70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 11 juillet 2025

Pause estivale


Pause du blog du 14 juillet au 24 août. Comme chaque fois je relaterai plus tard cette période loin des réseaux, nécessaire, salutaire. Je débranche la perfusion, sachant pertinemment que l'on peut vivre sans fil à la patte. Je me souviens qu'adolescent il m'arrivait de partir presque trois mois sur la route à l'autre bout du monde et, bon garçon, d'envoyer tout de même cinq cartes-postales à mes parents, à une époque où le moindre coup de téléphone aurait coûté une fortune. Comme j'ignore totalement vers quoi je me dirige à la rentrée, j'espère que ce break m'inspirera, infléchissant mes nouvelles aventures. Il m'arrivera probablement d'envoyer une image de temps en temps sur FaceBook ou Instagram, c'est leur fonction carte-postale. À bientôt donc, profitez de la vie, ne désarmez pas, aimez et partagez.

jeudi 10 juillet 2025

Zappeurs-Pompiers 2 (1989)


Comme un condensé de mouvements passés à la moulinette des mots, le programme annonçait : "Dans les quartiers d'isolement toutes les chaînes se valent. Le nombre passe l'uniforme, plus y en a moins y en a. La télécommande brûle les doigts, on finit par zapper sa vie et celle des autres. Et puis on allume la musique, pour que ça glisse. En couleurs. Quand l'objectif est un miroir l'arroseur arrosé s'écrit sur le noir du ciel avec un micro de lumière. Vertige du direct. Les pirates hachent le programme qui rend son jus. Plein feu, salut."
Zappeurs-Pompiers 2 faisait évidemment suite à un numéro 1 qui s'était improvisé avec la chorégraphe Lulla Card (aujourd'hui Lulla Chourlin) et le comédien Éric Houzelot. Le 12 juin 1989 le second volet est créé pour l'ouverture des 38e Rugissants au Cargo à Grenoble. Lulla Card danse une paluche à la main, Guy Pannequin (des Macloma) fait le clown et Un Drame Musical Instantané signe musique et zapping en direct sur grand écran à cette époque des tout débuts de la télévision par satellite.


Zappeurs-Pompiers 2 était un spectacle sur la télévision, un spectacle dont la règle d'or était le direct. Il prétendait répondre à l'envahissement de nos vies par cette étrange lucarne, mystérieux trou noir qui aspire tous ceux qui passent à sa proximité. Non contente de ravir tous les publics, la télévision était censée générer de nouvelles pratiques de vie. Il ne restait plus aux créateurs qu'à s'y insérer ou bien encore à produire des spectacles vivants où le gigantisme et le risque sont la caution d'un instant différent et immédiatisable. Les temps ont changé, les médias aidant, mais le formatage des ciboulots est toujours au programme.
La captation n'est pas fameuse, mais elle permet d'entendre et de voir cette incroyable création où Bernard Vitet (trompette, voix, trompette à anche, flûte), Francis Gorgé (instruments de synthèse, guitare, programmation, flûte) et moi (instruments de synthèse, voix, zapping, flûte) n'avions froid ni aux yeux ni aux oreilles. C'était aussi le temps où le théâtre musical était à la mode. Nous en publiâmes une version CD intitulée Qui vive ? dont la pochette, une de mes préférées, est de Massimo Mattioli.

Article du 5 mars 2013

mercredi 9 juillet 2025

Marchands de canons promus par Libération


Cynisme des marchands de canons et hypocrisie du journal Libération qui intègre leur publicité dans ses mails aux abonnés. Le titre, "ReArm Europe" : Comment tirer profit du plus grand plan de relance militaire de l’histoire de l'UE d’ici 4 à 8 mois. Les trois arguments :
✅ Pourquoi l’Union européenne injecte 800 milliards d’euros dans l’industrie de la défense, créant une opportunité unique pour les investisseurs.
✅ Comment certains de nos lecteurs ont déjà réalisé des gains de +380% grâce à certaines de nos recommandations sur des valeurs clés du secteur militaire.
✅ Découvrez 9 entreprises européennes stratégiques qui devraient tirer profit de ce pactole gigantesque.
Les neuf entreprises ne sont évidemment pas nommées, mais ce n'est pas très difficile de les identifier.


À l'heure où la France honteuse fournit des armes au gouvernement criminel et génocidaire israélien (mais pas qu'à lui, la guerre est un business qui a toujours fait fleurir les porte-feuilles et les tombes), Libé se goinfre en offrant ses colonnes à ces salauds.


Raisonne évidemment à mes oreilles la chanson de Boris Vian intitulée Le petit commerce, musique d'Alain Goraguer.

Are you experienced ?


À Nantes, au Jardin Extraordinaire, Eliott m'affirme que c'est un crapaud parce qu'il a des pustules sur le dos. Plus loin des grenouilles, plus menues que lui, s'ébattent. Course-poursuite et chevauchements de rigueur. Est-ce la saison des amours ? Je ne me risque pas à leur faire un bisou, car je n'ai jamais été fan de la polygamie. Jeune homme, je me souviens avoir vécu deux semaines avec trois filles de mon âge, une à chaque étage. C'était accidentel, concours de circonstances lié à mon sens de l'hospitalité. Cela peut paraître fantasmatique, mais je n'en ai absolument pas profité, car je culpabilisais en pensant aux deux autres lorsque j'étais avec chacune d'entre elles. Les années 70 rendaient ces situations plutôt banales. Nous ne nous formalisions pas de la liberté que nous accordions les un/e/s aux autres, ce qui ne signifie pas que nous étions plus heureux pour autant. J'avais beau avoir passé deux jours avec une fille, cela ne me faisait pas particulièrement plaisir que ma compagne officielle rentre de Lyon en me racontant qu'elle avait fait l'amour tout le week-end avec un Tahitien "beau comme un dieu". Pour être positif, disons que cela avait le mérite d'être expérimental. Jimi Hendrix chantait : Are you experienced ? Nous l'étions, par tous les sens. Cela ne faisait pourtant pas de nous de meilleurs amants. Nous ne confondions pas la sexualité avec l'amour, sentiment plus rare. J'ai l'impression qu'il m'aura fallu des années pour en apprécier toutes les subtilités, alors que mon romantisme de midinet n'a probablement pas beaucoup évolué.

mardi 8 juillet 2025

Chansons au long cours


Dernière séance de studio avant les vacances, j'enregistre le quintet réuni par mon ami Didier Silhol. Nous nous connaissons depuis plus de quarante ans. Habituellement il est chorégraphe et danseur, spécialisé dans la danse-contact-improvisation. L'an passé je l'avais accompagné pour une Garden Party avec un autre danseur, Cléo Laigret, dans le cadre de mes Apéro Labo. La plupart des artistes avec qui je collabore ont plus d'une corde à leur arc. Didier a cette fois écrit des chansons, paroles et musique pour la plupart. Il a donc retrouvé le jardin pour préparer l'enregistrement de ce qui deviendra probablement un disque. Étaient présents Claire Marchal aux flûtes, Raphaël Godeau à la guitare et Joe Quitzke aux percussions, tandis qu'Alice Lockwood et Didier chantaient.


