Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 28 avril 2017 à 00:00 ::Humeurs & opinions
Je me retiens de répondre à toutes les inepties que je lis sur les réseaux sociaux pour ne pas envenimer le débat. Probablement que j'y replongerai la semaine prochaine. Les élections créent un vide sanitaire entre les fantasmes et le réel, comme si les affaires courantes étaient en pause. Ne connaissant personne à proximité qui vote Le Pen je ne sens pas le frétillement des racistes et xénophobes. Les socialistes perdent le sens de la mesure et les Insoumis se tâtent avec une nette tendance à suivre le mot d'ordre de la jeunesse, "Ni Marine ni Macron, ni patrie ni patron". Devant le Lycée Voltaire, la manifestation qui avançait serrée sur toute la largeur de l'avenue de la République était incroyable. J'ai eu la rare impression de revenir en arrière, un certain 10 mai 1968, ma première manif. J'avais leur âge et je savais ce dont je ne voulais plus sans la moindre idée de ce que nous réservait l'avenir. C'est peut-être la première fois que je retrouve cette détermination. J'ignore si c'est une projection ou une perception encore abstraite, mais cela m'a trotté dans la tête toute la journée, plutôt comme une sensation à fleur de peau.
De toute manière, en dehors des obligations de boulot qui me font toujours travailler du chapeau et des incontournables tâches domestiques, j'ai le sentiment d'avoir la tête vide pour le reste. Le soir, je regarde comme d'habitude un film pour me détendre. Je mène de front plusieurs festivals, le coffret Chepitko Klimov chez Potemkine, le coffret Barbet Schroeder chez Carlotta et la suite de la collection Akira Kurosawa chez Wild Side. Il n'est pas facile d'en parler avant d'arriver au terme de chacun. Idem avec la 5ème saison des Américains ou de la troisième de Fargo qui vient de démarrer. Je peux juste dire que tout cela est fameux, tant les films critiques du régime soviétique du couple russe Larissa Chepitko et Elem Klimov dans les années 60-70 que les polars noir et blanc de Kurosawa tournés entre 1943 et 1970. Quant à Schroeder je suis ravi de les revoir agrémentés de leurs passionnants bonus. J'y reviendrai.
Avec tout cela je ne sais pas du tout quand envoyer l'annonce du concert du 12 mai au Triton avec Sophie Bernado et Linda Edsjö, craignant que le mail passe à l'as à cause des élections. Jean-Pierre Vivante m'avait proposé deux dates, une entre les deux tours et l'autre juste après le verdict. Je pense avoir bien fait d'avoir choisi la seconde. Vous pourrez au moins vous détendre en pensant à autre chose avec nos Défauts de prononciation qui sont plutôt des défis de prononciation tant ils sont nombreux et variés...
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 27 avril 2017 à 00:09 ::Multimedia
Voici donc les 4 premiers ultra-courts métrages diffusés par TV5MONDE sur leur site et leur mur FaceBook. Le principe est de partir chaque fois d'un texte, d'un extrait de film ou de collages de Jacques Prévert, et de les interpréter librement en montrant que son œuvre est toujours d'actualité, ne se résumant pas à quelques poèmes et chansons pour enfants. Provocateur, il l'est toujours autant puisque TV5MONDE a été obligé de ne mettre que quelques secondes de l'épisode 3 pour ne pas être censuré par FaceBook. Politique, il l'est plus que jamais au moment où les forces réactionnaires développent racisme et xénophobie, et renforcent le contrôle des frontières pour empêcher les flux migratoires. Social, dénonçant la société de consommation et l'exploitation de l'homme par l'homme. Incisif et drôle, égal à lui-même, anarchiste non-violent. Pour coller à son imagination sans limites, l'équipe que nous avons formée avec Isabelle Fougère, Sonia Cruchon et Mikaël Cixous a choisi un traitement protéiforme pour cette web-série de 12 épisodes.
Le premier épisode reprend les annonces du garçon d'ascenseur du Roi et l'oiseau en y adjoignant l'image d'un nageur infatigable. La rencontre des deux médias produit une nouvelle émotion, renvoyant à la contemporanéité recherchée. Isabelle a choisi des sous-titres extraits des œuvres du poète, ici Au royaume de Tachycardie. Sonia a trouvé et monté des stock-shots qui correspondent à notre idée. Sur l'animation de Mika j'ai composé un petit générique plutôt minimaliste qui n'écrabouille pas le film déjà très court, en l'enregistrant avec un Tenori-on, instrument électronique japonais dont les notes sont lumineuses. Il fallait à la fois que ce soit gentil et actuel, d'où le rythme electro qui entre sur la seconde partie. J'ai ajouté encore deux sons de percussion pour souligner l'apparition de "Exquis" et "une série d'ultra-courts collages".
Mikaël Cixous a réalisé l'animation de La crosse en l'air (Ceux qui croa-croa), second épisode qui rend hommage à la superbe diction de Serge Reggiani. La revendication athéiste de Prévert tombe bien alors que pullulent les communautarismes nauséabonds.
Mais voici l'épisode "pornographique" risquant la clôture du site de TV5MONDE... À la 38ème seconde une fille à poil, nom d'un chien ! Le puritanisme des Américains est tout de même quelque chose. Il n'y a pourtant aucun algorithme capable de déceler la présence des tétons de la belle. Pour que les administrateurs du site de Zuckerberg se réveillent il faut des délateurs. Il y a donc sur le Net de bonnes âmes à l'affût, prêtes à dénoncer les contrevenants comme au pire temps de la collaboration. Prévert en aurait bien ri, d'autant que ce n'est pas l'aspect le plus sulfureux de Je suis comme je suis (Avec les jolies filles et avec les vieux cons). Sonia murmure le texte avec gourmandise comme si elle provoquait le curé derrière la grille d'un confessionnal tandis que, derrière elle, avance la procession sataniquement renversée des intégristes de St Nicolas-du-Chardonnet ! Elle a monté le film à partir de trois collages de Prévert, Soir d'automne, La Beauté du Diable et Rêveuses éveillées.
J'ai raconté ici la séance d'enregistrement de Étranges étrangers (L'amour est sang Mêlé) avec le drône pour cinq synthétiseurs et surtout ma harangue à la Ventoline. Sonia a trouvé des documents incroyables pour illustrer ce texte mordant qui rappelle que la soi-disant patrie des Droits de l'Homme tient sa richesse des immigrations successives dont elle a bénéficié. Sur le site créé par TV5MONDE nos ultra-courts métrages sont chaque fois suivis d'un témoignage d'Eugénie Bachelot-Prévert pour lesquels j'ai créé de discrets décors sonores ou musicaux, glissés électroniques, bigots cul par-dessus tête, bombardement et petite rivière, comme si nous faisions entrer la fiction par la fenêtre. Il reste huit épisodes, à raison d'un chaque mercredi et samedi. Et déjà le cinquième est en ligne puisque nous sommes jeudi !
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 26 avril 2017 à 00:08 ::Musique
Rares sont les jours où je ne pense pas à mon copain. 32 ans de collaboration quotidienne, c'est beaucoup plus de temps que je n'en ai passé avec quiconque. Ajoutez les dernières années, empruntes de tristesse, d'abord parce que sa Harley était devenue trop lourde et qu'il était trop paresseux pour se déplacer sans elle, ensuite parce qu'une "bonne âme" avait fait le vide autour de son chevêt. Heureusement il y avait le téléphone dont nous avions été toujours adeptes et Bernard ne s'était jamais départi de son esprit de contradiction. Nous passions le voir de temps en temps. Il déclinait doucement. Sa voix grave de baryton Martin résonne toujours à mon oreille. Et sa pensée raisonne sans que je puisse trouver d'équivalence auprès de mes meilleurs amis. On pouvait parler de tout parce qu'il réfléchissait et que sa culture s'étendait au delà de sa connaissance, à la découverte de nouvelles contrées littéraires ou scientifiques, se pâmant pour les merveilles de la nature. Mais c'est évidemment dans la sphère musicale que Bernard Vitet me manque le plus. Avec qui parlerais-je aujourd'hui de Monk ou Varèse, des Beatles ou Webern, de Colette Magny ou des trompes cenrafricaines, du phonogène universel ou des modes à transposition limitée, de l'image du musicien sur scène ou de la cohérence de notre travail avec notre rôle citoyen, des paradoxes et des contradictions ?
Chaque fois que je travaille sur un nouveau projet je rêve de le lui montrer, sachant qu'il va chercher la petite bête pour m'obliger à me justifier et à préciser ma pensée. J'ai rarement connu autant de bienveillance dans la critique. Nous nous engueulions parfois, mais tombions toujours d'accord avant la fin de la journée. Bernard incarnait à la fois le passé, le présent et l'avenir. Appelons cela Le Grand Jeu. Il avait joué avec Django Reinhardt et Gus Viseur, Eric Dolphy et Albert Ayler, remplacé Miles dans le Quintet de Rêve, joué les chorus de Barbara, Bardot, Montand, Gainsbourg, participé à la première rencontre jazz et électronique avec Parmegiani, fondé le Unit avec Portal, et tant d'autres faits d'armes étonnants comme le premier groupe de free jazz en France avec François Tusques. Nous avions fondé en 1976 avec Francis Gorgé le collectif Un Drame Musical Instantané que je me suis décidé à dissoudre après leurs départs respectifs. Bernard n'évoquait jamais que l'avenir, du moins en ce qui concerne notre art. Il fallait le travailler au corps pour qu'il raconte comment il avait composé le pont de My Way sans le signer ou ses séances avec Diana Ross. Sa nostalgie se focalisait sur Paris, une ville qu'il aimait tant et dont les transformations le contrariaient. Ses derniers mois furent allégés par la lecture amusée d'Alphonse Allais. Mais pendant des années nous avons tiré des plans sur la comète, construit pas mal de fusées et atteint quelques planètes.
