70 février 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 28 février 2007

En chantier


Rien n'est fixé pour toujours.

mardi 27 février 2007

Docteur Bullet Time


De temps en temps, je suis paresseux. Lorsque que j'ai un problème informatique (adeptes du PC passez votre chemin !), j'appelle Francis dont l'iChat est branché toute la journée. Pourtant, souvent la réponse est déjà sur Qt bridge, son site dédié à QuickTime. Par exemple, il y a une page QuickTutor qui explique comment regarder n'importe quel format de film avec QuickTime ou le piloter à l'aide de JavaScript. Francis a lui-même développé des petits outils très simples pour afficher des panoramas QTVR en plein écran (PleinPot) ou générer le code indispensable au placement de films QuickTime sur une page Web (PAGEot). Il inventorie tous les outils nécessaires à la vidéo, à la capture-écran, au midi, au streaming, à la compression, l'animation, la reproduction, au chat et à la souris (deux petites bêtes qu'on a toujours adorées !)... Sans oublier le QuickTime VR, panoramiques interactifs, dont sa société, briq, s'est fait une spécialité. Et si les réponses ne sont pas sur Qtbridge, elles sont sur le garage de la vidéo sur Mac, un de ses partenaires. Enfin, ce n'est pas toujours aussi simple, l'informatique est un labyrinthe où plus on en sait plus on s'y abîme. C'est sympa d'avoir un pote qui s'y connaît un peu mieux que vous !
Francis Gorgé, vous l'aurez reconnu, n'est pas un homonyme d'un des fondateurs d'Un Drame Musical Instantané, c'est le même gars. Nous avons fait ensemble notre premier concert, notre premier disque, travaillé quotidiennement pendant dix-sept ans jusqu'en 1992, enregistré une quinzaine d'albums et je suis toujours content de le voir, à défaut de l'entendre, puisqu'il a hélas posé sa guitare électrique depuis belle lurette. Au lycée, il avait déjà fabriqué un synthétiseur (avant que ça existe !) avec le coffret du Petit Électricien. Il m'initia à l'informatique musicale encore balbutiante : Yamaha, Atari, Apple... Il avait le premier échantillonneur, une pédale Replay dont le brevet fut ensuite acheté par Akaï. Je regrette nos engueulades où ça carburait sec entre nous trois, avec Bernard Vitet rencontré en 1976 avec qui il m'arrive encore de faire du bruit. Tous les trois finissions toujours par tomber d'accord, car nos egos s'effaçaient devant le projet. Un vrai collectif. J'ai souvent parlé de la complicité musicale que nous partagions. Je pouvais faire n'importe quoi, Francis était capable de rattraper toutes les balles que je lui lançais, le bullet time avant la lettre... Je retourne sur Qtbridge, ce n'est pas tout d'indiquer des liens, il faut que je les expérimente...

Photo de FG par Gérard Touren

lundi 26 février 2007

Quand les digues ont lâché


Grosse déception à la projection du documentaire fleuve, When the Levees Broke. Le "Requiem en 4 actes" de Spike Lee est tourné très approximativement et monté plan plan. C'est long, très long, plus de quatre heures, sans que rien ne le justifie. Le réalisateur a tourné une quantité énorme d'entretiens face caméra sur une période relativement courte et les a montés avec les stockshots de la catastrophe qui a noyé la Nouvelle Orleans il y a un an et demi. Le sujet reste extraordinaire par l'ampleur du désastre humanitaire et politique.
On apprend qu'en 1927, lors d'un précédent ouragan, le gouvernement avait fait sauté les digues, noyant les quartiers pauvres pour sauver les riches. C'est toujours la même histoire, cette fois personne n'a bougé avant plusieurs jours après que l'ouragan Katrina a touché la Louisianne, mais surtout après que les digues de la Nouvelle Orleans ont lâché. Construction à la va-vite totalement insuffisante pour retenir les eaux du lac Ponchartrain, désintérêt du pouvoir pour un pays peuplé d'Afro-Américains démunis qui ne votent pas Bush, envoi de la police pour contenir cette population et l'empêcher de s'échapper du bourbier mortifère, etc. Ironie du sort, le président Chavez proposa l'aide du Vénézuela pendant que Bush vaquait à d'autres occupations. Refus des USA de recevoir l'aide internationale, comme par exemple celle des pompiers français (ça, ce n'est pas dans le film). C'est le récit d'une catastrophe sans précédent, après le tremblement de terre de Los Angeles et le 11 septembre (c'est aussi une condamnation sans appel de la politique intérieure de George Bush). Les États-Uniens se croient toujours à l'abri de tout, Thanks God !
La bigoterie est le phénomène pour nous le plus surprenant. Même révoltés par leur gouvernement d'incapables et de cyniques, les habitants de la Nouvelle Orleans acceptent leur sort, ils prient. Beaucoup de points communs avec l'Afrique du Sud d'après l'apartheid. J'avais été surpris par le peu de combativité des noirs qui accordaient leur pardon plutôt que de se relever sous les effets de la colère et de l'iniquité. L'évangélisation a bien fait son travail. Conclusion : l'opium du peuple est efficace, rien n'a changé, les pauvres ont remplacé les noirs, hélas ce sont toujours les mêmes. Aux USA, la religion est partout. La communauté à laquelle chacune et chacun se réfère (My community...) marque avant tout son appartenance à une église.
Dans le film, essentiellement quelques artistes se révoltent et accusent : Wynton Marsalis, natif de la Nouvelle Orleans, Harry Belafonte, très engagé politiquement de puis des décennies, Sean Penn qu'on aperçoit à l'action sur le terrain les pieds dans l'eau, Kayne West avec son George Bush doesn't care about black people en direct à la télévision...
Le pot aux roses se dévoile au large des côtes de la Louisianne, à un peu plus de 5 km du bord, échappant ainsi à la propriété de l'état et tombant dans l'escarcelle du pouvoir central. Le pétroleoff-shore représente 25% des ressources nord-américaines ! Un témoin raconte que si la Louisianne possédait ses propres ressources naturelles, au lieu de se faire piller par les magnats pétroliers (les copains du père de l'actuel président occupant les postes de commande à Washington), ce serait l'Arabie Saoudite et chacun roulerait en Bentley. Au lieu de cela, c'est la misère, une misère terrible qu'aussi bien aux USA que dans le reste du monde on feint d'ignorer pour conserver la vision idyllique du rêve américain.

Coffret zone 1 de 3 dvd, les deux premiers avec sous-titres français, le troisième contient un cinquième acte d'encore 1h45 !

dimanche 25 février 2007

Un chant d'amour de Jean Genet


Si vous avez la chance de me lire suffisamment tôt (je mets en ligne ce soir à minuit et l'excellente émission ''Court-circuit'' est programmée dans trente minutes sur la chaîne Arte), vous verrez peut-être un film rare, le seul réalisé par l'écrivain Jean Genet. Lorsque je l'ai découvert à sa sortie en 1975, j'ai été ébloui par sa beauté chorégraphique. Le film, tourné en 1950 et interdit jusqu'alors, était projeté muet. Deux prisonniers communi(qu)ent à travers le mur qui sépare leurs deux cellules. Chacun danse en imaginant qu'il est dans les bras d'un autre. Un petit trou laisse passer la fumée d'une cigarette grâce à un brin arraché à la paillasse. Les gestes qui pourraient être considérés impudiques suent la pudeur, ils dessinent toute une poétique qui sera reprise ensuite dans maints films gays. Mais l'émoi dépasse largement les inclinations sexuelles des protagonistes. On aimerait être aimé ainsi, d'une femme ou d'un homme, qu'importe son sexe, même si tous les poncifs homos sont à l'œuvre. La scène du bouquet balancé d'une fenêtre à l'autre au travers des barreaux est comme tout le reste du film, magique, brutale et fleur bleue. Pendant vingt-cinq minutes silencieuses, un des chefs d'œuvre du court métrage est projeté ce soir, mais si vous l'avez manqué, vous pouvez encore le regarder ici, sur plus petit écran...

Le n°18 est bouclé


C'est dimanche, y pas école ! Après le massage chinois de vendredi soir et la journée de bouclage hier au Mans, je suis sur les genoux. Je recopie paresseusement le billet mis en ligne sur le blog des Allumés du Jazz. Au menu du n°18 du Journal :
Penser la musique aujourd'hui avec Daniel Yvinec, le Cours du Temps avec Daunik Lazro, des questions Flash à Edward Perraud et Les Rigolettes, un texte de Sylvain Torikian, une carte blanche au label D'autres Cordes, GLQ par D' de Kabal, et les habitués, Jean-Louis Wiart (Pierre qui roule), l'Inspecteur Paul (Au coin du polar), Pablo Cueco (Paris brûle-t-il), Jean Rochard (Le jour) et votre serviteur (Sur l'écran noir de vos nuits blanches, Sur le site et La question avec la participation de Bernard Coutaz, Frédéric Goaty, Franck Mallet, Francis Marmande et Stéphane Ollivier). Enfin une ribambelle de nouveautés qu'on retrouvera sur le site marchand des Allumés.
Je vous laisse saliver sur la liste des illustrateurs : Daniel Cacouault (la une avec James Brown), Stéphane Cattaneo, Efix, Sylvie Fontaine, Johan de Moor, Ouin, Zou, Chantal Montellier (la suite de BD sur un scénario de Jiair) et les éternelles photographies de Guy Le Querrec.
Christelle Raffaelli a la gentillesse de venir corriger le canard à chaque bouclage tandis que Valérie Crinière s'occupe de presque tout aux Allumés, et même plus, Cécile ayant déserté son poste de comptable pour aller voir l'expert en Avignon. Val, aux commandes du Mac pour réaliser la maquette du nouveau numéro, subit toutes les (dé)pressions de dernière minute... Je prends la photo rituelle à bout de bras comme pour chaque bouclage : bouton "recherche" sur le blog ;-)

samedi 24 février 2007

La dernière valse


Sur son blog, Étienne Mineur annonce que c'est probablement la dernière présentation du site Web d'Issey Miyake qu'il réalise. Il clôt magnifiquement sept ans de collaboration en renouvelant son approche par un traitement dans l'esprit de sa mise en pages du catalogue John Maeda pour la Fondation Cartier. Cela ressemble aussi plus à ce que confectionnait Miyake avant qu'il ne vende sa maison et son nom.