Après le récent duo/trio de Claire et Raphaël, c'était un nouvel exercice pour moi qui n'ai pas l'habitude d'enregistrer des musiciens sans participer à la création, qui plus est sans aucun instrument électrique. Je m'en remis néanmoins à la méthode consistant à placer les micros aux bons endroits et de faire confiance aux musiciens. Trois Neumann, deux Schoeps et un Royer feraient l'affaire. Il ne resterait plus qu'à mixer pour rééquilibrer les voies et les placer dans un espace qui n'aurait d'imaginaire que le fait de les y téléporter informatiquement. Cela consiste en une réverbération à convolution. Il suffit de choisir la salle ou le théâtre qui convienne à leur musique.


Je suis épaté par Didier, pour ses compositions comme pour la direction de l'ensemble. S'il était venu régulièrement cette année travailler au piano, le projet ne date pas d'hier, puisqu'en 2017 nous avions déjà enregistré ses quatre enfants les plus âgés dans cette perspective. J'ai rarement perçu autant d'amour filial de part et d'autre. Chaque fois les protocoles sont très précis. Évidemment je ne veux rien déflorer, juste préciser que c'est entre la chanson française, la musique traditionnelle et l'improvisation libre !

lundi 7 juillet 2025

Les déments sur Jazz'Halo


La poésie et le jazz sont le yin et le yang l'un de l'autre, les poètes du Beat en savaient quelque chose. Par la suite, beaucoup leur ont emboîté le pas. « Les Déments » du multi-instrumentiste Jean-Jacques Birgé et du saxophoniste ténor Lionel Martin apportent leur propre variation avec le narrateur Denis Lavant.

Ils utilisent pour ce faire des textes empruntés à Marcel Moreau (“M'accordez-vous ?”), André Martel (“Cantode du Lobélisque”), Xavier Grall (“Les Déments”) et André Schlesser (“Petit Chien Sans Ficelle”). Autant de noms qui résonnent à l'oreille de ceux qui connaissent la littérature francophone.

Les quatre pièces sont conçues comme un jeu d'écoute, Lavant déclamant les textes dans toute leur férocité. Musicalement, cela ressemble à la bande-son d'un sketch sombre en marge de la société. Les sons des galeries d'images de « l'exploration urbaine » surgissent presque automatiquement. Il s'agit également de « sonorités étranges » indiquant « des endroits maudits ». Philip Glass et Steve Reich, ainsi que le dadaïsme, sont d'autres références applicables ici.

Une bonne connaissance de la langue française est nécessaire pour apprécier pleinement cette pièce radiophonique noire. Une coproduction du label Ouch ! avec le label d'avant-garde et anarchiste de Birgé, GRRR, qui célèbre cette année son 50e anniversaire.

Georges Tonla Briquet, traduction automatique de la revue flamande Jazz'Halo
Double CD sur Bandcamp

vendredi 4 juillet 2025

Faute d'inattention


Comme l'amour, l'amitié se cultive. À s'endormir sur ses acquis on risque la rupture. Le passé ne peut être un gage du présent, encore moins de l'avenir. Une révision s'impose, sommaire ou complète, tous les 5000 ou les 10000, et pour les plus téméraires chaque matin, à l'heure où tant d'autres se rasent les antennes.
Les doléances peuvent parfois sauver une relation si elles sont entendues, assimilées. Si l'on ne change personne qui ne le souhaite, chacun peut rectifier sa propre position et entamer un nouveau cycle. On n'échappe pas à sa névrose, que l'on suppose d'origine familiale, mais il est toujours possible de l'aménager, soutenu par une assistance professionnelle ou with a little help from my friends.
Plusieurs fois dans ma vie j'eus ainsi la chance d'avoir des amis bien intentionnés qui eurent le courage de me remonter les bretelles en me renvoyant mes critiques façon boomerang dans certaines périodes de doute quelque peu désespérées. Si la révélation n'avait été brutale j'aurais fait ceinture jusqu'à la saint-glinglin. Leur réponse était toujours courte, une phrase indépendante, affirmative ou interrogative, mais sans échappatoire. Je leur sais gré de m'avoir sauver la vie dans ces instants fragiles comme à d'autres de m'avoir accompagné sur la durée.
M'ouvrant à des amis sur une récente déception ils évoquèrent l'ego surdimensionné de ce camarade. Or, dans la sphère artistique où j'évolue, nous avons tous un ego aussi démesuré. Le danger vient du manque d'attention que nous aurions envers celles et ceux qui nous entourent. L'égocentrisme a bon dos de justifier l'égoïsme. Le premier est souvent nécessaire au créateur, le second est la garantie de faillir jusqu'à la rupture, ultime ressource de l'autre, dans le cadre d'un couple, d'une relation amicale ou professionnelle.
Privilégier le mode affectif dans les rapports humains m'expose aux déconvenues, mais je ne peux imaginer vivre autrement que dans le partage. Pas seulement des biens, des idées ou des valeurs morales, mais aussi avec la certitude absolue que personne ne peut réussir seul. La position sociale ne pesant pas lourd face à la composante humaine, le collectif me semble l'unique chance de nous sortir du bourbier. Il m'est de plus indispensable de transmettre à mon tour ce qui me fut légué, de protéger celles et ceux que j'aime, d'apprendre à les écouter au delà de nos divergences, de ménager leur susceptibilité, de reconnaître à chacun son apport dans le puzzle inextricable dont nous composons tous ensemble les pièces.
M'entendant lui répéter les mêmes mots prononcés il y a quelques années face à des amis indélicats et perdus depuis, et que mon camarade connaissait par cœur pour en avoir été lui-même la victime, j'en eus la bouche pâteuse et la nuit insomniaque. Confronté à son incompréhension devant ce qui n'est qu'une position de principes le bilan s'est imposé, amer et dépressif. Ma responsabilité est entière, car dans tous ces cas je jouai le rôle de passeur, de père ou de moteur. Le sentiment d'échec que je ne peux m'éviter de ressentir, à l'image du monde que nous rêvions de léguer, ne m'empêche pas de continuer à construire des alternatives au calcul égoïste que le Capital impose comme modèle.