Je partage quantité de choses avec mes proches, mais je n'ai jamais retrouvé cette universalité qui n'épargnait aucun sujet. Ce qu'il ignorait, il l'inventait en convoquant le bon sens. Il se moquait d'avoir tort ou raison. L'important était de faire avancer la réflexion. Il est des deuils dont on ne peut se défaire. Nous parlons souvent de lui avec Francis. Bernard aurait été passionné par ce que va devenir la France Insoumise dans les mois qui viennent...
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 25 avril 2017 à 07:41 ::Perso
Elle m'arrache la cage thoracique comme si mes côtes explosaient. Elle me donne des coups de butoir dans les reins à me plier en deux, mauvais sens du pliage, comme si ma nuque allait frôler mes fesses. Elle creuse mes omoplates jusqu'à ce qu'elles se touchent. La suroxygénation manque de me faire m'évanouir alors que j'emprunte un passage clouté. Je récupère mon souffle en arrivant sur le trottoir d'en face. J'ai traversé la Manche. Il y a longtemps qu'il n'y a plus de clous argentés, juste la trace de la guillotine en face du jardin de la Roquette et des barbelés jusqu'au tunnel. Respirer doucement. Le moment le plus terrifiant est au bord du sommeil, lorsque je vais me coucher. Souvent je me relève pour une heure, le temps d'une Ventoline, d'une cuillérée de miel, d'un pschit nasal, d'une propolette, d'un sirop pour l'atout, que sais-je ? J'ai repensé à cette femme endormie devant les Turner. En stéréo, Sunrise with sea monsters et A wreck, with fishing boats. Soignait-elle elle-même un mal de Tate ? Le vent du large me donnerait-il un répit ? Les vagues diffusant leur sérum physiologique gifleraient mon visage à grands seaux. Des monstres dans les embruns. Une épave. J'inventerais n'importe quoi pour que ma toux cesse. Matous ? Petits matous ? Serait-ce l'inquiétude de ces trois nouvelles naissances ? J'ai tout essayé, de la pharmacopée chinoise aux pilules bleues, du shiatsu à la méthode Coué, ma terre de Golem tremble magnitude 7. C'est comme tout, bien sûr, on sait que ça passe, un jour, mais quand ? Je suis sur les genoux et Elsa qui me reprochait de trop me plaindre, me voilà bien !
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 24 avril 2017 à 06:13 ::Humeurs & opinions
Un homme demande un prêt à son banquier. Celui-ci, amusé, lui répond qu'il le lui accordera s'il devine lequel de ses deux yeux est un œil de verre. Sans hésiter son client indique le droit. Le banquier, surpris de sa perspicacité, l'interroge sur ce qui l'a mis sur la voie. Le client explique : "c'est le seul où il y avait un peu d'humanité !".
Je relis le programme d'Emmanuel Macron pour savoir à quelle sauce nous serons mangés et n'en constate encore une fois que le vide sidéral, à l'image de ses discours, fades modèles de langue de bois. Les banques ont trouvé le candidat idéal, un homme jeune et malléable qui agira à ce pour quoi il a été formé. Le service de marketing a bien ciblé sa campagne. Le pays sera dirigé comme une entreprise. À sa tête une sorte de Bush Jr, marionnette pratique qui permettra aux principaux actionnaires d'en tirer les ficelles. Rien hélas de nouveau. C'est la continuité exacte du quinquennat précédent, la créature laissée en héritage par François Hollande, un président dépressif dont il ne restera pas grand chose. Le futur président de la République, avec son nez qui le démange, a déjà les tics de Sarkozy, comme si le costume attendait seulement un corps qui le remplisse.
Je n'ai jamais cru un seul instant que Marine Le Pen pourrait l'emporter. Qui que ce soit en face d'elle remporterait la coupe. Il y a quinze ans, j'ai voté Chirac contre son père, la honte ! On ne m'y reprendra pas deux fois. Pas question de lui fournir une légitimité usurpée. Le Capital se joue de la démocratie en nous offrant deux alternatives identiques qu'ils appellent la droite et la gauche avec le Front National comme variable menaçante. Le modèle américain démocrates-républicains s'exporte bien. L'électorat de Le Pen est difficilement extensible. Cet épouvantail rassemblera contre lui la droite traditionnelle, les socialistes de tous bords et ceux qui se laissent impressionner par le spectre du fascisme. La victoire de Macron n'est qu'une question de pourcentage. Chaque fois qu'il y aura un risque de changement possible, ils agiteront la menace d'attentats ou engageront la France dans quelque guerre punitive dont l'intérêt économique est le moteur post-colonial.
C'est bien là que ma tristesse s'exprime. Pas dans l'échec de la France insoumise à ne pas accéder au second tour, mais dans l'énigme que représente pour moi l'espèce humaine. D'abord je pense que face au candidat des banques, Mélenchon aurait perdu dans quinze jours, devant lutter contre une ligue qui aurait rassemblé l'extrême-droite, la droite traditionaliste et les socialistes. Les Communistes qui ne représentent plus grand chose n'ont jamais voulu du pouvoir, préférant rester dans l'opposition. Le travail exceptionnel des militants de la France Insoumise n'est par contre pas perdu. Il servira les luttes sociales qui ne manqueront pas évidemment et il fournira les armes contre le gâchis écologique qui se perpétue. Non, ce qui me désole, c'est l'aptitude de l'espèce humaine à s'autodétruire en entraînant avec elle toutes les autres espèces. Comment cette élection pourrait-elle me déprimer alors que la guerre fait rage partout sur la planète et que chaque jour des dizaines de milliers d'innocents font les frais de politiques aussi absurdes que criminelles ? Je ne m'y ferai jamais.
Le regain d'intérêt de très nombreux Français pour la politique est la bonne nouvelle de cette campagne du premier tour, le second n'étant qu'une mascarade. La prise de conscience de beaucoup pour une mutation écologique fera probablement évoluer nos pratiques quotidiennes. L'intelligence et la clarté des propositions de Jean-Luc Mélenchon et des militants qui l'ont soutenu sont une base de travail pour l'avenir. Il est tout de même formidable d'arriver à convaincre autant de monde sans l'appui d'aucun parti, d'aucun média. L'écart est mince si l'on pense que le héraut de la finance bénéficie d'une armada colossale, la presse et la télévision étant tombées aux mains de ses employeurs, banquiers et marchands d'armes qui n'ont besoin que d'une agence de publicité qui fasse la retape. Mélenchon rivalise d'inventivité, confronté à cette société du spectacle où la forme est une vaseline chargée de flouter les mesures iniques pour que les victimes continuent d'élire leurs bourreaux. Car très peu de personnes tirent les marrons du feu, et ceux-là ont besoin de petites mains qui s'y brûlent et se consument. Mais de plus en plus d'yeux apprennent à s'ouvrir et rien n'est jamais acquis, ni l'horreur, ni l'espoir d'un monde meilleur. C'est un travail. Un travail quotidien.
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 21 avril 2017 à 00:16 ::Musique
Dans le tiré-à-part limité à 100 exemplaires qui accompagne Pérélandra, l'un des deux albums d'Emmanuelle Parrenin publiés par Le Souffle Continu à l'occasion du Disquaire Day, figurent trois dessins inédits de Berberian. La musicienne et le dessinateur le dédicaceront demain soir samedi à la boutique du label, 20-22 rue Gerbier dans le 11e, près du Père-Lachaise, après les show-cases de 18h et 20h. Mais les collectionneurs n'attendront probablement pas le soir pour acquérir la réédition de Maison Rose, album clef de 1977. Car demain entre 500 et 600 albums différents seront mis en vente le temps de ce samedi 22 avril, les amateurs et les spéculateurs se ruant comme des rapaces sur ces vinyles rares et inédits. Théo et Bernard qui dirigent le label et tiennent le magasin du Souffle Continu n'ont commandé ni Johnny ni Madonna, mais une centaine de références qui correspondent à leurs goûts comme ce superbe coffret inédit de Thelonious Monk édité par Sam Records, musique des Liaisons dangereuses avec Barney Willen au ténor en 1959, photographies et présentation exceptionnelles.