La réponse à nos questions de design est toujours, si ce n'est dans le sujet lui-même, du moins dans la matière du support. La solution est devant nos yeux, il faut trouver le bon angle, incliner le plan dans la lumière pour qu'elle nous saute à la figure ! L'imagination vient après.

Côté fringues, la marque a hélas perdu beaucoup de sa magie. Mais les mouvements de Mineur pour la collection printemps-été Femmes jouissent d'une frémissante chorégraphie de caractères typographiques, tandis que la collection Hommes est portée par une amusante musique répétitive, swing et ravissante de Sacha Gattino. Comble du plaisir, tout cela est simplement interactif. Oups !

vendredi 23 février 2007

Epimanondas et H Lights


Edgard (basse) et Pierre (batterie) avaient 17 ans, Francis (guitare) et moi (sur ce morceau, manipulations de bandes magnétiques et oscillateur) venions d'en avoir 18. Le préau du lycée était plein à craquer ; Depain, le proviseur, un type bien, était présent. Nous étions tout excités par ce premier concert. L'enregistrement est saturé, mais notre enthousiasme est perceptible. Le Silver Surfer traversait l'écran tendu derrière nous. Les bulles de couleur explosaient à la chaleur des lampes de nos projecteurs. Je crois que c'est Pierre qui avait appelé le groupe Epaminondas la Piquouse d'après un personnage de Vian, on avait laissé tomber le suffixe et une erreur de copie nous avait finalement transformés en Epimanondas. Edgard raconte que j'avais un avantage sur tous mes camarades : j'étais le seul à être allé aux États-Unis (en 65 et 68). J'en avais rapporté une cargaison de disques, Zappa et ses Mothers of Invention, les Siver Apples, Jefferson Airplane, Iron Butterfly, David Peel and the Lower East Side... Et la passion de la musique. J'avais vu le Grateful Dead, Kaleidoscope, It's a Beautiful Day au Fillmore West, je faisais pousser des graines sur mon balcon et des cheveux sur mes épaules... Cinq ans auparavant, j'avais commencé à faire des expériences de chimie sur des diapositives. L'image, réalisée en 1969, est parue en 73 dans le Light Book édité par l'Imprimerie Union que dirigeait le père de Luc, entré depuis dans H Lights et rebaptisé alors L'Œuf Hyaloïde... Le Light Book, cadeau de fin d'année du célèbre imprimeur de livres d'art, fut envoyé à l'ensemble des membres du Collège de Pataphysique, Picasso mourut deux jours après l'avoir reçu ! L'image originale (24x36mm) est un sandwich de liquides glissés entre les deux lamelles du cadre en plastique, de scotch collé sur le verre, le tout projeté entre deux polaroïds dont un tournait sur lui-même. La musique est extraite de First Voyage, tout un programme !

mercredi 21 février 2007

Perles de culture


Franck Vigroux me recommande 5 disques formidables. Le premier est le Coptic Light de Morton Feldman, couplé avec Violin and Orchestra. Je reconnais chez Feldman la filiation directe de Charles Ives, en particulier les influences flagrantes de The Unanswered Question et Central Park in the Dark (compilation Ives idéale avec la Holidays Symphony, dir. Tilson Thomas). Un éventail d'ambiances délicates comme murmurées, jouées en sourdine, feulements, frottements et rencontres inattendues.
Viennent ensuite deux cd de Scott Walker (ex-Walker Brothers), Tilt (1997) et The Drift (2006), sombres paysages cinématographiques de rocker intello. Superbe. La diction me rappelle Jack Bruce chez Michael Mantler. L'orchestration est hyper-moderne, industrielle et animale, minimale et symphonique. J'adore tout ce que fait Mantler, la monotonie apparente, l'inexorabilité, le timbre des voix (Bruce, Wyatt, Faithfull...). Écouter Scott Walker me donne cette impression léthargique d'énergie contenue, son chant rappelle Elvis dans un opéra contemporain. Quelques petites extravagances soniques me font préférer The Drift, une merveille, ça finira par se savoir. Les sons métalliques font grincer les neurones, les grosses caisses cognent à la porte, les bruitages narratifs n'enlèvent rien à l'abstraction... Les références se nomment Pasolini ou Brecht, les évocations de Mussolini ou Milosevic rappellent la noirceur de Triste Lilas de Vigroux, atmosphères de fin du monde, l'enfer comme si vous y étiez...


J'ai gardé le meilleur pour la fin. Hervé Zénouda m'en avait parlé il y a un an et demi, Franck Vigroux me fait passer à l'acte, et à la caisse. Professor Bad Trip et An Index of Metals (Cypress Records) de Fausto Romitelli, compositeur contemporain autant inspiré par le free que le rock, par l'école spectrale que par l'électro-acoustique, sont d'authentiques chefs d'?uvre. Même s'il touche à une probable et relative immortalité, son prénom ne l'aura hélas pas empêché d'être emporté par un cancer en 2004, à l'âge de 41 ans. La musique est d'une puissance incroyable, la richesse du matériau sonore inépuisable, l'architecture une cathédrale. Donnez à un adepte psychédélique d'Henri Michaux, un fanatique de l'impureté, un enfant de "l'artificiel, du distordu et du filtré", les moyens proprets de l'institution contemporaine, et vous pourriez réussir le cocktail alchimique explosif qui a cramé ma galette argentée. L'ensemble belge Ictus le suit dans ses expérimentations démentes. Avec ou sans électronique ajoutée, la musique sonne inouïe. Dans le premier disque, à côté des pièces d'ensemble, il y a un solo de flûte à bec contrebasse qui sonne comme de grandes orgues et Trash TV Trance, un solo de guitare électrique dont pourraient s'inspirer à leur tour les expérimentateurs les plus aventureux.


Le second album de Romitelli est un double, version audio et version dvd en vidéo-opéra cosigné avec Paolo Pachini. La musique est encore plus corrosive que dans les ?uvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se même parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concerne". Deux versions image, un ou trois écrans. Deux versions son, stéréo ou 5.1. Le travail vidéographique est décent, mais la "modernité" (comprendre "qui suit la mode") affadit le propos musical beaucoup plus ouvert et généreux. Le texte lui-même propose des hallucinations autrement plus originales (Drowninggirl, Risinggirl, Earpiercingbells). J'imagine une interprétation à la Godard dans son Histoire(s) du cinéma plutôt que ces textures cliniques, fussent-elles empruntées au réel (exercice de style que de fabriquer des images de synthèse sans aucun artifice ; je choisis ici mes moments préférés comme illustrations). Mais quel bonheur de découvrir un nouveau compositeur que l'on ignorait encore la veille ! Romitelli s'est éteint à Milan le 27 juin 2004. An Index of Metals est son requiem.
Ces cinq albums sont sous-tendus par des dramaturgies de matière qui racontent une histoire, poèmes tremblés parfaitement maîtrisés. Ils mènent inexorablement au travail de Vigroux. Je me reconnais dans le drame (entendre théâtre et plus précisément théâtre musical radiophonique) comme dans le Drame (comprendre Un Drame Musical Instantané). Lorsque j'entends ou que je vois des choses qui me plaisent, je n'ai plus à les réaliser moi-même, ça me fait des vacances. Quel soulagement !

mardi 20 février 2007

Epimanondas, 36 ans après notre premier concert


Retrouver Edgard trente-cinq ans après nos débuts sur scène est extrêmement émouvant. Chacun se souvient d'un petit bout de l'histoire et le puzzle se reconstitue avec, malgré tout, de grands vides communs à tous les trois. Edgard a pourtant une mémoire phénoménale. Des faits ignorés de Francis et moi expliquent un peu ce que nous avons traversés alors. Des personnages prennent tout leur sens. Certains naissent, d'autres meurent. Nous sommes heureux de nous retrouver là, tous les trois, au coin du feu, à écouter aussi avec stupeur ce que nous avions créé...
Le mercredi 3 février 1971, nous organisions le premier concert de rock au Lycée Claude Bernard où nous étions en Terminale. La seconde partie était constituée d'un orchestre bicéphale, "Le Grand Berthoulet et ses péquenots flippants" réunissant Red Noise, le groupe de Patrick Vian (fils de Boris Vian) et Planétarium. Le samedi, Dagon, groupe des frères Lentin, Jean-Pierre à la basse et Dominique à la batterie, avec le guitariste Daniel Hoffman et le flûtiste Fabien Poutignat (dit Loupignat, fondateur des broches lumineuses Loupi !), venus de Buffon, remplaçait Berthoulet. J'ai eu la chance de jouer avec les uns et les autres ; avec Patrick Vian, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et Jacques Higelin à la Mutualité pour un concert de soutien au Secours Rouge, avec Dagon à la Fac Dauphine dans un costume avec des plumes multicolores collées à mon arrière-train (je manipulais des publicités radiophoniques...). Si H Lights, le groupe de light-show que j'avais fondé avec Antoine Guerreiro (liquides bouillants), Michel Polizzi (idem), Jean-Pierre Laplanche (manipulations) et Thierry Dehesdin (photos), projetait ses images psychédéliques sur la scène, le clou du spectacle était pour nous Epimanondas, notre propre orchestre. Le jeune Luc Barnier, entré dans le groupe après le départ de Michel pour les USA et devenu depuis monteur cinéma (Assayas, Bagdadi, etc.), nous donna un coup de main. Epimanondas réunissait Francis Gorgé à la guitare, Edgard Vincensini à la basse, Pierre Binsard à la batterie. Francis écrivait la musique et moi les paroles. Je chantais (en anglais !), manipulais des bandes magnétiques, jouais du sax alto et de la flûte, des percussions, de la guimbarde et d'un instrument électronique fabriqué à partir d'un amplificateur de téléphone. Cet appareil m'accompagnera, entre autres, au vernissage de l'expo Warhol au Musée d'Art Moderne.

