70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 1 décembre 2023

Elliott Erwitt [1928 — 2023]


Le photographe Elliott Erwitt vient de nous quitter. Je republie un extrait de l'article du 11 juillet 2012 que j'avais envoyé d'Arles alors que j'assumais le rôle de directeur musical des Soirées des Rencontres. Ici au Théâtre Antique la percussionniste Linda Edsjö l'accompagne tandis qu'Antonin Trí Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette venons leur prêter main forte. Sur le lien vous pouvez assister à sa présentation en deux parties vidéographiées. Grande tristesse face à la disparition de cet homme extraordinaire.

ARTE Creative met en ligne les Soirées des Rencontres de la Photographie qui se sont déroulées au Théâtre Antique d'Arles la semaine dernière, du 3 au 7 juillet 2012, sous la voûte étoilée.
Commençons par Elliott Erwitt accompagné par la percussionniste Linda Edsjö. Pour quelques passages Antonin-Tri Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette, les rejoignons. Arte a découpé la prestation d'Erwitt en deux parties.


Directeur musical, j'ai choisi les musiciens et musiciennes qui sont intervenus en direct, y participant parfois, composé une petite pièce symphonique pour le Prix Pictet, enregistré mon doigt sur une vitre pour l'animation que Grégory Pignot a réalisé du jingle des Rencontres d'après l'affiche de Michel Bouvet, illustré musicalement quelques autres sujets.


Les réalisations sont de Coïncidence (Olivier Koechlin, François Girard, Valéry Faidherbe).

mardi 4 octobre 2022

Un manuel du graphiste


C'est presque toujours à l'occasion de ses vernissages que j'ai le plaisir de croiser mon cousin Michel Bouvet (nos grands-pères étaient frères, mais j'avais tardivement identifié notre cousinage alors que j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres d'Arles depuis plusieurs années et qu'il en était le graphiste attitré !), un des plus célèbres affichistes français. Mercredi dernier était inaugurée l'exposition Un manuel du graphiste à la librairie Eyrolles, boulevard Saint-Germain. J'y croisai Anita Gallego, sa compagne, Étienne Robial (connu, entre autres, pour les éditions Futuropolis et l'identité graphique de Canal+ ; et puis il a racheté la maison de Bernard Vitet rue Charles Weiss et l'a entièrement rénovée), le duo M/M (connu entre autres pour sa longue collaboration avec Björk), Yann Legendre (dont je viens de dévorer sa nouvelle bande dessinée, Vega)... Pas vu Michal Batory que j'avais découvert lorsque nous travaillions sur l'exposition Le métro a 100 ans, Ruedi Baur avec qui j'ai bûché un an sur l'étude du métro du Grand Paris... Il y avait beaucoup de monde dans la petite galerie. Ils sont tout de même soixante à avoir participé au livre réalisé par Michel Bouvet et Fanny Laffitte !
Ce Manuel est un très bel objet broché de 192 pages avec plus de 80 œuvres graphiques commentées, 17 entretiens avec des professionnel/le/s (Sandrine Maillet, Cléo Charuet, Alain Le Quernec, Morgane Vantorre, Silvia Dore, Francis Laharrague, Nicolas Massadau, François Hébel, Alain Arnaudet, Marc H. Choko, Daniel Lefort, Diego Zaccaria...) et de nombreux travaux d'étudiant/e/s. Michel Bouvet y répète que "le graphisme est partout", souvent invisible mais absolument nécessaire, il aborde aussi le volet pédagogique de son activité, le processus de création et les coulisses de la production. Je n'ai pas encore tout lu, c'est copieux. J'ai eu la chance de travailler avec de formidables graphistes comme Étienne Mineur ou Étienne Auger, des artistes qui ont illustré mes pochettes de disques comme Jacques Monory, Jean Bruller (Vercors), Mattioli, Raymond Sarti, Kvèta Pacovská, Valérie Moënne, Marie-Christine Gayffier... Là je découvre ou redécouvre Jan Bajtlik, Florence Bamberger, Jean-Paul Goude, Mono Grinbaum, Mitsuo Katsui, Keizo Matsui, Henning Wagenbreth, Garth Walker, Maja Wolna... Au travers de sa propre expérience, Michel Bouvet évoque les mérites de la contrainte et le cassage des codes, la relation avec les commanditaires, la mise en forme des idées, la transformation de l'information en communication, sa lisibilité... Si c'est un bel objet, l'aspect didactique du Manuel est fondamental. Je vais donc m'y replonger ces jours-ci, alors que la pile automnale de mes lectures grandit de jour en jour, comme les disques à écouter et les films à regarder. Ce ne doit jamais être aux dépens de mes compositions musicales dont l'organisation remplit le planning des prochaines semaines.

