Arlette Martin expose peintures et marqueteries jusqu'au 19 mai à la Mairie du XXe arrondissement à Paris. Elle est passée des pinceaux au travail du bois en 1958 sur la suggestion de mon oncle Gilbert. Arlette est la sœur aînée de ma maman. Lorsque j'étais enfant, les murs de notre appartement étaient recouverts de ses tableaux abstraits parce qu'elle ne savait pas où les accrocher dans leur mansarde de la rue Rosa Bonheur. La question de l'abstraction s'est donc très tôt posée à moi. On me répondait que cela ne représentait rien, qu'il ne fallait pas essayer d'y voir des ressemblances avec quoi que ce soit comme on fait avec les nuages lorsque l'on découvre parfois avec surprise des analogies avec des formes existantes. J'ai déjà évoqué le déséquilibre intentionnel, inspiré par cet unique lien avec l'art dans mes jeunes années. Je me souviens parfaitement de certains de ces tableaux peints au début des années 50. Arlette a continué en travaillant le bois, c'était une des rares marquetistes à ne pas faire dans le ringard, ni figurative ni géométrique. Abstraite !
D'elle je possède ainsi une table basse, un tableau et une aquarelle, mais la pièce dont je suis le plus fier est la porte qu'elle m'offrit pour le studio de musique à mon installation à Bagnolet. Arlette est étonnante de vitalité et cela se retrouve dans ses œuvres. Elle accumule les responsabilités à la Maison des Artistes (trésorière non solidaire des délires sarkozistes de son président !), au Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens (secrétaire générale honoraire), à la SAD (présidente en 1986-87 au Grand Palais) et jusqu'à l'année dernière, à 80 ans passés, elle était encore bénévole aux Restos du Cœur... Dans ses tableaux où les essences de bois remplacent la palette de couleurs en tubes, la matière continue à vivre. Il lui arrive de mélanger les deux techniques et j'aime particulièrement ceux où le rouge contraste avec les veines des bois exotiques. Les sinuosités du bois obligent à les suivre, à dessiner avec l'aléatoire. Arlette a réalisé des pièces monumentales, des meubles, mais Place Gambetta ce sont des tableaux ou des objets plus modestes comme de grands éventails dont l'accrochage fait bien ressortir tant l'homogénéité de l'œuvre que la variété de tons. En écrivant, je me rends compte que toutes ses toiles comme ses marqueteries sont des coupes transversales. L'aubier sous l'écorce.


Gros plan sur la poignée racine de la porte coulissante qui mène au studio. Ma sœur a également plusieurs meubles et un grand paravent marqueté et turquoise. Sa fille Estelle, ma nièce, a réalisé la maquette de l'élégant catalogue. Toute la famille est décorée par ses cadeaux uniques et attentionnés. Seule Françoise est venue au vernissage avec un original, puisqu'elle porte le magnifique pull over orange, blanc, rouge et noir qu'Arlette a tricoté pour elle l'an passé ! Sur le livre d'or, je gribouille : "L'abstraction fondatrice. La rémanence. Du bois dont je ne ferai pas de flûte..."