Edgard est devenu avocat pénaliste, un cœur d'or sous un déluge de paroles, c'est toujours le même. Il tirait la langue lorsqu'il jouait de la basse. Francis le taquinait "Edgard, joue !" comme on me répétait enfant "Jean-Jacques, mange !". Je me suis bien rattrapé. Edgard est toujours le même. Il plaidera avant, pendant et après le dîner. Présent dans presque toutes les grandes affaires (les écoutes de l'Élysée, Elf, etc.), il raconte la vie politique de la cité, ce qui ne fait que conforter ce que je pressentais. La démocratie est un vain mot. Révolté contre l'iniquité de la justice et la faillite de la liberté dans notre pays, il dresse un portrait sans aménité de ceux qui nous gouvernent ou en rêvent (évidemment sans rien dévoiler de ce qui est couvert par le secret professionnel). Nous passons une soirée fabuleuse entre évocation des anciens potes et résumé de nos vies tumultueuses... Hélas, Pierre, qui avait fait de l'import-export à Hawaï et travaillait dans l'industrie de luxe, s'est fracassé le crâne l'année dernière en accrochant un tableau dans la chambre de sa fille. De notre côté, Francis et moi avons continué à jouer ensemble jusqu'en 1992 où il a quitté Un Drame Musical Instantané pour devenir le spécialiste QuickTime en France. Ni lui ni moi n'avions eu de nouvelles de nos anciens camarades de jeu jusqu'à ce que la fille d'Edgard et la nièce de Pierre retrouvent ma trace sur ce blog (voir commentaires du blog du 20 août 2005).
J'ai remis à chacun une copie numérisée de notre concert inaugural du 3 février, ainsi que celle d'une répétition l'année suivante pour un nouveau répertoire avec Guy (Edgard se souvient de son sobriquet, "Tom Pouce"!) remplaçant Pierre et le flûtiste Antoine Duvernet qui rejoindra plus tard Urban Sax, l'orchestre dirigé par Gilbert Artman, fondateur de Lard Free. Je fis d'ailleurs partie de ce groupe pendant quelques mois vers 1974, en trio avec Richard Pinhas (Heldon) à la guitare tandis que j'étais aux commandes de mon ARP2600 (concerts au Gibus et au Bus Paladium !). Edgard se souvient que le troisième concert d'Epimanondas, le 12 mars à la Maison des Mines, était retransmis à la radio et que nous étions tous en blanc (sauf moi en noir !) pour nous fondre aux projections lumineuses du light-show. Nous nous sommes quittés très tard après nous être promis de ne pas attendre trente-cinq ans pour nous revoir.

lundi 19 février 2007

OGM

Un reportage accablant sur le danger des OGM, diffusé l'année dernière sur Canal+, circule sur le Net. Vous l'avez probablement déjà reçu. Sinon, le voici... [P.S.: cette vidéo ayant été effacée je la remplace par la conférence de Christian Velot].


En complément, Cédric m'indique une vidéo de Christian Velot, Maître de Conférences en génétique moléculaire (Université PARIS XI), chercheur à l'Institut de génétique et de microbiologie (Centre Scientifique d'Orsay).
Sur les commentaires de dailymotion, j'attrape au vol un extrait d'une candidate à la Présidence de la République : « La question environnementale est étroitement liée à la question démocratique. Quand il y a un mensonge dans le domaine de l'environnement, alors il y a une régression environnementale. Dans tous les mensonges qui nous ont été racontés sur le nuage de Tchernobyl, sur l'amiante, sur les maladies professionnelles, on sait qu'aujourd'hui, en France, il y a trois millions de salariés exposés à des risques industriels liés à l'environnement. Tous les mensonges ont été dits sur la pollution des sols avec les déchets industriels. Tous les mensonges sont dits sur les OGM. » Ségolène Royal, Rennes, 29 juin 2006.
Comme si les discours électoraux étaient suivis d'effet ! Comme si la droite était la seule à nous bourrer le mou. On restera donc vigilants... Des fois qu'une femme, la première, soit élue à la place du petit caporal (nato l'intronise déjà Napoléon IV, c'est aller un peu vite en besogne)... Ceci n'est absolument pas un appel à voter pour qui que ce soit (voir à ce sujet l'excellent billet dominical de nato sur son blog flambant neuf !). De toute façon, ce n'est pas à l'Élysée que cela se décide, ni même à Bruxelles... Monsanto est grand et Bush est son prophète.

dimanche 18 février 2007

Conte pour le nouvel an du cochon


Vendredi soir, Adriana pensait aller chercher Anny pour venir dîner à Bagnolet, histoire d'étrenner sa nouvelle auto livrée la veille. Au moment de partir, elle a la désagréable surprise de retrouver sa petite voiture coincée entre deux grosses, pare-chocs encastrés, manœuvre absolument impossible. Derrière elle, le capot de l'Audi est encore chaud. Un petit bonhomme l'aide en vain à pousser les deux monstres, espérant faire sonner les alarmes. Silence, rien ne bouge. Les flics ne peuvent que lui donner le nom d'un des deux propriétaires et son adresse. Pas de réponse chez G. rue des Sablons. Pendant plus d'une heure, un type gentil tient compagnie à la désespérée, c'est le chauffeur de J.G., grand couturier. Il y a du beau monde au cabinet de chirurgie plastique au-dessus, des stars en veux-tu en voilà. Défilé. L'heure passe. Malgré les encouragements des passants, Adri n'ose tout de même pas crever les pneus ni rayer la carrosserie. La préfecture de Beauvais refuse de l'aider bien qu'elle connaisse le propriétaire de la vieille Golf de devant, "parce qu'elle n'est pas du coin" : une 75 contre un 60... Deux heures trente plus tard, elle jette l'éponge et, déprimée, regarde n'importe quoi à la télé. Lavage de cerveau.
Le lendemain matin, premier jour des vacances scolaires, aïe aïe aïe, Adri remet des petits papiers sur les pare-brises et refile rue des Sablons où elle apprend que G. est parti six mois à l'étranger. Mais ce n'est pas lui le chauffard, c'est l'Audi qui a poussé la Smart contre la Golf. Le commissariat propose de passer dans la journée, évidemment on ne les verra jamais. Coups de téléphone aux vingt-cinq nommés G. du quartier pour trouver la cousine qui met des sous dans le parcmètre. Vers 15h, Monsieur Chouqui qui passait là avec son fils voudrait bien porter main forte à Adriana, mais c'est shabbat... Il reviendra après 19h, avec des copains pour pousser. Des complicités naissent, les passants passent et repassent. Adriana remonte chez elle écrire pour se changer les idées. Difficile de se concentrer. Elle redescend et, grâce à une miraculeuse lumière rasante, déchiffre un numéro de portable écrit à la main au dos d'une carte de visite posée sous le frein à main. Répondeur. Personne ne décroche... C'est shabbat, on vous dit !... Le soleil acceptant finalement d'aller se coucher, le propriétaire daigne rappeler pour prévenir qu'il arrivera dans un quart d'heure. Le gentil Chouqui est de retour avec ses potes, et comme l'heure tourne, il rappelle le propriétaire en se faisant passer pour le commissariat du XVIème. Une voix masculine est plus impressionnante. Il menace l'Audi d'enlèvement. Ça marche ! Trois minutes après, le mufle raconte des chars et, acculé par Adri, termine en penaudes excuses.
Vingt-quatre heures plus tard, sans une égratignure, la Smart arrive à Bagnolet. C'est le nouvel an chinois, l'année du cochon ! Adriana a de quoi écrire un nouveau scénario.