→ Michel Bouvet & Fanny Laffitte, Un manuel du graphiste, avec plus de 60 invité/e/s du monde entier, Ed. Eyrolles, 26€
→ Exposition "Vive le graphisme !" chez Eyrolles 55 bvd Saint Germain à Paris jusqu'au 22 octobre

lundi 18 février 2019

Fiesta Grafica à la Maison de l'Amérique Latine


Michel Bouvet saute de continent en continent à la recherche de graphistes qui partagent sa passion pour l'affiche. En novembre dernier il présentait à la Galerie Roi Doré à Paris Pologne, une révolution graphique dans le cadre du Mois du Graphisme qui s'était tenu à Échirolles. J'y croisai Michal Batory pour qui j'avais réalisé en 2000 le son de l'exposition Le Siècle Métro à la Maison de la RATP. Jeudi je retrouvais le graphiste polonais au vernissage de Fiesta Grafica à la Maison de l'Amérique Latine où je rencontrai également Étienne Robial. Plutôt qu'évoquer L'enragé, Futuropolis, Canal+ ou l'école Penninghen où il enseigne avec Michel Bouvet, nous échangeons maintes anecdotes sur mon camarade Bernard Vitet dont il avait acheté la maison dans le XVème arrondissement.


La nouvelle exposition de mon cousin est resplendissante. [ Nos mamans sont cousines germaines, mais nous avons découvert tardivement notre filiation alors que nous travaillions l'un et l'autre pour les Rencontres d'Arles de la Photographie. Michel en était le graphiste et l'affichiste, j'assumais le rôle de directeur musical des Soirées, sans que nous ayons fait le lien. Pourtant j'avais souvent entendu parler des Bouvet. Gérald, son grand-père, qui était donc le frère du mien, Roland, était inspecteur général de français ; il avait un jour rendu visite à ma classe alors que j'étais en 5e au Lycée Claude Bernard, j'en étais très fier et le prof ne mouftait pas ! Habitant alors Boulogne-Billancourt où il n'y avait aucun lycée, j'y étais rentré grâce à ses parents, Maryse et Maurice, tous deux professeurs de lettres, d'ailleurs présents jeudi. Aucun autre contact. Lui comme moi ne sommes pas très "famille", et en figurons probablement les deux moutons noirs, artistes à la fois iconoclastes et inconophiles ! ]


Côté images, vous serez comblés avec l'exposition Fiesta Grafica, sous-titrée Michel Bouvet & ses amis d'Amérique Latine. Il y a longtemps que Michel s'est entiché des Amériques, Sud et Nord. Sur les murs-cimaises vivement colorés sont accrochées les œuvres de nombreux artistes d'un continent dont les affiches ont toujours été hautes en couleurs, et fondamentalement liées à son histoire et à la politique. Autant dire qu'il y a de l'agit prop en pagaille, assumée avec une bonne dose d'humour.


La Brésilienne Bebel Abreu développe une poésie légère où flotte un joyeux érotisme ; le Mexicain Jorge (Dr.) Alderete est plus trash voire rock 'n roll, comme le collectif uruguayen Atolón de Mororoa il pratique la dérision ; chez un autre Mexicain, Benito Cabañas, on retrouve l'alliance entre la fête et la mort propre à leur pays ; le collectif argentin Gráfico Onaire fait référence au jaguar guarani avec des touches psychédéliques et Theo Constantin joue sur les contrastes du noir et blanc ; les affiches de la cubaine Idania del Río rappellent la bande dessinée ; le duo argentin El Fantasma de Heredia pratique un humour engagé corrosif ; le Brésilien Kiko Farkas travaille souvent pour des concerts ; la Colombienne Marta Granados est toute en figures géométriques ; l'Argentin Diego (Mono) Grinbaum fait du Brandalism en taguant ses photos de commande ; la Péruvienne Natalia Iguiñiz Boggio et le Brésilien Rico Lins jouent avec les typos, l'Équatorien Pablo Iturralde sur les contrastes, le Mexicain Germán Montalvo sur les déchirures, son compatriote Alejandro Magallanes est branché par les masques et la Paraguyenne Celeste Prieto par la musique ; la Cubaine Giselle Monzón travaille la sérigraphie... Pour finir, Michel Bouvet expose ses propres œuvres, petits et grands formats, une très belle rétrospective doublée d'une généreuse découverte d'affichistes, hommes et femmes, souvent jeunes, qu'il invite, promeut et défend depuis longtemps. Le sous-sol spacieux de la Maison de l'Amérique Latine abrite cette explosion de couleurs et de revendications tant artistiques que politiques, une véritable fête graphique.


