70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 14 mai 2024

Kangoo, c'est fini !


Kangoo, c'est fini ! Du moins pour moi. Après 14 ans de bons et loyaux services, je donne ma voiture à ma fille qui en a plus besoin que moi et je n'en rachète pas. Lorsque j'aurai besoin d'une automobile j'en louerai une, mais cela n'avait plus de sens d'en garder une à Paris, surtout qu'elle fonctionne au diésel. Le concessionnaire me l'avait vendue comme une voiture bio, les décalcomanies d'origine en attestent. Si l'on compare ce que coûtent l'achat, l'assurance, l'entretien, les contrôles techniques, le carburant et les contraventions avec le luxe de prendre quelques VTC en plus du vélo électrique et des transports en commun, il n'y a photo que celle que je prends là, à Nantes, avant de m'en séparer. Dès que j'ai obtenu mon permis de conduire en juillet 1971 j'ai roulé et j'aimais cela. Ce n'est plus le cas. Ma mère avait acheté une Daf automatique dont elle ne se servait pas. Elle avait repris des leçons de conduite, mais elle était si myope que cela la terrorisait de se mettre au volant. J'en ai donc bénéficié dès le premier jour. J'ai longtemps eu une 4L, puis mon père me donna sa vieille Simca Chrysler avant que j'acquière une Espace qui m'a duré vingt-cinq ans. À la fin, l'hiver, comme il n'y avait plus de chauffage, on se mettait une couverture sur les genoux comme du temps des premières automobiles. J'ai fini par acheter une Kangoo pour transporter les lapins de Nabaz'mob, trois cantines leur servant de clapiers. Et puis c'était bien pour les longs séjours dans les résidences secondaires de mes compagnes. Je n'ai jamais eu de maison de campagne, je n'aurai plus d'auto.


Pourtant "ça c'est de la bagnole !" La Kangoo ne servait plus qu'à déménager les copains qui me l'empruntaient régulièrement. Dans le quartier, mes voisins ont abandonné la leur les uns après les autres. Je conserve le garage qui permettra à mes hôtes de se garer sans problème lors de leurs visites. Je redeviens un piéton, période lointaine puisqu'à quatorze ans j'avais eu en cadeau une mobylette grise avec laquelle j'allais au lycée. Avant cela, je courais. J'ai toujours couru pour aller à l'école et en revenir. Je ne suis jamais arrivé en retard à un cours et je n'ai jamais séché, du moins jusqu'en mai 68. Je me demande donc ce que je vais devenir...

lundi 13 mai 2024

Pierrick Sorin fait bonne(s) figure(s)


C'est la troisième fois que j'évoque Pierrick Sorin dans ces lignes. Il réfléchit mon goût pour les machines depuis que j'étais petit, à fabriquer des trucs bizarres avec du Meccano ou empiler tout et n'importe quoi, à retourner mes jouets pour en faire autre chose que ce à quoi ils étaient destinés, mes déguisements que mon père appelait chienlit, la prestidigitation qui m'occupa plus tard de longues heures devant le miroir du salon et mon amour du cinéma qui devint l'un de mes métiers. Le premier article s'insérait dans le cadre de l'exposition Des jouets et des hommes au Grand Palais en 2011. Le second est plus récent lors d'un merveilleux concert avec Pierre Bastien intitulé Machins machines au Louvre. De passage à Nantes je ne pouvais rater Faire bonne(s) figure(s) au Musée d'Arts. Cette nouvelle exposition présente une vingtaine d'œuvres, anciennes et nouvelles. Je chausse donc mes yeux d'enfant, d'autant que je suis accompagné de mon petit-fils qui a six ans, pour admirer ses théâtres optiques, ses vidéos aussi humoristiques que critiques, ses installations lumineuses et sonores...