samedi 17 février 2007

Les vraies rencontres sont rares


La première fois que j'ai entendu Franck Vigroux, c'était avec la harpiste Hélène Breschand sur le double album Les Actualités dont j'ai assuré la direction artistique pour les Allumés du Jazz. Leur morceau s'intitulait Les petites poussières ; c'est aussi le titre d'un court métrage magistral que Vigroux vient de terminer. Vingt quatre minutes d'une rare émotion pour ce genre de montage à la fois expérimental et sombrement romantique. La bande-son portée par la voix de David Sighicelli y est remarquable et la musique originale n'a jamais rien d'illustratif, ce qui tranche radicalement avec ce que l'on a l'habitude de voir et d'entendre au cinéma. Le super 8 numérisé façonne toute la matière, image et son. Le thème chanté par Jenn Priddle dans les dernières minutes montre que Vigroux a l'esprit ouvert à toutes les musiques. J'ai ressenti comme une bouffée d'air frais loin des ayatollateries de nombreux improvisateurs d'aujourd'hui. Chez lui, une jolie mélodie peut côtoyer des élucubrations libertaires, il ne craint ni le chaos ni la tenue d'un rythme régulier. On verra que d'un disque à l'autre, tout est possible. Comme j'adore les surprises, me voilà comblé !
D'autres Cordes est un label de disques situé en Lozère, dans le Massif Central, loin de toute ligne TGV. La vitesse et le tranchant n'en sont pas pour autant absents. "Push the Triangle" est un trio free rock du batteur Michel Blanc avec le saxophoniste Stéphane Payen et Franck Vigroux à la guitare. C'est à Vigroux que l'on doit la production et le montage du magnifique Goût du sel d'Hélène Breschand, déjà paru sur D'autres Cordes, disque passionnant où la harpe est transformée par l'électricité, arrachée, distordue, tricotée, montée en amazone, attrapée par les cornes, caressée, précipitée. Le goût du sel donne soif, soif de chair et de sang. Malgré les travaux de Zeena Parkins, c'est la première fois que je suis emballé par l'instrument, il y a longtemps que j'attendais ça...
Si Push The Triangle développe une énergie phénoménale, Lilas Triste et Triste Lilas, mon préféré, sont d'une architecture complexe, à la fois intègre et baroque. Entendre : c'est varié et ça se tient. Ces deux albums ressemblent beaucoup plus à la personnalité kaléidoscopique de Franck Vigroux. Construits comme des Hörspiel, des films pour l'oreille, ils mettent en jeu des univers dramatiques, des mots chuchotés et des mouvements orchestraux inouïs. Ici au moins on ne s'amuse pas sans arrière-pensée. Sur le premier cd, on retrouve Breschand tandis qu'apparaissent la soprano Cécile Rives et le guitariste David Fuczynski. Vigroux ne dédaigne pas les rencontres guitaristiques (et chauves !) comme récemment son duo avec Elliott Sharp, ou sur le second disque Marc Ducret, un de ses héros, qui partage l'affiche avec l'incontournable harpiste, le bassiste Bruno Chevillon, Blanc à la batterie et Jenn Priddle. Tout cela sonne comme une petite famille, complicité oblige. Pourtant cette fois Vigroux a laissé tomber la six cordes au profit de tourne-disques et de manipulations électroniques qui rendent méconnaissables les textures qu'il triture. Il évoque une Europe qui a sombré dans la guerre, champs de bataille où les larmes emplissent les tranchées, rêves qui s'écrivent avec le sang des autres, révoltes d'insoumis refusant l'horreur offerte par nos actualités... Vigroux réalise un reportage impossible à partir d'éléments de fiction ou de pièces rapportées pour que tout reste crédible, visible à l'?il nu. Il aime les narrateurs, benshis commentant l'action, confidents se livrant en pâture à la chose publique, Fabrice Andrivon dans Lilas Triste, Ducret superbe dans Triste Lilas, Sighicelli dans le film des Petites poussières...
Depuis les meilleures ?uvres de John Zorn (Godard, Spillane...), je ne m'étais jamais senti autant chez moi, en terrain connu. Je me laisse porter par le flux dramatique sans m'attacher aux instruments. Je suis suspendu à chaque son qui passe et s'articule comme des phrases indépendantes qui s'entrechoquent pour former une ?uvre, raconter une histoire, abstraite ou figurative, haute en couleurs, à la fois épique et lyrique, l'histoire du monde et des hommes qui s'en sont emparés, mais celle aussi d'un objecteur de conscience qui refuse ce que l'on dit immuable...

Photogramme du film de Franck Vigroux, Les petites poussières.
Les disques D'autres Cordes sont distribués par Abeille Musique et disponibles aux Allumés du Jazz.

vendredi 16 février 2007

Au four et au moulin


Voilà t'y pas que je me retrouve à écrire deux blogs au lieu d'un. Depuis quelques semaines, j'essaie d'initier celui des Allumés en m'y collant pour montrer l'exemple aux labels de disques adhérents, 42 rédacteurs potentiels. Seul Linoléum a saisi la balle au bond, comprenant les enjeux de cet espace de liberté. J'ai commencé par mettre en ligne les grands entretiens du Cours du Temps. J'ai moi-même réalisé ou cosigné ceux de François Tusques, Bernard Vitet, Steve Lacy, Jacques Thollot, Michel Portal, Fred Frith, Archie Shepp, Guy Le Querrec... Il manque les magnifiques photos de Le Querrec, mais le Journal complet est téléchargeable au format pdf. Parallèlement, j'ai mis quelques billets en ligne dans les différentes rubriques : Radio Allumée (on peut maintenant écouter gratuitement de la musique d'un catalogue riche d'un millier de références !), Les sujets qui fâchent, Penser la musique aujourd'hui, Actualité des labels... J'ai illustré tout cela pour bien montrer que cela pouvait être attrayant, et même inséré un extrait sonore dans un petit lecteur mp3 très simple d'utilisation puisqu'il suffit de cliquer... Hier, j'ai mis en ligne un billet sur l'entreprise de sabordage de la Fnac. J'aurais pu l'écrire ici, je l'ai publié là-bas.

On ne sait plus où donner de la tête. Les majors veulent la peau du disque (il y a des secteurs au profit plus juteux), la Fnac suit le mouvement (40% de postes de disquaires à supprimer), les sociétés d'auteurs sont aveugles et pactisent avec l'industrie, les intermittents tombent comme des mouches. La vie est dure pour les indépendants, allez savoir pourquoi ! Anne Montaron, productrice à la radio d'une des rares émissions de musique vivante (orientée jazz, improvisation et nouvelles musiques) annonce ce matin que la direction de France-Musique a décidé de suspendre l?émission À l?Improviste (nocturne comme diurne) à partir d?avril : "cette musique plombe la chaîne et n?a pas de public"... Le pouvoir, lorsqu'il entend le mot culture, n'a même plus besoin de revolver. En douceur, on vous dit.
Si de nouvelles musiques ne naissent pas de tant de mépris et de brutalité, c'est que nous sommes tous complètement abrutis.

Photogramme tiré de mon film Idir et Johnny Clegg a capella, manifestation contre l'assassinat de Chris Hani, Johannesburg, avril 1993.

Soutien à Anne Montaron.

jeudi 15 février 2007

Le transport que je préfère, c'est celui de mon cœur...


La photo de Brassaï fait remonter d'étranges souvenirs. Pendant trois ans, une fois par semaine, j'ai pris le métro de la Porte de Saint-Cloud à la Bourse pour faire régler mon appareil dentaire passage des Victoires. J'achetais des petits fascicules de bande dessinée dans la station pour lire pendant le voyage. Dedans, il y avait de la publicité pour les lunettes à rayons X qui permettaient de voir à travers les vêtements. J'étais abonné à Tout l'Univers depuis que je ne recevais plus Tintin. C'étaient les années 60.
J'avais commencé tôt à voyager seul. Ma grand-mère venait me chercher à l'arrêt d'autobus devant l'Hôpital des Enfants Malades. Je n'avais que cinq ans et nous venions de déménager de la rue Vivienne à la rue Léon Morane dans le XVième. J'adorais rester dehors sur la plate-forme arrière avec le contrôleur qui faisait cricric en passant les petits tickets étroits dans la boîte qu'il portait sur le ventre à la ceinture et en tournant sa manivelle. J'entends encore le diling de la chaîne qu'il tirait pour signaler le départ au conducteur. Nous adorions monter ou descendre en marche même si c'était interdit.
À la même époque, mes parents ont confié ma sœur et moi aux passagers du compartiment pour que nous n'oublions pas de descendre du train à Grenoble. Agnès avait trois ans et je m'en occupais avec le plus grand sérieux. J'ai continué jusqu'à ce que nous ayons dix-huit et quinze ans. Mon tempérament inquiet est le fruit de cette responsabilité.
Lorsque j'eus onze ans, mes parents m'envoyèrent à Greenways School, dans le Wiltshire, pour apprendre l'anglais. J'y ai tenu mon premier Journal. Il commence le vendredi 24 juillet 1964. This morning, at a quarter to 9, I went by coach to Beauvais. At a quarter past ten, I took the plane. At eleven o'clock, I took the coach. At a quarter to 2, I arrived at London. A lady was waiting for me. This afternoon, I took the train to Salisbury ; Mrs Clarke's son brought me to Greenways. I unpacked my clothes and put them in the drawer. And I had dinner at 10 to 10. Then I went to sleep in my bed. Good night! C'est précis. Mes grands-parents avaient coutume de nous offrir une montre à nos six ans, à condition que nous sachions lire l'heure. Je remontais la montre à aiguilles chaque soir avant d'aller me coucher. Mon diary est illustré avec des cartes postales, des papiers de bonbons anglais, photos de mes copains (c'était un collège international), tickets, plumes de perdrix... Le 6 août, je suis resté médusé par les cris hystériques des fans des Beatles pendant la projection d'A Hard Day's Night dans une salle de Salisbury. Il y avait toujours deux films par séance. Quelques jours plus tard, perché sur la branche d'un grand arbre du parc, j'ai réussi à embrasser Valérie, qui venait de Suisse. C'était la première fois que je tombais amoureux. Nous avons visité Stonehenge et la fabrique de chocolats Fry. J'en ai gardé un souvenir terrible du travail à la chaîne.
Les feuilles volantes se perdent. J'ai continué à écrire dans des petits cahiers. Pas loin de quatre-vingt. En regardant la photo de Brassaï, je repense au poinçonneur des Lilas, maintenant que j'habite à côté. Le titre est extrait d'une chanson écrite pour Elsa lorsqu'elle avait neuf ans...

mercredi 14 février 2007

Entièrement


J'ai déjeuné avec ma fille au restau thaï. Le soir j'ai regardé un film de Frears. L'histoire d'un producteur qui montait une revue musicale. Samedi dernier, Françoise m'a entraîné à la médiathèque de Bagnolet. J'ai parcouru un livre sur Sidney Bechet. Il était question de la catastrophe financière qu'avait représentée l'opérette Nouvelle-Orléans au Théâtre de l'Étoile. Un conflit social entre la direction du théâtre et son personnel ; Sidney se faisant porter malade pour assister à un match Salle Wagram. Mon père a mis sa vie à rembourser cette faillite. Histoire de conscience. Et moi, je suis là. À vivre mes rêves.
Papa, j'ai repensé au mien, mort il y a bientôt vingt ans. J'aimerais bien lui passer un coup de téléphone. Je ne crois pas à quoi que ce soit de rassurant après la vie, si ce n'est le repos, bien mérité si possible. Pourtant, j'ai imaginé un jour le rejoindre. Drôle d'idée. L'infini. Les atomes. Je m'aperçois que je l'oublie petit à petit. Pour être précis, ne restent que les émotions, un regard, le rire et ses pleurs de joie, sa voix, je ne sais plus, ça s'efface ; il me manque. Je n'ai pas pu retenir mes larmes. Ça faisait longtemps. Maman m'a appelé cet après-midi. C'est bon d'entendre une voix que l'on aime. Je pense aussi à Elsa et à Françoise. À chacune de nos solitudes. À chacun.
Il y a du vol à vieillir. L'héritage. On prend la place de ceux et celles qui nous ont précédés. Insidieusement. Sans qu'on en décide. On les pousse peu à peu. En approche. On bouge en fonction d'eux. Avec ou contre. J'étais redevenu un petit garçon. Pas un peu. Entièrement. Celui de mon père.