→ catalogue Pologne, une révolution graphique, Michel Bouvet et Diego Zacharia, Éd. du Limonaire, 20€
→ catalogue Fiesta Grafica, Michel Bouvet & ses amis d'Amérique Latine, Michel Bouvet et Daniel Lefort, Éd. du Limonaire, 25€
→ exposition Fiesta Grafica, Michel Bouvet & ses amis d'Amérique Latine, Maison de l'Amérique Latine, jusqu'au 7 mai 2019

N.B.: ayant pour une fois oublié de prendre des photos j'ai emprunté celles du site IDBoox © d'Elizabeth Sutton

vendredi 15 juin 2018

La Pop Music en images


Lorsque le graphiste et affichiste Michel Bouvet, commissaire de l'exposition Pop Music 1967-2017 à la Cité Internationale des Arts avec Blanche Alméras, était adolescent, en France nous appelions pop music ce que l'on nomme aujourd'hui le rock. Étymologiquement, pop signifie populaire, et pour un Américain, la pop music c'est plutôt les variétés. Les traductions sont souvent des trahisons, mais c'est ainsi. Ici nous étions pop.
Comme le jazz après la Première Guerre Mondiale, le rock'n roll allait envahir le monde après la seconde, et la pop s'installerait définitivement comme le courant populaire majeur du XXe siècle avec l'engouement pour les britanniques Beatles et Rolling Stones, puis outre-Atlantique avec le Summer of Love de 1967 sur la côte ouest des États Unis, le long du Pacifique. Peace and Love allaient devenir nos nouveaux mots d'ordre après ceux, plus mordants, du mois de mai à Paris. L'été ensoleillé était donc au Flower Power, et les graines que j'avais rapportées de San Francisco donnèrent naissance sur mon balcon à des plantes qui font rire. J'ai raconté ce voyage initiatique dans mon roman augmenté USA 1968 deux enfants. J'avais 15 ans et ma petite sœur 13, et pendant trois mois nous avons fait seuls le tour des États Unis, une aventure incroyable. J'avais ainsi assisté aux concerts du Grateful Dead, Kaleidoscope et It's A Beautiful Day au Fillmore West, et les affiches collectées sur place avaient longtemps orné les murs de ma chambre, éclairées la nuit à la lumière noire.


Mon cousin Michel (nos grand-pères étaient frères) a gardé ses cheveux longs alors que j'ai coupé les miens en 1981. Jusqu'à cette année-là je n'avais rencontré pratiquement personne à Paris qui portait comme moi le catogan touffu. Je suis passé par les mocassins indiens, les bottes de cow-boy, les sabots et les sandales, les pattes d'ef et les tuniques à fleurs, les colliers avec signe de la paix ou le A d'anarchie, des pantalons de clown et des sarouels, et parfumé au santal mystique (santal+citron). Mes experiences suivaient l'adage de Henri Michaux "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir" et je n'ai jamais renié mes idées libertaires et collectivistes. Michel est passé de la musique au graphisme et moi du cinéma à la musique. Je me suis toujours intéressé au rôle de la musique face aux images tandis que mon cousin s'interrogeait sans cesse sur le pouvoir des images sur la musique. Destin croisé de deux outsiders dans une famille de littéraires qui se retrouvèrent aux Rencontres d'Arles de la Photographie, lui en charge de toute l'identité visuelle et moi comme directeur musical des Soirées ! Je suis allé à son exposition, produite par le Centre du graphisme d'Échirolles, vêtu de mille couleurs ; il était tout en blanc, tranchant avec le noir de rigueur des graphistes et des architectes. Autour de lui étaient accrochées 1300 pochettes de disques, quantité de photographies et d'affiches plus pop les unes que les autres.