La glace a fondu depuis cet article du 19 mars 2013 !

jeudi 3 juillet 2025

Autant de cordes que de feuilles sur L'arbre de vie


Depuis notre première collaboration sur Dépaysages et cet article du 4 mars 2013, Jacques Perconte a réalisé en 2020 le magnifique MEG 2152, troisième épisode de mon film Perspectives du XXIIe siècle.

Ton sur ton. Mouvement imperceptible des feuilles. Il faut que je compose avec tout ce vert. Rejet de toute analogie électronique, le fantasme symphonique me hante depuis toujours. Les cordes s'imposent comme une évidence pour leur légèreté foisonnante, rebonds des archets ou tirés-poussés très courts et frénétiques. Je fais courir mes doigts. On entendra ce que l'on peut seulement deviner derrière les buissons. Une présence. Celle de Jacques Perconte ? Un animal ? Sanglier ou scarabée ! Les petits font parfois beaucoup de bruit. Inquiétant si l'on résiste, fascinant si l'on se laisse aller à la rêverie. Le thème de L'arbre de vie valide cette vie grouillante et invisible. On entendra la sève couler dans ses veines. J'empile les vertèbres après les avoir dessinées une à une. L'inconscient fonctionne à l'intuition. J'enregistre sans vraiment savoir, cherchant les effets d'orchestre, la vibration, la vie même, ce n'est jamais simple. À la fin de la séance je jette tout ce que j'ai fait et je recommence dans la continuité, par touches successives. Il ne me reste plus qu'à associer les séquences avec les différents mouvements de l'arbre qui cache la forêt. Quelques pas, une respiration, le son d'un bol chantant. L'imposante structure cède la place au synchronisme accidentel.


Jacques me demande de retenir l'entrée des cordes avec le bruit des feuilles que j'ai déjà placé ailleurs et d'ajouter des basses pour faire exister la terre sous le ciel. On aperçoit l'une et l'autre sous les compressions successives, ou leurs représentations saturées, touches de jaune, de bleu, de rose. Je puise cette dialectique des éléments dans les quelques prises laissées de côté, hors-champ. Tout est déjà là, les évocations m'ont été inspirées dans les jours qui précèdent. Reste à soigner les articulations. Je découvre le titre l'avant-veille de la première : Árvore Da Vida.

mercredi 2 juillet 2025

Synths, sax & situationists


La scène musicale underground française de 1968 à 1978. Absolument passionnant, et d'une rare rigueur (plus de 50 entretiens), 530 pages, préfaces de Steven Stapleton (Nurse With Wound) et myself, sortie août 2025 - ce serait bien que ce soit traduit en français, parce que c'est un Australien, Ian Thompson, qui s'en est chargé ! En couverture la célèbre photo de Patrick Vian (Red Noise) par Claude Palmer.

Un petit film de présentation ici.

En août sortira également un coffret de 5 CD de Nurse With Wound où figure un remix concocté par mes soins, remix que l'on trouvera auparavant sur un EP de 4 titres, promo tirée à 300 exemplaires. Quant à Patrick Vian (fils de Boris), au début des années 70 j'assurais avec H Lights le light-show de son groupe Red Noise et du Vieux Berthoulet.

Chaleurs


Il ne s'agit évidemment pas des émois d'Oulala qui eut tant de chatons, mais des souvenirs de la chape de plomb que nous avions portée sur les épaules.
Le plus ancien remonte à 1968 où ma petite sœur et moi étions descendus au fond du Grand Canyon. Chaque fois que nous essayions d'affronter la pente, nous faisions machine arrière pour regagner l'unique abri ombragé. L'éblouissant soleil chauffait le sable à blanc. Après je ne sais combien de tentatives infructueuses j'avais finalement réussi à rejoindre sans aide le Greyhound Bus, un grand de dix-huit ans ayant heureusement tiré Agnès jusqu'en haut. Nous n'en avions que treize et quinze. Je remarque qu'elle ne lâche pas son sac à main pour autant ! Comme nous n'avions par contre emporté aucune gourde, à part nos deux carcasses, nous étions totalement déshydratés, les lèvres gercées, éclatées, nous traînant comme deux zombies. Arrivés à El Paso, nous nous étions écroulés tout habillés sur nos lits et nous avions dormi vingt-quatre heures d'affilée.


L'année suivante nous sommes partis au Maroc avec nos parents. Ce fut le dernier voyage que nous fîmes en famille. Sur la route de Ouarzazate à Zagora, une pluie salvatrice fit arrêter mon père qui coupa le moteur de la voiture de location. Mais les gouttes s'évaporaient avant de nous atteindre. Mon père, qui avait plongé le premier dans la piscine de l'hôtel, faillit avoir une syncope. L'eau était bouillante. La nuit nous avons déliré tous les quatre, malgré les cinq litres d'eau ingérées. On nous avait raconté qu'il faisait froid dans le désert après la fin du jour. Je crois me souvenir que le thermomètre n'était pas descendu en dessous de 51°C.
Plus tard je connaîtrai la Grèce, le sud de l'Italie, la Sicile, et l'Asie du Sud-Est où nous options chaque fois pour une chambre avec ventilateur plutôt que l'air conditionné qui vous colle la crève. Le vent produit par les pals avait aussi l'avantage de faire fuir les moustiques. À Paris je préfère dormir sous une moustiquaire, ce qui me permet de traiter par le mépris les insectes voraces qui en ont après mon AB+. À l'avenir, si jamais la température continue à monter, ce qui est plus que probable, je descendrai un matelas à la cave ! De toute manière je dors mieux dans l'obscurité.