De son côté, le label du Souffle Continu publie donc une réédition de Maison Rose (la galette est tout aussi rose) et l'inédit Pérélandra (celle-là est verte comme les feuilles des arbres). Dans le premier la voix d'Emmanuelle Parrenin glisse sur un sillon de cristal, des chansons modales dont la fragilité rappelle Barbara ou Brigitte Fontaine avec un accompagnement qui sonne parfois comme Nico. Elle s'accompagne à la vielle à roue, à l'épinette des Vosges, au dulcimer pour interpréter une sorte de folk psychédélique avec Bruno Menny aux percussions, Didier Malherbe à la flûte, Yan Vagh et Denis Gasser à la guitare, la chanteuse Doatéa Bensusan... À ses débuts elle avait chanté avec les groupes Mélusine et Gentiane, puis avec Vincent Segal, Dan Ar Braz, Alan Stivell et plus récemment Étienne Jaumet ou Pierre Bastien. Ses collectages de chansons traditionnelles en zone rurale croisent son travail de danseuse contemporaine, en particulier dans la troupe de Carolyn Carlson. Sa surdité vaincue après un grave accident lui font inventer la maïeuphonie, musico-thérapie basée sur la résonance qu'elle pratique par exemple avec des enfants autistes. Le tiré-à-part raconte son parcours magique où l'ayahuasca la libère de ses démons. Tout ce qu'elle touche possède une légèreté qui donne à la vie son énigmatique tendresse. Elle a signé la plupart des morceaux de Maison Rose et les arrangements avec Menny, mais Plume blanche, plume noire est du à Jean-Claude Vannier... Pour le côté expérimental j'ai pensé à Illuminations, l'incroyable disque de Buffy Sainte-Marie.
C'est cet aspect qui est privilégié sur Pérélandra, compilation de bandes enregistrées entre 1978 et 1982 pour des spectacles chorégraphiques, auxquelles participaient le bandéoniste Juan José Mosalini, le saxophoniste-flûtiste Didier Malherbe, le guitariste Yan Vagh, la chanteuse Doatéa Bensusan, le pianiste Jacques Denjean. Bruno Menny s'y livre à des traitements électro-acoustiques qui soulignent l'aspect expérimental de ce folk renaissant. Cet album inédit, essentiellement instrumental, complète merveilleusement le premier. En 2011 Emmanuelle Parrenin avait sorti son second album officiel, Maison Cube, en collaboration avec Flóp et Les Disques Bien. Attention, la particularité des albums du Disquaire Day est de ne pas être réédités après épuisement !
→ Emmanuelle Parrenin, Maison Rose, réédition du Souffle Continu Records, remasterisée à partir des bandes originales, 33 tours vinyle rose, 23€
→ Emmanuelle Parrenin, Pérélandra, inédit, Le Souffle Continu Records, 45 tours 30 cm vinyle vert, 20€
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 20 avril 2017 à 04:08 ::Multimedia
Dans quel monde vivons-nous ? En 2017 j'ai l'impression de revenir un siècle en arrière.
Lorsque Isabelle Fougère nous a proposé de réaliser avec elle une web-série sur Jacques Prévert, elle nous a demandé de mettre en valeur la modernité et l'actualité du poète. Nous partons chaque fois d'un de ses textes ou ses collages et, avec Sonia Cruchon et Mikaël Cixous, nous travaillons free style, dans une liberté qui seule permet de s'amuser et donc d'inventer des créations inattendues. Chaque mercredi et samedi TV5MONDE place un nouvel épisode sur son FaceBook, tandis que sur le site dédié à la série chacun est suivi d'une courte intervention de Eugénie Bachelot-Prévert, la petite-fille de Prévert. La semaine dernière nous avons ainsi publié Le roi et l'oiseau (Au vaste Royaume de Tachycardie) et La crosse en l'air (Ceux qui croa-croa).
Or hier TV5MONDE a préféré couper le troisième épisode intitulé Je suis comme je suis (Avec les jolies filles et avec les vieux cons) avant l'apparition des tétons de celle qui se confesse pour ne pas risquer d'être censuré par le puritain FaceBook, voire que leur compte soit carrément bloqué comme c'est déjà arrivé dans le passé... Isabelle m'écrit ce matin : "La vraie question, c'est pourquoi est-ce que nous, auteurs, diffuseurs, sommes aussi dépendants de ce réseau sur lequel on crache, mais qu'on ne peut quitter ? Quelles alternatives ?" L'épisode (nu) intégral est donc heureusement savourable sur le site ! Cette pudeur très américaine aurait fait grimper Prévert au plafond. Nous l'accompagnons donc au ciel (de lit) en précisant avec malice que l'ambiance renversée du court métrage fut enregistrée à l'église St Nicolas-du-Chardonnet, fief des intégristes catholiques et d'une frange de l'extrême-droite française proche du traditionalisme.
Après ces deux derniers épisodes sulfureux, samedi ne manquez surtout pas le quatrième, plus d'actualité que jamais, puisqu'il s'agira d'Étranges étrangers (L'amour est sang Mêlé) !
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 19 avril 2017 à 00:58 ::Perso
Impossible de les distinguer les uns des autres pour l'instant. Les trois chatons d'Oulala, un jour sur la photo, n'ont pas une semaine. La loterie de l'hérédité est surprenante. Ils sont tous tigrés, comme les trois autres qu'elle a perdus, alors qu'elle ressemble à une Balinese (crème à poils mi-longs) et que ses principaux amants étaient un beau noir et Raymond, un Chartreux qui passe la voir deux fois par jour, mais que nous ne laissons plus l'approcher. Après la césarienne qui l'a sauvée alors que les six chatons lui appuyaient sur le foie et les reins, Oulala était évidemment groggy. Nous nous préoccupons maintenant qu'elle mange suffisamment pour se remplumer et qu'elle ait assez de lait pour les trois téteurs. Nous tentons aussi de la parquer dans un endroit accessible pour surveiller la marmaille. Deux fois déjà, elle avait embarqué deux des petits, probablement les femelles, dans une cachette retorse, en en laissant un, seul dans sa caisse que nous avons placée dans notre chambre. Mais la maman a fait glisser au chaud tout le monde sous le radiateur. C'est mieux que sous le divan du studio de musique qu'il a fallu que je bascule pour les dénicher. Je n'aurais jamais eu l'idée d'aller voir là si elle n'avait pas choisi cet endroit pour se planquer les quarante huit premières heures de son arrivée ici lorsqu'elle était petite. Il paraît que les chattes changent parfois de berceau pour tromper l'ennemi. Mais notre petit Django ne s'approche pas, comme s'il avait peur des bébés.
Par contre, nous retrouvons systématiquement Raymond dans les étages (il ressemble comme deux gouttes d'eau à Django, sauf qu'il a deux grosses couilles noires et un collier bleu). Le coquin connaît toutes les entrées félines de la maison, les chatières n'ont plus de secret pour lui. Il trahit heureusement sa présence par un miaulement inimitable, très différent de ceux de Django, Oulala et des couinements du trio de billes de clown qui scandent "miaolenchon".
Voilà, une histoire féline, une pause dans le débat politique qui polarise toutes les conversations, avec raison. Soit nous glissons dans un déclin bien entamé, soit nous retrouvons les jours heureux, mais il y aura du boulot quel que soit le verdict.
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 18 avril 2017 à 07:31 ::Musique
La mémoire est volatile. Plus le temps avance, plus l'on fait de la place dans son disque dur crânien. On fige des moments. On réécrit l'histoire. Je croyais me souvenir de la musique du Cohelmec Ensemble (pour Cohen Elbaz Méchali), et puis voilà, j'écoute les trois albums que Le Souffle Continu vient de rééditer en vinyle et se dévoilent soudain des coins obscurs de mon ciboulot. J'entendais un free jazz français interprétés par des gars sympas, c'était ce qui me restait, et puis je découvre une musique très structurée qui emprunte aussi à la pop de l'époque, à Zappa, au classique... En fait, cela dépend des disques. Le plus récent, double enregistré le 5 octobre 1974 au Théâtre de l'Est Parisien a les travers que je craignais, mais les deux précédents, Hippotigris Zebra Zebra et Next me surprennent par leur architecture complexe, la richesse des timbres, la variété des influences, la fraîcheur et l'invention. Le premier date de 1969, le second de 1971. J'ai probablement joué avec le saxophoniste Jean Cohen et le clarinettiste-flûtiste Evan Chandlee dans des jams où nous étions nombreux sur scène, souvenirs humains plus que musicaux. La section rythmique des frères Méchali, François à la contrebasse et Jean-Louis à la batterie ou au vibraphone, était fameuse.
Dominique Elbaz, au piano à leurs débuts mais dont je ne me souviens pas pour les avoir découverts un peu plus tard, fut ensuite remplacé par le guitariste Joseph Déjean. Sa mort dans un accident de voiture en 1976 nous fit perdre un musicien exceptionnel. J'avais été très impressionné lorsqu'il avait rejoint Michel Portal dans l'orchestre où m'avait traîné Bernard Lubat. Ce fut un drame terrible, il allait indubitablement manquer une voix dans la nouvelle musique française. Son jeu très personnel ne ressemblait à aucun autre. Next, mon préféré des trois albums, réfléchit à la fois son époque en rebondissant d'un morceau à l'autre, plein de fantaisie, sans être trop "jazz".