Chacun, chacune ne peut s'empêcher de reconnaître sa discothèque, et découvrir les disques qui nous avaient échappé. J'admire celles du Dead de Gary Houston et au dernier étage j'écoute la version inédite de vingt minutes de Light My Fire par les Doors qu'Elliott Landy a accompagnée d'improvisations vidéo filées sur les toiles du Musée d'Orsay. Son portrait de Bob Dylan orne la couverture du célèbre album Nashville Skyline de 1969. Dans le catalogue de l'exposition publié par les Éditions du Limonaire on retrouve les textes des cartels qui rappellent l'historique de chaque artiste, comme un petit dictionnaire de 50 ans de musique plutôt électrique. Petit dictionnaire de tout de même 400 pages, un pavé où sont reproduites également les photographies de Renaud Montfourny et Mathieu Foucher ainsi que les travaux graphiques de Form Studio, Jean-Paul Goude, LSD STU DI O Laurence Stevens, Malcolm Garrett, StormStudios, Stylorouge, Vaughan Oliver, Big Active, INTRO Julian House, Laurent Fétis, M/M (Paris), Andersen M Studio, Matthew Cooper, The DESIGNERS REPUBLIC, Hingston Studio, Zip Design... N'allez pas croire non plus que la pop s'est arrêtée aux USA, à la Grande-Bretagne et à la France ; l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, la Belgique, le Canada, la Colombie, le Danemark, la Grèce, l'Irlande, l'Islande, la Suède, la Turquie sont représentés. Rien d'étonnant dans cette Cité Internationale des Arts qui rassemble une centaine de nationalités parmi ses 288 résidents... L'exposition se termine d'ailleurs en s'ouvrant aux travaux des étudiants de Penninghen où Michel Bouvet enseigne, variations sur le titre "Pop Music".


Il est évident que certaines des pochettes exposées sont de véritables œuvres d'art, fussent-elles devenues objets manufacturés par la magie de la reproduction mécanique. Les artistes n'ont pas toujours conscience de l'importance de l'image qui accompagne leur musique, mais nombreux ont cherché l'adéquation ou du moins l'accroche graphique qui donne envie d'écouter ce que l'on ne connaît pas encore. Je me souviens avoir acheté à leur sortie le premier Silver Apples, In-A-Gadda-Da-Vida d'Iron Butterfly, Strictly Personal de Captain Beefheart, Electric Storm de White Noise, le Moondog chez CBS, The Academy In Peril de John Cale, uniquement sur leur pochette. Comme souvent lorsque les expositions sont très denses j'y replonge par le biais du catalogue, confortablement allongé sur mon divan...

Pop Music, 1967-2017, Graphisme et musique, exposition à la Cité Internationale des Arts, 18 rue de l'Hôtel-de-Ville, 75004 Paris, du mardi au dimanche (14h-19h) jusqu'au 13 juillet 2018, entrée gratuite
→ catalogue de l'exposition, Ed. du Limonaire, 29€

lundi 15 septembre 2014

Pop Arles de Michel Bouvet


Pour Pop Arles Azadeh Yousefi a rassemblé l'aventure des 12 ans d'affiches des Rencontres d'Arles Photographie imaginées et réalisées par le graphiste Michel Bouvet. Légumes et animaux ont beau se succéder, le petit livre aux coins ronds et à la couverture dorée n'a rien de répétitif. Après une mosaïque de photos in situ et l'entretien avec Bouvet et François Hébel, qui fut directeur des Rencontres de 2002 à cette année, des à-plat de couleur répondent aux affiches pleine page. L'apparente simplicité tranche avec les interprétations multiples qu'elles suscitent. Les pages qui suivent offrent une mise en espace et une analyse chronologique du processus de création : recherches iconographiques, esquisses avec crayons de couleur et feutres, dessins à la gouache noire (entre 30 et 50 essais différents après le choix définitif du motif avec les Rencontres), mise en couleur et composition typographique sur l'ordinateur du dessin retenu. On découvre ainsi toutes celles auxquelles on a échappé ! Et l'artiste chinois Liu Bolin de se fondre dans le chat rose de 2007. Après les évènements comme les Nuits de l'Année le livre se referme sur l'Arlésienne, police de caractère aubergine d'Odile Chambaut, avec un jeu de mots tel que les apprécie Bouvet et qui souvent lui donnent le fil à suivre dans le labyrinthe des possibles. Quelques objets dérivés plus loin on se laisse flotter au gré de cette fantaisie graphique qui douze ans durant avec le plus grand succès annonça paradoxalement ce festival incontournable de la photographie. (Ed. du Limonaire)

lundi 14 juillet 2014

Parades


À 4h34 j'ai momentanément résolu mon problème de sommeil. Après avoir allumé ma lampe de chevet je l'ai écrasé avec le doigt. Ensuite j'ai nettoyé la tâche rouge sur le mur blanc. Couverte de petites bosselettes l'aine gauche me démangeait encore, mais je me suis rendormi, rassuré. Le lendemain il était 7h37. Plus besoin d'allumer, il faisait jour et mon coude me grattait terriblement. Je suis allé chercher la tapette à mouches que Christiane avait eu la délicatesse de glisser dans le tiroir de la commode. La veille au soir j'avais raté le culicidae posé sur le clavier de mon ordi. Après ce second crime je me suis demandé si je ne devrais pas acquérir cette arme diabolique qui rallonge mon bras pour surprendre l'animal. Il m'est impossible de dormir en sa présence. Le bzzz qui résonne près de mon oreille provoque en moi une danse de Saint-Gui que seule l'approche du meurtre peut calmer. Si je finis par comprendre que ma respiration asthmatéiforme vrombit comme les ailes de la femelle en pleine parade nuptiale, il n'empêche que mon dioxyde de carbone l'attire redoutablement vers mon AB+. Me concentrant sur les surfaces claires je scrute la moindre tâche noire. Le calme succède à la tempête. La victoire me permettra de me rendormir. Je déteste tuer des bêtes, mais les moustiques qui me tournent autour sont incompatibles avec ma propre existence. Je tente toujours de les éloigner avec un répulsif, mais ils reviennent à la charge lorsque je baisse ma garde. Il paraît que les femelles sont particulièrement sensibles à la chair dont le propriétaire a consommé du fromage ou de la bière !