mardi 1 juillet 2025

Entre les gouttes


On vit généralement dans un petit monde. Dans les fêtes nous rencontrons presque toujours des connaissances et de nouvelles têtes, dans mon cas particulièrement si l'on est parisien ou assimilé dans un milieu aux accointances avec l'art ou la culture. Il est également courant de s'y trouver des amis communs. Je me suis récemment aperçu que j'étais aussi étonné que l'on me reconnaisse ou que l'on ignore tout de mon travail. Plus je m'éloigne de chez moi, plus l'étonnement est grand par exemple face aux musiciens qui savent qui je suis, et, dans le même temps, plus il est logique que je n'existe pas. C'est toujours délicat, pour moi comme pour mon interlocuteur, de devoir expliquer pourquoi ! Il me semble néanmoins que nous avons affaire à deux sortes de personnes, les curieux qui aiment remonter aux sources, fussent-elles anciennes ou actuelles, et celles et ceux qui se contentent du présent. Toute projection sur l'avenir m'apparaît pourtant intimement liée au passé. Par exemple, lorsque je croise des musiciens ignorant l'histoire de Bernard Vitet ou l'apport de notre groupe Un Drame Musical instantané à la composition instantanée appelée couramment improvisation, à la création collective, au ciné-concert, à l'introduction des nouvelles technologies, je suis surpris et forcément un peu déçu. La même chose quand il s'agit de mon propre nom, puisque voilà une vingtaine d'années que je signe en tant que tel, que ce soient mes disques, mes films, mes œuvres interactives ou mes articles. Si l'underground dans lequel j'évolue bénéficie d'une couverture médiatique bien supérieure à son rayonnement réel, il est compréhensible que l'on me retrouve en bonne place parmi les "rockers maudits et grands prêtres du son" croqués dans la bande dessinée de Le Gouëfflec & Moog ou dans les recueils de Philippe Robert, de l'Australien Ian Thompson ou de l'Anglais Alan Freeman. Encore faut-il s'intéresser à ce qui vous a amené là où vous êtes ! J'ai l'habitude de remonter le fil pour sortir du labyrinthe. Tout le monde ne partage pas cette interrogation qui me permet encore aujourd'hui d'avancer sans me contenter du présent, et de partager avec mes lecteurs, auditeurs, spectateurs, étudiants, etc., cette soif inextinguible. De toute manière aucun artiste n'est jamais satisfait de la reconnaissance qu'il suscite, et ce quelle que soit sa notoriété.

lundi 30 juin 2025

L'île roumaine du Balanescu Quartet


Alexander Balanescu n'inonde pas le marché de son quatuor comme le Kronos, mais chaque album est une jolie surprise. Après un passage de quatre ans au sein du Quatuor Arditti le violoniste s'était fait connaître avec Possessed pour lequel il avait arrangé pour quatuor à cordes les tubes du groupe électronique allemand Kraftwerk et avec le superbe Luminitza qui marquait son retour dans son pays après les années Ceaucescu. Suivirent de remarquables interprétations de Michael Nyman, David Byrne, Robert Moran, John Lurie, Michael Torke, Kevin Volans, Gavin Bryars, etc., de nombreuses collaborations avec le cinéma dont celles avec Phil Mulloy, et trois albums du Quatuor composés par le violoniste. Le plus récent [j'en ai trouvé un nouveau lors de mon séjour à Bucarest en 2019] est un duo entre la chanteuse-comédienne Ada Milea et Balanescu à la tête de son quatuor à cordes augmenté d'un percussionniste. The Island est une adaptation humoristique de l'histoire de Robinson Crusoé où l'orchestre, toujours aussi lyrique, dessine le décor et l'action face aux dialogues absurdes joués en anglais avec un accent roumain à couper au couteau. On se laisse porter jusqu'à leur île, quitte à attendre le prochain navire...


En 1994, le Quatuor Balanescu avait enregistré Sniper Allée, une pièce que j'avais composée pour le CD Sarajevo Suite et dont j'ai récemment retrouvé un enregistrement vidéo réalisé au Cargo à Grenoble pour les 38e Rugissants.

Article du 6 mars 2013

vendredi 27 juin 2025

Agitation de Ilhan Mimaroğlu


C'est incroyable. Comment ai-je pu oublier Ilhan Mimaroğlu ? Je ne suis pas le seul, d'autant que ce compositeur turc n'est pas des plus connus parmi les amateurs de musique contemporaine. Son originalité et son implication politique expliquent peut-être sa marginalisation. Émigré aux États Unis, il fut l'élève de Vladimir Ussachevsky, mais aussi d'Edgard Varèse et Stefan Wolpe. Sa musique électronique possède d'ailleurs le swing et l'ouverture d'esprit du Poème électronique de Varèse, Varèse qui dirigea des jam-sessions avec Charges Mingus dès 1957 ! Et Mimaroğlu de produire en 1974 Changes One et Changes Two de Mingus, albums dédiés à la mutinerie de la prison d'Attica, ou Ornette Coleman. Trois ans plus tôt il avait cosigné l'album Sing Me a Song of Songmy avec le trompettiste Freddie Hubbard contre la guerre du Viêtnam. Sa musique peut avoir des intonations classiques, free jazz ou ressembler à un cut-up pop plus efficace que tous les plunderphonics actuels, mélange de György Ligeti, Conlon Nancarrow, Cecil Taylor, Jimi Hendrix et Charles Ives.


Sacha Gattino a ravivé ma mémoire en me faisant écouter Tract: A Composition Of Agitprop Music For Electromagnetic Tape qui figure dans Agitation avec To Kill A Sunrise: A Requiem For Those Shot In The Back et La Ruche: An Elegy For Electromagnetic Tape. Je retrouve l'une des sources de mon inspiration tant pour mon engagement politique que dans la manière de l'exprimer en musique. Tout y est, le chaos encyclopédique des voix et des citations, les montages radiophoniques qui s'entrechoquent pour faire ressortir les paysages sociaux cachés derrière les notes, la mécanique de l'électronique, les grands mouvements d'orchestre et les masses qui tombent des cintres comme des couperets, le discours de la méthode, des sonorités inouïes, un univers sonore où tout est possible, même le réel. Mimaroğlu appartient à une génération où l'échantillonnage faisait partie de notre panoplie sans que les avocats bloquent tout ou fassent cracher quiconque détournerait une seconde du répertoire qu'ils prétendent protéger ! Il fait surgir des émotions enfouies qui datent d'avant mon entrée en musique, avant la révélation de Frank Zappa lorsque j'avais 15 ans. J'avais déjà parlé des évocations radiophoniques, de la musique tachiste de Michel Magne, du piano préparé, de Miss Téléphone, mais là se révèle un monde aussi riche que les Histoire(s) du cinéma de Godard, comme si je retrouvais mon père, du moins l'un d'entre eux puisque je fus engendré plus d'une fois dans ma vie. Ilhan Mimaroğlu est mort le 17 juillet 2012 à 86 ans.

