nouvel impressionnisme. Marita peint des tableaux organiques, comme des bouquets, qu'ils soient de fleurs imaginaires ou d'artifices flamboyants.


Marita et Timo sont venus nous chercher le matin à Torkkelinmäki pour aller marcher autour d'un lac avant de nous y baigner. Nous avons autant besoin de nature que de ville. Cet équilibre est indispensable aux citadins que nous sommes. J'aime plus que tout les grands espaces, les forêts primaires, la mer, les déserts et les hautes montagnes. Les nuages ont cédé devant le bleu du ciel toujours plus haut en montant vers le nord. L'eau est délicieuse. Elle rend la peau douce. Nous n'avons qu'à nous baisser pour cueillir myrtilles et airelles rouges. Nous rentrons déjeuner chez nos amis, une maison-musée, lieu où a été fondé Helsinki. Il fait beau. Nous rentrons à pied en nous guidant comme d'habitude avec le GPS de nos smartphones.


Le jour du départ nous profitons des dernières heures pour aller vers le quartier branché de Suvilahti (comme partout des friches industrielles converties) et le quartier ouvrier de Puu-Vallila où des petits jardins accompagnent les maisons en bois.


Voilà, c'est fini, ou tout peut recommencer. Théo a suffisamment arrosé le jardin pour qu'il ne dessèche pas en notre absence, et il a câliné les chats ! Nous passons les premiers jours à jardiner et je termine ce journal de voyage.

mercredi 17 septembre 2025

Freak Out!, My Life with Frank Zappa


Je possède des quantités de livres sur Frank Zappa et évidemment l'intégralité de sa discographie. Je dois bien cela au compositeur qui en 1968 me donna envie de faire de la musique, en en faisant à la fois mon métier et ma passion. Nos rencontres à partir du Festival d'Amougies l'année suivante marquèrent évidemment l'adolescent que j'étais. Certaines biographies, dont celle qu'il écrivit lui-même (The Real Frank Zappa Book) ou le film Eat That Question de Thorsten Schütte, sont passionnantes, mais j'ai été happé par la lecture des mémoires de son ancienne secrétaire, l'anglaise Pauline Butcher, qui livre un témoignage exceptionnel pour comprendre le bonhomme, tout en validant ce que j'avais senti dans nos discussions, en écoutant ses entretiens, en enquêtant auprès de témoins directs ou grâce à ma bibliothèque. Ces mémoires sont d'autant plus fondamentales qu'elles couvrent la période initiatique, tant pour moi que pour les Mothers of Invention, soit 1968-1971. Car, même si je continuais à le suivre de loin, j'arrêtai de voir Zappa à partir de 1972 pour ne m'y intéresser véritablement à nouveau qu'à la fin de sa vie lorsqu'il travailla avec l'Ensemble Modern. Début 1993, mon projet de film avec lui et Robert Charlebois pour lequel il avait joué sur son premier disque avait été refusé par FR3 (textuellement "no commercial potential") et le monde s'écroula quand à la fin de cette année-là j'appris sa mort alors que je filmais le siège de Sarajevo dans des conditions particulièrement éprouvantes.


Je fais partie des fans de Zappa de la première heure, entendre que j'ai toujours préféré le groupe initial, le trouvant le plus inventif, alors que les musiciens suivants seront certes bien meilleurs techniquement. Mais la virtuosité ne m'a jamais intéressé, même s'il est agréable d'être joué par de bons interprètes. La sincérité a toujours guidé mes choix. L'aspect business a de plus en plus façonné la musique de Zappa jusqu'à ce qu'il puisse enfin réaliser ses fantasmes symphoniques. Pauline Butcher a la distance nécessaire pour révéler l'intimité de son employeur et de son entourage. On comprend enfin le rôle qu'il assigne à sa femme Gail et qu'elle endosse, tant que les innombrables facéties sexuelles de son mari n'entrent pas chez eux. Parce que si Zappa ne prenait aucune drogue hallucinogène, il était totalement accroc au tabac, au café, au travail... et aux filles. Comme les marins, il avait des femmes dans chaque port. Pauline Butcher pointe son machisme qui ne passerait plus du tout aujourd'hui, présent dans les paroles de ses chansons, mais aussi son côté conservateur dans la vie courante, la rigueur intransigeante d'un patron, la conscience arrogante de son génie aussi. J'avais déjà été passionné par le livre de sa fille Moon Unit intitulé Earth To Moon. Pour l'avoir fréquenté au quotidien pendant près de quatre ans et bénéficié de sa confiance, et surtout grâce aux lettres qu'elle envoyait à sa mère et qu'elle a conservées, et la veuve ayant enfin décédé, elle peut livrer mille anecdotes éloquentes, dressant le meilleur portrait que j'ai lu du héros de ma jeunesse.

→ Pauline Butcher, Freak Out!, My Life with Frank Zappa (Laurel Canyon 1968 - 1971), version révisée et mise à jour en 2022 (il existe un audio-book, des traductions espagnole, italienne et tchèque, mais la française se fait attendre)

mardi 16 septembre 2025

Thalle de Tatiana Paris


J'ai reçu le second album de Tatiana Paris il y a plusieurs mois avec une forte envie de le chroniquer, mais comme cela arrive parfois la guitariste avait préféré que j'attende sa sortie officielle (Thalle sort là en numérique sur Carton Records, mais en vinyle avec pochette imprimée en riso seulement le 14 novembre). Cette redécouverte me fait le même effet que la première fois. Le facteur fait tomber d'excellents disques dans ma boîte, mais peu m'inspirent. Que ce soit du jazz, des improvisations, du drone, de la noise, des chansons, je finis par avoir l'impression de les avoir tous déjà entendus. Ils manquent cruellement du risque de déplaire. C'est cette même nécessité du danger qui me laisse actuellement dans un état de transition stationnaire lorsque je rêve de composer quelque chose de nouveau. À moins d'avoir besoin d'assurer fondamentalement sa subsistance ou d'entretenir l'amour de son public, qu'elle qu'en soit la taille, à quoi bon répéter les formules qui ont prouvé leur efficacité ?
En se laissant aller à faire ce qui lui plaît, sans modèle ou sans chercher à s'inscrire dans un courant à la mode, Tatiana Paris présente une garantie de longévité. Je me réfère toujours à l'exergue de Jean Cocteau au début du chapitre D'une histoire féline du Journal d'un inconnu : "ne pas être admiré, être cru". Le disque de Tatiana Paris est d'une sincérité absolue. On pourrait y voir une forme de minimalisme créé avec un bazar d'instruments (guitare préparée, voix, piezos, radio, acousmonium hertzien, synthé modulaire et divers objets), mais c'est simplement une musique tendre, à la fois légère et profonde, une intimité partagée comme une confidence versée dans le creux de l'oreille. Son "thalle" n'est pas sans feuille ni racine comme le sont les lichens, c'est un organisme intègre qui se suffit à lui-même. Les deux plus longues pièces, qui donnent le titre à l'album sont jouées aux grandes orgues par Rachel Langlais, des drones tranquilles qui mettent en valeur les miniatures chuchotées qui les suivent. À l'affût non de ce qui est original, mais personnel, je suis enchanté par cette musique de chambre dont l'épatante proximité transmet une vibration épidermique.

P.S.: il y a deux ans j'avais enregistré l'album Moite en trio avec Tatiana Paris et Violaine Lochu (de longues pièces instantanées carrément incisives !), et chroniqué Gibbon, son premier disque, que j'avais déjà adopté.

lundi 15 septembre 2025

Tallinn II (13)


Comme à Vilnius où Sigute nous a merveilleusement conseillés, nous avons la chance d'être guidés par Piret que Chistiane connaissait d'un précédent séjour à Tallinn et par sa sœur Maarit qui, le soir, nous invitera à un concert de guitare classique contemporaine au château de Kadriorg, le palais du tsar Pierre le Grand. Les deux sœurs sont musiciennes et travaillent toutes deux dans le monde de la musique classique.