Michel m'en avait offert un verre après la Parade qui clôturait cette semaine de représentations au Théâtre antique d'Arles et dont il a dessiné l'affiche. La pleine lune éclairait Le Syndicat du Chrome au milieu des ruines. L'hommage à Lucien Clergue avait été particulièrement émouvant. Le souvenir de Bernard refaisait surface brusquement ; déjà un an. Le succès des Nuits des Rencontres de cette année gomme la fatigue qui m'assaille. J'avais choisi pas mal des musiques qui accompagnent les projections, avais traité quantité de fichiers imparfaits, choisi les musiciens qui interviennent en direct, joué le porte-paroles des intermittents et sonorisé l'exposition sur les monuments aux morts... Combien de fois ai-je arpenté les mêmes rues, dévoré les expos, cherché un resto correct, corrigé mes articles avant ou après parution ?


Le dernier son enregistré dans ma chambre d'hôte fut le premier diffusé, il accompagnait la photo de groupe de l'équipe des Rencontres. Reconnaîtrez-vous ces zombies dirigés par Joan Fontcuberta ? Le glissando de cordes menaçant se termine par un coup réverbéré tandis que la prise de vue sort du noir. Suit la sélection des meilleurs moments des douze années de la direction de François Hébel montrant la diversité des spectacles mis en forme par Coïncidence. L'humour y rivalise avec la passion. Sam Stourdzé, nouveau directeur dès la prochaine édition, imprimera à son tour sa marque sur les Rencontres qui nous réserveront d'autres surprises. Quant à moi je n'aspire aujourd'hui qu'à me reposer, si les moustiques me fichent la paix !

mercredi 9 juillet 2014

Intermittents d'Arles


Ils le traquèrent avec des gobelets ils le traquèrent avec soin
Ils le poursuivirent avec des fourches et de l'espoir
Ils menacèrent sa vie avec une action de chemin de fer
Ils le charmèrent avec des sourires et du savon
(Lewis Carroll, La chasse au Snark)

Charles a dessiné le tampon des intermittents il y a déjà quelques années lorsqu'il se battait à Marseille. Les techniciens d'Arles l'ont adopté cette année tandis que la révolte gronde contre le gouvernement qui n'a évidemment pas tenu ses promesses, signant un protocole honteux avec le Medef, et qu'il n'est pas prêt du tout à reconsidérer à la rentrée, ne nous laissons pas abuser. En ne bloquant pas le festival qu'ils soutiennent par leur travail et leur passion, les intermittents savent qu'ils amenuisent leur force dans les négociations à venir, mais la grève n'est pas la seule arme dont ils disposent. Tout reste à inventer. Dans un premier temps, chaîne humaine, vidage de la fontaine Place de la République avec des gobelets, textes projetés en ouverture des Soirées et d'autres interventions ont été préférés ici plutôt que le blocage qui divise les travailleurs et rend impopulaire le mouvement de protestation. Nous avons fondamentalement besoin d'expliquer notre lutte. D'autant que débrayer une journée par ci par là ne touche pas le porte-feuilles des commerçants qui pourraient faire levier sur le gouvernement et le patronat si leurs réactions n'étaient pas si poujadistes et s'ils comprenaient qu'ils seront les prochains touchés. La solidarité interprofessionnelle est plus que jamais indispensable. Nous faisons donc la queue aux ateliers pour faire customiser nos T-Shirts des Rencontres de la Photographie, dont les images officielles ont été dessinées comme chaque année par Michel Bouvet, cette fois un élan violet à bois roses, mais avec en plus la tête de mort à nez rouge imprimée à l'acrylique sur son dos noir. La lutte continue, elle sera longue et difficile, mais la vie d'un artiste ou d'un technicien du spectacle est la lutte de toute une vie, comme celle des photographes dont le statut, hormis quelques rares stars privilégiées, est aussi précaire, sans soutien de nulle part. Les intermittents se battent aussi pour eux.