Dans l'album live du Cohelmec, où le trompettiste Jean-François Canape remplace Chandlee, les clichés du free jazz apparaissent, annonçant la face de l'improvisation libre la plus sectaire. J'ai toujours eu l'impression que les Français qui essayaient de jouer "jazz" n'arrivaient jamais à la cheville des Afro-Américains. Leurs velléités ne suffisent pas, il ignorent les causes profondes de la souffrance et de la colère qui l'ont engendré, comme ils ne savent pas que les standards sont des tubes portés par des paroles que chantaient les mamans ! C'est probablement ce que Déjean comprend en arrangeant Colchiques dans les prés. Lorsque le Cohelmec s'affranchit du jazz, ils diffusent une originalité qui annonce les nouvelles musiques européennes. Nombreux jeunes musiciens d'aujourd'hui ne cherchent plus à swinguer comme des Américains, ce qui leur réussit. Ils trouvent leur propre swing, un balancement qui résulte d'un savant mélange entre rock, jazz et musique contemporaine, allant aussi puiser dans leurs propres racines. Le Cohelmec en fait partie !
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 17 avril 2017 à 00:00 ::Humeurs & opinions
J'ai longtemps hésité avant de virer de mon mur certains de ceux que FaceBook nomme des amis. J'en avais moi-même fait les frais, pas seulement des amis à la mode FaceBook mais aussi IRL (In Real Life, comme disent les anglophones) quand le délire anti-mélenchonien avait atteint des sommets. Exprimant d'abord ma tristesse pour tenter de les empêcher de se compromettre, le déni avait fini par l'emporter. Ma décision est douloureuse, cette exclusion n'étant nulle censure, libre à eux de continuer ailleurs que chez moi, mais une réaction sanitaire. J'ai en effet appris à éviter les contrariétés pour vivre plus sereinement, que ce soit dans le travail ou l'intimité. Depuis que je ne m'énerve plus, je somatise beaucoup moins et la vie est beaucoup plus gaie, ce qui ne m'empêche pas d'apprécier l'éventualité d'un retour des "jours heureux", car ma révolte contre les inégalités, l'injustice et le cynisme n'a par contre pas faibli !
Les commentaires affligeants sont particulièrement pénibles lorsqu'ils proviennent de personnes que j'admirais et qui ont chu de leur piédestal en se répandant en calomnies avec la plus grande mauvaise mauvaise foi ou un délire paranoïaque qui ne permet aucun débat. J'ai remarqué qu'ils ou elles étaient souvent des gens de pouvoir, directeurs de grande école commerciale ou de festival, réalisateurs de documentaires à l'ego surdimensionné par rapport à leurs œuvres devenues banales avec le temps, chefs de petites entreprises dans le multimédia, etc. À se demander si l'intelligence de Mélenchon ne leur fait pas de l'ombre, sorte de querelle de coqs d'un point de vue psychanalytique. J'en suis venu à souvent chercher du côté de l'analyse les raisons absurdes qui leur font proférer des propos négationnistes et à certains gouvernements de reproduire les crimes qu'ils avaient subis.
En fin de semaine j'ai lu ainsi n'importe quoi concernant l'ALBA sans qu'ils s'en soient informés par eux-mêmes au lieu de reproduire des articles mensongers publiés dans Le Monde par exemple, journal aux mains de milliardaires dont le héraut est le pantin Macron. Quant aux amalgames, que je préfère dentaires bien que n'appréciant guère les séances de torture, il est incroyable que les rapprochements avec le stalinisme soient encore de mise aujourd'hui. Mélenchon a parfaitement répondu à ces allégations dans sa 25e revue hebdomadaire sur YouTube (ou mieux lors de son discours de Toulouse hier dimanche devant 70 000 personnes).
J'imagine que quelques uns défendent leur pré carré et que nombreux ont simplement peur du changement, préférant la souffrance qu'ils connaissent à une autre supposée dont ils ignorent tout.
Enfin, comme je crois d'une part Jean Renoir lorsqu'il avance qu'on ne convainc personne qui ne veuille être convaincu, et que d'autre part je ne peux pas passer mon temps à rabâcher les mêmes explications à des interlocuteurs qui n'en ont cure. Je préfère m'éviter de lire cette littérature nauséabonde qui s'affichait là, en coupant toute communication qui semble inutile. Contrairement à ce qu'ils imaginent, je débats régulièrement avec des amis qui ne partagent pas du tout mes opinions, parfois même les pires, à condition qu'ils défendent clairement leurs points de vue et leurs intérêts sans être obligés d'inventer n'importe quoi... Cela ne me fait pas forcément plaisir, mais j'essaie toujours de comprendre ce qui les agit.
N.B.: les photos d'Olivier Degorce qui illustrent actuellement ma page FaceBook ont été prises à Londres le mois dernier, dans la rue et en concert devant la Mascarade Machine.
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 14 avril 2017 à 01:40 ::Cinéma & DVD
C'est en écoutant il y a 15 ans le commentaire de Paul Verhoeven sur le DVD de Starship Troopers que je me suis penché sur le travail du cinéaste hollandais. Le film était compris de travers par une partie des spectateurs qui le prenaient pour un film fachiste et Verhoeven se marrait en le regardant, avec une franchise que l'on retrouve tout au long de l'entretien livré à Emmanuel Burdeau sur l'intégralité de sa carrière. Le journaliste est allé l'interviewer chez lui à La Haye pour une conversation à bâtons rompus où le jeune réalisateur de 78 ans évoque ses films depuis ses premiers en Hollande jusqu'à Elle qui a fait récemment parler de lui, en particulier pour la prestation d'Isabelle Huppert. J'avoue avoir dévoré le petit bouquin qui m'a donné envie de découvrir les films de ses débuts (de 1971 à 1985 : Turkish Délices, Katie Tippel, Soldier of Orange, Spetters, Le qautrième homme, La chair et le sang). Robocop m'avait déjà intrigué, j'avais adoré Total Recall d'après Philip K. Dick, trouvé Basic Instinct un peu superficiel (Françoise possède un exemplaire tapuscrit du scénario !), Showgirls sous-évalué, Starship Troopers génial, Hollow Man banal, Black Book formidable, Tricked intéressant, et Elle ne méritait pas ni ses critiques ni ses louanges.
Appréciations expéditives, mais Paul Verhoeven figure pour moi un de ces auteurs avec un regard très personnel, un peu sous-estimé, comme Richard Fleisher ou William Friedkin. Son regard sur Hollywood est particulièrement juste, son rapport aux hommes et aux femmes encore plus acéré, sa lucidité sur son œuvre la mettant en lumière. Ses commentaires sur Schwarzenegger ou Michael Douglas, Sharon Stone ou Huppert, mettent en scène le professionnalisme des acteurs et leur implication au delà du tournage. Comme chez trop de cinéastes, les projets inaboutis dessinent un portrait en creux de son œuvre. Sa passion mécréante de Jésus ou le Jean Moulin qu'il espère tourner bientôt lui offrent de développer son humanisme critique. Verhoeven n'est jamais manichéen, il aime prendre les évidences à contrepied, jouer d'une dialectique entre les apparences et les coulisses de l'âme. Ses inserts publicitaires dans Robocop et Starship Troopers sont des modèles du genre. La franchise de ses réponses à Burdeau montre un homme qui cherche toujours à déceler la vérité du mensonge, la complexité des rapports humains comme leur brutale simplicité.
→ Paul Verhoeven, À l'œil nu, entretien avec Emmanuel Burdeau, 176 pages, Ed. Capricci, 16€
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 13 avril 2017 à 00:06 ::Musique
Je m'en doutais depuis que, adolescent, j'avais écouté pour la première fois une pièce de Luc Ferrari à la radio dans les années 60 : je suis fondamentalement ferrariste, foncièrement, fraternellement. Le recueil de manuscrits, pour la plupart inédits, de Luc Ferrari (1929-2005), pionnier de la musique concrète, rassemblé par sa veuve Brunhild Ferrari et par Jérôme Hansen, ne fait que préciser les points de concordance avec ma propre manière d'envisager l'organisation des sons. L'entendre consista probablement pour moi en une libération par rapport à la musique pop que diffusaient alors Europe 1 et France Inter. Une autorisation de penser le monde comme une symphonie universelle où tout est permis, à commencer par le réel où l'imaginaire va puiser ses sources intarissables. L'observation est la règle, sa transposition l'exception. Je partage aussi le goût de la narration, hérité des poèmes symphoniques des compositeurs romantiques. Par contre mon caractère impétueux ne suivit pas la trace de son élégant minimalisme.
Si l'on reconnaît l'influence de John Cage dans son "hasard par détermination", son amour pour la vie sous toutes ses formes lui fait choisir celle, concrète, des sons du quotidien, des voix susurrées, plutôt que la synthèse de l'électronique. Cela ne l'empêchait pas de savoir écrire pour orchestre symphonique Histoire du plaisir et de la désolation sur les traces d'Edgard Varèse dont il avait filmé avec Gérard Patris Déserts dirigé par Maderna. Dans la même série des Grandes Répétitions, ils avaient réalisé des portraits extraordinaires d'Hermann Scherchen dont Ferrari évoque le studio personnel, de Stockhausen qui avait opté pour l'électronique, de Messiaen dont il s'était dégagé en rentrant au Service de la Recherche de Pierre Schaeffer, Schaeffer à qui il reproche de ne pas le comprendre et le brimer, de Cecil Taylor qui le rapproche d'un monde musical exempt de la hiérarchie imbécile qu'impose la classe bourgeoise...
