Sens de lecture. Ses yeux décrivent un panoramique dont les strates forment des couches zoologiques de matières inertes conçues pour et par l'homme. Sur le ciel se découpe une de ces barres criminelles où s'empilent des êtres vivants, loin de tout, sans autre horizon qu'un coup à boire ou un gros pétard quand viendrait le soir. De son point de vue il ne peut que deviner dessous, derrière les arbres, des pavillons battant corsaires, écrasés entre la route et les dortoirs. Sa mauvaise foi occulte les jardins ouvriers, vomissant leurs vrais fruits gorgés de soleil et leurs fleurs orgueilleuses rivalisant d'espoir, engraissés par le fumier du cimetière attenant.
Plus bas, la Tour Eiffel en tuyaux de plomberie attire son œil. Elle frôle un amas d'étoiles du même métal. On aurait seulement à brancher le tout sur l'arrivée d'eau pour les transformer en fontaines. Mais ceux qui les ont posés près des grands containers les ont oubliés depuis un bail. Il aurait été plus astucieux de les squatter pour s'en faire des appartements ouverts sur la nature, sur la Zone. Du solide. Ces mobile-homes enracinés avaient probablement traversé des océans avant de venir s'échouer à l'abri des regards, devant les citernes bâchées où des cuves remplies de liquides aussi magiques que menaçants laissent imaginer de nouveaux chants du styrène.
En amorce, il devine un entrelacs de planches dont l'organisation lui resterait à jamais mystérieuse. Alors, rien n'est rose, marmonne-t-il dans sa barbe, si longue qu'elle l'empêche de marcher s'il ne l'enroulait tout autour de ses poignets. Lui redonner des jambes le menotte. Pour ne pas perdre définitivement la tête, il se glisse le long des bâtiments désertés du week-end et entreprend de gravir le monticule menant à l'autoroute. Il pensait faire du stop et rejoindre le sud. Hélas ce sport n'est plus en vogue comme au siècle passé. Sa tête de faune hirsute ne provoquera aucun renversement de tendance et il marchera des jours et des nuits à travers la Zone avant de s'apercevoir qu'il a atteint la frontière nord. Le soleil, trop haut, embué, l'avait trompé. Il n'avait pas pu voir la mousse au pied des troncs parce que les arbres avaient été coupés pour laisser s'écouler le flux. Même le soleil, se dit-il, avant de s'allonger sur le dos pour interroger les étoiles qui coulent dans ses yeux comme des larmes de plomb fondu, déchiquetées par les impacts.