P.S. : Bonus de la matinée, le reportage de Laurence Peuron auquel je participe d'une part en portant la parole des intermittents d'Arles comme je l'avais fait à leur demande lors de l'inauguration, d'autre part en fond sonore de l'interview de Raymond Depardon aux Prêcheurs, sonnerie aux morts et cloche, hautement symboliques déplacées de leur contexte de 14-18 et propulsées dans la lutte sociale de 2014 !


Et comme cela se passe partout et que cela se prolongera au-delà de l'été, ci-dessus une magnifique intervention des acteurs samedi soir, à Avignon, au Palais des Papes, avant la représentation du prince de Hombourg (la veille la 1° avait été annulée)...

jeudi 30 janvier 2014

La fête du graphisme


La Fête du Graphisme porte bien son nom. Sur les cimaises, planches de tripli à plat ou longs fils tendus ponctués de pinces à dessin, explosent les couleurs de 500 affiches du monde entier. L'exposition aux Docks / Cité de la Mode et du Design est le clou des évènements qui se déroulent un peu partout dans Paris jusqu'au 18 février, mais attention celle au truc vert, la chaussette fluo le long de la Seine près de la Gare d'Austerlitz, se termine déjà le 2 février. Le Journal Libération avait salué vendredi l'initiative de Michel Bouvet, Stéphane Tanguy et Pierre Grand en confiant chaque page à un graphiste différent pour décliner son logo comme il leur chante. Quarante affichistes célèbrent Paris sur les Champs Élysées, le MK2 Bibliothèque projette ce soir jeudi La Nuit du Générique, la BNF accumule conférences et rencontres, et les Éditions Textuel publient un somptueux catalogue qui va me permettre de m'y retrouver après ce que j'ai pris dans les mirettes !


Aux Docks Paris invite le monde, 104 affichistes de 42 pays présentent chacun 3 œuvres pour la plupart jamais vues en France, des renommées internationales côtoient de jeunes découvertes ; le Tour de France des jeunes designers graphiques se soldera samedi à La Gaîté Lyrique ; les Gig Posters américains ont beau être contemporains leur psychédélisme se décline en 150 affiches underground dignes des grandes heures de la Côte Ouest ; un film rend hommage aux douze ans d'existence de la Galerie Anatome... Parmi tout ce que j'ai pu admirer à m'en faire tourner la tête j'avoue un petit faible pour l'école polonaise dont les facéties provocantes font toujours sens. Mais chacun apporte son parpaing à l'édifice...


La Fête du Graphisme n'est pas seulement une exposition de savoir faire, d'imagination sans limites, d'inspirations les plus diverses, esthétiques, politiques, fonctionnelles, c'est aussi l'affirmation d'une nécessité. Le design graphique revendique d'investir tous les champs croisés au quotidien, pas seulement en s'affichant, mais en imprimant ses marques sur les objets, les enseignes, les journaux, les emballages, les habillages audiovisuels, Internet, etc. S'il s'agit d'une affaire de spécialistes, ceux-ci sont directement reliés au grand public par le biais de leurs partenaires et commanditaires. Ce ne sont pas que des artistes, les graphistes travaillent en accord avec les imprimeurs, les fabricants de papier et d'autres supports, les webdesigners... Le discours que je tiens sur le design sonore est le même pour celui du graphisme. Yeux ou oreilles, bientôt nez et toucher, partout où les sens sont sollicités, le designer est indispensable pour inventer le monde de demain. Là où tout n'est que grisaille il faut réinjecter de la couleur, là où le bruit règne il faut l'organiser pour le rendre intelligent et sensuel, là où la ville engendre le désordre il faut se l'approprier ! Laissons-nous envahir par leurs propositions plutôt que par leur absence. Rien de mieux alors que de faire confiance à ces rêveurs qui ont les pieds sur terre...