Dès l'entrée nous sommes accueillis par sa nouvelle installation de laveur de carreaux, trois grands écrans derrière lesquels on peut passer, car Pierrick Sorin dévoile souvent les effets spéciaux qu'il utilise, ou du moins il en révèle une partie, car pour la plupart des visiteurs il est probablement difficile de comprendre les animations en surimpression sur décor fixe réalisées par un jeu de reflets sur une plaque de verre inclinée, et c'est tant mieux. La magie opère d'autant qu'elle reste mystérieuse. Mais Pierrick Sorin s'en fiche comme il se moque de lui-même pour renvoyer l'image de nos habitudes au parfum délicatement régressif. Ces effets sont pourtant simples. Il y a du Gondry dans ces mises en scène dont il est l'unique héros, maquillé, déguisé, démultiplié, un mélange de Méliès, Tati et Satie.


Eliott s'émerveille devant les dioramas qu'occupent ses théâtres optiques, le relief d'une lune révélé par des lunettes polaroïd ou le cylindre dans lequel Pierrick Sorin semble dialoguer intimement avec chaque visiteur.


Lorsque dans la Chapelle de l'Oratoire, trouvée après avoir erré dans un labyrinthe de couloirs, il croise par hasard l'artiste, l'effet est saisissant. Pierrick se souvient de mon dernier article. Je lui parle du premier concert de Pierre Bastien où il utilisa une machine musicale construite avec des pièces de Meccano et lui rappelle cette phrase fabuleuse d'une femme assise derrière Cocteau à la première de Parade qu'il avait signé avec Satie et Picasso : "si j'avais su que c'était si bête j'aurais emmené les enfants !". L'installation immersive du Balai mécanique, hommage au Ballet mécanique de Fernand Léger, permet d'apprécier comment les éléments, personnages filmés et lumières colorées, machines musicales et lumineuses, objets et projections, se combinent, chacun faisant œuvre comme le tout. La visite de cette grande rétrospective est indispensable à quiconque a gardé son âme d'enfant. Que les autres aillent mourir !

→ Pierrick Sorin, exposition Faire bonne(s) figure(s), Musée d'Arts de Nantes, jusqu'au 1er septembre 2024

vendredi 10 mai 2024

De Nantes à Copenhague


Je ne suis pas à Copenhague, mais près de Nantes. Après avoir traversé la Loire, qui coule en bas de la maison, grâce au bac qui s'appelle Lola, nous grimpons dans les bois. Lola, celle qui dit v'le l'bateau, v'la l'samedi, v'la des matelots... J'ai terminé l'excellent numéro spécial Jacques Demy édité par Les Cahiers du Cinéma sous la direction de Thierry Jousse, j'y reviendrai certainement... J'admire les fleurs des champs qui sont de toutes les couleurs. Mais pour l'instant, je republie cet article du 16 juillet 2012 qui fait suite à deux autres publiés récemment. La mémoire se travaille comme les autres temps. Il s'agit aussi de réactualiser les liens hypertexte que seuls ce blog original et son miroir sur Mediapart autorisent.

La nuit tombe sur Nørrebrogade comme une toile peinte derrière un décor de carton-pâte. Nous sortons d'un étonnant spectacle de la troupe We Go. Le titre de sa nouvelle création est explicite : Music From Movement. La musique découle directement des gestes des danseurs qui s'y collent tandis que les musiciens bougent comme des fous. La fusion diabolique apporte un humour ravageur aux mondes du concert rock et du ballet qui en prennent pour leur grade. Les rythmes mécaniques et les facéties acrobatiques rappellent un peu la première période de Frank Zappa. L'excitation et le plaisir des interprètes sont communicatifs.


La compagnie We Go, fondée à Copenhague en 2004 par le compositeur Niels Bjerg et la chorégraphe Kirstine Kyhl Andersen, est composée d'une dizaine de protagonistes d'un peu partout en Europe. Une aubaine pour les organisateurs de spectacles désirant renouveler leur programmation ! La photographie des haricots sauteurs est d'Anna van Kooij. J'évite de prendre des photos si cela risque de gêner les acteurs ou les spectateurs. Sur scène ils sont sept en justaucorps rouge avec autant de guitares, plus percussion et petits instruments électroniques portables.


