Appelons cela une réaction en chaîne. David Fenech m'apprend que Pierre Bastien et Pierrick Sorin joueront vendredi dernier à l'Auditorium du Louvre. Comme j'annonce que j'irai, Étienne Brunet nous emboîte le pas. Arrivé en avance, je fais un tour curieux à une exposition ouverte depuis peu. Or la programmation de Machins Machines est directement liée à l'expo Les choses que je découvre avec ravissement. L'absence de chronologie ainsi que l'exquise variété et le choix malin des œuvres me font penser à Jean-Hubert Martin avec qui j'avais travaillé sur Carambolages au Grand Palais, mais la commissaire est Laurence Bertrand Dorléac. À suivre ! J'y retrouve la notion de plaisir dans cette vision d'auteur qui prend les choses au sérieux en abordant cette histoire de la nature morte avec un véritable point de vue. Les visiteurs semblent aussi intéressés que Monsieur Hulot.


Comme je n'avais encore rien lu sur Les choses, je suis enchanté par ma déambulation. J'hésite même à décrire quoi que ce soit pour vous laisser le plaisir de la découverte. Allez-y sans tarder ! Ci-dessus des œuvres critiques de la société de consommation : les quatre photos cousues de Coca Cola d'Andy Warhol, Déchets bourgeois. Et s'il n'en reste qu'un je serai celui-là d'Arman et l'ombre de l'Oiseau de paradis de Martial Raysse. L'intelligence des textes des cartels entérine mon désir d'acquérir le catalogue. Je fais bien. La moitié est constituée d'un chosier inédit : des auteurs de toutes sortes choisissent un mot-clef et le décline chacun/e à sa façon. J'aurais adoré participer à cette aventure avec du son. Si j'ai été happé dés le début par Georges de la Tour, Andreï Tarkovski, Buster Keaton, Daniel Spoerri, Christian Boltanski ou des antiquités égyptiennes, je flashe sur l'explosion renversée du film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni sur le grand écran à la sortie. À la question de Lamartine “Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”, je me sens animiste.


Ci-dessus Still Life de Ron Mueck, Nature morte au vieux soulier de Joan Miró, Vénus endormie de Giorgione rêvant de B.H. (Bernard Heidsiek) et de F.D. (François Dufrêne) de Jean-Jacques Lebel, Sans titre de Luc Tuymans et 200 kg de Bazooka Bubble Gum de Felix Gonzalez-Torres.

Dans ce temple de l'art, on vomit l'argent (van Reymerswale, Hieronimus Francken II, Boilly, Dubreuil, Lüthi, Ferrer, Barbier), on expose la bidoche (Oudry, Houdon, Desportes, Chardin, de Zurbarán, Goya, Rembrandt, van Beyeren, Courbet, Buffet, de Ribera, Serrano, Gauguin), on apprivoise la mort (Taylor-Johnson, les frères Chapman, Gijsbrechts, Champion, Bonnecroy, Richter, Géricault, Schütte, Burke, Gober, Raynaud), on vit simplement (Coorte, Manet, Redon, Cézanne, van Hoogstratten, van Gogh, Matisse, Bonnard, Foujita, le douanier Rousseau, Chirico), on rit des temps modernes, on s'en inquiète (dans le hall Le pilier des migrants disparus de Barthélémy Toguo grimpe vers le sommet de la pyramide du Louvre). Avec autant de sérieux (Chancel, Kudo, Strand, Resnais et Queneau, de Saint-Phalle, Chevalier) que d'humour (Giacometti, Tanning, Oppenheim, Broodthaers, Filliou, Manzoni, Tati, Dine, Duchamp, Picasso, Brown, Léger, Darrot), ces cent soixante œuvres en disent long sur l'histoire de l'art à travers les choses. Perec aurait adoré.


J'en sors donc chargé du lourd catalogue de 450 pages que, pour une fois, je dévorerai du début à la fin, et je rejoins l'Auditorium où, à l'entrée, Pierrick Sorin a installé cinq de ses petits théâtres optiques burlesques. Sur scène, pour leur ciné-spectacle qu'ils n'ont pas joué depuis dix ans, il filme Pierre Bastien aux prises avec ses instruments mécaniques, intégrant ses pitreries chorégraphiques aux roues dentées et liquides en apesanteur. Le duo, se laissant aller à ses improvisations audiovisuelles, fonctionne à merveille...


Pierre Bastien agrémente sa musique minimaliste de petits chorus de trompette augmentée. Il confectionne toutes sortes de sourdines créatives comme un harmonium aux accords délicieusement mineurs ou un verre d'eau qui fait des bulles de son. Sur un châssis de Meccano il fixe des mini-tubes d'orgue, des languettes de papier volantes, des plectres qui tournent, tournent et nous enchantent. Et ses tourne-disques renvoient de la lumière comme les pas de danse esquissés par Pierrick Sorin suggèrent de mignonnes ritournelles... Un très beau spectacle.

→ Exposition Les choses. Une histoire de la nature morte, Le Louvre, jusqu'au 23 janvier 2023
Le catalogue (détail sur le lien), 39€