Relire ses notes et feuilleter les partitions reproduites dans l'ouvrage donne envie de réécouter le somptueux coffret de 10 CD publié par l'INA et La Muse en Circuit lorsqu'il évoque l'Étude aux sons tendus, Tête et queue du dragon, Music Promenade, J'ai été coupé, les Presque Rien, Les Arythmiques, etc. Ses Tautologies me rappellent le synchronisme accidentel de Cocteau que j'ai toujours pratiqué, adaptant souvent cette technique vivante aux expositions que je sonorise. Ses entretiens avec François-Bernard Mâche, Catherine Millet, Christian Zanési, Pierre-Yves Macé et David Sanson sont passionnants. Ses réflexions intimes livrent sans pudeur ses frustrations et ses désirs, fidèles à ses Autobiographies recomposées. Dans sa préface, Jim O'Rourke me comble en rapprochant l'œuvre de Luc Ferrari du livre de Charles Ives, Essays Before A Sonata dont je possède l'édition originale et de Michael Snow, un des héros de mon adolescence que j'eus la chance de rencontrer à Toronto. Outre l'importance déterminante de sa démarche indépendante, ce recueil diffuse avec ravissement l'esprit et l'humour du compositeur.
→ Luc Ferrari, Musiques dans les spasmes - Écrits (1951-2005), 17 x 24 cm (broché), 236 pages (ill. coul. et n&b), Les presses du réel, 22,00 €
→ Pour la petite histoire, le 24 février 1992 Luc Ferrari, à qui je dois la rencontre avec Conlon Nancarrow, enregistra Comedia dell'Amore 224 avec le trio d'Un Drame Musical Instantané au Studio GRRR, publié sur le CD Opération Blow Up. Il y est chroniqué, à sa demande, aux postes "reportage et voix".
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 12 avril 2017 à 07:42 ::Humeurs & opinions
L'engouement pour le programme de la France Insoumise augmente de jour en jour. Son candidat à la présidence de la République, dernier de la Ve avant que la Constituante accouche de la Constitution de la VIe (la vie !?), fait preuve d'une clarté exemplaire dans ses prestations publiques et médiatiques et si l'on est sensible à son argumentaire tant écologique qu'économique, pacifique et moral, Jean-Luc Mélenchon rassemble de plus en plus de suffrages à quelques jours du vote, laissant espérer qu'il se retrouve en lice pour le second tour. Or si Mélenchon se retrouve au second tour contre Marine Le Pen il a de très grandes chances de l'emporter. On cravache donc pour convaincre les indécis, les abstentionnistes, les hamonistes, les poutouistes, etc.
Première adresse aux abstentionnistes qui préfèrent militer au quotidien dans un combat de proximité, à Notre-Dame-des-Landes, auprès des "sans-papiers", etc. Souvent de tradition anarchiste, ils critiquent le culte de la personnalité des hommes et femmes politiques, choisissant la marge comme s'il était possible de s'exclure du jeu social. Cette démarche parfaitement louable et compréhensible peut paraître égoïste, car, souvent issus de la classe bourgeoise, ils se marginalisent dans un mouvement de solidarité limité. Ils ne désirent le plus souvent pas de véritable changement, leur marginalisation représentant un confort de l'esprit à la Zorro. Rappelez-vous que le justicier est un riche aristocrate qui prend la défense de la veuve et de l'orphelin, accompagné de son fidèle serviteur muet ! Or si Mélenchon devenait le dernier président de la Ve République, il entraînerait quantité de pays européens à sa suite, avec une petite chance de sauver la planète du gâchis et de la guerre mondiale qui se profile. L'enjeu est colossal, quand un Macron au contraire nous ferait glisser dans l'horreur qui est hélas déjà à l'œuvre...
Deuxième adresse aux "intellectuels de gauche" qui ne cessent de chercher la plus petite mesquinerie qui salirait Mélenchon, sans y arriver, mais boudant le plaisir de bousculer l'ordre des choses et de réaliser cette révolution pacifique. Même constatation sur leur désir de renverser le cours de l'Histoire. Le souhaitent-ils vraiment ou se complaisent-ils dans un pessimisme dont ils sont les héros ? À noter que presque tous et toutes sont des personnes intelligentes, mais avec un ego surdimensionné, incapables d'avaler qu'un politicien soit plus brillant qu'eux ! Ils attaquent honteusement la personnalité de Mélenchon, comme s'ils n'avaient jamais voté que pour des altruistes effacés. Ou bien ils ressassent ses prétendues attaches à Poutine, alors qu'il a été parfaitement explicite sur le sujet. En m'interrogeant sur ce qui lie ces détracteurs systématiques, je me souviens que des années durant ils ont été des gens que j'ai admirés, mais aujourd'hui ils se répandent misérablement sans développer le moindre argumentaire. Ils préfèrent jouer les va-t-en-guerre en Syrie comme jadis Romain Goupil en Irak ou BHL en Lybie, deux pays que nous avons totalement détruits, ils préfèrent louer Benoît Hamon placé là uniquement pour siphonner les voix de la France Insoumise, le candidat du PS renégat étant de toute évidence le freluquet Emmanuel Macron, sorte de pantin entre les pattes des banquiers à la manière de Bush Jr.
Mon article, que j'admets provocateur et réducteur, n'aura convaincu personne qui ne veuille être convaincu, comme disait Jean Renoir, mais j'avais envie de partager cette analyse sommaire avec toutes celles et tous ceux qui participent à ce mouvement d'une rare créativité où l'espoir reprend du poil de la bête, au moins ces deux dernières semaines, mais certainement pour plus longtemps, tant le travail des militants a redonné foi en la possibilité d'un autre monde, avec un programme qui servira quelle que soit l'issue du scrutin. La politique refait surface et envahit la rue. Je devrais mettre plus de points d'interrogation que d'affirmation, car je comprends aussi que la société du spectacle a atteint un point extrême où nombre d'entre nous ne savent plus s'ils jouent un rôle, s'ils sont agis ou s'ils ont encore la faculté de penser. J'ai moi-même encore des doutes que j'ai laissés de côté le temps de quelques jours...
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 11 avril 2017 à 00:08 ::Multimedia
On s'est bien amusés. Au tour des internautes de se marrer en regardant les 12 épisodes de Prévert Exquis, la web série consacrée à Jacques Prévert dont c'est le quarantième anniversaire de la mort. Aujourd'hui, lancement de la web série par TV5MONDE des deux premiers de ces ultra-courts métrages ! Chaque mercredi et samedi un nouvel épisode, et ce pendant six semaines... L'idée était de montrer que Prévert n'est pas (seulement) un poète qui a écrit des chansons pour les enfants, mais un artiste engagé politiquement, un anarchiste mordant qui aimait se moquer du monde et déclarer son amour avec la plus grande liberté. Nous voulions aussi le remettre au goût du jour, car ses écrits sont très actuels, mais aussi afficher ses collages et embrasser l'ensemble d'une œuvre polymorphe qu'il aborda en écrivain, parolier, scénariste, plasticien... Isabelle Fougère, ayant découvert notre Machine à rêves de Léonard de Vinci, nous a proposé de réaliser avec elle des petits formats qui mettent en valeur le provocateur et le grand cœur, le titi et l'insoumis, le surréaliste et l'idéaliste. Comme toujours, plus on laisse des artistes libres d'inventer, plus savoureux est le dessert ! Sonia Cruchon a cherché et monté des images qui fassent contrepoint, Mikaël Cixous a assuré la création graphique, j'ai sonorisé et mis en musique l'ensemble, mais tous les quatre avons rivalisé d'imagination pour sortir des sentiers battus de la poésie attendue. Pour chaque film nous sommes partis d'un texte ou d'un collage et nous avons cherché le complément, un pont entre leur création et leur interprétation, entre hier et aujourd'hui. Eugénie Bachelot-Prévert, la petite-fille de Prévert, a accepté de commenter nos élucubrations en racontant des anecdotes inédites, des détails intimes de la vie de ce personnage à la fois drôle et sévère, critique féroce de l'absurdité des hommes et respirant le bonheur de vivre. Sur les réseaux sociaux sont diffusés les 12 épisodes tandis que sur le site de TV5MONDE ces Exquis sont suivis des entretiens avec Eugénie Bachelot-Prévert.
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 10 avril 2017 à 07:43 ::Cinéma & DVD
Si au cinéma on aime sortir de l'ordinaire, il est nécessaire de chercher à voir des films qui ne sont ni américains ni français. Ce n'est pas que ceux-ci soient forcément banals, mais en fouillant parmi les productions grecques, islandaises, hongroises, italiennes, néo-zélandaises, thaïlandaises, chiliennes, etc., les variations sociales initient des scénarios différents, et lorsque la forme colle au récit on gagne sur tous les tableaux.