Avant le joli concert de Helin Hallik et Sarah Badlissi je photographie le plafond de la salle qui me donne le vertige.


Piret nous fait découvrir des aspects de la vieille ville qui nous avait échappés, mais c'est au Poco que nous terminons notre périple, d'autant que notre amie n'y est encore jamais allée depuis sa récente ouverture. Le Pop & Contemporary Art Musueum est une collection privée où sont exposés aussi bien des Warhol et des Lichtenstein que des Banksy (qui s'en sort très bien) ou des jeunes artistes estoniens.


Nous résidons dans une sorte d'appart-hôtel où les lofts modernes ont investi d'anciens bâtiments industriels probablement en liaison avec le port qui est tout à côté. Le quartier de Rotermann est également tout près de la vieille ville qui est sous nos fenêtres. C'est encore un coin branché dont les jeunes cadres se sont emparés. Pour le petit déjeuner je préfère largement La boulangerie que le mythique RØST qu'on nous a conseillé.


Le long couloir qui mène à notre Airbnb est assez flippant. Il nous fait irrémédiablement penser à Shining ! Partout où nous allons nous ne pouvons nous empêcher d'y associer des références littéraires sérieuses ou des évocations cinématographiques fantaisistes qui nous amusent beaucoup.

vendredi 12 septembre 2025

Brunö Lapin bondit joyeusement


Le trio Brunö Lapin composé du violoncelliste Clément Petit, de la bassoniste Sophie Bernado et du flûtiste Jocelyn Mienniel, doit à chacun de ses membres son remarquable équilibre. Petit assure la cohésion orchestrale de l'ensemble, Bernado lui donne son timbre unique, Mienniel volète en virtuose. C'est très beau. Parmi leurs nombreuses collaborations je suis surpris que dans le livret ne soit nulle part fait référence au quintet Art Sonic (2012-2020) qui m'a permis de découvrir la bassoniste et où officiait le flûtiste rencontré plus tôt (attention danger, Pluto est un chien, la référence est le Peter Rabbit de Beatrix Potter paru en 1902) grâce à sa participation à l'ONJ de Daniel Yvinec (2009-2013), car on y décelait cette appétence pour la musique de chambre européenne, caractérisée entre autres par l'utilisation des bois, qu'ils soient à cordes ou à anche. J'eus la chance d'enregistrer avec l'une (Arlequin, 2015, et Défis de prononciation, 2017) et l'autre (Game Bling, 2014) et regrette bien de ne plus avoir croisé le faire avec eux depuis, et jamais encore avec le violoncelliste (Space Galvachers...), dont on sent partout la fibre lyrique et structurelle ! Tous les trois creusent leurs galeries, qu'ils cultivent l'excitation, la retenue ou ce savant mélange tension-détente qui donne tout son suc à la musique quelle qu'elle soit. Vous pourrez toujours tenter de mettre du sel sur la queue de ce charmant Brunö Lapin, vous ne l'attraperez pas. Il vous faudra l'écouter tandis qu'il bondit de son terrier, clapier (studio) ou garenne (live), magique apparition, et en lagomorphisme je m'y connais !

→ Clément Petit | Sophie Bernado | Jocelyn Mienniel, Brunö Lapin, CD BMC, dist. Socadisc

Sur le même label, le hongrois BMC, Sister Juniper du trio Dear Uncle Lennie avec Camille-Alban Spreng (piano, claviers), Marco Giongrandi (banjo), Benjamin Sauzereau (guitares) et en invité le clarinettiste Joachim Badenhorst, agréablement sautillant et délicatement lyrique (sortie le 26 septembre 2025), et Notice du trio belge Easy Pieces composé par le même Benjamin Sauzereau avec Hendrick Lasure aux claviers et Dorian Dumont au piano, plus enlevé et intelligemment chaotique, comme un film de celluloïd qui partirait en chandelle...

jeudi 11 septembre 2025

Tallinn I (épisode 12)


Au fur et à mesure du voyage je prends des notes qui me serviront plus tard quand, rentré à Paris, je rédigerai mes articles feuilletonnants. Il y a évidemment toujours un délai entre vivre ces aventures et les rapporter, mais en fin de course les derniers épisodes sont vierges et je dois tout écrire alors que je suis déjà complètement ailleurs. Comme pour les précédentes étapes je m'appuie sur les photos. C'est d'ailleurs la première chose à faire, trier et choisir celles qui illustreront le mieux le texte.


Nous voilà donc arrivés à Tallinn, capitale de l'Estonie et certainement la mieux conservée des trois pays baltes. Les bombardements soviétiques ont relativement peu abîmé la ville grâce à l'aviation finlandaise venue à la rescousse de sa cousine du sud. Ces deux pays ont beaucoup en commun, comme de leur côté la Lituanie et la Lettonie, les trois pays baltes ne partageant pas les mêmes bases linguistiques et culturelles. Nous grimpons en haut de l'église Saint-Nicolas (il y a un ascenseur !) admirer la ville sous tous les angles. On aperçoit là la cathédrale Alexandre-Nevski et quelques unes des vingt-sept tours des remparts qui encerclent la vieille ville. En redescendant nous sommes saisis par la Danse macabre sur toile réalisée par l'atelier de Berndt Notke à Lübeck.


Certaines maisons datent du XIIIe siècle, l'ensemble s'échelonnant jusqu'au début du XXe. Nous arpentons la ville haute, quartier de Toompea, et la ville basse en long, en large et en travers, passant par la rue de la jambe courte ou celle de la jambe longue. Le dernier jour nous irons du côté de Telliskivi, quartier branché ayant investi d'anciens entrepôts. À d'autres moments nous pousserons dans la ville moderne, en particulier à l'est pour visiter le Kumu, musée d'art exposant du XVIIIe à nos jours, en passant par la Seconde Guerre Mondiale et le réalisme soviétique.


C'est dans l'auditorium du Kumu qu'avec Antoine Schmitt nous avions réalisé en septembre 2011 plusieurs représentations de Nabaz'mob (entretien à la clef pour la télévision estonienne), notre opéra pour 100 lapins communicants dans le cadre de Gateways organisé par le Goethe Institut. Lors de ce premier séjour nous avions visité le Musée du KGB !


L'un des clous du Kumu est l'installation Kajakas (mouette en français) du sculpteur Villu Jaanisoo qui a rassemblé 83 bustes dont on entend la voix pour certains.


Christiane me fait poser parmi eux !


Sur le front de mer nous constatons le soin mis pour attirer et captiver les jeunes visiteurs du Musée maritime. Les pays du nord se préoccupent de l'intérêt que peuvent ressentir les jeunes de tous âges, y compris les plus petits. Nous retombons ainsi facilement en enfance, en particulier en descendant à l'intérieur du Lembit, un sous-marin de 1936 ayant rejoint plus tard la flotte soviétique. Mais les dinghy sur glace ou ice-boats sont tout autant fascinants. C'est l'été et l'on n'imagine pas forcément la couche de neige qui recouvre la ville et les lacs transformés en patinoires.


Les tramways sillonnent la ville, mais j'avoue avoir souvent cédé à la facilité (mon genou s'est réveillé et j'ai craint tout le voyage être à nouveau handicapé ; pourtant les heures de marche l'ont heureusement épargné) en empruntant des Bolt, compagnie estonienne comme feu Skype.

mercredi 10 septembre 2025

Baltique (épisode 11)


L'accueillant et vaste loft de Pärnu possède deux terrasses, l'une à l'est pour le lever de soleil, l'autre à l'ouest, je vous laisse deviner.


