P.S. : À rêver tout haut d'un monde meilleur il m'arrive de froisser des camarades. J'aborde ici une question de fond sans critiquer les équipes des Rencontres et de Coïncidence, pas plus que les artistes, les commissaires et partenaires qui ont tous réalisé un travail formidable faisant de ce 10e anniversaire une magnifique édition.
À l'occasion des
Rencontres d'Arles de la Photographie se pose radicalement la question du son dans les expositions, pendant les projections au Théâtre Antique ou pour la Nuit de l'Année aux arènes. Directeur musical des Soirées, j'interviens en compositions originales, illustrations musicales, organisation de sessions live et conseils en tous genres lorsque les intervenants ne s'en chargent pas directement. Partout je note une absence plus ou moins délibérée du sens dans l'utilisation du son lors des manifestations qui y ont recours. Est-ce la peur d'écraser les images, le besoin d'hypnotiser le public à grand renfort de musique martelante ou plus simplement une inculture, ignorant l'impact du son dans la relation complémentaire qu'entretiennent les medias audio-visuels ? Partout résonnent des "morceaux choisis" sans rapport avec le sujet traité.
Mais d'abord pourquoi ajouter du son dans la présentation de photographies ? Si les expositions de tirages s'en passent fort bien, les projections dans le silence du Théâtre font ressortir la présence dissipante de la foule des spectateurs au lieu de créer une focalisation visuelle ou une pause musicale. Le bruit des rues adjacentes peut se signaler brutalement tandis que la réverbération de l'hémicycle souligne le murmure de la salle en plein air. Quitte à sonoriser les montages photographiques il existe maintes façons d'y répondre, en faisant tout pour faire oublier le son (psychoacoustiquement nécessaire) ou en cherchant à préciser les intentions des photographes grâce à son apport.
Pendant les Rencontres les réponses peuvent sembler diverses alors qu'elles obéissent à la même loi de désaffection du sens. Au Théâtre Antique, à de rares exceptions près (par ex., duo de Mitch Epstein avec le violoncelliste Erik Friedlander), on invoque que le spectacle des photos n'est pas un festival de musique pour réclamer des sonorisations invisibles, musiques d'ameublement n'influant pas sur la lecture des images. Lors de la Nuit de l'Année aux arènes la surenchère punchy est carrément absurde sauf à vouloir faire passer le remarquable travail des photographes pour une usine à clips, fond illimité d'archives interchangeables où les professionnels n'ont rien à gagner. La quasi totalité des montages proposés par les agences sont écrabouillés par des musiques rentre-dedans. L'épate prime sur la sensibilité et la profondeur des idées véhiculées par les images. Les DJ de la piste centrale diffuse le même genre de musique hypnotique, relents surfers sur le dance floor, rock musclé ou techno dans les quinze alcôves à la scénographie pourtant magique. Celle des expositions pourrait remettre en question l'espace muséographique en général, entre autres par une utilisation intelligente du son, tant les réponses sont conventionnelles dans ce secteur.
Dans tous les cas, célébration huppée des Soirées, grand rendez-vous populaire aux arènes, recueillement des expos, la musique est réduite à meubler le silence plutôt qu'à favoriser l'analyse de ce qui est donné à voir. Si l'illustration redondante est vaine le son pourrait apporter un complément de sens en faisant ressortir les détails cachés ou peu visibles au premier abord. Il agit tel des gros plans, travellings ou panoramiques acoustiques produisant des effets de perspective à la surface des œuvres. Le hors-champ qu'offre l'espace sonore pulvérise le cadre en multipliant les lectures et les interprétations. Au lieu de profiter de ces ressources la sonorisation assène une vacuité qui homogénéise l'ensemble des projets, pourtant aussi divers que possible. Il est probable que cela ne soit pas intentionnel, mais simplement le résultat d'une inculture où le son est relégué à jouer les papiers peints, discrets ou omniprésents. Cette méconnaissance génère une peur qui peut s'avérer légitime si la rencontre des images et des sons n'est pas maîtrisée. Les choix démissionnaires en vigueur sont pourtant définitivement les pires puisqu'ils ignorent absolument les possibilités offertes et aboutissent à un nivellement par le bas tristement homogène qui tient du décervelage.
Vendredi soir la seule installation des arènes où le son était traitée analytiquement, et donc créativement, était paradoxalement celle de
Caroline Cartier ! Pas une seule image, un comble, mais un astucieux montage sonore d'extraits radiophoniques qui rappelle nos "radiophonies" inaugurées en 1974 avec le film
La nuit du phoque ou plus explicitement
Crimes Parfaits, œuvre clef de 1981 qui inspirera maint DJ et adepte du
plunderphonics. Par un montage rythmé de courts extraits signifiants le paysage social y prévaut sur le paysage sonore.
La sonorisation des images ne mérite pas d'être aussi rébarbative qu'elle est unanimement pratiquée. Des réponses créatives et sensibles existent, à condition de les confier à des créateurs travaillant librement, en bonne intelligence et complémentarité. Pour ce faire, il ne faut surtout pas craindre les révélations que l'échange pourrait générées. Tout reste à faire, champ d'expérimentation extraordinaire qui redonnerait un nouvel élan à tous les spectacles audiovisuels quels qu'ils soient, photographie ici, cinéma ailleurs.