Contrairement à ce que pensent mes proches, je déteste me plaindre, mais cela devient pénible. Je ne peux voir personne, non parce que je suis contagieux, je ne le suis plus depuis belles lurettes, mais parce que ma laryngite m'empêche de parler. Cette solitude est aggravée par le fait que je ne peux pas non plus communiquer avec le téléphone. Joignable uniquement sur aPhone. Voilà sept jours que je suis à ce régime de retraite quasi bouddhiste ! Sauf que je finis par tourner chèvre, car émettre ses idées à voix haute facilite le développement de la pensée. J'avais même pris l'habitude de prendre mes chats à témoin dans des cas particuliers. Ou de valider mes gestes lorsque je fais plusieurs choses à la fois et que je risque d'en oublier une en route. Or il ne faut pas prononcer un mot : même murmurer fragilise les cordes vocales. Le miel et le citron n'ont aucun effet sur elles. J'ai tout essayé, du médicament classique aux huiles essentielles, des plantes aux remèdes de grand-mère, rien n'y fait. Sun Sun m'a apporté un sirop chinois qu'il a préparé lui-même, ma dernière chance ! Au moins c'est bon. Je me réveille chaque matin muet comme une carpe. J'espérais renouer avec le monde à l'occasion de la soirée du réveillon, mais c'est plutôt mal parti. Peut-être devrais-je y participer avec une ardoise autour du cou et un morceau de craie ? Ou bien je ferai des grimaces ? J'essaierai de parler avec les mains. Je pourrais rapidement apprendre le langage sourd-muet pour les nuls, encore faudrait-il que mes interlocuteurs le connaissent !
Après m'être abruti de séries télé et de films récents, je me suis plongé dans la lecture. En ce moment, Cher connard de Virginie Despentes me tient bien. J'enchaînerai avec Memento Mori, le nouveau polar de Mia Leksson, pseudonyme de Michaëla Watteaux. Je me souviens de Mia (diminutif de Michaëla) à dix-huit ans, lorsqu'elle écrivait des histoires de petits trolls verts ! J'ai lu avec plaisir ses deux précédents. Qu'ils ou elles soient compositeurs, écrivains, plasticiens, cinéastes, il est toujours passionnant de connaître les auteurs en marge de leurs œuvres. On les retrouve parfois, d'autres fois pas du tout. On peut être tenté d'y chercher des signes, des concordances. Comme c'est souvent l'inconscient qui guide la création, on fait souvent fausse route. J'aime ces terrains d'aventures où débusquer le réel et le fantasme sous des décors inventés de toutes pièces...
Cette réflexion m'a incité à regarder Een retrospektieve (Leçon d'éclairage), documentaire belge de Harry Kümel tourné en 1969 sur et avec Josef von Sternberg peu avant sa mort. Je l'avais gardé sous le coude. Tout document sur ce génie souvent incompris du cinématographe est précieux. Je connaissais D'un silence l'autre de la série Cinéastes de notre temps et ce qu'en avaient raconté André S. Labarthe, Claude Ollier et J.A. Fieschi, j'avais lu son autobiographie Fun in a Chinese Laundry où Sternberg prétend avoir répondu à toutes les questions pour ne pas avoir à se coltiner des interviews qu'il détestait. Il est certain que, comme il le revendique, c'est un être compliqué...
J'ai une pile de livres virtuels à lire plus haute que la maison, mais j'ai aussi besoin de reposer mes yeux. J'écoute un peu de musique, j'en fais aussi, mais, coupé du monde, tout me semble vain. En temps normal je n'arrive jamais à m'intéresser véritablement à mes instruments que lorsque je suis animé d'un projet. Comme je suis volontariste, je me force. Je me force à lire les modes d'emploi de mes dernières acquisitions, je me force à pédaler sur mon vélo d'appartement, je me force à marcher dans le quartier, à faire quelques courses, mais j'ai l'impression de passer mon temps à décliner des invitations. Aux dix jours d'une grippe épouvantable dont je subis les séquelles s'est ajoutée une semaine sans voix. Après l'ablation de la thyroïde l'an passé, je fais une fixette sur ma gorge. J'ai hélas une petite idée des mécanismes psychologiques qui m'ont amené à ces pathologies. Lorsque j'étais enfant nous nous demandions si nous préférerions devenir sourd ou aveugle. Je n'avais pas pensé à Ça. Dans quel état serai-je à la sortie ? Je ne parle pas des kilos perdus, mais de la lumière au bout du tunnel...