J'ai évidemment foncé voir l'exposition Christian Marclay au Centre Pompidou. Avec Les Choses au Louvre et Black Indians au Quai Branly c'est la troisième qui m'enthousiasme cet automne. Les Choses est la plus stimulante, créant des synapses inattendus. Black Indians est la plus troublante par son évocation de l'esclavage et la responsabilité de la France. Si elle ne réserve pas beaucoup de surprises à celles et ceux qui connaissent bien le travail de Christian Marclay, elle plaira aux amateurs de musique et de cinéma, de cassettes et de vinyles, d'absurde et d'infini. J'ai rencontré Marclay au tout début des années 80. Nous avions le même producteur de disques, Jürgen Königer, du label Recommended Records/No Man's Land. C'était la première fois que je voyais quelqu'un scratcher des disques, avec des pédales d'effets sur les platines et des bricolages inattendus comme les disques qu'il avait découpés et réassemblés, et ce bien avant la plupart des DJ. J'adore le 25 centimètres More Encores et l'on pourra admirer là les disques vinyles avec annotations, utilisés lors de performances. Il fut, comme moi, très influencé par Revolution 9 des Beatles sur le double blanc, et par John Cage que nous avons tous les deux eu le plaisir de rencontrer à six ans d'intervalle !


Plus tard j'ai acquis un des coffrets Footsteps ou son jeu de cartes Shuffle, tous deux montrés à Pompidou. Ce ne sont évidemment pas les clous de l'expo. Le montage audiovisuel Doors est une première. Des personnages entrent et sortent dans le mouvement. L'effet répétitif est fascinant parce qu'aucun plan ne ressemble à un autre et que les raccords sont parfaitement fluides, créant des effets comiques ou dramatiques qui sont propres au cinématographe. Il y a évidemment des liens avec la succession vidéographique des Telephones présentée ici, ou l'horloge The Clock, composée de milliers d'extraits de films sur 24 heures, cette fois hélas absente. À côté de ces installations telle aussi Surround Sounds, où les onomatopées vous entourent, sont exposés de nombreux collages, des instruments impossibles (accordéon Virtuoso de sept mètres, guitare molle Prosthesis, guitare tordue Vertebrate, batterie Drumkit trop haute, trompette tuba Lip Lock aux embouchures collées comme un baiser, tabouret cor Stool - sur lequel le corniste Nicolas Chedmail eut jadis l'occasion de s'asseoir !), des disques découpés, des pochettes imaginaires, des sculptures constituées de bandes magnétiques, etc. Zoom Zoom, partition longue de 20 mètres constituée d'onomatopées et mangas, conçue pour Shelley Hirsch, chanteuse new-yorkaise que j'aime beaucoup, rappelle évidemment Stripsody de Cathy Berberian. Les visiteurs pourront même expérimenter Playing Pompidou, une expérience en réalité augmentée interactive audio et visuelle depuis le parvis du Centre ainsi que depuis n'importe où dans le monde en scannant un code grâce à la technologie Landmarker de Snapchat ; Christian Marclay et le AR Studio de Snapchat basé à Paris ont transformé la façade du bâtiment en un instrument de musique !


On sera enchanté de revoir les quatre écrans de Video Quartet, probablement mon installation préférée, ou Guitar Drag, qui avaient été projetés à la Cité de la Musique dans une rétrospective de 2007 que j'avais chroniquée ici-même, extraits vidéo à l'appui. Adepte du montage en temps réel ou différé, des collages hétéroclites, des œuvres qui grincent et interrogent à la fois leur temps et leur medium, je suis aux anges avec Marclay.
Tout cela a été rendu possible grâce au groupe Mirabaud qui investit des sommes considérables dans l'art. Que Christian Marclay soit suisse, même s'il réside à New York, est une opportunité pour ce groupe bancaire et financier international basé à Genève. À une époque où l'économie capitaliste est de plus en plus fragile, la spéculation sur les œuvres d'art bat son plein. En France les fondations Vuitton, Pinault, Emerige, Cartier et quelques autres font la loi en contrôlant le marché. Quelques rares artistes vivants en profitent, les plus lucratifs sont souvent morts il y a longtemps et parfois dans un dénuement absolu.

→ Exposition Christian Marclay, Centre Pompidou, jusqu'au 27 février 2023
→ Catalogue, ed. du Centre Pompidou, 45€ comme la plupart des catalogues d'exposition