vendredi 5 juillet 2013

Musique pour autocars


J'ai réalisé une création musicale pour le voyage d'Arles vers Salin-de-Giraud plutôt excitante. S'y tient pour la première fois ce soir la Nuit de l'Année, une quinzaine d'écrans disséminés dans le village situé à quarante kilomètres du centre d'Arles. J'ai donc enregistré un programme de cinquante-deux minutes composé de pièces originales et d'ambiances provençales, soit un bestiaire figurant, entre autres, flamands roses, manade de taureaux et chevaux, grillons, oiseaux de nuit et le terrible moustique arlésien qui attaque au crépuscule pour peu que l'on ait oublié de s'enduire d'un produit monstrueusement toxique (Insect Écran pour zones infestées est l'un des rares efficaces) ! La musique se devait d'être sobre : marimba, Array mbira, Cristal Baschet, Glassarmonica, cloches de verre jouées à l'archet, piano préparé, sans oublier les guitares en clin d'œil aux gitans de Camargue. Ayant composé ce dynamique nocturne en imaginant que les sons du CD se mêleront au moteur du car et aux conversations des passagers, j'ai favorisé les animaux dans le mixage, moins faciles à identifier que la musique au milieu du bruit ambiant. Quelques surprises sont venues s'y glisser, mais je ne les dévoilerai évidemment pas avant ce soir ! L'ensemble constitue une création radiophonique qui rappellera à beaucoup dans son concept la Music for Airports de Brian Eno en 1978, mais qui fait également référence à mon projet Création par les sons d'espaces imaginaires créé la même année et sous-titré "une métamorphose critique d'un espace livré à l'illusion"... Les douze cars feront la navette jusque tard dans la nuit, mais la partition ne sera jouée qu'à l'aller.

N.B.: comme chaque année l'identité graphique des Rencontres est dûe à Michel Bouvet, cette fois un cygne blanc pour le thème Arles in Black. Coïncidence amusante, Michel et moi avons découvert il y a seulement deux ans que nous étions cousins, nos grands-pères maternels, Gérald et Roland, étant frères ! Nous nous sommes trouvés ensuite plus d'un point commun, d'autant qu'il n'y eut pas tant d'artistes dans la famille... Merci à Tata Arlette, plasticienne toujours en activité à 88 ans, d'avoir fait le joint !

mercredi 11 juillet 2012

Les Soirées des Rencontres de la Photographie sur ARTE Creative


ARTE Creative met en ligne les Soirées des Rencontres de la Photographie qui se sont déroulées au Théâtre Antique d'Arles la semaine dernière, du 3 au 7 juillet 2012, sous la voûte étoilée.
Commençons par Elliott Erwitt accompagné par la percussionniste Linda Edsjö. Pour quelques passages Antonin-Tri Hoang à la clarinette et moi-même à la flûte, aux guimbardes et à la trompette, les rejoignons. Arte a découpé la prestation d'Erwitt en deux parties.


Directeur musical, j'ai choisi les musiciens et musiciennes qui sont intervenus en direct, y participant parfois, composé une petite pièce symphonique pour le Prix Pictet, enregistré mon doigt sur une vitre pour l'animation que Grégory Pignot a réalisé du jingle des Rencontres d'après l'affiche de Michel Bouvet, illustré musicalement quelques autres sujets. Aujourd'hui vous pouvez ainsi voir ou revoir Magnum Première découpé en quatre parties et accompagné par la pianiste Ève Risser, les quatre leçons de photographie de Christian Milovanoff et l'American Puzzle de Jean-Christophe Béchet.


Vous retrouverez Elliott Erwitt, la Première fois des vingt photographes Magnum (1 2 3 4), les passionnantes leçons de Christian Milovanoff (On dit que les filles de Syracuse sont belles, On se souvient, Un beau souci, Des mots pour elle), la traversée américaine de Jean-Christophe Bechet, etc.
Les réalisations sont de Coïncidence (Olivier Koechlin, François Girard, Valéry Faidherbe).

samedi 7 juillet 2012

La nuit de l'année


Nous nous promenons le long du Rhône. Quinze écrans ponctuent la balade. Il y a un monde fou. C'est la plus populaire des nuits. Certains lieux impriment leur magie à l'installation éphémère : une cour d'école, le quai de Trinquetaille, une projection sauvage sur un pilier... Les étoiles qui entourent l'animal totem de cette nouvelle édition des Rencontres d'Arles réfléchissent celles qui tombent du ciel comme une humidité étincelante. Certains pensent que c'est un loup ; son créateur, l'affichiste Michel Bouvet, dit "le renard" ; probablement un renard bleu ; nous préférons y voir une louve, comme si son lait nous permettrait un jour de fonder la ville de nos rêves. Rien ne se construit seul. Aussi n'aurai-je de cesse de chercher mon frère jumeau ou ma sœur jumelle dans les rues, dans les maisons, dans les livres, sur les écrans... Comment reconnaître ces amis ? Un mot, un regard, ce que nous partageons, des idées, l'humour, l'engagement, les songes... La vie, résumera-t-on, à condition d'y entendre tout ce qui pousse et non ce qui l'étouffe. Assez de bitume, assez de couvercle, de non-dit, d'infos analgésiques, assez de répétitions, assez de certitudes, assez de rien !
Les images projetées en plein air vomissent trop de souvenirs, pas assez de visions. On pensait s'être débarrassé de l'ancien président, il encombre les écrans. Et le nouveau n'inspire que platitude aux photographes. Leur regard politique réfléchit trop souvent le formatage de la société du spectacle. À se croire objectif le boîtier n'enregistre que des clichés. Le discours est démobilisé, il ressert les mêmes plats qu'à la télé. Il y a pourtant de belles photos. Les expositions fleurissent. On y fait son petit marché. On marche beaucoup.