mardi 13 février 2007

Droit dans le mur


Depuis des mois, Françoise souhaitait acquérir un divan avec méridienne pour pouvoir regarder les films allongée. Comme j'ai déjà du mal à rester éveillé assis, je n'étais pas pressé. Je ne m'endors pas franchement, mais je pique du nez ; c'est frustrant, mais non réparateur. Depuis Noël, la décision était prise et nous avons regardé ici et là les canapés d'angle pour échouer hier chez Ikéa. La qualité n'y est pas géniale, mais au moins ça ne coûte pas cher. De toute façon, nous ne voulions pas de cuir qui colle aux fesses et n'avions ni les moyens ni le désir de nous offrir un truc luxueux. Alors autant faire simple ! Ce n'est pas Disneyland, mais vous connaissez forcément l'enseigne suédoise qui exploite et conditionne ses salariés. On y va pour un divan en L et on en revient avec une passoire que l'on peut poser au-dessus de l'évier, un grand pot de fleurs gris foncé ovale, des serviettes en papier assorties à la salle à manger, des prises multiples hi-tech sous globe plastique orange, une palette très large pour attraper les aliments au fond de la poêle, une brosse à vaisselle à ventouser sur le mur carrelé, etc. Et, après être passé par le rayon alimentation pour le poisson en tube et avoir attendu des heures au comptoir "retrait des marchandises" il faut faire rentrer tout ça dans l'Espace. Une astuce pour gagner une heure : passer une première fois en caisse avec les articles à retirer (un simple bon de commande) et retourner acheter les petits accessoires pendant que votre numéro est affiché par des employés trop peu nombreux. La compression de personnel se fait d'ailleurs aussi sentir dans les rayons. Si vous ne trouvez pas le prix d'un article, mieux vaut l'embarquer à bord de sa poussette et le laisser à la caisse si ça ne vous convient pas, un bac étant prévu à cet effet. D'ailleurs, tout est prévu chez Ikéa, on a l'impression d'appartenir soi-même au système suédois, ce qui explique le taux de suicide, ou du moins celui de l'ennui.
Après avoir évité les embouteillages de l'autoroute en passant par la banlieue, une heure de plus de transport que d'habitude, mais tellement plus "pittoresque" (une horreur en vaut une autre), il faut se coltiner de décharger les poids et haltères et monter le divan au premier. Argh ! Après avoir rayé le sol, défoncé les murs et le plafond, ratiboisé les marches de l'escalier, on se bousille le dos, les doigts et la santé à monter soi-même le kit vendu sans mode d'emploi. Quatre heures plus tard, vous êtes récompensés, même si vous n'avez pas réussi à fixer toutes les vis (encore faudrait-il qu'elles soient en face des trous), allez, ça tient... Il n'y a plus qu'à descendre le vieux divan dans le studio pour que mes clients ou camarades puissent s'endormir tranquilles pendant que je travaille sur le G5. C'est reparti pour un tour, en passant par le jardin !


Tout ça finit par un bon bain, un coup de Ventoline et deux di-antalvic ou son générique. Ce n'est pas vrai, j'ai résisté aux analgésiques, mais je ne suis pas certain d'avoir bien fait. Ce matin, je ne peux plus bouger ni poser un genou en terre. À force d'amorcer les vis avec les doigts, j'ai l'impression d'avoir les articulations écorchées vives. Après un dîner hébété, nous étrennons le nouveau dispositif devant un dvd acquis il y a longtemps et que je n'avais jamais regardé, craignant sa lourdeur rocky bien que ce soit une référence pour nombre de mes plus jeunes camarades. The Wall, d'Alan Parker sur un scénario du bassiste de Pink Floyd, Roger Waters, est une long clip d'une heure quarante-cinq plutôt réussi. Les animations du caricaturiste Gerald Scarfe sont formidables, le scénario plutôt sympa (mise en garde de la starification débouchant sur une fascisation et introspection sur le déséquilibre émotionnel des artistes), la musique beaucoup mieux que je ne craignais (j'étais un fan des premiers Floyd, jusqu'à Umma Gumma, abandonnant le groupe lorsqu'il est passé du psychédélisme planant au hard rock mou)... Après 25 ans, le film n'a étonnamment pas pris une ride. L'imbrication des époques, la façon de filmer et de rythmer le montage, le sujet, l'interprétation, le travail graphique en font une "comédie" musicale (dans les bonus, Waters fait remarquer que ça manque furieusement du moindre humour) intemporelle.

lundi 12 février 2007

La galerie de Mineur


Il est impossible de signaler ici chaque fois que le graphiste Étienne Mineur émet un billet "qui mérite le détour". Prenez le temps, c'est dense et généreux. Aujourd'hui dirigeons-nous vers les liens externes qu'il préconise. Je cite ici les plus excitants parmi les blogs encore actifs qu'il mentionne.
Cati Vaucelle est une designer graphique passée par Paris VIII, le MIT et Harvard. Elle travaille sur les ramifications entre applications numériques et physiques, ou plus exactement sur l'application du numérique à l'univers physique (j'ai déjà évoqué mon attachement au geste instrumental) ! Son blog recèle des idées merveilleuses. Je découvre ainsi le Jabberstamp (image ci-dessus) créé avec Hayes Raffle ou les jeux d'improvisation de Kimberly Smith. Le récent blog de Cuartoderecha semble de cette veine.
Je ne lis que de temps en temps ceux de Pierre Wendling (qui vient de quitter incandescence pour l'agence 180 à Amsterdam) et d'Étienne Auger, collaborateurs d'Étienne Mineur, car ce ne sont pas des blogueurs réguliers. Pierre, qui aime bien les trucs ringards, un peu lourds, me fait découvrir une face cachée de la télévision, avec beaucoup d'humour. Étienne décrit ses travaux par le menu, ses concerts avec Front 242...
Depuis l'âge de 15 ans, ayant bifurqué vers la musique, je ne joue plus aux jeux de société, mais le blog d'Éric Viennot, le papa de l'Oncle Ernest et de In Memoriam, est passionnant pour quiconque s'intéresse aux jeux vidéo. Quant à Design et Typo, son nom indique parfaitement sa destination...
J'en oublie. Prendre des adresses dans ses filets, c'est se faire attraper aussi sec. Variation sur L'arroseur arrosé. L'égouttoir est indispensable. La lumière sur le front, on va au charbon en rampant parmi ces millions d'informations qu'on passera au tamis pour en rapporter quelques pépites... Et il ne suffit pas de creuser, il faut extraire, frotter et faire briller !

dimanche 11 février 2007

À la recherche des films perdus


Un ami critique américain m'a indiqué, superhappyfun, un site qui vend des dvd non commercialisés. Si on se réfère à la loi américaine, il ne s'agit pas d'un site pirate, mais je ne suis pas certain que les nôtres autoriseraient ce genre de commerce. Chaque dvd est vendu 13 euros et les frais de port sont plus que raisonnables, 3,50$ quel que soit l'endroit et le nombre de disques. Ce sont des DVD-R, copiés à l'unité, donc sans aucune étiquette. La qualité de la copie est indiquée pour chaque film. On trouve ainsi des raretés absolues tels les films de Shuji Terayama, Alejandro Jodorowsky, Carmello Bene, Jean-Pierre Melville, Claude Faraldo ou l'intégrale Twin Peaks ! Si certains films de la liste sont tout de même édités en France et si d'autres apparaissent bizarrement dans la liste, c'est que souvent les versions diffèrent. Les curieux trouveront forcément leur bonheur. Je ne m'y connais pas assez en cinéma japonais, alors je crois que je vais craquer pour Hellzapoppin (je ne m'en lasse pas), September Songs (par curiosité pour les interprètes) et Bof (parce que Bernard figure sur la bande-son). De plus, les liens du site raviront ceux qui s'intéressent au cinéma de genre. Je note par exemple l'adresse de Subterranean Cinema...
N'empêche que pour l'instant je n'arrive toujours pas à trouver mes incunables : les films expérimentaux de Bruce Conner (dont A movie qui met en scène l'émotion cinématographique dans toute sa splendeur), les Michael Snow (Jonathan Rosenbaum me dit que Corpus Callosum résume toute son œuvre), Anathan, le dernier de Josef von Sternberg tourné en japonais avec le réalisateur en récitant (photo au-dessus), Dead Pidgeon on Beethoven Strasse (vu une fois) et Verboten de Samuel Fuller (n'en connaissant que la scène sur la Vième de Beethoven), les films de Jacques Rozier (je reste fan d'Adieu Philippine), Les parents terribles de Cocteau, certains Buñuel comme La mort en ce jardin, des courts-métrages de Pasolini avec Toto et Ninetto (La terre vue de la lune...), les deux derniers films de Visconti, Gruppo di Famiglia in un interno (Conversation Piece - Violence et Passion) et L'innocente, une copie rénovée de Lola Montès telle que je ne l'ai jamais vue, etc. Sans compter tous les Cinéastes de notre temps qu'il reste à publier (L'Herbier et la Première Vague, Fuller, Ford, Buñuel, Sternberg, Jerry Lewis, Bresson, Becker, Ophuls, Demy, Lynch, Cronenberg...), les émissions de Jean-Christophe Averty et de Raoul Sangla, de vrais metteurs en scène de télévision, et toutes les merveilles que je ne connais pas et qu'on ne manquera pas de m'indiquer, des fois que... En attendant, dites-moi seulement où les trouver !

