Comment se fait-ce qu'il y ait si peu de visiteurs au Château d'Oiron dans les Deux-Sèvres ? J'avais découvert ce lieu incroyable l'année de la grande sécheresse. Cet été 1989 le trio Pied de Poule y donnait un concert dans l'une des salles. La plupart des œuvres contemporaines ne furent pourtant installées que quatre ans plus tard sous la direction artistique de Jean-Hubert Martin qui avait révolutionné l'histoire de la muséographie avec l'exposition des Magiciens de la Terre, conjointement au Centre Pompidou et à la Grande Halle de La Villette. En 2016 j'aurai la chance de composer la musique et les paysages sonores des 26 salles de ses Carambolages au Grand Palais ! Mais revenons à Oiron, lieu magique s'il en est. La rencontre merveilleuse de ce château construit à la fin du XVe siècle et d'œuvres contemporaines pérennes, créées spécialement pour s'intégrer au décor époustouflant conçu par la famille Gouffier, sidère par son potentiel à faire rêver. Cette collection Curios & Mirabilia renoue avec l’esprit de curiosité de la Renaissance en s’appuyant sur l’idée des anciennes collections qu’étaient les cabinets de curiosité. Artus Gouffier, le fils de Guillaume qui avait reçu la terre d'Oiron du roi Charles VII, avait été gouverneur de François 1er. Si la devise de leur famille était Hic Terminus Haeret (ici s'arrête le temps), ici justement il ne s'arrête jamais, tel un mille-feuilles quantique où les époques se télescopent. Ma salle préférée est la salle d'armes où Daniel Spoerri raille la puissance militaire du décor disparu au XVIIe siècle en accrochant une dizaine de personnages carapaçonnés dignes du Père Ubu sous le plafond orné de cartouches en papier mâché dorés et peints avec des scènes mythologiques tirées des gravures de Goltzius évoquant les Métamorphoses d'Ovide.


Si vous avez raté Les magiciens de la Terre, le Théâtre du monde à la Maison Rouge, Carambolages ou les autres expositions imaginées par Jean-Hubert Martin, il faut absolument vous rendre à Oiron, à 30 kilomètres au sud de l'Abbaye de Fontevraud. Comme il est écrit dans les guides cela "vaut le voyage". Le vestibule accueille Les écoliers d'Oiron photographiés par Boltanski. Le Salon vert ou salon du soleil abrite 365 brûlures de Charles Ross. La chambre des Mouches musicales est glauque à souhait avec le Concerto pour mouches d'Ilya Kabakov sur une musique de Vladimir Tarasov. Les monstres de Thomas Grünfeld me font penser à ceux de Yórgos Lánthimos dans son dernier film Pauvres Créatures (Poor Things). Dans le couloir des illusions un miroir au sol renvoie les anamorphoses de Felice Varini. Nous y avons passé trois heures tant il y a de salles et d'œuvres. Fontcuberta, Annette Messager, Gavin Bryars, Raoul Marek, Fischli et Weiss, Penone, Anne et Patrick Poirier, Marina Abramovic, Braco Dimitrijevic, Markus Raetz, Piotr Kowalski, Tony Grand et bien d'autres s'y sont donnés à cœur joie. Je livre leurs noms dans le désordre car le plaisir de la visite vient du fait que l'on peut s'y perdre comme dans un labyrinthe, un palais des glaces de fête foraine, sans parler du parc que l'on aperçoit des fenêtres et où l'on peut prendre l'air après tant d'émotions.


Dans la Tour des Ondes les deux demi-sphères de Tom Shannon, Decentre-Acentre, lévitent en apesanteur. C'est le principe des cabinets de curiosité d'associer le plaisir esthétique avec les prouesses scientifiques. J'ai un peu de mal à décrire cette extraordinaire visite tant les surprises s'amoncellent. Heureusement je possède à Paris le somptueux catalogue, aujourd'hui épuisé, dans lequel je vais me replonger à notre retour de Nantes.