C'est de là que vient le vent qui fait rouler les vagues où je me baigne malgré le peu de déclivité de la plage. Même en allant au loin je n'ai de l'eau (elle est à 21°) que jusqu'à la taille. C'est à l'ouest aussi que nous admirons la pleine lune d'esturgeon. Sa rousseur annonce le beau temps. Il y a des parcs partout, mais toujours cette fâcheuse manie de raser le gazon comme s'il avait été livré la veille. Nous profitons de cette villégiature. Je m'aperçois que ma photo de la Baltique ressemble au drapeau estonien.


Si nous sommes ravis du choix de nos escales depuis un mois, on ne pourra pas en dire autant de Haapsalu qui n'a pas beaucoup d'intérêt en dehors de son château médiéval. Aucune plage à la ronde malgré la côte, et les locations sont étonnamment plus chères qu'ailleurs. Il y a des mystères qui ne peuvent incomber à la nomenclature des apparatchiks de l'ère soviétique (l'architecture y fait souvent penser). C'est plutôt la bourgeoisie de Tallinn qui descend se détendre, trouvant Pärnu trop loin et peut-être trop populaire. Walter Robotka m'explique que nous aurions dû traverser jusqu'à l'île de Saaremaa, absolument fantastique. Mais c'est ainsi, on ne peut pas tout voir, il reste toujours des merveilles à découvrir.
Un peu avant Tallinn je suis flashé pour excès de vitesse à 59km/h, attrape-nigaud à 50 km/h, 20 mètres après un panneau à 70 sans autre signalement visible. C'est partout pareil, les pièges sont forcément vicieux ! Ce n'est pas grave, jusqu'ici le voyage s'est très bien passé, les énormes averses dégringolant seulement lorsque nous n'étions pas dessous. Les autochtones sont accueillants, particulièrement en Lituanie et en Lettonie. Je comprends pourtant pourquoi les voyageurs vont plus souvent du nord au sud, on est toujours le méridional de quelqu'un ! L'Estonie est globalement plus sèche, plus scandinave. Partout j'essaye de dire quelques mots, il suffit de demander comment on dit merci (même en le sachant) pour que les visages s'illuminent. En dehors des trois capitales il n'y a pas grand monde.

mardi 9 septembre 2025

Le pays Seto (épisode 10)


C'est pour l'instant la partie la moins excitante du voyage. Un chevreuil passe. Des moustiques trépassent. Nous leur faisons la chasse jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun dans la cabane perdue au milieu des bois si nous voulons dormir ce soir. Ils sont plus gros et plus lents que les minuscules énervés qui me dévoreront à mon retour à Bagnolet. Nous sommes d'ailleurs surpris d'avoir été si peu ennuyés par ces morphales culicidés, contre toute attente. C'est là question de vent, d'humidité et de température. Nous sommes miraculeusement passés au travers des nuées voraces.


Le lendemain matin nous roulons jusqu'à Podmotsa regarder la Russie qui est à cent mètres de l'autre côté du lac. On y aperçoit les dômes d'une église orthodoxe.


Côté estonien, l'église orthodoxe Saint-Georges de Värska est fermée, comme chaque fois que nous espérons en voir l'intérieur polychrome. Nous nous contentons de nous promener dans le cimetière qui l'entoure, très fleuri comme de coutume, avec beaucoup de charme. C'est en général le propre des cimetières où que ce soit sur la planète.


Nous déjeunons à la ferme de Värska, préservée ou reconstituée comme on aime le faire dans les pays du nord. Les femmes, qui servent à table ou gardent la ferme-musée sont en costume traditionnel. Il y a une vache, des moutons, des poules, un lapin. On ne rentre pas dans l'étable, interdite pour risque de fièvre aphteuse ! Je prends la photo d'un vieux sauna. Je n'en ai utilisé aucun de ceux qui étaient disponibles dans les divers Airbnb, peut-être parce que je trouve le mien au fond du jardin beaucoup plus agréable que ceux qui jouxtent la douche, un peu étriqués.


Plus loin, toujours en Estonie, puisque nous avons franchi la frontière sans qu'il n'en soit fait mention, nous arrivons à Tartu, la ville universitaire du pays. Mais, avant, je dois régler un problème très contrariant, avec le loueur de la première voiture. Il nous facture 210 euros pour un pneu crevé, sauf que ce n'est pas notre Skoda que j'ai heureusement filmée avant d'en rendre les clés. La place du parking n'est pas celle où nous l'avons garée, et, en faisant un gros plan sur le pneu, je constate qu'il n'est pas de la même marque. Je réponds aussitôt au bureau de Vilnius qu'il y a un problème avec leur succursale de Riga où nous avons laissé l'engin, une voiture automatique affligée d'un ordinateur de bord qui produit des tas d'alarmes variées, passages à niveaux non gardés, commentaires sur ma façon de conduire, etc. Je critique, mais sa caméra m'aurait m'aurait évité de m'embourber dans un fossé plein d'eau avec la Skoda actuelle. Nos hôtes durent nous sortir de l'ornière en nous treuillant avec leur 4.4. Mais revenons à l'arnaque qui nous fiche en pétard. J'avais commandé la location, il y a plusieurs mois avec ma carte American Express, or elle n'est jamais acceptée dans les pays baltes ; j'ai donc versé la caution avec la Visa. Or, si l'intégralité n'est pas payée avec la même carte, ni l'American Express, ni la banque n'offrent d'assurance complète en cas de dommage ou litige. Vous êtes prévenus ! Je prouve donc et menace si la question n'est pas réglée dans les plus brefs délais. C'est efficace. Le surlendemain, le loueur m'explique que le dommages incombent au conducteur suivant, manière de se disculper alors que leur photo ne montre pas la voiture que nous avons louée. Il n'y figure d'ailleurs aucune plaque d'immatriculation ! Les "indélicats" appartiennent donc à la succursale de Riga. Au retour il faudra encore que je menace pour être finalement remboursé.


Comme nous sommes heureux d'avoir eu gain de cause, nous fêtons cela en déjeunant au Pussirohukelder, l'ancienne poudrière, soit la plus haute cave d'Europe. Je dois demander un doggy-bag pour remporter la moitié du jarret de porc que j'ai fait glisser avec un verre de kvass. Nous avons donc bien adopté cette boisson fermentée depuis le début de nos aventures, et nous comptons bien la mettre à la mode dès notre retour à Paris. Cette boisson délicieuse et désaltérante remplace le Coca qu'il est plus que jamais important de boycotter, d'une part comme produit de l'Amérique trumpiste, d'autre part pour son implantation en Israël.
Plus on monte vers la Scandinavie, plus les autochtones font penser à leurs voisins du nord. Les pelouses ressemblent à des crânes de G.I., et tout semble pensé pour qu'aucune pensée ne vienne perturber l'équilibre des habitants. La grande majorité des Airbnb où nous résidons sont exclusivement conçus pour la location. On sent que tout a été prévu, mais il manque des tas de choses parce que les loueurs n'y ont jamais vécu. Ou bien ils ne lisent jamais (aucune lampe de chevet) ou encore ils ne boivent que du café et de la bière (ni bouilloire, ni théière) ? Il n'empêche que nous avons choisi des maisons ou des appartements plutôt agréables, avec presque toujours accès à un espace extérieur, balcon, terrasse ou jardin.


À Tartu notre promenade préférée est celle du magnifique jardin botanique, le plus beau que j'ai vu jusqu'à maintenant. Et nous admirons toujours les nuages, absolument somptueux. Mais nous voilà déjà repartis vers la Baltique...

lundi 8 septembre 2025

150 rennes (épisode 9)


Le 2 août nous reprenons une voiture pour une douzaine de jours, ce qui nous permettra de franchir une nouvelle frontière, cette fois vers l'Estonie. Sur le chemin nous nous arrêtons au Château de Wenden à Cēsis. Dans ce château fort, le mieux conservé de l’Ordre Teutonique en Lettonie, on nous remet une lanterne à bougie pour découvrir ses ruines particulièrement bien mises en scène, à grand renfort de projections intégrées dans les décors d'époque. Fondé en 1214 par des chevaliers Porte-Glaive, des moines-soldats originaires du Saint-Empire romain germanique, il fut mis à sac par le tsar Ivan le Terrible en 1577.