Article du 7 mars 2013

jeudi 26 juin 2025

Sarajevo Suite (live 1994)


Je fouille, dépoussière, éternue, exhume, exulte enfin lorsque je découvre les archives vidéographiques laissées de côté depuis tant d'années. J'avais bien mis en ligne sur YouTube, DailyMotion ou Vimeo quelques petits machins, extraits "vus à la télé", entretiens, conférences, home movies, répétitions, témoignages divers et variés d'un workaholic, mais certains documents m'avaient échappé. Ou bien leur durée semblait incompatible avec le Web... 66 minutes pour L'homme à la caméra, 57 minutes pour J'accuse, 2h16 pour Sarajevo Suite, 3h14 pour L'argent ! La progression est exponentielle. La chasse au trésor se révèle plus miraculeuse que la création d'emplois. Raison de plus pour prendre le temps de numériser ces VHS rangées sur une étagère inaccessible sans une dangereuse escalade. Je pense à Charles Valentin Alkan, le Berlioz du piano, écrasé par sa bibliothèque en cherchant à attraper un exemplaire du Talmud !



Claude Piéplu accepte de jouer le récitant de l'unique concert donné à l'occasion de la sortie du CD Sarajevo Suite au Festival des 38e Rugissants à Grenoble le 30 novembre 1994. André Dussollier, Bulle Ogier et Jane Birkin avaient tenu ce rôle sur le disque dont je m'étais occupé avec Corinne Léonet. Je mets donc en scène la soirée. Interviennent par ordre d'apparition : Piéplu, Pierre Charial, Un Drame Musical Instantané, Bernard Vitet, Kate Westbrook, le Balanescu String Quartet (Alexander Balanescu, Clare Connors, Andrew Parker, Sian Bell), Henri Texier Azur Quintet (Bojan Z, Noël Akchoté, Sébastien Texier, Tony Rabeson), Gérard Siracusa, Mike Westbrook, Chris Biscoe, le film Le Sniper de J-J Birgé, Lindsay Cooper Quintet, Thomas Bloch, Phil Minton, Dean Brodrick, la voix d'Abdulah Sidran, auteur bosniaque des poèmes qui ont inspiré les divers compositeurs...

Dix-huit ans plus tard [31 aujourd'hui puisque cet article date du 25 février 2013], la Planète Sarajevo qu'évoque Claude Piéplu a d'absurdes résonances Shadok. La prophétie s'est vérifiée. Le monde marche sur la tête. Le siège aura marqué le retour d'une barbarie décomplexée, le blanc-seing aux pires atrocités sans que quiconque ne bouge [Gaza est le pire cauchemar, la honte absolue]. Au moment de l'enregistrement l'heure est grave. Il s'agit de reconstruire la ville, mais qu'en est-il des habitants ? Ce qui était le sujet de la série télévisée Chaque jour pour Sarajevo à laquelle j'avais participé se retrouve dans le ton des artistes présents sur la scène du Cargo. Ils se succèdent sans temps mort. C'est réglé comme du papier à musique, sauf qu'ici tout se fait de tête et avec le cœur.

mercredi 25 juin 2025

Apocalypse Now


Lorsque je suis seul, fatigué et paresseux, il m'arrive de regarder des films qui ne plairaient pas à ma compagne. Sous prétexte de m'intéresser à tous les genres j'opte de temps en temps pour ceux que j'appelle des daubes. Il s'avère parfois que mes a priori dépréciatifs soient erronés comme récemment avec La Passion selon Béatrice ou Rich Flu ; alors je mets en pause pour repartir du début et en profiter à deux ou à plusieurs. Ce sont le plus souvent des films d'action, des documentaires musicaux ou des comédies françaises dont je ne verrai jamais le bout. Les deux découvertes précitées sont néanmoins un documentaire de création et une dystopie. Or, s'il est un genre qui m'est désormais insupportable, ce sont les films de guerre ou d'espionnage américains.
Grand fan de Samuel Fuller, j'ai aimé ses J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet), Baïonnette au canon (Fixed Bayonets), Ordres secrets aux espions nazis (Verboten), Les maraudeurs attaquent (Merrill's Marauders) et Au-delà de la gloire (The Big Red One), même si ce ne se sont pas mes préférés de celui qu'à tort Georges Sadoul fustigeait en se trompant sur leur sens idéologique. Comme plus tard Robert Altman, Dalton Trumbo, Francis Ford Coppola ou Oliver Stone, son propos n'a jamais été de glorifier la guerre, mais d'en montrer l'horreur et l'absurdité. Je sais bien qu'y réside une forte ambiguïté. Mais les productions dont je parle et qui me donnent aujourd'hui envie de vomir ne sont évidemment pas de cet acabit. Les réalisations de Spielberg ou Nolan me font pourtant cet effet. Où se situe la limite ? Dans la complaisance de la violence ? Dans l'apologie de l'héroïsme ? Dans la glorification du nationalisme ? Dans le manque évident de recul dont j'ai besoin pour satisfaire ma non-violence critique en évoquant la logique du profit ?
L'actualité au Moyen-Orient a brutalement suscité cette réaction épidermique. En découvrant les ruines de Gaza ou en imaginant les bombardements israéliens et américains qui tuent aveuglément des populations civiles je ne peux plus supporter l'ambiguïté du spectacle cinématographique. J'aurais pu réagir plus tôt. Au Vietnam, en Angola, en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Rwanda, en Tchétchénie, en Ukraine, partout sur le globe, depuis des temps immémoriaux. Lorsqu'il m'a été donné la possibilité d'intervenir j'y suis allé comme à Sarajevo pendant le siège fin 1993, et avant cela en Algérie et en Afrique du Sud. J'ai toujours été non-violent, prenant ma carte de citoyen du monde quand j'avais onze ans, me faisant réformer pour ne pas porter une arme, me servant d'une caméra, du son ou de ma plume pour dénoncer l'ignominie de l'espèce humaine, criminelle et suicidaire. S'il n'y a rien de nouveau depuis des siècles, la puissance de destruction est devenue définitive. Il suffit d'appuyer sur un bouton et d'en admirer cyniquement l'efficacité à distance.
Ma sensibilité à fleur de peau est évidemment décuplée par le génocide en cours en Palestine. Combien de décennies faudra-t-il aux Israéliens pour assumer l'horreur dont ils sont les auteurs (et ce depuis plus de 70 ans !) ? De quelle société hériteront-ils lorsque les assassins aux ordres rentreront chez eux ?... L'Amérique s'est bâtie sur la violence et un génocide, enfermant les rescapés dans des camps appelés réserves. Pour ne l'avoir jamais reconnu, elle est condamnée à répéter sans fin son besoin de suprématie en l'imposant par la violence. Son cinéma en est le reflet, avec ses westerns et ses films de gangsters dont elle s'est fait une spécialité. La paranoïa guide les criminels. Ainsi Israël détruit le mythe sur lequel il s'est construit. Le storytelling aura fait long feu.