Nous sommes séduits par les flous du Russe Igor Posner présenté par Prospekt. La Nuit de l'Année est confiée aux agences photos, orchestrée par Claudine Maugendre et Aurélien Valette. Si, comme le prétendait Orson Welles, il suffit d'enlever un paramètre à la réalité pour entrevoir la poésie, les flous de Posner joue du circonlocutoire, tournoyant autour d'un centre sans jamais le toucher. L'héliocentrisme des flashs, des lampes ou du jour ne suffit pas. Toute œuvre est une morale, écrivait Jean Cocteau. Le travelling est affaire de morale, surenchérissait Jean-Luc Godard. Parfois elle se révèle, parfois son absence se fait criante, quelle horreur ! Ce sont encore des mots de Cocteau, des Parents terribles d'abord, mais surtout au moment où le poète se fait transpercer par une lance dans Le testament d'Orphée. Et Godard de reprendre encore une fois l'extrait dans ses indispensables Histoire(s) du cinéma. Oui, certains s'amusent sans arrière-pensée (toujours Cocteau) ! Alors on attend avec impatience la quatrième et dernière leçon de photographie de Christian Milovanoff ce soir au Théâtre antique, intitulée Des mots pour elle.
Il faut beaucoup regarder, ailleurs écouter, pour trouver son bonheur. Il existe. C'est le vecteur qui nous entraîne et nous pousse. Il n'est jamais fini. C'est même cela, la beauté de l'infini.

mercredi 6 juillet 2011

Champ-contrechamp


Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette. L'animal totem dessiné par Michel Bouvet qui campe Place de l'Archevêché n'est qu'un prétexte à un champ-contrechamp avec la pianiste Ève Risser. Les Rencontres d'Arles de la Photographie et Gares & Connexions organisent un concours photo de quatre zébus paissant dans les gares de Paris Gare de Lyon, Marseille Saint-Charles, Avignon TGV ou Arles. Intervenants des Soirées, nous n'aurions probablement pas le droit d'y participer si l'idée nous en était venue. Ève Risser et la percussionniste Yuko Oshima, autrement connues sous le nom de Donkey Monkey, accompagneront ce soir au Théâtre Antique le Mano a mano entre les agences VII et Tendance Floue, et j'assure la direction musicale des Soirées qui courent jusqu'à samedi. Duel pour duel, tous se plient à l'exercice, comme le son redessine les images projetées sur l'écran de 9 sur 9 mètres tendu sous les étoiles.


Le champ-contrechamp est plus affaire de cinéaste que de photographe. Dialogue, il ne dévoile pas pour autant le hors-champ que seul le son pourra évoquer sans le montrer. Le contrechamp de la photographie est un homme ou une femme qui appuie sur le déclic. On les reconnaît dans les rues d'Arles comme s'il portait leur appareil autour du cou. C'est pourtant à leur regard qu'ils se démasquent. Une lumière les éclaire de l'intérieur, aiguilles pétillantes d'une noblesse de terrain revendiquée. Le vêtement souvent ample et confortable est l'uniforme de cette profession solitaire. Au centre des pupilles les iris s'arborent comme des décorations. Il faut que ça brille.


Déjà directeur musical des Soirées de 2002 à 2005 j'appréciais le graphiste Michel Bouvet, responsable de toutes les affiches des Rencontres, ignorant qu'il était mon cousin. Nos mères sont cousines germaines. La sienne, Maryse, agrégé de français-latin-grec, m'avait pistonné pour rentrer au Lycée Claude Bernard alors que j'habitais Boulogne-Billancourt. Son grand-père, inspecteur général, le frère du mien, avait contrôlé mon propre prof de français lorsque j'étais en 4ème. Jubilation du gamin. Michel, plus jeune que moi de trois ans, se rappelle de mon prénom et connaît mon travail sans n'avoir jamais fait non plus le rapprochement. Je tiens de ma tante Arlette Martin cette révélation et de mon cousin Serge un arbre généalogique où trouver nos marques. Seuls rebelles de notre génération, les parcours de Michel et moi se ressemblent étonnamment. Nous rions de François Hébel, patron des Rencontres (la nôtre est de taille) et autre ancien de Claude B., qui se voit cerner par la famille !