samedi 10 février 2007

Les archives de l'à-plat Net


J'ai évoqué ici la Bibliothèque disparue de Babylone et les risques encourus aujourd'hui. Nous connaissions ubu.com. Sur son nouveau blog, Pierre Wendling nous révèle l'existence d'une nouvelle mine, Internet Archive. Le site Internet Archive est une organisation à but non lucratif, fondée en 1996, qui s'est fixée de réunir des documents numérisables dont les droits sont échus et de les offrir en libre service aux chercheurs, historiens, étudiants et à quiconque souhaite les utiliser (sous licence Creative Commons). Les collections proposent des textes, des documents sonores et cinématographiques, des logiciels libres, des sites web. Pour les films, une grande variété de qualité technique est proposée depuis du 64k mpeg4 jusqu'à du mpeg2 gravable en dvd, en streaming ou en téléchargement. Au milieu de dizaines de milliers de documents, on trouve de véritables chefs d'œuvre.
À l'instant où je tape ces lignes, j'écoute un concert historique de Steve Reich, le 7 novembre 1970 à Berkeley, d'une qualité exceptionnelle. Se succèdent Four Organs,” “My Name Is,” “Piano Phase” et “Phase Patterns. Si j'ai assisté aux représentations parisiennes qui suivirent, j'ignorais totalement l'existence de My Name Is qui est dans le style de Come Out. Steve Reich a interrogé le public qui faisait la queue pour le concert en leur demandant : "What is your name ?" et en a monté des bouts présentés lors du concert-même !
Les longs métrages vont de célèbres films muets à des excentricités tels Reefer Madness, Carnival of Souls, Sex Madness en passant par des films dont la question des droits me paraît plus ambigüe (La nuit des morts-vivants, Rashomon, Dementia 13, etc.). Une section intitulée Cinemocracy présente les films de propagande commandés par le Gouvernement américain, au début des années 40, à John Ford, John Huston, Frank Capra et William Wyler !


Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un extrait de My Name Is, même si l'œuvre n'a pas l'envergure des autres pièces du concert, aussi époustouflantes à écouter qu'à leur création il y a près de quarante ans. Le concert complet, c'est .

vendredi 9 février 2007

Chacun son tour de platine

En même temps que sort le nôtre chez GRRR (!), je reçois trois disques excitants cette semaine... Valérie me dit que les nouveautés se bousculent aux Allumés avant le bouclage du prochain numéro du Journal... Une libraire de La Garenne-Colombes nous demande si elle ne pourrait pas vendre le catalogue des Allumés au premier étage de son magasin dans lequel elle souhaite créer un espace convivial... Bruno Letort m'annonce qu'il monte une boutique près de la Place Voltaire à Paris... Bernard Coutaz écrit que Harmonia Mundi n'a jamais vendu autant de cd qu'en décembre dernier... Voici donc quelques réponses à la manipulation médiatique dont la presse généraliste nous rabâche les oreilles, la mort du disque ! Le téléchargement et le piratage ont bon dos alors que les majors qui appartiennent à des holdings complexes trouvent simplement que leurs profits ne sont pas assez juteux. Pendant que Pinault fait le ménage à la Fnac avant de vendre, l'industrie du disque préfère assassiner tout un secteur culturel pour fourguer des armes ou des fichiers immatériels, le bénéfice étant autrement plus attractif, et ce avec la complicité des médias et des sociétés d'auteur qui lui emboîtent aveuglément le pas. Défendre le disque n'est pas un combat d'arrière-garde, le progrès est souvent régressif. En affirmant notre attachement à l'objet nous protégeons l'esprit, de ceux qui le cultivent et risquent de se retrouver au goulag de la pensée, direct Guantanamo sans aucune forme de procès qu'une prétendue évolution des m?urs.


Des percussionnistes Mirtha Pozzi et Pablo Cueco triturés par cinq apprentis-sorciers de l'électronique, j'ai dit ici tout le bien que j'en pensais après leur concert inaugural au Triton. Leurs Improvisations méditées - Percus électro, superbement enregistrées en studio, sont par définition un nouvelle aventure. Vingt courts index ponctuent un disque où le rythme et le timbre tricotent un pull over chamarré, une cotte de mailles cousue main (Mirtha utilise essentiellement des percussions métalliques) qui colle à la peau (Pablo est un maître du zarb). Les transformations électroacoustiques en temps réel de Nicolas Vérin, Étienne Bultingaire, Thibaut Walter, Christian Sebille et Thierry Balasse tissent un ensemble homogène de haute couture. Le défilé, sous la baguette de Max MSP et de ses cousins, est un plaisir pour les oreilles. Il donne une petite idée de ce que l'on pourrait porter cette année.


Le violoncelliste Didier Petit tempère son romantisme exacerbé par une attirance profonde pour la science. Après la chimie de NOHC, son nouveau projet, WormHoles, nous propulse dans le cosmos. Dans sa navette, il embarque le percussionniste Edward Perraud, la chanteuse Lucia Recio, le guitariste Camel Zekri et l'ingénieur du son Étienne Bultingaire. S'il chante Léo Ferré (décidément les jazzmen aiment Ferré), sa pensée désarticulée le pousse naturellement vers le monde obsessionnel de Georges Perec, une soupape de sécurité. L'interprétation des textes mériteraient pourtant un travail dramatique plus approfondi. Comme dans le disque de Pozzi-Cueco, des index courts (ici 31) structurent les improvisations en les empêchant de s'effondrer dans d'absorbants trous noirs propres au genre. En intégrant dans WormHoles des pièces écrites, une nouveauté chez Petit, il opte pour des séquences plus rock (plutôt british) que jazz (le T'es rock, coco de Ferré est à sa place !). WormHoles sonne aussi comme un équipage soudé où chacun tient son poste de compositeur-interprète, une réunion de savants de bande dessinée dignes des sept boules de cristal.


Enfin, tombe le dernier Portal, Birdwatcher, n'en déplaise aux pisse-froid qui se prennent pour des shérifs et veulent mettre la musique au garde à vous.
J'ai rencontré Michel la première fois en 1975 grâce à Bernard Lubat que je venais d'engager pour faire les arrangements des chansons d'un disque du PCF commémorant l'année de la femme ! Je ne sais pas comment j'ai réussi mon coup, mais je suis resté avec lui dans une sorte de cagibis tout le temps que défilèrent un par un tous ses musiciens. À chacun Michel donna les consignes pour le concert, devant moi, médusé. Il y avait JF (Jean-François Jenny-Clark), Humair, Joseph Dejean et Lubat lui-même. J'ai toujours aimé apprendre, ce soir-là je fus servi. Je raccompagnai en voiture Michel jusqu'à chez lui, car il avait une jambe dans le plâtre. Quelques temps plus tard, il vint écouter Défense de à la maison et il essaya sa clarinette sur mon synthétiseur ARP 2600. Son jeu générait des grappes de notes grâce à un suiveur d'enveloppe. La perte de contrôle le perturbait totalement. Contrairement à d'autres, il m'encouragea à poursuivre ma propre voie.
Jusqu'à la rencontre avec Bernard Vitet l'année suivante et la fondation d'Un Drame Musical Instantané, j'allai à tous les concerts de Michel Portal. Aucun ne se ressemblait. C'était chaque fois un émerveillement, amorcé à l'écoute de No, no but it may be... et de concerts retransmis à la radio. Contrairement à ce qu'affirme bêtement Aldo Romano, Michel a influencé un nombre considérable de musiciens, sans que ce soit forcément des clarinettistes ou des saxophonistes. Mes goûts se sont transformés comme sa musique. Je le redécouvre régulièrement. Sa fragilité, ses doutes perpétuels produisent des effets contradictoires. On ne peu hélas pas dire cela de grand monde dans le "jazz" français. Les roucoulades de macho cogneur d'Aldo ne m'ont, par exemple, jamais fait ni chaud ni froid.
Dans Birdwatcher, si le saxophoniste Tony Malaby donne la réplique à Portal, comme deux oiseaux, qui est donc l'observateur ? Est-ce Jean Rochard qui assume son rôle de producteur en choisissant les prises et supervisant le mixage en l'absence du leader ? Est-ce une question de schizophrénie ? On sait qu'être un grand soliste classique et une figure de proue du jazz n'a jamais été une situation facile pour le clarinettiste, capable aussi de faire tout un concert au bandonéon... Qu'importe le titre pourvu qu'on ait l'ivresse ! Si Portal réussit enfin son disque jazz, c'est aussi qu'il est bien entouré : d'un côté Malaby, Erik Fratzke (Happy Apple), François Moutin, JT Bates et le mythique Airto Moreira, de l'autre le Power Trio, Jef Lee Johnson, Sonny Thompson, Michael Bland. Présent partout avec sa légendaire discrétion, le pianiste Tony Hymas, assure la continuité avec brio.
Birdwatcher coule de source. Il est l'aboutissement des incartades de Portal dans les mondes du jazz, la justification de ses errances au label bleu. Le ténor de Malaby, comme le Power Trio, donne à la clarinette basse de Portal une légitimité, pas tant celle du jazz que de sa déclinaison européenne, emprunte d'un lyrisme basque et d'une musique classique dont les bois raisonnent (sic) sur nos terres plus qu'aucun instrument. Sur ces branches feuillues se perchent les oiseaux. Si leur chant me plaît toujours plus en réponse et contrepoint qu'à l'unisson, je m'envole sur les mélodies des anches tandis que toute la forêt s'ébroue, percussions sifflantes et craquements swing.