Une seconde mère est une comédie sociale remarquablement interprétée par Regina Casé qui joue le rôle d'une bonne dans une famille bourgeoise dont le fils est plus proche d'elle, a priori, que de ses parents, alors qu'elle-même a une fille confiée à sa propre mère. Dans tous ses films, Anna Muylaert met en scène la différence de classes, flagrante au Brésil où l'écart est particulièrement visible et choquant. Elle le fait ici avec un humour incisif tout au long d'un scénario inventif bourré de détails croustillants. Même constatation avec le nouveau D'une famille à l'autre où des enfants volés retrouvent leurs géniteurs alors qu'ils sont déjà grands. La bourgeoisie en prend pour son grade, d'un égoïsme colossal, comme le patriarcat dont le machisme est d'une rare stupidité. Conséquence perceptible dans les deux films, les adolescents semblent en manque de (re)pères. Dans le dernier, l'interprétation est aussi fameuse (Muylaert fait astucieusement jouer le rôle des deux mères à la même comédienne), et les rebondissements épatants...
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 7 avril 2017 à 00:29 ::Humeurs & opinions
Comme de nombreux lecteurs encore abonnés à Télérama, il y a longtemps que je ne lis plus que les pages magazine, laissant collées celles consacrées à la télévision. Habitant Paris, je feuillète également le Petit Journal, mais depuis quinze ans j'achète une incroyable quantité de papier dont je n'ai aucun usage, préférant la matière des quotidiens pour allumer le feu dans l'âtre. Cela ne coûterait-il pas moins cher de fabriquer une édition plus mince, moins d'arbres à couper, moins de poids à la Poste ?
Les jeunes ne regardent plus la télévision, préférant le replay sur Internet, mais ce ne sont pas les seuls ! La multiplication des chaînes a joué contre elle : avec les chaînes thématiques s'est constitué un communautarisme des programmes là où dans le passé la pauvreté quantitative de l'offre obligeait à un universalisme de qualité. Internet assume dorénavant cet encyclopédisme œcuménique. Avec la recherche en ligne, le programme quotidien du magazine est devenu également inutile, sauf pour les personnes âgées attachées à leur fauteuil.
Il n'existe à ma connaissance plus beaucoup de magazines culturels embrassant la presque totalité du champ. Les quotidiens comme Le Monde et Libération passés idéologiquement à la réaction sont trop énervants pour que je puisse encore les lire et leur offre culturelle s'est considérablement réduite à force de suivre la loi du marché. Il est étonnant que Télérama ait résisté jusqu'ici au rouleau compresseur du Monde qui a racheté le magazine en 2003, affichant une ouverture d'esprit dans sa tradition catho de gauche, devenue rare aujourd'hui, les pages culturelles du Monde Diplomatique, très anecdotiques, restant bien en dessous de ce que l'on pourrait en espérer.
Me voilà donc surpris d'attendre mercredi pour feuilleter l'actualité artistique de la semaine ou du mois à venir. Profitant de rabatteurs (parmi mes amis) qui m'indiquent de temps en temps des sujets susceptibles d'alimenter mes articles, je fus récemment heureux de découvrir Chinese Man sous la plume de Frédéric Péguillan ou Sons of Kemet sous celle d'Éric Delhaye dans le Petit Journal, deux groupes qui m'avaient échappé et tournent depuis sur ma platine.
Petit a parte sur Sons of Kemet, quartet de jazz anglais dirigé par le saxophoniste Shabaka Hutchings, Londonien d’origine caribéenne, à qui l'on doit deux albums, Burn et Lest We Forget What We Came Here To Do, à la croisée du rock et de la musique africaine avec un jeu de jambes irrépressible venu des îles. Leur côté roots résume la musique à l'indispensable. Accompagné par le tubiste Oren Marshall (ou Theon Cross) et les batteurs Seb Rochford et Tom Skinner, Hutchings joue avec une fougue communicative, au ténor ou à la clarinette, interrogeant l'identité des Caraïbes dans ses compositions. Sans qu'il ressemble à aucun d'eux, je n'ai pu m'empêcher de penser à Dolphy, Rollins, Ayler, Coleman, quand le soleil vient frapper nos peaux décolorées. Hutchings est aussi féru de musique contemporaine et a initié depuis d'autres projets comme le trio, electro free, The Comet Is Coming. Les clips vidéo sont ici !
Retour à Télérama où les articles de société sont toujours intéressants quel que soit le regard critique que l'on porte soi-même sur le monde qui nous entoure. La présentation des sorties cinématographiques est exhaustive. Le choix de certains chroniqueurs est parfois catastrophiquement restrictif lorsqu'il se focalise sur un genre très convenu comme Michel Contat pour le jazz, mais on peut suivre des pistes ici ou là, que ce soit pour les sorties de livres, les expositions, les sorties ou des musiques qui ne sont pas a priori dans notre champ de vision...
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 6 avril 2017 à 00:20 ::Musique
Si vous n'êtes pas allergique aux bondieuseries krishniques, la transe d'Alice Coltrane Turiyasangitananda vous portera peut-être aux nues. Sorte de gospel avec tablas et sitar, glissés de synthétiseur et épais accords d'orgue à tuyaux, la musique que la veuve de John Coltrane publia uniquement sur cassettes pour l'ashram qu'elle fonda en 1983 sur les collines de Santa Monica, 45 hectares près de Malibu au sud de la Californie, s'appuie essentiellement sur des chants incantatoires à grand renfort de Om Rama Shanti Hare... Elle chante avec un chœur de 24 disciples, joue des claviers, et de la harpe qui fit sa renommée dans sa période jazz. Après la mort de son mari, Alice Coltrane avait voyagé en Inde et rencontré en 1970 le guru Swami Satchidananda avant de créer le Vedantic Center en 1975 et de prendre le nom de Turiyasangitananda. Si vous préférez, faites comme ses disciples en l'appelant Swamini ! Son engagement total envers Dieu lui avait été dicté après avoir beaucoup maigri et sujette à de terribles crises d'insomnie et d'hallucinations. Le dimanche elle chantait seule des bhajans ou en groupe des kirtans dont Luaka Bop, le label de David Byrne, en publiera l'anthologie, à commencer par ce premier volume à l'occasion du dixième anniversaire de sa disparition.
Alice Coltrane avait auparavant collaboré avec Kenny Clarke, Kenny Burrell, Ornette Coleman, Pharoah Sanders, Charlie Haden, Roy Haynes, Jack DeJohnette, Carlos Santana et remplacé Mc Coy Tyner dans le dernier quartet de son mari. Sur ses 14 albums en tant que leader, sa musique fut toujours marquée par une quête spirituelle qui trouve ici son expression la plus explicite, cette fusion entre le gospel et le chant védique sonnant très actuelle grâce à l'électronique et à la re-masterisation de Baker Bigsby.
→ World Spirituality Classics 1: The Ecstatic Music of Alice Coltrane Turiyasangitananda, CD/LP/K7/Digital Luaka Bop (2 morceaux de plus sur le double vinyle), dist. Differ-ant, sortie le 5 mai
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 5 avril 2017 à 09:36 ::Humeurs & opinions
Ne plus regarder la télévision ressemble à une cure de détox. Depuis quinze ans nous avons remplacé le roman national professé par le quatrième corps d'armée par le butinage en réseaux sociaux. Cela n'évite pas les balivernes et il est toujours besoin de vérifier ses sources avant de partager, mais le contenu manipulatoire est moins répétitif. D'autre part nous avons ainsi accès à quantité d'informations inaccessibles autrement, comme par exemple les discours in extenso de Jean-Luc Mélenchon qui convaincraient nombre d'indécis s'ils prenaient la peine de les écouter. Un petit extrait pour celles et ceux à qui on a fait le coup de l'amitié avec Poutine :
Ayant dérogé à ma règle et suivi le débat entre les cinq principaux candidats à l'élection présidentielle, j'ai remis cela mardi soir avec les 11 candidats, sur BFMTV par dessus le marché. Les commentaires journalistiques des préparatifs, dit avant-débat, ressemblaient à ceux d'une retransmission sportive, société du spectacle au mieux de sa forme. Ce spectacle grand public, pour qui peut tenir quatre heures concentré sur les discours et les yeux des acteurs, m'inspira quelques réflexions.
D'abord le bilan final formulé par la sanction de l'audimat donna encore une fois Jean-Luc Mélenchon comme candidat nettement le plus convaincant. Les instituts de sondage, entreprises de manipulation aux mains de quelques milliardaires, qui avaient depuis le début de la campagne minimisé son impact sont obligés de reconnaître sa montée dans l'opinion. C'était habile lorsque l'on se souvient que les Français n'aiment pas voter pour un perdant. On avait donc droit au terme de "gauche radicale" contre "vote utile" incarné par le candidat supposé du PS, Benoît Hamon. La magouille du parti actuel au pouvoir démasquée, à savoir que son candidat réel, même officieux, a toujours été Emmanuel Macron et que Hamon n'est là que pour siphonner les voix de Mélenchon, les intentions de vote ne pouvaient que se ratatiner. À moins de trois semaines du scrutin et devant la progression éclair du candidat de la France Insoumise, les instituts de sondage ne peuvent donc continuer à le jouer à la baisse sans se ridiculiser en perdant toute crédibilité.