Nous passons toute la journée du lendemain à Louisiana, magnifique musée d'art moderne et contemporain situé à trente minutes au nord de Copenhague. Dans un théâtre de verdure, plusieurs bâtiments à l'architecture astucieuse abritent une collection d'œuvres remarquablement choisies. On entre, on sort, on s'y perd et s'y retrouve. Le panorama offre une vue imprenable sur la mer baltique et la Suède. Les plus grands sculpteurs sont exposés au milieu de la nature, entourés d'oiseaux.
Pink Caviar présente les acquisitions 2009-2011, mais c'est Five Car Stud qui me fait la plus grosse impression. Je suis un fan d'Edward Kienholz depuis 1970, mais cette œuvre déterminante est légèrement postérieure à la rétrospective du CNAC rue Berryer qui me marqua alors si fort. Cet artiste dont il est difficile de voir les œuvres et même de trouver des livres qui lui sont consacrés est pourtant une clef pour comprendre les années 60. J'écrirai probablement bientôt un article sur cette installation montrant un groupe de blancs lynchant un noir éclairés par les phares de cinq voitures, le castrant devant un jeune garçon et une femme restés à l'écart. Le public traînant ses chaussures dans le sable fait figure de témoin passif devant la scène abominable. J'en fais des cauchemars la nuit suivante.

jeudi 9 mai 2024

Le pet de Toulouse-Lautrec


Henri avait vingt ans. Son autoportrait de dos ressemble plutôt à un Norman Rockwell qui naîtra trente ans plus tard. Un instantané sur la toile, le temps de le peindre est plus long. Les impertinences de Toulouse-Lautrec sont légion, mais le peintre réussit tout de même à rendre son tableau olfactif. Il me rappelle aussi les deux cartes à gratter en Odorama de John Waters pour son film Polyester. J'ai dans ma bibliothèque un ouvrage complet sur Joseph Pujol, dit Le pétomane ! L'humour potache me fait rire parfois. C'est particulièrement savoureux lorsqu'il émane d'une célébrité. L'œuvre est l'un des clous de la collection Cligman au Musée d'Art Moderne de Fontevraud.


Et le jeune Henri d'enfoncer le clou du nuage en inscrivant une petite phrase sur la toile blanche. Comment assumer d'être le rejeton du comte Alphonse Charles de Toulouse-Lautrec-Monfa et d'Adèle Zoë Tapié de Céleyran, cousins au second degré ?! Cette consanguinité serait à l'origine de sa pycnodysostose, une maladie génétique des os qui l'empêche de grandir (à moins que ce soit une ostéogenèse imparfaite, allez savoir). Le fiston aime provoquer son monde. Il zézaye dans les salons, se fait photographier nu sur la plage de Trouville-sur-Mer, en enfant de chœur barbu, avec le boa de Jane Avril ou louchant en habit japonais. Il sombrera dans l'alcoolisme, ce qui n'arrange pas sa condition de syphilitique. Tout cela n'empêche pas son génie artistique de se développer, bien au contraire. Il meurt hélas à 36 ans.

mercredi 8 mai 2024

Retour au Château d'Oiron


Comment se fait-ce qu'il y ait si peu de visiteurs au Château d'Oiron dans les Deux-Sèvres ? J'avais découvert ce lieu incroyable l'année de la grande sécheresse. Cet été 1989 le trio Pied de Poule y donnait un concert dans l'une des salles. La plupart des œuvres contemporaines ne furent pourtant installées que quatre ans plus tard sous la direction artistique de Jean-Hubert Martin qui avait révolutionné l'histoire de la muséographie avec l'exposition des Magiciens de la Terre, conjointement au Centre Pompidou et à la Grande Halle de La Villette. En 2016 j'aurai la chance de composer la musique et les paysages sonores des 26 salles de ses Carambolages au Grand Palais ! Mais revenons à Oiron, lieu magique s'il en est. La rencontre merveilleuse de ce château construit à la fin du XVe siècle et d'œuvres contemporaines pérennes, créées spécialement pour s'intégrer au décor époustouflant conçu par la famille Gouffier, sidère par son potentiel à faire rêver. Cette collection Curios & Mirabilia renoue avec l’esprit de curiosité de la Renaissance en s’appuyant sur l’idée des anciennes collections qu’étaient les cabinets de curiosité. Artus Gouffier, le fils de Guillaume qui avait reçu la terre d'Oiron du roi Charles VII, avait été gouverneur de François 1er. Si la devise de leur famille était Hic Terminus Haeret (ici s'arrête le temps), ici justement il ne s'arrête jamais, tel un mille-feuilles quantique où les époques se télescopent. Ma salle préférée est la salle d'armes où Daniel Spoerri raille la puissance militaire du décor disparu au XVIIe siècle en accrochant une dizaine de personnages carapaçonnés dignes du Père Ubu sous le plafond orné de cartouches en papier mâché dorés et peints avec des scènes mythologiques tirées des gravures de Goltzius évoquant les Métamorphoses d'Ovide.