Toujours En Lettonie, le hameau d'Annas est à la hauteur de nos espérances.
À la fin des années 70 et au début des années 80, j'habitais justement 7 rue de l'espérance à Paris, ce qui correspond au sommet de la Butte aux cailles. Suite à la séparation d'un couple d'amis, lui journaliste au journal Le Monde, elle responsable des programmes à France Culture et France Musique, j'héritai d'un loyer loi de 1948 dite surface corrigée. Pour une somme dérisoire, j'avais deux chambres et, donnant sur la cuisine, une cave aménagée en salon et studio où j'enregistrerai, entre autres, les deux premiers albums d'Un Drame Musical Instantané, Trop d'adrénaline nuit et Rideau !, et un garage ! La salle de bain, qui donnait sur la cuisine, d'où la loi de 48 (si l'échelle de meunier et la trappe au milieu de la cuisine n'avaient pas suffi !), avait une porte s'ouvrant sur une cour minuscule dont je n'avais aucune utilité, mais qui me faisait rêver. Je trouvais le logement idéal (il sera largement détrôné par l'immense loft de la future mère de ma fille en face du cimetière du Père Lachaise), mais, certains jours d'ébriété, j'imaginais que cette porte mystérieuse pourrait déboucher sur un parc avec des biches et des cerfs. "C'était tout ce qui me manquait !", disais-je, comblé. Dans la durée réalité la cour n'était occupée que par les toilettes à la turque de nos charmants voisins, un petit couple de vieux communistes, Angèle et Maurice, qui reposent au cimetière de Gentilly.
Notre halte à Annas fera glisser le rêve formulé un demi-siècle plus tôt vers une réalité quasi magique. La cabane située au bord d'un lac où s'écoule une rivière où nous pouvons nager est entourée d'un troupeau de 150 biches et cerfs. Ici on les appelle des rennes. En prenant tout de même mille précautions, nous caressons leur poils rêches et leur museaux humides. Je filme aussi leurs cavalcades dans les prés qu'ils ont ravagés, car il ne reste pratiquement aucun arbre sur les 40 hectares qui leur sont attribués.


Nos hôtes, dont les rennes sont leur passion, nous offrent une délicieuse liqueur de coing et nous font chauffer un jacuzzi à l'ancienne dont nous profitons à la nuit tombée en admirant les étoiles.


L'endroit est totalement idyllique. Nous nous baignons devant la maison et nous en faisons le tour à la rame.


Je fais durer le plaisir en publiant plusieurs photos, photographies qu'il me faut choisir tout au long du voyage parmi toutes celles que j'ai prises et qui me rappellent ces délicieux moments lorsque, de retour au bercail, j'aurai l'impression d'avoir rêvé ces cinq semaines de voyage dans les pays baltes.

vendredi 5 septembre 2025

Rīga II (épisode 8)


Autre souvenir inoubliable de Rīga, le musée du ghetto où l'on apprend beaucoup du génocide qui frappa la presque totalité de la population juive lettone. J'évalue la hauteur de la petite fenêtre d'un wagon de bestiaux, comme celui d'où mon père sauta tandis que le train roulait vers les camps de la mort... Je ne pensais pas qu'un jour je connaîtrais cette horreur à un autre bout du globe. N'avons donc nous rien appris que de tolérer un génocide sans broncher ? En Lettonie comme en Lituanie, la guerre, l'extermination des juifs baltes et l'occupation soviétique sont évidemment partout très présentes au travers des musées et des sculptures.


Il y a aussi le Mākslas muzejs Rīgas Birža, le musée de la Bourse, où nous allons pour les étonnants tableaux du peintre symboliste russe Nicolas Roerich, sorte de minimalisme psychédélique avant la lettre !


En parlant de sculptures, nous continuons à en croiser à tous les coins de rue et dans les parcs : modernes, anciennes, art brut, nains de jardin aux figures de trolls, etc. ! Comme il pleut, nous en profitons pour faire un tour de la ville en bateau depuis le canal jusqu'à la Dvina (Daugava), fleuve large qu'enjambent de grands ponts. Nous ratons les castors qui sont très matinaux, à une heure où les bateliers ne sont pas encore levés ! Je me venge sur une boîte de pâté, plutôt décevant.


Comme toujours et partout, je suis préoccupé, par "où est-ce qu'on mange ?". Les restaurants manquent sérieusement d'imagination, proposant presque tous le même menu, même si c'est tout à fait décent. Beaucoup de plats à base de pommes de terre, du poulet ou du porc, des raviolis (inspiration italienne ou russe), et du poisson près des côtes. De temps en temps nous en dégottons un au-dessus de la moyenne.


Mais en définitive celui dont je me souviendrai est un petit stand du marché central, le Siļķītes un Dillītes (Hareng et aneth) où l'on sert des poissons extra-frais. Ce sont les anciens hangars des zeppelins, les ballons dirigeables. Comme nous avons choisi de résider dans des Airbnb, nous pique-niquons souvent à la maison : poisson fumé ou mariné, charcuterie, fromage, fruits, c'est l'époque, des fraises et des myrtilles avec du bon pain gris et de la crème aigre.


Le dernier jour nous allons au Zuzeum nous incorporer aux sculptures de l'artiste autrichien Erwin Wurm, ici How It Is (After Samuel Beckett). Dans une autre on a droit à un petit coup de gnôle en ouvrant un tiroir après y avoir glissé les jambes !


En sortant, je tape la discute avec un autochtone extrêmement patient. Je suis toujours aussi bavard. Ce n'est pas prêt de s'arrêter, car nous n'en sommes qu'à la moitié du voyage.
On croise ce genre de statues réalistes partout en Lettonie et en Estonie. En fait il s'agit ici d'Aldous Huxley on a Bench sculpté par Ginters Krumholcs. Nous évoquons donc Le meilleur des mondes, roman hélas de circonstance, et Les Portes de la perception dont le sujet est l'un des vecteurs de ma vie.

jeudi 4 septembre 2025

Rīga I (7)


Rīga, c'est le retour à la civilisation. J'exagère, mais tout d'un coup apparaissent des cohortes de touristes qui suivent des perches télescopiques surmontées d'un petit drapeau, de beaux bâtiments reconstruits après la guerre qui les font ressembler à Disneyland, des Français (c'est la première fois que nous en croisons depuis notre départ) et des musées à tous les coins de rue. Mais c'est aussi un voyage dans le passé, que ce soit dans la vieille ville ou dans le quartier Art Nouveau.


Comme nous avons laissé Lola, Oulala et Django à la maison, certes aux bons soins de Théo, nous sommes sensibles à la Maison du chat où deux félins perchés montrent leurs derrières à la Grande Guilde, histoire de régler un vieux compte.


Toujours très miaou, Riga s'enorgueillit du succès de l'excellent dessin animé Flow réalisé par le cinéaste letton Gints Zilbalodis. À propos de cinéma, le soir, lorsque nous sommes fatigués d'avoir marché toute la journée, nous regardons souvent un film. Si je n'arrive pas à brancher le disque dur que j'ai apporté sur le grand écran de l'Airbnb, je me connecte à Arte.tv avec un VPN dirigé sur Paris.