mardi 24 juin 2025

Billebaude - Mondes sonores


J'aime beaucoup la luxueuse revue Billebaude qui s'interrogeait sur notre rapport à la nature en invitant des chercheurs en sciences du vivant et en sciences humaines, des praticiens et des artistes sur des sujets comme le loup, le lapin, l'ours, l'animal imaginaire, affronter la sixième extinction, la ville sauvage, l'art du leurre, etc. Je ne pouvais manquer celui intitulé Mondes sonores (2019), comme tous les autres merveilleusement illustré. J'ai été fasciné par les araignées jouant sur les cordes de leurs toiles, par le lien immémorial que nous entretenons avec les autres animaux, tel "siffler avec les aigles", par les expériences de Knud Viktor, et bien d'autres textes qui interrogent plus qu'ils n'expliquent.
Lorsque j'enseignais le son à l'Idhec (ancêtre de la Femis), et évidemment ensuite dans de nombreuses écoles de par le monde, en particulier l'écoute qui est la première chose à aborder dans ce domaine, comme je l'avais moi-même appris d'Aimé Agnel, je commençais par le silence. Il n'existe évidemment nulle part sur cette planète, sur terre ou sous l'eau. Il faut tendre l'oreille pour découvrir des mondes insoupçonnés. Plus tard, en naîtra la musique. Celle des humains se confronte toujours à celle des autres espèces, même si nous nous en sommes écartés par le langage, l'outil et la machine. Si je continue à m'y intéresser, c'est pour le mystère que représente ces échanges. Dans la nature comme dans l'art.

→ Billebaude - Mondes sonores, ed. Glénat en collaboration avec la Fondation François Sommer et pour ce numéro la Philharmonie de Paris, 19€

lundi 23 juin 2025

Heiner Goebbels, Contre l'œuvre d'art totale


Que l'on ne se méprenne pas, je tiens l'œuvre d'Heiner Goebbels dans la plus haute estime. Je possède une douzaine de disques depuis son duo avec Alfred Harth, le groupe Cassiber jusqu'à tous ceux où il joue le rôle de compositeur contemporain et j'ai toujours le plus grand plaisir à les réécouter. On comprendra donc que cet article est un exercice délicat. Si je me suis terriblement ennuyé à lire son recueil de textes intitulé Contre l'œuvre d'art totale, il y a forcément une bonne raison. On sait que Freud évita soigneusement de croiser l'écrivain Alfred Schnitzler, « par une sorte de crainte de rencontrer [son] double ». Toute proportion gardée, les points de vue, d'écoute et d'analyse critique de Goebbels me sont si proches que j'ai eu souvent l'impression de me lire, d'où mon profond ennui. Son rejet de tout système illustratif, son choix de ne jamais imposer un message mais de laisser au spectateur ou à l'auditeur le soin de se faire sa propre idée, sa propre interprétation, son goût pour l'hétérogénéité des sources, le soin porté au détail dans une perspective globale, l'équilibre entre improvisation et composition, ses inspirations radiophoniques, cinématographiques ou littéraires, ses préoccupations pédagogiques, me sont si proches que j'eus du mal à parcourir les cinq grands chapitres : Prémices et influences / Espace radiophonique, figures de l'écriture / Contre l'œuvre d'art totale : approches du théâtre-musique / Ce que nous ne voyons pas nous attire : théâtre-musique en débat et en dialogue / Recherche ou savoir-faire ? La formation aux arts de la scène. C'est d'autant plus énervant que nous ne nous connaissons pas.

Que nous soyons nés à moins de trois mois d'intervalle et que nous ayons choisi à nos débuts des voies très semblables expliquent peut-être ces nombreux points de convergence. Nous nous sommes croisés très tôt au Festival de Victoriaville au Québec. J'y jouais alors avec Un Drame Musical Instantané tandis qu'il était sous la bannière Harth und Goebbels. Si je suis resté un indépendant, l'artiste allemand a enfilé le costume noir de l'institution. Cela lui a permis de monter des projets économiquement complexes, en particulier dans le genre du théâtre musical que j'abandonnai en 1992. Son travail théâtral le caractérise justement, alors que je m'attache plus que jamais à sa forme purement sonore aux travers de disques conçus comme œuvres en soi, les siens ne livrant qu'un reflet parcellaire de ses œuvres scéniques. Je reste circonspect par son engagement politique pour plusieurs raisons : sa manière de diriger les musiciens particulièrement créatifs qu'il a engagés (il n'en nomme pratiquement aucun dans son livre) en notant leurs improvisations et en les faisant rejouer note pour note ce qu'ils avaient inventé tient d'une très grande perversité, son défilement méprisant lors du disque collectif Sarajevo Suite en faveur de la reconstruction de la Bibliothèque de la ville martyre dont j'assurais la direction artistique m'avait terriblement choqué et attristé, l'effleurement des sujets sous prétexte de laisser libre l'interprétation des spectateurs m'apparaît comme une façon de se montrer "de gauche" sans froisser personne ! On appréciera la différence avec les choix de Jean-Luc Godard dont il se réclame avec justesse dans ses rapports au langage et au montage. C'est certainement la raison qui m'a fait détester sa dernière œuvre représentée il y a quelques jours à la Grande Halle de La Villette. Par exemple, à la diffusion paresseuse des No comment d'Euronews sur écran géant je préfère largement la dialectique des films d'Adam Curtis, le meilleur documentariste actuel (en ce moment je regarde sa toute nouvelle série de 5 épisodes, Shifty, Living in Britain At The End of the Twentieth Century) !

Mes réserves ne ternissent en rien le fait que Heiner Goebbels est un compositeur et un créateur qui ne ressemble à personne, en lien direct avec son temps, qu'il écrit très bien, en tenant de passionnants propos, même si les chapitres qui touchent à ses œuvres se conçoivent mal sans les voir ou du moins les écouter.

