samedi 14 novembre 2009
32. La cellule du sommeil
Par Jean-Jacques Birgé,
samedi 14 novembre 2009 à 01:15 :: Roman-feuilleton
Au réveil, des sanctions wagnériennes scandent leurs embrassades. Le ballet d'enclumes les fait rire aux éclats comme si la situation ne pouvait pas être pire. Ils esquissent à petits pas une gymnastique aveugle dans l'obscurité qui leur tient lieu de lumière. La lune envahit doucement le cachot humide au travers de barreaux perchés. Aucun ne se souvient du voyage. Était-ce le gaz ou un lavage de cerveaux ? La chimie tient toujours ses promesses. Ayant pris soin de numéroter leurs abattis, ils constatent que personne ne manque à l'appel. Le dos au mur moins sale qu'ils ne le supposaient, ils ébauchent une pyramide humaine pour atteindre ce qui s'avère être un soupirail. Max est le porteur tandis que Stella grimpe le long de son père puis d'Ilona. La fenêtre est au ras de l'eau, comme celle d'en face en contrebas, condamnée. Était-ce un égout ou une rivière souterraine que l'on a obturé ? Peut-être une prison. Il fait chaud. Chacun tente d'inspecter ce drôle d'endroit où l'histoire les a conduits. Pas l'ombre d'une porte, mais des meubles dans un coin empilés comme le miroir de leur échafaudage. Sans demander son reste, Stella bondit sur le gravier clair, traverse l'espace qu'elle a mesuré du haut de sa colonne et commence une nouvelle ascension. En s'agrippant à une poignée tout en haut, elle fait dégringoler une valise qui lui érafle le front et s'ouvre d'un clac terrifiant en heurtant le sol. Les sons évoquent souvent des images étonnantes. Elle jurerait avoir entendu une mâchoire. Le spectacle est saisissant. Une demi-douzaine de petits crocodiles trapus font claquer leurs dents sans sortir de leur tanière recouverte de papier reliure. Les yeux ont fini par s'habituer. Max donne un brutal coup de pied dans la valise, mais aucun reptile ne montre heureusement de velléité de s'en extirper. La suite est plus incroyable encore. Une lourde cavalcade digne d'une charge d'éléphants ébranle l'édifice. Un mur s'écroule laissant paraître les yeux rougis d'une horde de gorilles assoiffés de meurtre. Le trio n'a d'autre alternative que d'enfiler le corridor ainsi découvert, la meute à ses trousses. Sur les murs sont apposées des affiches du président de la République, les yeux révulsés, les dents longues, un tuyau d'aspirateur à la main qu'il aurait conservé du temps où il faisait du porte à porte. Le cœur battant au rythme des timbales, ils courent, ils courent sans savoir où mènent leurs pas. Par quel miracle sèment-ils leurs poursuivants dans cet ancien cimetière enfoui dans les profondeurs de la Terre ? Pourquoi Stella est-elle persuadée que l'entrée du souterrain débouche devant la loge de la concierge de sa mère ? Elle se surprend à citer Cocteau à voix haute : lorsque ces mystères nous dépassent feignons d'en être les organisateurs. Avant d'avoir eu le temps de reprendre son souffle, elle se réveille en sueur sous un soleil inattendu.
Rappel : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.