Nous logeons donc dans une artère animée du vieux Riga (Vercrĭga). La rue Kalĕju nous donne l'impression d'être à Montmartre. La nuit nous avons le choix entre avoir chaud en fermant les fenêtres ou être submergés par les cris tonitruants des jeunes qui font la fête jusqu'à 4h du matin. Le jour, quand il ne pleut pas, c'est plus agréable car nous pouvons jouir d'une rare petite terrasse au sixième étage (évidemment sans ascenseur). Du haut du balcon nous admirons les chorégraphies des étourneaux dans le ciel qui s'est dégagé. Comme à Liepāja la cage d'escalier est craspouille et sordide, mais l'appartement, conçu avec un souci architectural évident, est superbe. À un détail près : l'eau chaude, qui dépend de la ville, héritage de la période soviétique, est coupée pendant trois jours, le temps de vérifier le système hydraulique. Cela se fait l'été évidemment. Pour une fois qu'une baignoire se substitue à une douche !
N'allez pas imaginer que nous nous plaignons ou que le voyage s'assombrit. Comme partout nous marchons et nous arpentons la ville du nord au sud et d'est en ouest (ce n'est pas si grand, même si beaucoup plus vaste que Vilnius par exemple) et nous en prenons plein les mirettes. La vieille ville a un petit côté hollandais tandis que le quartier Art nouveau est foncièrement viennois. D'un côté des maisons datant du XIIIe au XIXe siècle, de l'autre une inspiration nette de la Sécession viennoise et de la Jugendstil.


Nous avons donc le choix entre des petits amuse-gueules et de somptueux pâtisseries décorées de crème fouettée. Les plus beaux bâtiments sont l'œuvre de l'architecte Mikhaïl Eisenstein, le père du cinéaste, lui-même né à Rīga, mais parti à l'âge de cinq ans. La rue Alberta et celles autour concentrent un nombre étonnant de ces constructions ornées de sculptures et de frises élégantes. Terrible coïncidence en regard de ses figures grimaçantes, le numéro 13 hébergeait les services secrets soviétiques !


Le Guide du Routard, limité aux trois capitales baltes et à Helsinki, nous indique le circuit à suivre, mais pour le reste du pays, nous nous référons au Lonely Planet consacré aux pays baltes dans leur ensemble. Je vous y renvoie si l'envie vous en prenait de découvrir ces passionnantes contrées.


Je conserverai un souvenir particulier de l'appartement de l'architecte Konstantīns Pēkšēns, reconstitué comme à l'époque dans l'immeuble du Rīgas Jūgendstila Centrs.

mercredi 3 septembre 2025

The Wire n°500


Le 500e numéro de The Wire sous couverture argentée vient de sortir. Parmi plein d'autres choses paraît la première chronique papier du remarquable livre de Ian Thompson dont j'ai écrit l'une des deux préfaces avec celle de Steven Stapleton (Nurse With Wound) et que Philip Brophy cite au début de son article, et dont je traduis les premiers mots ci-dessous.

Synths, Sax & Situationists: The French Musical Underground 1968-1978, lan Thompson, Roundtable Pbk 496 pp

"Dans la préface de Synths, Sax & Situationists de Ian Thompson, Jean-Jacques Birgé (membre du groupe de rock expérimental et théâtral Un Drame Musical Instantané) raconte comment, adolescent en mai 1968, il a été inspiré par les sons déchaînés, les performances radicales et les spectacles sociaux qui capturaient le lien explosif entre la contestation sociale étudiante et la déconstruction des arts esthétiques : « Le rock, qui est avant tout un projet collectif, a apporté l'électricité, mais le jazz, qui met en avant les individus, nous a poussés à improviser. »
Cette vision fascinante résume bien l'esprit du livre qui embrasse la grande diversité des personnalités et des projets créés au lendemain des émeutes de mai 68 à travers la France..."

Pas en notre nom


Je ne publie en général aucun article sur des sujets largement couverts par la presse. Sur le génocide à l'œuvre en Palestine, j'en lis tellement que je ne vois pas l'intérêt d'en rajouter. Sur FaceBook je montre chaque fois ma solidarité avec les publications ou travaux de Simone Bitton, Eyal Sivan, Shlomo Sand, Ilan Pappé, Mona Chollet, etc. Sur le sujet j'ai tout de même écrit
en 2006
Autodestruction
En Israël, le communautarisme a enseveli la réflexion politique
Où fait-il bon vivre ?
en 2009
Neige-Nuit-Sable-Sang
Comment le peuple juif fut inventé (Shlomo Sand)
Bachir, carnet de balles
en 2010
Ils diront qu'ils ne savaient pas (sur le film Jaffa, la mécanique de l'orange)
en 2013
Apartheid en Israël (sur le film 5 caméras brisées)
Comment j'ai cessé d'être juif (encore Shlomo Sand)
en 2014
Devoir de mémoire
Sur la question palestinienne, etc.
sans parler de l'histoire de mon grand-père gazé à Auschwitz ou de mon père qui a sauté du train qui l'emmenait vers les camps de la mort
ou encore en 2018
Ils étaient français avant d'être juifs
J'ai été juif...
L'horreur s'accentuant, les consciences se forgent et je me sens moins seul que lorsqu'en 1967 je comprenais que l'état religieux d'Israël était tout simplement le fait du colonialisme et n'avait rien à voir avec la question juive.
J'ai hélas la douleur de lire le propos de sionistes qui cherchent des justifications au génocide à Gaza en évoquant les traités (alors qu'Israël bafoue régulièrement le droit international), la politique du Hamas (dont la montée en puissance est le fait du Likoud et de la politique israélienne qui a zigouillé les démocrates palestiniens) qu'évidemment je condamne, ou les crimes commis ailleurs sur la planète et qui ne font pas l'unanimité comme aujourd'hui face à ceux de l'extrême-droite au pouvoir en Israël. Mais comment peuvent-ils justifier de faire porter aux Palestiniens qui n'y sont pour rien la culpabilité de l'occident du génocide perpétré par les nazis ? Ont-ils la moindre idée de la vie d'un Palestinien né forcément sous l'occupation ? Comprennent-ils le racisme des pays arabes vis à vis des Palestiniens alors que seul l'Iran les soutient, un pays qui ne l'est pas ? Quels sont les enjeux économiques et stratégiques des Etats-Unis au Moyen-Orient ? Pourquoi Israël interdit-il la presse étrangère à Gaza et assassine systématiquement les journalistes présents ? Israël est un état paranoïaque. J'ai été confronté à la paranoïa en Bosnie lorsque j'étais à Sarajevo pendant le siège, son principe est "tuons les tous avant qu'ils nous tuent !" Les nazis caricaturaient les juifs de la même manière, façon de s'accaparer ce qui ne leur appartient pas...
En France, les antisémites historiques soutiennent Israël, ils aimeraient bien envoyer là-bas tous les juifs ! Quant au colonialisme sioniste, comment ne pas voir qu'il s'est même transformé en impérialisme après les récentes déclarations de Netanyahou, un fou sanguinaire prêt à sacrifier son pays pour s'éviter un procès pour corruption ? Que fait l'ONU ? Qu'attendent nos états pour geler tous les avoirs israéliens au lieu de leur vendre des armes ? Il est intéressant de constater que ce sont les citoyens qui se révoltent partout sur la planète, des dockers de Gênes aux juifs de la diaspora qui savent que c'est l'essence-même de leur culture qui s'effondre en Palestine. Je ne pourrai jamais plus transmettre les valeurs morales qui m'ont été inculquées, ou du moins avec cet étrange sentiment d'appartenance malgré ma laïcité héritée depuis plusieurs générations.
De retour du siège de Sarajevo, je croise à une fête un garçon taciturne qui reste dans son coin. Comme je lui demande ce qu'il fait, il m'explique qu'il est responsable de mission humanitaire dans des pays critiques. À sa mine déconfite je comprends qu'il revient du Rwanda. Il me dit alors qu'il y a des justes, mais il ajoute "ce ne sont pas toujours les mêmes". Les Bosniaques eurent ainsi du mal à accepter que je m'implique ensuite au Haut-Karabagh où des musulmans, les Azéris, persécutaient des orthodoxes, les Arméniens.
Je ne publie en général aucun article sur des sujets largement couverts par la presse, mais si je n'ajoutais pas ma voix à celles de tous et toutes pour exiger d'arrêter le massacre et d'envoyer les criminels et leurs complices au Tribunal Pénal International je ne pourrais plus me regarder dans la glace.

mardi 2 septembre 2025

La Lettonie (6)


Si voyager en Lettonie c'est voyager dans le passé, c'est dû à l'architecture qui a subsisté malgré la Seconde Guerre mondiale et l'occupation soviétique. C'est aussi un monde rural alternant champs cultivés et forêts préservées. Les nationales sont des routes de terre et les autoroutes essentiellement des deux voies ! Le long des kilomètres de magnifiques plages de sable fin, les vacanciers s'agglutinent au même endroit, comme partout, alors qu'il en existe de quasi désertes un peu plus loin. Celle de Karosta (près de Liepāja) est cachée par des bunkers construits de 1890 à 1908 et bizarrement détruits en 1915. Comme sur les côtes normandes, les explosions n'ont pu avoir raison du béton. Ailleurs, les ruines sont celles des fermes en bois. Pourtant tout respire une certaine douceur.