jeudi 8 février 2007

Les portes aux mains des somnambules


Pas eu le temps d'écrire ce matin. Nous avons dû filer prendre Les Portes dans la salle de projection d'Arcadi où elles étaient stockées depuis leur présentation à l'Espace Paul Ricard. Au départ, Guillaume nous prête main forte, mais arrivés à Mantes, je dois m'y coller malgré mon hernie discale et mes trois disques écrasés (je suis aussi producteur des disques GRRR). Lorsque nous avons eu tout rangé correctement dans sa cave, Nicolas a suggéré qu'au lieu de louer l'installation 4000 euros on y ajoute un zéro, ou bien que l'on nous envoie des gros bras !
Pour nous détendre, nous avons établi le programme de notre création du 3 mai au Triton. Nous rejouerons sous le nom des Somnambules, mais nous serons cette fois accompagnés par le saxophoniste Étienne Brunet et le batteur Éric Échampard. Étienne fera traverser un modulateur en anneau (ring modulator) à son biniou et jouera également de la cornemuse. La première partie sera constituée de pièces réalisées dans le cadre de l'atelier que je dirige actuellement pour Jazz93 sur le thème de l'électro. Des élèves des conservatoires des Lilas, Pavillon-sous-Bois et Romainville programment des séquences musicales projetées sur l'écran sur lesquelles d'autres joueront avec leurs instruments (trompette, sax, percussion, etc.) transformés par le H3000, mon synthétiseur d'effets loufdingue.
Pour la seconde partie interprétée en quartet avec le peintre Nicolas Clauss aux commandes des images, nous avons choisi de présenter cinq œuvres inédites dans le cadre du spectacle vivant : Jumeau Bar (un zinc bien franchouillard fonctionnant en boucles), White Rituals (du SM dans un univers immaculé), Heritage (American spoken), Les marcheurs (un grand bol d'air frais) et L'ardoise (montage de dessins d'une très grande richesse). En cliquant sur les liens précédents, vous pouvez jouer sur votre ordinateur avec leurs versions interactives (à condition d'avoir installé le plug-in Shockwave). Pour le spectacle du 3 mai, nous supprimons les musiques existantes en ligne, mais nous conservons les voix d'Heritage (Bush père et fils, amen) et L'ardoise (où celles des enfants donnent un éclairage politique à toute cette affaire).

mercredi 7 février 2007

Il bouge encore


Comment faut-il comprendre la dernière œuvre interactive d'Antoine Schmitt,
Still Living ?
Encore vivant (?), paraphrasant le compositeur Edgard Varèse : le créateur "d'aujourd'hui refuse de mourir". Le désert est immense, sa traversée interminable.
Encore vivantes (?), ces créatures artificielles remuent parfois à peine, il faut prendre le temps de les laisser se développer, à leur rythme.
Elles bougent encore (?), paranoïa de l'artiste sombrant un soir dans une déprime inexplicable ou cri de joie à l'instar de l'Eurêka d'Archimède sortant de l'eau la couronne d'or du roi Hiéron ?
Still Living vient de recevoir le second Prix ex-aequo au Transmediale de Berlin, une nouvelle consécration pour Antoine Schmitt, père de tant de créatures numériques et d'objets comportementaux plus énigmatiques les uns que les autres.
À caractériser les œuvres d'Antoine d'art conceptuel ou minimaliste, on risque de faire fausse route. S'il dépouille ses pièces jusqu'au plus simple appareil, ce n'est pas pour faire maigre ni par austérité. Si le propos ne se voit pas au premier coup d'œil et nécessite parfois quelque explication, ce n'est pas faute d'avoir regardé à hauteur d'homme. La rigueur reste tendre, la morale prévaut. C'est peut-être la revanche de tous les développeurs, injustement laissés dans l'ombre des infographistes. Le public n'a pas conscience de l'importance du code. C'est le moteur de tout ce qui bouge, la colle qui rassemble. La programmation est l'élément fondamental des mondes numériques.
Il y a un peu plus de dix ans, lorsque nous sommes rencontrés chez Hyptique pour le CD-Rom Au cirque avec Seurat. Antoine revenait d'un long séjour chez Next, dans la Silicone Valley, aux côtés de Steve Jobs. Pendant notre collaboration suivante, sur mon CD-Rom Carton (1997), il disait déjà vouloir faire accepter le code comme création artistique. Les algorithmes pouvaient devenir une œuvre de l'esprit. En 1998, naquit Venus, un gros ver bleu qui dansait à l'écoute de la musique. Suivirent des dizaines d'autres créatures aux comportements plus bizarres les unes que les autres. Son chef d'œuvre fondateur date de 1996, il s'agit du Pixel blanc qui se promène sur l'écran au gré de sa fantaisie en laissant une trace derrière lui comme un escargot. Tandis qu'il développait ces drôles d'objets comportementaux pour avec tact (j'ai toujours eu un faible pour cette série comique), nous inventâmes ensemble Machiavel (1999), un scratch vidéo interactif de 111 boucles vidéo, lecture poétique du Monde Diplomatique autant qu'entité réagissant au plaisir et à l'ennui ! Notre dernière collaboration est Nabaz'mob, l'opéra pour 100 lapins communicants Nabaztag, qu'il serait chouette de reprendre dans des festivals de musique contemporaine ou de nouvelles technologies.
Dans Still Living j'ai un faible pour les derniers tableaux, le graphe complétant les barres ou les camemberts. Mise en scène clinique. L'économie est ici mise en short, ça tourne court, le côté réducteur est projeté sur l'écran, nous laissant tout bonnement perplexe. Travail sur la durée.
De projets Internet en expositions, d'installations en performances live (en compagnie du compositeur Vincent Epplay ou seul, dans le plus simple appareil de l'artiste plasticien), Antoine Schmitt ressemble à ses créatures, tantôt placide, tantôt plus vif que nature, dessinant une trace qui s'efface à mesure qu'il avance. Frankenstein du numérique, il impose des règles à ses créations virtuelles, leur donne un cadre et les regarde s'ébattre sans lui. Ses initiales le portant à l'excellence, on attend avec curiosité chaque nouvelle manifestation de son imagination.

mardi 6 février 2007

Steve Lacy avec le Kronos Quartet


J'en avais entendu parlé, mais ce genre d'information nécessite d'être toujours vérifiée. Le saxophoniste soprano aurait collaboré avec le Kronos String Quartet. Cependant aucun disque n'est jamais paru avec la Precipitation Suite composée par Steve Lacy. En fouinant sur mon site de téléchargement favori, dimeadozen.org, j'ai réussi à trouver l'enregistrement live à Donauschingen du 18 octobre 1986 à la Baar-Sporthalle. Trois mouvements : I feel a Draft, Cloudy et Rain où les cordes prolongent la pensée zenophile du saxophoniste, lignes claires, lyrisme pointilliste, concerto malin qu'on espère entendre rejoué, même si la partie de Lacy devra être évidemment interprétée par un autre soprano.
Il semble que lors du même concert le Kronos a également créé une Survivors Suite attribuée à Phillips (Barre ? Étrange, je ne connais que celle de Keith Jarrett) avec le batteur Max Roach, mais elle ne m'a pas aussi emballé que la pièce de Lacy qui montre une face méconnue du génial disciple de Monk, une prolongation du geste instrumental du saxophoniste plutôt qu'une confrontation comme celle avec la batterie. J'ai déjà évoqué ici les innombrables œuvres du répertoire du Kronos non publiées en cd, mais trouvables sur le Net avec un peu de chance, d'astuce et d'opiniâtreté. C'est chaque fois une découverte.

Tableau d'Arman L'attila des violons

lundi 5 février 2007

Aura voté


Même si je ne suis pas dupe du jeu électoral, de ses manipulations et de ses mensonges, même si je n'ai jamais pu voter pour un candidat qui défende mes idées politiques et sociales, même si la prétendue démocratie est un canular démagogique, je n'ai jamais manqué de glisser une petite enveloppe dans l'urne. La vie est beaucoup plus dure dans les pays où l'on ne vote pas. En participant à cette mascarade, je rends hommage aux femmes et aux hommes qui ont donné leur vie pour que chacun puisse exprimer sa préférence.
J'ai toujours voté contre, sans aucune illusion. Au premier tour, mes candidats les moins pires n'ont jamais récolté beaucoup de suffrages. Au fil des années, j'ai accordé de moins en moins d'importance au vote, décidant dans l'isoloir pour qui j'allais voter. La politique ne se fait plus au niveau national, les gouvernements ont perdu leur pouvoir, les décisions se prennent à un niveau européen ou mondial, et ce ne sont plus eux qui dirigent le monde, mais une petite armée d'industriels et de banquiers. Je lis les papiers qu'on nous envoie avant les élections et je vote en fonction de ce qui est écrit noir sur blanc. Je le fais consciencieusement. C'est la raison pour laquelle j'avais voté contre le Traité de Maastricht, parce que je l'avais lu. C'est la raison pour laquelle j'ai voté contre la Constitution européenne, parce qu'elle était illisible. Quel cynisme peut faire voter une population sur un texte qu'il est impossible d'assimiler ? Les présidentielles sont plus simples, on élit une personne, sur son sourire, son sex appeal, ses arguments sécuritaires... Sur une politique ? J'en doute. Aucun candidat n'aborde la question primordiale, celle de la culture, ce sur quoi est bâtie une morale, une société.
De toute façon, j'ai progressivement perdu le goût pour la politique intérieure au profit des grands mouvements historiques planétaires, optant finalement pour un recul philosophique qui me semble la seule position porteuse d'espérance. J'ai besoin d'utopies pour vivre et avancer. Le bipartisme grandissant où on oscille entre républicains et démocrates ne m'intéresse guère. Le centre gauche et le centre droit n'offrent que peu d'attrait au libre penseur. On nous a fait voter Chirac au second tour, belle manipulation lorsqu'on sait que les dernières signatures pour Le Pen venaient de maires RPR. Nombreux avaient cru au grand soir le 10 mai 81. Rabat-joie, j'avais ce soir-là dénoncé la social-démocratie. Je suis injuste, il y eut moins de flics dans les rues, la mise à mort fut abandonnée, la première année marqua un épanouissement culturel avec le célèbre 1% du budget... La différence entre les "socialistes" et la droite ? Leur politique se ressemble, à la différence que "la gauche" la pratique avec culpabilité, ce qui ajoute maladresse au gâchis et aux iniquités. Et aujourd'hui ? Sarkozy est un dangereux psychopathe. Bayrou ressemble à la France profonde, centriste, le cul entre deux chaises. Royal est tant assaillie par ses propres amis qu'on aurait envie de voter pour elle, par pur anti-machisme, si elle ne défendait un programme de centre droit. À quoi rime l'extrême-gauche éclatée façon puzzle ?
Je lirai donc les papiers qui tomberont dans ma boîte aux lettres, une urne funéraire. Je continuerai de lire le Monde Diplomatique pour tenter de comprendre à quelle sauce l'homme sera exploité par l'homme cette année. Je me pencherai sur les motivations de cette humanité cynique et cruelle qui s'auto-détruit en entraînant avec elles toutes les autres espèces qui ne votent pas. Je ferai des rêves, du moins j'essaierai encore et encore. Et comme le proclamait un slogan de 1968 sur une image de chiottes à la turc, même si les élections sont un piège à cons, "votez dur, votez mou, mais votez dans le trou".