Dans tous les débats Macron, candidat des banques et des chaînes de télévision qu'elles tiennent en coupe serrée, apparaît étonnamment comme le plus flou, le plus confus. J'ai aussitôt pensé à George Bush Jr, un idiot de la famille dont les fils de marionnette finissent par se voir, la poudre aux yeux et la colère qui monte au nez ne faisant plus l'effet escompté dès lors qu'on en abuse ! Son paravent "ni de gauche ni de droite" est pourtant à relever, mais ce n'est pas lui qui l'incarnait au débat de mardi soir. En effet les candidats, dits petits par la taille de leur score supposé, comme Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau ou Jean Lassalle, a priori considérés comme à droite ou centristes, rejoignent les positions des Trotskystes Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud lorsqu'il s'agit de fustiger la corruption imposée par la dictature financière défendue exclusivement par Fillon et Macron. Je ne parle pas de Marine Le Pen dont le discours est un tissu de mensonges et de contradictions essentiellement accès sur la haine de "l'autre", histoire de gruger même quelques électeurs d'origine maghrébine ou africaine qui ne se rendent pas compte qu'ils tressent une corde pour se pendre. Poutou, que les commentateurs sportifs issus des beaux quartiers jugèrent impertinent dans son laisser aller popu, sut lui clouer le bec avec à propos. Pendant ce temps, Arthaud ramenait chacune de ses interventions au sempiternel "travailleuses, travailleurs" de jadis Arlette Laguiller. Asselineau citait les articles prouvant la catastrophe des traités européens, Cheminade exultait une saine colère, Dupont-Aignan défendait les petites entreprises, Lassalle lançait des clins d'œil complices à Mélenchon, seul candidat à embrasser la totalité des sujets évoqués par la campagne, mais si on a suivi ses discours où dans chaque ville il tient des heures sur un sujet différent on ne sera pas étonné par la clarté du petit résumé que la vingtaine de minutes, vouée à chacun des 11, lui octroyait.
L'autre candidat à stature présidentielle semblait Fillon, capable de rester stoïque, malgré le nombre grandissant des preuves de ses mensonges et cachoteries hypocrites dont certaines mériteraient tout de même un coming out, surtout lorsqu'on est soutenu par la Manif pour tous. Le seul candidat dont l'électorat est explicitement de droite (le FN attire aussi des déçus et malinformés, Macron des démocrates-sociaux à qui on a réussi à faire peur avec la montée fabriquée du FN) joue la victime et la dignité, sorte de chemin de croix qui continue à plaire aux cathos qui le soutiennent.
Il est à parier que Jean-Luc Mélenchon, si ses militants arrivent à convaincre les indécis et les abstentionnistes, pourrait très bien se retrouver au second tour, non contre toute attente mais contre toute intox. Car si les intentions de vote à son égard s'amplifient de jour en jour, c'est contre la fantastique levée de boucliers (lire Le mascaret) que lui opposent les médias qui l'ont caricaturé depuis des années (normal, ils appartiennent tous à des milliardaires marchands d'armes ou banquiers), les partis traditionnels y compris ce qui reste du Parti Communiste dont les positions sont honteuses face à l'extraordinaire travail que représente le programme de la France Insoumise, la classe politique (il n'est entouré presque que de jeunes qui n'ont jamais été élus), les attaques contre la personne pour étouffer le programme, etc. Mais la clarté de son discours convainc de plus en plus de monde, des jeunes qui voient mal ce qu'un autre avenir leur réserve, des citoyens épris de paix (le discours belliqueux de Hamon tranche là, malgré tout ce qu'il a pompé pour son simili-programme), des personnes qui veulent vivre autrement, dans le respect de la nature (c'est le seul candidat dont l'écologie est à la base du programme économique), des gens qui veulent que cela change et prêts à s'en donner les moyens. Je donne ici peu d'exemples, le programme L'avenir en commun fait 70 pages qui se lisent très facilement et il est accompagné de plus de 40 livrets thématiques qui raviront celles et ceux qui pensent que les jours heureux ne sont pas histoire du passé...
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 5 avril 2017 à 00:05 ::Perso
J'ai perdu mes pétales. La grippe me terrasse. Facile de comprendre que les vieux puissent y succomber. Heureusement que l'on sait qu'à mon âge cela passe. La fatigue est si plombante que je préfère ne pas bouger plutôt qu'attraper ma tasse citron-miel qui est à portée de main. Pas moyen de lire, a fortiori d'écrire. Je profite d'une petite rémission pour taper ces mots. Mes symptômes ressemblent à un sandwich tunisien, un nuage de rhume, une toux à déchirer la cage thoracique, la gorge au papier de verre, 39°C, saupoudrer de frissons, courbatures, aphtes, et même quelques hallucinations ! Je sais que cela va vraiment mal lorsque je n'ai pas faim.
Dimanche après-midi je suis passé voir ma mère à l'hôpital avant son transfert en maison de repos. J'étais déjà patraque. Ce n'est pas tant l'antichambre de la mort qui me rebute en milieu hospitalier que l'uniformité dépersonnalisée des lieux qui me terrifie. En 1979, après que l'Idhec ait déménagé à Bry-sur-Marne dans les locaux de l'INA, j'avais suggéré que l'on repeigne les couloirs, mais la direction m'avait aussitôt convoqué pour m'expliquer que nous n'étions que locataires ! Les bureaux, guichets, les portes aux couleurs maussades, me font le même effet. Qu'y a-t-il de plus déprimant qu'une banque ? Un hôpital, peut-être. J'ai besoin de m'approprier les lieux où je travaille, raison pour laquelle j'ai choisi de bosser chez moi. Le studio de musique est une pièce comme une autre et ses fenêtres donnent sur un jardin quasi tropical avec bambous et palmier. Les chats font vivre les lieux même en notre absence.
Maman s'est cassée la figure en allant chercher du papier hygiénique, dont elle n'avait pas besoin, sans son déambulateur. Ces dernières semaines elle s'est retrouvée plusieurs fois par terre sans pouvoir se relever. Rester seule chez elle semble de plus en plus compliqué. Elle perd aussi la mémoire, après avoir fait de multiples mini-AVC. Pour la tester, un médecin lui a posé quantité de questions où, paraît-il, elle a eu "tout bon", mais quand ma sœur lui a demandé lesquelles, elle a répondu qu'elle ne se souvenait plus, et elle a ri. Maman paie surtout le déficit des années antérieures. Elle n'a jamais aimé marcher. Mon père la déposait devant le restaurant avant d'aller se garer. Elle n'a plus jamais voulu évoquer le passé. Pas du genre à radoter, non, mais comme l'avenir est bouché et le présent en boucle, chaque jour ressemble au précédent sans qu'elle puisse y laisser de traces. Le temps zéro. Chez elle ou à l'hosto, elle "s'emmerde", laissant la télévision allumée toute la journée, de préférence les informations. S'il n'y a pas un tremblement de terre quelque part, elle dit qu'il ne se passe rien. Sinon elle irait bien. L'endroit où elle est maintenant est censé la remettre sur pieds, mais sa paresse légendaire risque de la rendre réfractaire à toute amélioration. Il y a ma mère d'avant, et celle d'après. Avant, elle m'a permis de devenir ce que je suis, très attentive pendant mon enfance et mon adolescence. Après la mort de mon père il y a trente ans, elle n'a fait que décliner, sa misanthropie agressive se transformant en égocentrisme amorphe. J'ai cherché vainement le secret de famille qui handicape les trois sœurs dont ma mère est la seconde. Dans "leur" famille, le passé semble tabou.
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 4 avril 2017 à 01:58 ::Musique
Ayant chroniqué le film de Thorsten Schütte sur Frank Zappa l'an passé (relatant en particulier mes rencontres avec Zappa en 1969-70) ainsi que dix ans plus tôt celui de Shirley Clarke sur Ornette Coleman, je me suis plutôt intéressé aux bonus rassemblés par l'éditeur français Blaq out qui lance, avec Leonard Cohen, Bird On A Wire de Tony Palmer, une nouvelle collection DVD en commençant par 3 films exceptionnels jamais sortis en salle dans notre pays.
Si l'entretien avec l'habile réalisateur compilateur allemand relatant sa rencontre posthume avec le compositeur américain n'a aucun intérêt (Le Grand Zapping, 16'), celui avec Guy Darol permet de comprendre sa vie et son œuvre, envers d'un décor passionnant à découvrir pour celles et ceux qui n'en connaissent pas tous les ressorts et méandres (Zappa, l’apprenti chimiste de la musique, 21'). Schütte livre enfin 45 minutes d'entretiens avec des musiciens de Zappa. Ainsi le clavier Tommy Mars, les bassistes Arthur Darrow et Tom Fowler, le trombone Bruce Fowler, les percussionnistes Ed Mann et Chad Wackerman, le baryton Kurt McGettrick, le clavier-sax-chanteur Robert Martin racontent leurs débuts dans l'orchestre et les années passées en son seing, détails intéressants, mais forcément plus anecdotiques que le plat de résistance, le remarquable Eat that Question, Frank Zappa in his own words, probablement le meilleur témoignage audiovisuel sur le génie dont la renommée ne fait que grandir depuis sa mort le 4 décembre 1993, composé exclusivement d'archives, entretiens avec Zappa et extraits musicaux chronologiques, évitant l'écueil hagiographique habituel (2016, 77').