À Liepāja, les escaliers du loft qui surplombe le port donnent l'impression de grimper dans un immeuble des années 50, mais nous résidons dans un superbe atelier d'architecte. Il faut juste se coltiner les six étages à pied avec les bagages ! Il y en a heureusement toujours un de moins que prévu, car ici le rez-de-chaussée est considéré comme le premier étage.


En face les immeubles nous font penser au Nosferatu de Murnau, mais, préférant les petits restos du port, nous ne franchirons jamais le pont, évitant les fantômes.


Chaque fois que nous souhaitons entrer dans une église orthodoxe, comme ici la cathédrale navale Saint-Nicholas, elle est fermée ! Je crois comprendre qu'elles n'ouvrent que pour les services.


Nous déjeunons à l'auberge Hoijeres Krogs qui a conservé son aspect hollandais du XVIIe siècle, comme si nous étions dans un Vermeer. Partout nous profitons des terrasses des restaurants, puisque pour l'instant le soleil m'oblige à porter mon chapeau de pêcheur acheté en 2011 au Cambodge sur les bords du Tonlé Sap. Les serveuses et les gardiennes de la partie transformée en musée sont habillées dans le style de chaque période.


Étape suivante, Kuldīga mérite en effet de figurer au patrimoine mondial de l'Unesco, avec ses rues piétonnes et ses maisons du XVIe au XVIIIe siècle.


Le clou du séjour est de nous baigner dans Ventas Rumbā, plus large cascade d'Europe, 240 mètres où les remous jouent le rôle de jacuzzi ! Il fait 29° dehors et l'eau est à 23. Sauf pendant le week-end, il n'y a pas grand monde, mais on sent bien la destination touristique au nombre de voitures garées au parking.


Partir cinq semaines permet le farniente. Sur ma liseuse je termine L'art de la joie de Goliarda Sapienza avant d'entamer Le mur invisible de Marlen Haushofer. Demain, nous laisserons la voiture à Rīga, une ville pleine de ressources qui nous fera probablement changer de vitesse.

lundi 1 septembre 2025

Guerre froide (5)


L'idée de rouler jusqu'à Plateliai (Lituanie) est d'aller visiter l'ancienne base nucléaire souterraine soviétique, transformée en musée de la guerre froide. Il y a six ans, en Roumanie, j'étais descendu dans un bunker de ce genre, construit pour se protéger d'attaques adverses !


Sur la base de lancement de missiles de Plokštinė, l'un des quatre silos a été aménagé pour le public. On ne se rend pas toujours compte de la folie humaine, apôtre de la destruction massive, mais cela n'a jamais cessé, bien avant et encore aujourd'hui.


Passé la reconstitution avec mannequins et sons d'époque, cela fait froid dans le dos. On remonte à la surface pour aller se dégourdir les jambes près du lac au sept îles.


Si jusqu'ici nous avons été survolés par des hirondelles, des corneilles et des mouettes, j'ai adoré croiser des cigognes en vol ou dans les champs avant de passer la frontière pour la Lettonie. Dans un petit village estonien, le long de la route, nous en découvrirons perchées sur chaque lampadaire comme pour une revue militaire.

samedi 30 août 2025

Pique-Nique au labo 4 (from the USA)


Sympathique article d'un magazine lié à mon "importateur" américain, dégotté grâce à l'ami Stéphane Berland dont le label Ayler Records recèle tant de merveilles (mais qui s'arrête de produire des nouveautés après son numéro 181) ! Le texte n'est pas long, il est reproduit ici en petit, mais je vais tout de même tenter de le traduire.
À part cela, les marchandises entrant aux États-Unis seront soumises à des droits de douane à compter du 29 août. La Poste suspend donc tout envoi, à l’exception des « cadeaux entre particuliers de moins de 100 dollars », non concernés par la taxe. On peut toujours biaiser en spécifiant "échantillons commerciaux" au prix de fabrication, ce que l'on faisait déjà, mais ce sera tout de même épineux de traverser l'Atlantique sans risquer de rejoindre Nungesser et Coli. Car même les envois individuels deviennent problématiques, les consommateurs ne comprenant pas la hausse des taxes que Trump leur impose, et les douanes américaines bloquant à qui mieux-mieux. Souffle Continu, comme plusieurs labels, a supprimé son compte Discogs pour les États-Unis. Cette perte s'équilibrerait par une hausse des ventes en Europe, en particulier en Allemagne et, accessoirement, dans les pays de l'est. D'un autre côté le site Bandcamp va s'affranchir de PayPal pour éviter leur marge, en payant les producteurs directement.

Donc :

Musicien et concepteur sonore français, Jean-Jacques Birgé a passé près d'un demi-siècle à voyager d'un média à l'autre. Pionnier de l'utilisation des échantillonneurs et des ordinateurs, il a créé des musiques pour le cinéma, la danse et le théâtre, ainsi que pour des ensembles électroacoustiques. Comme son titre l'indique, Pique-nique Au Labo 4 présente des compositions instantanées en studio ou en live, interprétées par neuf trios différents dans des genres variés, avec la participation de Birgé aux claviers, synthétiseurs, guimbarde, harmonicas, échantillonneur et instruments à anche.

Réalisé en collaboration avec une pléiade d'improvisateurs français de premier plan, un bon nombre des morceaux sont suffisamment sophistiqués pour être classés dans le domaine du jazz, tandis que d'autres s'apparentent davantage à des exercices multimédias ou à des bandes sonores d'accompagnement. « Is It Finished? », par exemple, met en avant les flottements haletants puis grinçants du saxophone alto de Léa Ciechelski et les souffles de l'harmonica et breaks du violon de Fabiana Striffler, avant de se combiner avec le groove du clavier de Birgé pour une narration "straight ahead". Les sons métalliques de la guimbarde et les accords de clavier de Birgé accompagnent les trilles de la clarinette d'Hélène Duret et les rebonds du piano de Roberto Negro sur « D'une fourchette » avant que n'explose la fourchette vers une mélodie résonnante de la Belle Époque.

D'autres morceaux sont plus clairement programmés. Les glissandi de la harpe électrique de Rafaëlle Rinaudo, associés aux trilles, aux slaps et aux vocalises de Duret sur « L'offrande », sont entrecoupés d'échantillons radio projetant des sons orchestraux, vocaux et parasites, ainsi que des glissés au clavier et des accords de piano par Birgé. Pendant ce temps, la pseudo-marche créée par les grognements de tuba de Fanny Meteier et les percussions et cris d'oiseaux de Maëlle Desbrosses est constamment interrompue par des échantillons de voix masculines et féminines murmurant en anglais et français, juste en dessous du seuil d'audibilité, avant d'atteindre un finale frissonnant.

Chaque morceau proposé lors de ce pique-nique français révèle une nouvelle surprise sonore, ce qui rend ce disque si captivant.