Capture-écran de la première des 111 boucles vidéo interactives du cd-rom Machiavel (Birgé-Schmitt), 1999.

dimanche 4 février 2007

Les ailes d'Elsa


Elsa, qui vient de mettre son site en ligne, est de retour au Cabaret Sauvage à Paris le 23 février avec La Caravane Passe et La Clique de Plèchti pour un nouveau Vrai-Faux Mariage avec vrais danseurs, faux mariés (Yann-Yvon Pennec dans le rôle de Sača et Môh Aroussi dans celui de Mona), clowns, acrobates, magicien et vodka ! Plus le bal de DJ Tagagda en after. C'est à 20h45 et il est prudent de réserver ses places à la Fnac ou sur digitick.com car le spectacle se joue régulièrement à guichets fermés.
À New York nous avions été surpris du nombre de gens qui s'étaient mis au trapèze depuis que la série Sex and the City avait montré la Trapeze School avec le personnage de Carrie comme adepte. Enfant, pendant les grandes vacances sur la plage de La Baule, j'adorais grimper sur celui du Gymnic Club, mais je n'aurais jamais imaginer avoir une fille trapéziste. Au cirque, c'était l'attraction qui m'intéressait le moins, je trouvais que c'était pour les filles et préférais les clowns. Je me souviens très bien d'Albert Fratellini, mon préféré, j'avais cinq ans. J'ai retrouvé une photo avec le Drame où je joue de la flûte contrebasse la tête en bas les pieds en l'air. Elsa ignorait tout cela lorsqu'elle est entrée à l'École du Cirque un peu avant d'avoir huit ans. Elle parle merveilleusement du travail social réalisé par Annie Fratellini avec les jeunes en difficulté. Elsa a fui les prouesses acrobatiques du cirque pour un numéro tout en émotion. Je suis curieux de savoir vers quels prochains cieux elle se tournera.

© Photo d'Elsa Birgé : L. Alexandre

samedi 3 février 2007

Étienne Auger commente son travail


À son tour sur son blog, le graphiste Étienne Auger raconte comment il a conçu et réalisé la pochette de mon nouveau cd, Établissement d'un ciel d'alternance, en duo avec Michel Houellebecq. Exprimer la méthode, donner les clefs de ce que nous fabriquons m'a toujours plu. J'espère que toutes ces notes (billets des 26 janvier, 28 janvier et 1er février) seront de quelque utilité à celles et ceux à qui nous transmettons parfois nos passions. La phrase de S.M.Eisenstein citée par Jean-André Fieschi dans la première lettre des Nouveaux Mystères de New York me suit depuis la fondation d'Un Drame Musical Instantané : il ne s'agit pas de représenter à l'attention du spectateur un processus qui a achevé son cours (œuvre morte), mais au contraire d'entraîner le spectateur dans le cours du processus (œuvre vivante).

Page 11 du livret illustrant l'index 4 (instrumental), Tchernobyl, composé avec Bernard Vitet qui a écrit la partie d'orchestre que j'ai rentrée dans la machine en 1994, pour la mixer huit ans plus tard en temps réel en jouant simultanément d'instruments électroniques. Une seule prise, comme tout le reste de l'album. Dans l'un et l'autre cas, c'est la première fois que je produis un disque dont je suis le seul musicien interprète. Seules la voix de Michel Houellebecq et la pensée de Bernard m'accompagnent dans cet étrange voyage au bout d'un monde.

vendredi 2 février 2007

Le désert rouge et les Carpaccio


Pour mon prochain article de la rubrique Sur l'écran noir de vos nuits blanches du Journal des Allumés du Jazz que je consacre cette fois aux partitions sonores, j'ai revu Le désert rouge de Michelangelo Antonioni, son premier film en couleurs (Carlotta). Je me souvenais de la bande-son industrielle, jets de vapeur et électroacoustique de Vittorio Gelmetti, mais j'avais oublié le caractère de cantate du film, à l'image de la musique du générique de Giovanni Fusco, le compositeur de L'avventura, L'éclipse et Hiroshima, mon amour. Le trouble des personnages tient de l’abstraction musicale des sentiments. Le cinéaste a remplacé les dialogues par un vide contemporain, minimalisme varésien, deux termes a priori incompatibles. Encore plus que celui d'un musicien, Le désert rouge est un film de peintre. Antonioni badigeonne les usines de couleurs vives et atténue la nature au brumisateur. Il "peint la pellicule comme on peint une toile". Si Matisse est son modèle, le décor semble avoir été commandé à de Kooning ou Rothko. On verrait bien ce film accroché aux cimaises du Centre Pompidou. Dans l'un des bonus du dvd, Antonioni termine l'interview en répondant qu'il ne se pose de questions ni avant ni après, mais pendant le film. "Vous arrivez trop tard", fait-il à celui qui l'interroge.
C'était la première fois que j'allais à Venise, un lendemain de Noël, en 1978 je crois, peut-être 79. Jean-André (Fieschi) m'avait emmené pour "fêter" la fin de notre collaboration de quatre ans. La ville était recouverte de neige, beaucoup. Ce matin-là, Jaf me guida jusqu'à San Giorgio degli Schiavoni pour voir les Carpaccio. Je fus saisi par les cadres, hors champ préfigurant déjà le cinématographe, et par le mouvement. J'y voyais aussi un ancêtre de la bande dessinée. Il y a chez ce peintre la même modernité que l'on rencontre dans la musique médiévale, la plus proche de nos improvisations contemporaines. Ses rouges et ses bleus se retrouvent dans Le désert.
Nous étions seuls dans la petite église avec un couple, un monsieur qui semblait déjà âgé et une jeune femme. Nous l'avons reconnu, lui, mais nous n'avons pas osé bouger, nous aurions brisé le charme. Nous l'avons regardé s'éloigner, de dos, le long du canal. Tout était magique. Venise sous la neige, les peintures sur les murs, le dragon terrassé, le silence et l'absence, et Michelangelo Antonioni. Depuis, je n'imagine pas faire le voyage sans aller admirer les Carpaccio. Il y a deux ans, j'y suis retourné pour la septième fois.

jeudi 1 février 2007

Les pochettes auxquelles vous avez échappé


J'ai d'abord illustré l'annonce de la sortie d'Établissement d'un ciel d'alternance, mon nouveau cd en duo avec Michel Houellebecq par sa pochette originale, ce qui semblera logique. Deux jours plus tard, j'ouvrais l'objet et montrais ses entrailles ainsi que la une du livret qui l'habite. Aujourd'hui, vous avez droit à pas moins de douze autres propositions qui n'ont pas été retenues ! Les trois premières sont au format dvd (même si c'est un cd, j'ai souhaité quelque chose qui ressemble plus à un livre qu'à un disque). Il faut cliquer tout en bas à gauche sur "lire la suite" pour découvrir neuf autres pochettes dont six au format habituel des cd.


L'ensemble est dû au graphiste Étienne Auger (incandescence.com) qui avait déjà réalisé les pochettes de Machiavel et la réédition en cd de Trop d'adrénaline nuit. J'ai commenté son travail le 26 janvier dernier. J'ai rencontré Étienne il y a douze ans sur mon premier cd-rom, Au cirque avec Seurat. À Hyptique, nous faisions alors tous partie de ce que Pierre Lavoie appelle la dream team, avec Étienne Mineur (on les connaissait alors sous le nom des Étienne, depuis ils ont monté incandescence avec Arnaud Dangeul et Pierre Wendling), Antoine Schmitt, Olivier Koechlin... J'ai continué à travailler avec Étienne Auger sur des projets plus commerciaux, en particulier un magnifique cd-rom hyper-secret pour les laboratoires pharmaceutiques Firmenich (Lux Modernis) et un film pour Dunlop qui nous a menés sur le circuit du Castelet...


Étienne joue aussi de la guitare et programme des machines rythmiques. Il a réalisé un des remixes de Machiavel avec Agnès Desnos et était présent sur scène à son lancement au Glaz'Art, dernière performance live avec Michel Houellebecq, soirée mémorable déjà évoquée ici. Un extrait musical paraîtra bientôt en accompagnement du n°3 de la revue acoustellaire Sextant sous la forme d'un CD d'inédits du Drame téléchargeable gratuitement.
C'est très agréable de travailler avec un vrai graphiste, quelqu'un qui a une vision. S'il a le compas dans l'œil, il n'a pas oublié de le retirer. J'ai assez rapidement choisi la pochette définitive. Je ne sais pas si Étienne m'a envoyé tout ça pour servir de repoussoirs ou s'il hésitait sur certaines. Je sais qu'il veut m'envoyer également les images des perruches, celles dont parlent Michel dans son texte manuscrit qui figure dans le livret. Les perruches de la Fondation Cartier... À suivre.

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