Pour Leonard Cohen, Bird on A WireTony Palmer a suivi le chanteur pendant sa tournée européenne de 1972 qui le mènera jusqu'à Jérusalem. Le film commence à Tel Aviv où la violence du service d'ordre ulcère Cohen, ce qui permet de placer l'ensemble sous un angle philosophique qui préoccupera le poète toute sa vie. Palmer filme ses chansons souvent sans les couper, du moins au son, entrant dans son intimité par le biais de ce qui se passe offstage. Explosant la chronologie, y compris en intégrant des archives familiales, il rend le portrait du Canadien intemporel, faisant apparaître la fragilité de l'artiste (1974, 1h46'). Son entretien en bonus est déterminant, décortiquant les affres de la production, le film ayant été perdu pendant plus de 35 ans (La Poésie en actes, 25'). À cette occasion il traite 200 Motels, le film de Zappa qu'il a réalisé, du plus mauvais film jamais tourné (avis que je ne partage heureusement pas du tout) ! À leur tour, Christophe Lebold et Gilles Tordjman décryptent l'histoire du poète, ses amours, ses provocations, et analysent son style (I Told You I Was a Stranger, 22'). Le dialogue entre les chanteurs Bertrand Belin et Sing Sing (Arlt) souffre par contre du défaut d'artistes qui, sans lien direct, se réfèrent à l'influence qu'ils ont subie, rappelant les banalités habituelles sur leur modèle (Leonard Cohen ’72, un mec en pull, 24'). On peut aussi regretter que dans le film les chansons ne soient pas sous-titrées, ce qui pénalise les non-anglophones.
La qualité de la copie de Ornette, Made in America de la réalisatrice expérimentale Shirley Clarke (1919-1997) sur Ornette Coleman (1930-2015) n'a rien à voir avec la pauvre VHS que j'avais dégottée à la Downtown Music Gallery de New York en 2006. J'écrivis alors : Le montage de ce qui s'avérera être le dernier film de Shirley Clarke s'acheva en 1985 après vingt ans de travail. (...) On peut y voir et entendre une quantité d'extraits depuis les groupes d'Ornette à l'Orchestre Symphonique de Fort Worth, la ville natale du compositeur texan, jouant son fameux Skies of America. Les témoignages sont émouvants : William Burroughs, Brion Gysin, George Russell. (on se souvient du passage improvisé du philosophe Jacques Derrida venu rejoindre Ornette sur la scène de la Villette en juillet 97 et hué par la foule inculte). Le montage joue d'effets rythmiques, de colorisations, d'annonces sur écran roulant, de reconstitutions historiques avec Demon Marshall and Eugene Tatum jouant les rôles du jeune Ornette... Le film est tendre, vivant (1984, 75'). L'affirmation des titres des albums d'Ornette m'a tout de suite impressionné : Something Else, Tomorrow Is The Question!, The Shape Of Jazz To Come, Change Of The Century, Free Jazz, The Art Of The Improvisers, Crisis, Science Fiction jusqu'au dernier, Sound Grammar, qui continue à développer le concept colemanien de musique harmolodique que je n'ai jamais très bien compris, mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, la musique d'Ornette possède quelque chose d'unique, une fougue sèche, un lyrisme sans concession, une urgence durable. Je reste froid devant sa théorie comme je l'étais devant les élucubrations pseudo philosophiques de Sun Ra, mais encore une fois, qu'importe, puisque la musique nous précède et que nous en sommes réduits à lui courir après. Son dernier album est une des plus belles expressions de la vivacité de la musique afro-américaine comme son Skies of America rappelle encore le fondateur de la musique contemporaine américaine, Charles Ives. Ornette joue de l'alto, peut-être le seul à la hauteur de l'oiseau Parker, du violon et de la trompette. (...) Il y a chez Ornette quelque chose qui déborde du jazz, un sens de la composition unique comme chez Ellington, Mingus ou Monk, un appel des îles qui pousse irrésistiblement à danser malgré l'atonalité relative des mélodies et les flottements rythmiques. Si on lui doit le terme free jazz, il est aussi probable que toute cette musique changera définitivement de couleur lorsqu'Ornette rendra les armes.
En bonus, Shirley Clarke dit tout ou Nous sommes des pionnières, l'entretien de Joyce Wexler-Ballard à UCLA en 1982 avec la réalisatrice est une conversation à bâtons rompus d'une profonde honnêteté, pleine d'humour, axée sur sa personnalité égocentrique (58').
Eric Thouvenel rappelle les circonstances du projet, expliquant simplement comment les dissonances de l'harmolodie ont pu influencer le style du film (Coleman, Clarke, Make America Free Again, 21'). L'aventure intime des deux protagonistes est pourtant esquivée. Enfin, le trompettiste Médéric Collignon au cornet, accompagné par le pianiste Yvan Robilliard, décrit avec subtilité ce que sont le jazz et le free jazz, la musique noire américaine, la liberté du jeu et le paradoxe des définitions (25’).
Les trois films dessinent le portrait d'un temps où l'engagement politique des artistes figurait le terreau de leurs œuvres, pas seulement théoriquement, mais aussi dans leur quotidien. Les documents d'époque témoignent à la fois de leurs musiques, rock et contemporaine pour Zappa, folk pour Cohen, jazz pour Coleman, et du contexte historique qui les influença et sur lequel ils imprimèrent leur marque en retour. Trois films intelligents et sensibles, indispensables pour quiconque s'intéresse à la musique et à son filmage.
→ Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words de Thorsten Schütte / Leonard Cohen - Bird On A Wire de Tony Palmer / Ornette - Made in America par Shirley Clarke, coll. Out Loud, 3 DVD Blaq Out, sortie le 2 mai 2017
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 3 avril 2017 à 07:07 ::Musique
Le guitariste Serge Teyssot-Gay et le violoncelliste Gaspar Claus prolongent le chant de la joueuse de biwa Kakushin Nishihara. Des fantômes traversent le pont quantique dressé entre le Japon millénaire et l'underground tokyoïte. Le crâne rasé aux tatouages zébrés, la récitante ressemble à l'héroïne d'un blockbuster sur la fin du monde. Mais le Kintsugi, qui donne son nom au trio, est la renaissance d'un objet brisé, réparé avec une laque saupoudrée d'or, et Minamoto no Yoshitsune, qui donne son nom à l'album, est un général samouraï (1159-1189) des périodes Heian et Kamakura. La voix sépulcrale vibre comme les cinq cordes du luth à manche court, tranchante, glissante, marquante. Je ne comprends pas le japonais, mais l'épopée évoque une bataille, la tempête, la traversée d'une montagne et la mort de Yoshitsune dont la tête finira exposée. Les cordes pincées et frottées par les deux acolytes de Kakushin Nishihara nous plongent à la fois dans la modernité et dans le fantasme d'un Japon d'estampes auxquelles les films de Mizoguchi et Kurosawa ont donné le mouvement. Pourtant tout semble figé, immuable, éternel, avec le paradoxe d'une terrible fragilité, à la chute inéluctable. Tsugu signifie réparer, relier, transmettre, valoriser, ce que fait le trio en spectacle et sur ce CD aux inflexions magiques.
→ Kintsugi, Yoshitsune, CD Les Disques du Festival Permanent / Intervalle Triton, dist. L'autre distribution, sortie le 28 avril 2017
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Apéro Labo 5 avec
avec Hélène Duret et Alexandre Saada
Studio GRRR, 13 octobre
Perspectives du XXIIe siècle avec Amandine Casadamont plus le film réalisé par Nicolas Clauss, Sonia Cruchon, Valéry Faidherbe, Jacques Perconte, Eric Vernhes, John Sanborn et JJB MEG, Genève, 31 octobre
Apéro Labo 6, avec Roberto Negro et Catherine Delaunay
Studio GRRR, 8 décembre
CD À VENIR
TCHAK, CD inédit d'Un Drame Musical Instantané enregistré en 2000, label Klanggalerie, octobre 2024
Animal Opera Birgé (en partie avec A. Schmitt) enregistré sur GRRR, oct. 2024
K. Dick, CD inédit d'Un Drame Musical Instantané enregistré sur GRRR, 2025
ALBUMS RÉCENTS
Apéro Labo 4 live au Studio GRRR avec Fabiana Striffler et Léa Ciechelski à paraître fin septembre
CDPerspectives du XXIIe siècle avecN.Chedmail, J-F. Vrod, A-T. Hoang, S. Lemêtre... (MEG-AIMP, dist.Word and Sound)
Double CD Pique-nique au labo avec 29 musiciennes et musiciens
(GRRR, dist. Les Allumés du Jazz) Également sur Bandcamp Le superbe vinyleFictions duo avec Lionel Martin sérigraphie d'Ella & Pitr est sur Bandcamp
Reformation du Drame avec F.Gorgé et D.Meens Plumes et poils - 2022 CD GRRR, sur Bandcamp
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