Ken Waxman

vendredi 29 août 2025

L'isthme de Courlande (4)


Trajet très confortable dans le train qui nous emmène à Klaipéda. J'ignore si c'est old style ou le luxe des temps modernes, mais on nous offre brownie et boisson chaude dans les premières classes. On se croirait en avion. Le passage en ferry pour l'isthme de Courlande ne dure que quelques minutes, puis le bus met une petite heure jusqu'à Pervalka où nous arrivons sous la pluie. L'isthme est une bande de terre très étroite sur 98 km, barrée au sud par la frontière russe de l'enclave de Kaliningrad. Dans la conjoncture politique actuelle la frontière est évidemment fermée dans les deux sens.


Nous l'apercevons au loin depuis Nida, en arpentant la dune de Parnidis, ou lors d'une promenade en voilier à bord du Neringa. Pour ces quelques jours à nous reposer, amorçant nos longues vacances, nous enfourchons des vélos prêtés par notre logeuse et pédalons vingt kilomètres de Pervalka à Nida, mais, paresseux, le jour suivant, nous empruntons le bus pour aller nous promener sur la colline des sorcières à Juodkrantė, un jardin de sculptures mythologiques en bois sous les pins.


Les plages de sable fin valent largement celle de La Baule ou des rivages méditerranéens, mais la pente faible sous les vagues ne facilite pas la nage. Comme l'an passé au Pérou, nous constatons que le tourisme est essentiellement local, avec quelques Allemands, les Français étant quasiment inexistants, d'où l'utilité d'un petit dictionnaire pour comprendre les indications ici ou là.


À Nida le petit musée de l'ambre, très bien réalisé, nous offre un break qui vaut ceux que je fais en terrasse à siroter du kwass, la boisson gazeuse à base de pain de seigle fermenté et de miel. J'essaierai la recette de retour à Paris ou j'en commanderai, car nous l'adopterons tout au long du voyage. Ici le poisson est notre nourriture principal, en particulier, les fumés de toutes sortes (maquereau, seriolella, merlu, hareng, anguille, et mon préféré bien moëlleux, la dorade sébaste), souvent vendus par des particuliers, signalés par la pancarte "Švieržiai rūkyta žurvis", soit poisson fraîchement fumé. Je ne peux pas m'empêcher de tester tout ce qui se mange, et que je ne connais pas comme les zeppelins, sorte de purée de pommes de terre farcie à la viande hachée ou de vieilles recettes de porc souvent épicées de raifort. Les soupes froides de concombre ou celles à la betterave rose fluo sont particulièrement délicieuses et rafraîchissantes.
Après ces quatre jours de promenade en forêt, nous reprenons bus, ferry et taxi pour louer une voiture qui nous permettra de voyager librement dans des endroits moins accessibles.

jeudi 28 août 2025

Kazys Varnelis (3)


Cela peut sembler idiot, égocentrique, m'as-tu-vu, ou simplement vain de publier ses photos de voyage sur Facebook, idem à raconter sa vie dans un journal extime. Or depuis vingt-et-un ans que je publie mon blog quotidiennement, fort de six mille articles, cela m'a valu des témoignages ou des rencontres totalement inattendus. Cela m'a également permis de trouver du travail, puisqu'on me demande souvent si j'en tire quelque avantage. J'ai ainsi plusieurs fois recueilli des témoignages exceptionnels sur mon grand-père que je n'ai jamais connu et pour cause (il n'est jamais revenu d'Auschwitz), sur mon père, sur des amis disparus, de même qu'il m'est arrivé de livrer des détails sensibles sur des défunts qui me sont chers et que découvrent leurs proches. Pour encore d'autres nombreuses raisons, les bénéfices sont donc indirects, mais passionnants et roboratifs !
Ainsi Siguté Chlebinskaitė, que je ne connais pas encore, apprenant que je suis de passage à Vilnius, me suggère quelques sites qui valent le détour et m'invite surtout à visiter la maison-musée de Kazys Varnelis, un artiste plasticien dont j'ignorais le magnifique travail, pourtant récemment exposé au Centre Pompidou. Siguté est touchée que j'ai cosigné le CD-Rom Alphabet sur l'artiste tchèque Květa Pacovská qu'elle chérit au plus haut point et dont elle s'était occupée.


Né en 1917, Kazys Varnelis avait fui aux États-Unis en 1949 où il est resté jusqu'en 1998, avant de rentrer à Vilnius où il vécu jusqu'à sa mort en 2010. Les Lituaniens restent toujours très attachés à leur patrie qui a subi tant d'invasions brutales au travers des siècles, et particulièrement le dernier avec le nazisme et l'occupation soviétique qui suivit. La visite de la maison-musée, quelques 2000 m², est le clou de notre séjour dans la capitale lituanienne. On pourrait l'assimiler au cinétisme, avec ses illusions d'optique géométriques, mais il a mêlé le constructivisme, le minimalisme et l'abstraction, avant de revenir en fin de vie au figuratif. Un tableau de Varnelis doit se regarder sous plusieurs angles pour en révéler les effets 3D produits par les ombres qu'il peint sur des toiles parfois très grandes. Nous avons de la chance de passer du temps dans son musée, mais aussi son atelier et ses appartements. Il a choisi chaque tableau en fonction de sa situation et de l'émotion qu'il doit produire. C'est proprement vertigineux. S'il est un musée à voir à Vilnius, pourtant peu connu des amateurs, c'est bien celui-ci.

mercredi 27 août 2025

50 nuances de GRRR dont 30 ans d'Allumés


Article fort sympathique dans le nouveau numéro du Journal des Allumés du Jazz. Il est toujours aussi agréable de recevoir ces 48 grandes pages qui parlent plus de musique que de jazz proprement dit, et pas seulement de musique, mais du monde de la musique dans le désert de la presse spécialisée et des colonnes sinistrées de la presse généraliste. Le Journal, qui paraît seulement deux ou trois fois par an, ne se renouvelle pas vraiment, mais il reste d'une très haute tenue, jadis salué par Le Monde Diplomatique comme le meilleur du genre. Et pour cause, il y a ici pratiquement autant à lire que dans ce mensuel inégalé, du documentaire et de la fiction, des interrogations fondamentales sur la vie des bêtes (IA, Spotify, marché du disque, héritage culturel, applaudissements, trumpisme, silence, etc.). Impossible à feuilleter, mais certainement nécessaire à feuilletonner pour en venir à bout !
Sa couve dessinée par Johan De Moor évoque le second Salon du Jazz qui se tiendra au Mans les 29 et 30 novembre prochains. Ce n'est pas si évident de déplacer du monde à une heure de TGV de Paris. Il faut espérer que l'implantation des Allumés au Mans profite d'aides substantielles. Il y avait évidemment plus de passage lorsque nous étions à Paris (mon label est toujours adhérent, même si je ne m'y investis plus comme autrefois, entre autres en assumant la co-rédaction en chef du Journal avec Jean Rochard pendant dix ans, ou en réalisant le catalogue de 1999, le défunt blog, la double compilation CD Les actualités de 2005, etc.). S'il faut bien décentraliser, ce choix est-il encore d'actualité ? Si GRRR fête son cinquantième anniversaire, les Allumés ont trente ans comme le rappelle l'édito de la rédaction, illustré cette fois par Efix, car comme toujours le Journal bénéficie essentiellement des petits mickeys des meilleurs dessinateurs : Killoffer, Emre Orhun, Julien Mariolle, Nathalie Ferlut, Thierry Alba, Jop, Pic, Isabelle Raquin, Rocco, Andy Singer, Fred Vervisch, Zou (sans oublier les photos de Guy Le Querrec). Une frise dessinée façon Bayeux par Gabriel Rebufello rappelle le chemin parcouru. Malgré les vicissitudes du disque, la soixantaine de labels adhérents ont su conserver leur indépendance. La dématérialisation des supports, dont profite essentiellement les majors, a fait chuter les ventes de manière catastrophique, mais les amateurs de beaux objets, attachés aux livrets instructifs ou esthétiques, résistent.