→ Heiner Goebbels, Contre l'œuvre d'art totale, ed. de la Philharmonie de Paris, 30€

vendredi 20 juin 2025

Au Grand Palais, mon hit-parade des expos


1. Commençons par l'exposition qui m'a le plus touché et intéressé, Art Brut - Dans l'intimité d'une collection - La donation Decharme au Centre Pompidou. Je connaissais certaines œuvres, pour les avoir vues à la Maison Rouge il y a dix ans ou intégrées à Carambolages dont j'avais composé la musique pour Jean-Hubert Martin, mais il y en a là tout de même quatre cents, dont beaucoup que je ne connaissais pas. De plus, la scénographie de Corinne Marchand où le rouge prédomine les présente intelligemment et agréablement. Les salles portent des titres évocateurs : Réparer le monde, "À moi les langues de feu qui embrasent", De l'ordre nom de Dieu !, Art Brut autour du Monde suivi de Japon, Cuba, Brésil, puis Bris Collage, La "S" Grand Atelier, Creative Growth Center, La Maison des Artistes, Œuvres orphelines, Danse avec les esprits, Journaux intimes Journaux de Monde, Épopées célestes. Les cartels indiquent souvent ce qui caractérise les artistes, car chacun ou chacune a ses marottes. Après le musée de Lausanne (rappelons que la France envoya promener Dubuffet !), les donations Jean Chatelus et Bruno Decharme au Centre Pompidou semblent indiquer l'intégration de l'art brut dans l'Histoire de l'art moderne et contemporain. J'imagine que ce qui l'a précédé dans les siècles passés fut largement détruit. La passion, l'urgence, l'intégrité rendent ces œuvres absolument fabuleuses. J'illustre mon petit article avec un cocon, œuvre sans titre de Judith Scott, porteuse de trisomie 21, rendue sourde enfant par la scarlatine, découverte et intégrée au Creative Growth Art Center d'Oakland. L'exposition réalisée par Bruno Ducharme et son épouse Barbara Safarova nous fait voyager tant sur la planète que dans les méandres profondes de notre cerveau.


2. Contrairement aux expériences habituelles d'interactivité en réalité virtuelle, j'ai beaucoup aimé Insider-Outsider en enfilant le casque audiovisuel me permettant de naviguer dans la chambre et l'œuvre d'Henry Darger. Le spectacle de dix minutes réalisé et sonorisé (pop) par Philippe Cohen Solal (Gotan Project) est commenté par Denis Lavant (avec qui Lionel Martin et moi-même venons de sortir un double CD) dont l'intérêt pour l'art brut est évident (sic). Je retrouve le côté ludique et merveilleux des CD-Roms dont j'avais l'habitude de composer les partitions sonores et musicales. Tournant sur notre tabouret et battant des mains, nous plongeons dans l'univers de Darger lors de cette pause automatiquement intime au milieu de la visite, entre le premier et le second étage.


3. Je me perds dans la topographie du Grand Palais réouvert et somptueusement étendu. Le rideau monumental de dix-neuf mètres de long s'ouvre et se ferme. Je n'ai pas compté le nombre de boutiques, mais elles sont évidemment présentes et mises en valeur ! Les meilleures expositions sont accessibles par le square Jean Perrin, les moins indispensables en face du Petit Palais.


4. L'exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten est évidemment très chouette, mais la scénographie n'est pas à la hauteur des œuvres présentées. Il y a évidemment certaines machines de Tinguely en mouvement, mais pour moi c'est du réchauffé, d'abord parce que l'expo consacrée au même endroit en 2014 à Nikki de Saint-Phalle était autrement plus consistante et révélatrice des aspects moins connus de son travail, d'autre part nous sommes loin de la folie du Musée Tinguely à Bâle. Et je n'ai pas compris ce qu'apportait "le regard" de Pontus Hultén à la chose.


Il n'empêche que c'est toujours sympathique à voir ou revoir, mais, si vous voyagez, je conseillerais fortement la visite du Cyclop à Milly-La Forêt ou celle du Jardin des Tarots en Toscane ! En photo, la Mariée que j'avais sonorisée en 2002 pour le Centre Pompidou...


J'avais oublié l'apport de l'artiste finlandais Olof Ultvedt en 1966 au Hon/Elle de Nikki de Saint-Phalle à Stockholm, entre autres avec l'installation Mannen i stolen.


5. Je ne m'y attendais pas, mais les tapisseries des Danois Kirstine Roepstorff, Bjørn Nørgaard, Tal R et Alexander Tovborg sont superbes. Elles ont été tissées dans les manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais ainsi que dans les ateliers privés d'Aubusson par de talentueux artisans français d'après leurs esquisses. Les couleurs explosent et les matières leur donnent divers reliefs. Je suis passé directement d'Art Brut à Tapisseries royales - Savoir-faire français et tapisseries contemporaines danoises.

6. J'ai fait juste un petit tour au sous-sol, à Transparence, ludique et sympathique pour les enfants de 2 à 10 ans. C'est le genre d'exposition qui se teste avec eux. Rien d'extraordinaire, mais ils s'y amuseront certainement, d'autant que les attractions parisiennes qui leur sont destinées sont toujours bienvenues.


7. L'espace "immersif et sensoriel" Ernesto Neto - Nosso Barco Tambor Terra (Notre Barque Tambour Terre), installation monumentale en crochet, écorce et épices, invitant à l’émerveillement et au partage, est dans la lignée des œuvres d'Olga de Amaral ou Chiharu Shiota, sans leur génie. La pseudo participation du public est même carrément énervante, chacun, chacune faisant la queue pour taper sur une percussion emmaillotée.

8. Je n'ai pas non plus senti l'intérêt des Horizontes - Peintures brésiliennes qui la surplombent, si ce n'est pour apprécier l'architecture du Grand Palais.


9. Mais il y a pire, vraiment bien pire. Présenter les ballons gonflables d'Euphoria - Art is in the Air dans une perspective artistique, c'est tomber bien bas pour mettre l'art à la portée des caniches qui eux s'en battraient les oreilles. Par contre ce sont de bonnes idées pour décorer un dancing, un club de plage ou l'entrée d'Ikea. Je range ces attractions régressives avec les Koons, Hearst ou Murakami, parfaites pour égayer les vitrines des grands magasins pendant les fêtes de Noël. Ma critique est un peu dure, car cela occupera les enfants qui vous ficheront la paix pendant une heure, encore qu'aller au square faire du toboggan coûte moins cher, ne vous oblige pas à réserver et faire des queues interminables. Apprécions tout de même l'attention délicate de prêter des parapluies pendant l'attente devant la porte, que ce soit pour la pluie ou le soleil.