Si vous avez raté Les magiciens de la Terre, le Théâtre du monde à la Maison Rouge, Carambolages ou les autres expositions imaginées par Jean-Hubert Martin, il faut absolument vous rendre à Oiron, à 30 kilomètres au sud de l'Abbaye de Fontevraud. Comme il est écrit dans les guides cela "vaut le voyage". Le vestibule accueille Les écoliers d'Oiron photographiés par Boltanski. Le Salon vert ou salon du soleil abrite 365 brûlures de Charles Ross. La chambre des Mouches musicales est glauque à souhait avec le Concerto pour mouches d'Ilya Kabakov sur une musique de Vladimir Tarasov. Les monstres de Thomas Grünfeld me font penser à ceux de Yórgos Lánthimos dans son dernier film Pauvres Créatures (Poor Things). Dans le couloir des illusions un miroir au sol renvoie les anamorphoses de Felice Varini. Nous y avons passé trois heures tant il y a de salles et d'œuvres. Fontcuberta, Annette Messager, Gavin Bryars, Raoul Marek, Fischli et Weiss, Penone, Anne et Patrick Poirier, Marina Abramovic, Braco Dimitrijevic, Markus Raetz, Piotr Kowalski, Tony Grand et bien d'autres s'y sont donnés à cœur joie. Je livre leurs noms dans le désordre car le plaisir de la visite vient du fait que l'on peut s'y perdre comme dans un labyrinthe, un palais des glaces de fête foraine, sans parler du parc que l'on aperçoit des fenêtres et où l'on peut prendre l'air après tant d'émotions.


Dans la Tour des Ondes les deux demi-sphères de Tom Shannon, Decentre-Acentre, lévitent en apesanteur. C'est le principe des cabinets de curiosité d'associer le plaisir esthétique avec les prouesses scientifiques. J'ai un peu de mal à décrire cette extraordinaire visite tant les surprises s'amoncellent. Heureusement je possède à Paris le somptueux catalogue, aujourd'hui épuisé, dans lequel je vais me replonger à notre retour de Nantes.

mardi 7 mai 2024

Repos bien mérité !


"Repos bien mérité !" se serait écriée Aliénor d'Acquitaine, depuis huit-cent-vingt-ans allongée à côté de son mari Henri II Pantagenêt et de son fils Richard Cœur de Lion dans l'église abbatiale de Fontevraud. Elle avait d'abord été mariée quinze ans à Louis VII, dit le jeune, avant d'épouser celui qui la tiendrait quinze autres années en captivité avant d'être délivrée par son fils chéri pour qui elle réunit la rançon lorsque celui-ci fut capturé par le duc Léopold V de Babenberg et livré à l'empereur Henri VI. Depuis la légende de Robin des Bois on se souvient que son jeune frère Jean-sans-Terre lui avait piqué sa place en son absence. En fait l'exclamation n'est évidemment pas d'Aléonor, mais de ma pomme, heureux de m'être échappé sans peine de la capitale. Comprendre comment on passe de reine de France à reine d'Angleterre demande à ce qu'on se penche sérieusement sur cette histoire. C'est elle qui a voulu que son gisant polychrome lise un bouquin. Sous la voûte somptueuse de l'abbaye de Notre-Dame de Fontevraud, se trouvent à côté d'elle Henri II, Richard et Isabelle d'Acquitaine, la femme de Jean-sans-Terre, allez-y y comprendre quelque chose, d'autant que les historiens s'écharpent pour savoir si elle était ou non infidèle, mécène, etcétéra. En tout cas ce fut une forte femme qui mourut à 82 ans, pas mal pour l'époque...