Comme au premier numéro est posée la question "Avez-vous une bonne raison de produire ?" et je m'y colle parmi d'autres camarades ainsi qu'aux autres questions "Pourriez-vous citer un évènement particulièrement marquant pour la musique ou son devenir depuis trente ans ?" et "Citez un album discographique que vous avez acquis chez un disquaire en 2024-2025 qui vous semble important ?". Sont ensuite interrogés des auteurs de pochettes. Suivent une évocation du Jazz Composers Allumés Orchestra illustré par une photo prise par mes soins au Salon de l'an passé, donc un article sur le mode fonctionnement de Spotify ou encore Les 13 morts de l'intelligence artificielle par autant d'écrivains plus un texte d'Étienne Brunet, un autre de Bonaventure Almeyreda (il y a des pseudos qui ne trompent pas son monde, ainsi Raymond Vurluz s'entretient avec le sympathique organiste Emmanuel Bex), etc. J'écris Etc., mais nous n'en sommes qu'à la moitié. Restent des entretiens avec la formidable pianiste Françoise Toullec ou le jeune saxophoniste nonagénaire François Jeanneau, des textes de Clément Gibert, Fabien Barontini, Pierre Tenne, Cordelia Winfield, Pablo Cueco, Jean-Louis Wiart, Anne-Marie Parein, Marie Nachury, l'évocation de deux enregistrements de musique pour Nosferatu, "De l'esclavage à la transe - La Tunisie noire" par Mohamed El Kebir, un nouveau rébus de Cueco et Denis Bourbaud, etc. donc, plus les nouveautés discographiques dont trois des miennes qui justifient l'encart !
Si vous n'êtes pas abonné (c'est gratuit), le Journal est téléchargeable. J'aurais préféré qu'il soit quotidien, bilingue et en ligne, mais c'est comme un disque, tenir l'objet entre ses mains est rudement sympa. Si les Allumés savent mettre le feu aux poudres, GRRR colle toujours aussi bien à l'envie de mordre !

L'article sur le 50e anniversaire du label GRRR :
Jean-Jacques Birgé avait glorieusement célébré son centenaire en 2018 avec un album discographique plein de surprises.
L'ami Arthur aurait pu commenter qu'on n'était pas sérieux quand on a cent ans. On a en effet mieux à faire et c'est bien ce qu'a fait et continue à faire au-delà de ses cent ans (quelle santé) Jean-Jacques Birgé, comme par exemple en fêtant les 50 ans de GRRR...., l'étiquette qu'il a inventée en 1975 pour la publication de l'album Défense de..., réalisé avec le guitariste Francis Gorgé avec qui il va faire un sacré bout de chemin et le percussionniste Shiroc (qui officiait alors dans certaines formations de jazz rock avec Jeff Seffer, Gérard Curbillon ou Jannick Top). Jean-Jacques Birgé y jouait des claviers de toutes sortes, du saxophone, des percussions (liste non exhaustive). GRRR... fut, en 1979, le label du premier album d'Un Drame Musical Instantané, extravagant trio créé par Birgé, Gorgé avec le trompettiste Bernard Vitet qui, après avoir été une des étoiles du jazz français et être passé par le free jazz, s'était singularisé dans la création d'une musique résolument différente avec La guêpe, par exemple. Il publiera d'ailleurs son second album solo, Mehr Licht, sur GRRR... en 1979. Un Drame Musical Instantané s'est illustré par ses relations cinématographiques, mises en musique des films de Jean Vigo, Robert Wiene, Dziga Vertov, Marcel L'Herbier, Jean Epstein, des créations en grand orchestre ou des spectacles multimédias. La liste de leurs invités donne des pistes : Richard Bohringer, Brigitte Fontaine, Daniel Laloux, Colette Magny, Christian Marin, Maurice Garrel, Guy Piérauld, Henri Texier, Benoît Delbecq, Steve Arguëlles, DJ Nem, Philippe Deschepper... Outre l'étonnant album d'Hélène Sage, les albums du trio Pied de Poule, un récent duo Dominique Fonfrède - Françoise Toullec et les très jolis albums de l'accordéoniste et chanteuse Michèle Buirette, GRRR... est aussi une foisonnante documentation du trajet de Jean-Jacques Birgé. Récemment parus: le faunique Animal Opera avec un big band cunicole, le volume 4 de la série Pique-nique au labo et sa foultitude de remarquables invités, et un étourdissant double album, Les déments, avec le comédien Denis Lavant et le saxophoniste Lionel Martin. Vivement le millénaire !

mardi 26 août 2025

Vilnius (2)


Si lors de ce voyage baltique nous avons choisi des Airbnb plutôt que des hôtels, à prix identique voire moindre, ce n'est pas seulement une question d'espace avec possibilité de faire la cuisine pour éviter de manger tout le temps au restaurant, mais nous avons trouvé des appartements ou des maisons souvent incroyables. À Vilnius nous logions donc dans la vieille ville, nous permettant de tout faire à pied.


Christiane m'a photographié devant le buste de Frank Zappa et devant la plaque de la rue littéraire où sont accrochés au moins une centaine d'écrivains et d'écrivaines. Le héros de ma jeunesse est ici étonnamment populaire, un peu comme à Prague où Vaclav Havel lui avait proposé de devenir conseiller culturel de son pays récemment libéré du joug soviétique.


À mon tour, je l'ai prise en photo devant la statue du grand poète romantique polonais Adam Mickiewicz, et plus tard à Nida sur la dune avec Jean-Paul Sartre, salué pour sa visite en 1965, ou devant la maison de Thomas Mann qui y résida avec les siens durant les étés de 1930 à 1932 (ci-dessous) !


Les gens du nord ont un goût très prononcé pour les statues, qu'elles soient en bois, figures de sorcières à Juodkrantė, ou en pierre, très contemporaines, ou encore en bronze le plus réaliste possible. C'est franchement le plus souvent hyper ringard, mais cela anime les parcs et les places.


À l'église Sainte-Anne je ne peux m'empêcher de photographier le Christ avec une tronche de cake en forme d'encensoir. Lorsque ma fille était toute petite nous nous promenions quotidiennement au Père Lachaise où, je n'ai jamais su pourquoi, elle l'appelait Gertrude. Probablement une vague paronymie ! Quant à mon petit-fils, cet été il a dignement suivi l'inclination familiale en l'invectivant : "Hé, descends de là ! Arrête de faire ton intéressant alors que t'es mort !". Mon anticléricalisme est inextinguible. Récemment, désirant me débarrasser rapidement de Témoins de Jéhovah ayant sonné à ma porte, sans réfléchir je leur clouai le bec par un buñuélien : "Je déteste Dieu !". Leurs figures déconfites me ravit.


Nous avons bien entendu arpenté la ville pour admirer églises et cathédrale, la commune d'Užupis, le musée d'Art moderne (MO Museum), la Porte de l'Aube, etc., et nous avons adoré prendre le train jusqu'au château de Trakai, première capitale de la Lituanie avant Vilnius. C'est aussi "le dernier bastion des Caraïtes (Karaïs), minorité juive de langue turque, venue de Crimée constituer la garde d'élite du grand-duc Vytautas à la fin du XIVe siècle." Il en restait 192 en 2023. Les historiens du Reich avaient néanmoins considérés qu'ils n'étaient pas juifs. Par contre, les Nazis n'y sont pas allés de main morte : presque toute l'importante communauté juive lituanienne a disparu, 90% des 160 000 ayant été exterminés. Trakai est entouré d'eau, très belle promenade d'où nous rentrons avant qu'il pleuve. Pendant toutes les vacances nous aurons l'impression de passer entre les gouttes.


Mais le clou de notre séjour à Vilnius sera la visite de la maison de Kazys Varnelis. À suivre.