10. Je ne regrette pas ma visite au Grand Palais, surtout si je remonte à mon numéro 1, amusé de voir que comme souvent les travaux ne sont pas terminés, qu'il faut parfois contourner un chariot élévateur ou enjamber une ficelle. Le lieu réorganisé est incroyable et mérite vraiment d'y aller quels que soient vos goûts en matière d'art ou de sortie...

Au Grand Palais :
→ Art Brut, jusqu'au 21 septembre 2025
→ Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, 26 juin au 4 janvier 2026
→ Tapisseries royales, jusqu'au 17 août 2025
→ Transparence - Palais des enfants, jusqu'au 29 août 2027
→ Ernesto Neto, jusqu'au 25 juillet 2025
→ Horizontes - Peintures brésiliennes, jusqu'au 25 juillet 2025
→ Euphoria, jusqu'au 7 septembre 2025

jeudi 19 juin 2025

Trio à deux


Mardi j'ai enregistré Hiatus, un étrange trio animé par seulement deux musiciens. Si Raphaël Godeau joue de plusieurs guitares et du luth, la flûtiste Claire Marchal contrôle simultanément un virginal en se déplaçant dans l'espace. En utilisant un Arduino et le système Midi, elle déclenche les touches graves en avançant, les aiguës en reculant, mais le petit clavecin automatique de l'Atelier David Boinnard est préparé. Modes choisis ou percussion, il offre de nouvelles possibilités lorsqu'elle y ajoute une gomme, une feuille de papier ou des pinces crocodile. Les guitares de Raphaël sont également attaquées par toutes sortes d'objets vibrants, percutés ou frottés. Les deux improvisateurs enregistreront deux heures de musique, allant du plus calme ou plus énervé, Claire dansant entre deux microphones. Comme d'habitude je ne fais aucune correction de timbre, laissant aux virtuoses le soin d'équilibrer l'ensemble. Il suffit d'avoir de bons micros et de les placer aux bons endroits : un Royer à ruban pour les guitares, deux Neumann pour le virginal, deux Schoeps pour les flûtes (en do, basse ou traverso). L'une comme l'autre piochent dans mon instrumentarium (flûtes indiennes, appeau, fouets électriques, limes à ongles, bottleneck, etc.) pour élargir le spectre coloré qui est déjà le leur. Je suis absolument ravi que Raphaël adopte ma guitare folk à cordes en métal ou un petit monocorde fabriqué avec une boîte de sardine. Leurs improvisations sont généralement assez longues, les ambiances se succèdent, chaque nouvelle s'appuyant sur les derniers soubresauts de la précédente. Comme il est très rare que je me contente de faire l'ingénieur du son, j'en profite pour me laisser aller à la rêverie en les écoutant. Le studio ne possédant quasiment aucune réverbération, je choisis de situer l'ensemble dans l'Oratorium du Palais d'Esterhàzy en Autriche, autrefois Hongrie, grâce à la simulation d'une réverbération à convolution. Nicolas me raconte avoir joué dans ce château mythique où Joseph Haydn séjourna de 1766 à 1790. Les facéties instrumentales des deux compères ne seraient-elles pas les dignes héritières de celles de l'illustre compositeur autrichien ?

mercredi 18 juin 2025

À cause d'un assassinat (The Parallax View)


"En retard, en retard, en retard..." répète le lapin d'Alice. Dans Muriel d'Alain Resnais, un de mes films préférés, Ernest (Jean Champion) fredonne : Y a aussi le temps qui file, c' qu'il est pressé, c'est insensé ; doucement, doucement, Monsieur le Temps, vite, ralentissez au tournant ; hier, je n'étais qu'un enfant et déjà j'ai des cheveux blancs...". Ne me parlez pas de la retraite, ce n'est qu'un statut, pas une réalité, du moins pour moi, comme jadis l'intermittence n'était qu'un statut, je travaille toujours autant, rien à voir avec les dividendes. Hier j'enregistrais Claire Marchal et Raphaël Godeau, demain mixage, on en reparlera. Mais ce sont les mille et une choses qui s'amoncellent, m'absorbent et m'avalent. Le soir je sors au concert, je regarde un film à la maison ou je vois des amis, histoire de me déconnecter absolument.
Ainsi il y a quelques jours j'ai revu un film d'Alan J. Pakula sorti en 1974, À cause d'un assassinat (The Parallax View), dans une magnifique version restaurée et agrémentée d'une superbe présentation comme Carlotta aime toujours en proposer, suppléments passionnants, livre de 160 pages, graphisme magnifique, etcétéra. Le rappel de la paranoïa des années 70 colle hélas parfaitement avec les manipulations politiques et médiatiques qui ne font que s'amplifier, d'une part à cause du contexte actuel où la dictature n'est même plus une tentation, d'autre part pour des raisons techniques. Pascal est justement passé avec un livre de Daniel Schneidermann intitulé Berlin, 1933 qui fait terriblement penser à l'époque actuelle, en particulier le rôle de la presse internationale face au génocide en cours à Gaza. C'est même pire aujourd'hui, car s'ajoutent la télévision et la bombe atomique. En 1974 on aurait classé le film de Pakula en politique-fiction, mais c'est devenu bien réel cinquante ans plus tard. Des sociétés privées règlent les affaires sales des prétendues démocraties. Les assassinats des frères Kennedy ont évidemment servi de modèles, mais le réalisateur ne nomme personne, s'attachant simplement au mécanisme incontournable du complot.
Warren Beatty, qui joue le rôle du journaliste investigateur, passera plus tard à la réalisation de deux films américains majeurs qu'on appelait engagés, Reds et Bulworth. Quant à Pakula il signera deux ans plus tard Les hommes du président (All the President's Men) sur le scandale du Watergate. La France n'est pas en reste, le colonialisme et l'ingérence ont généré plus d'un assassinat de président, de Sankara à Khadafi, et les manipulations médiatiques sont aussi efficaces qu'ailleurs, les fake news étant avant tout l'œuvre des états et de leurs services de renseignements et de communication. Sans culture et sans compréhension des enjeux économiques, l'Intelligence Artificielle nous fera avaler n'importe quoi sous couvert de guerre de religion ou de leçon de savoir vivre. Et les populations d'en crever.
À cause d'un assassinat est aussi un excellent thriller qui tient en haleine, superbement interprété et éclairé.