La visite de l'abbaye royale est extraordinaire, d'une richesse incroyable, tant pour l'architecture que pour les us et coutumes des moniales, sans compter sa transformation en prison par Napoléon, ce qui a certainement préservé l'état de l'ensemble, puisqu'elle ne ferma qu'en 1963. Jean Genet, rien à voir avec les Plantagenêt, interné trois ans dans la Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray lorsqu'il était très jeune, écrivit dans Miracle de la rose : « De toutes les centrales de France, Fontevrault est la plus troublante. C’est elle qui m’a donné la plus forte impression de détresse et de désolation, et je sais que les détenus qui ont connu d’autres prisons ont éprouvé, à l’entendre nommer même, une émotion, une souffrance, comparables aux miennes. » En visitant l'église, le cloître et la cour Saint-Benoît, le dortoir et le réfectoire, j'ai trouvé remarquable l'appareillage pédagogique des grands écrans disséminés un peu partout avec des petits films offrant des réponses claires à toutes les questions que nous nous posons. Idem en ce qui concerne la galerie pénitentiaire et la cour de l'écrou à l'incroyable dôme en écailles.


Ce fut jadis la plus grande communauté de moniales contemplatives d'Europe, pouvant accueillir jusqu'à 700 personnes. L'après-midi nous profitons du mauvais temps pour visiter le Musée d'Art Moderne qui abrite la collection personnelle de Martine et Léon Cligman. Je suis particulièrement séduit par les nombreuses sculptures de Germaine Richier dont ses personnages d'un jeu d'échec géant, celle d'un sumérien en prière ou un auto-portrait de dos du jeune Toulouse-Lautrec sur lequel je reviendrai un de ces jours. Comme chez Gulbenkian à Lisbonne, j'aime la confrontation des époques et des continents propres à ces collectionneurs privés du début du XXe siècle.


Nous avons la chance d'arpenter les lieux la nuit tombée. L'église abbatiale est totalement déserte. Au milieu se tient un personnage en céramique, sa propre tête entre ses mains, portrait d'un jeune homme en Saint Denis par Pascal Convert. Lorsque nous pénétrons dans le cloitre seuls s'y meuvent quelques fantômes, mais ce sont les nôtres dont nous apercevons les ombres de l'autre côté du jardin.

lundi 6 mai 2024

Le nouveau-né de Roberto Negro et de l'Intercontemporain


Dans la famille jazz et musiques improvisées le pianiste Roberto Negro m'apparaît comme l'un des musiciens pouvant un jour devenir compositeur à part entière. Rares sont les Heiner Goebbels ou John Zorn à avoir ressenti le besoin d'étendre leur champ d'investigation vers la contemporanéité, avec un goût prononcé pour la narration et l'architecture musicales. Comme par exemple pour le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, passé ses qualités d'instrumentiste et d'improvisateur, ses œuvres montrent un regard véritablement personnel sur le monde, une interrogation qui dépasse le temps pour déborder sur l'espace. Voilà maintenant des années que ses disques et concerts m'enthousiasment en me faisant découvrir chacun de ses projets comme un pas vers l'inconnu, avec le risque de déplaire ou de se planter, ce qui représente souvent le gage de l'excellence.
En découvrant Newborn, œuvre réalisée par Roberto Negro avec l'Ensemble Intercontemporain, je n'ai pu m'empêcher de penser à la surprise que causa Professor Bad Trip composée de 1998 à 2000 par Fausto Romitelli pour une dizaine d'instrumentistes et électronique. L'instrumentation est proche, le travail sur les timbres remarquable, les transformations électroniques difficiles à déceler parmi les instruments acoustiques, l'œcuménisme musical évident pour aboutir à une pièce difficile à cerner tant elle recèle de surprises. Le trio que le pianiste-claviériste forme avec le délicat magicien des percussions Michele Rabbia et le contrebassiste inventif Nicolas Crosse s'est donc agrandi avec huit autres musiciens de l'Ensemble Intercontemporain ouverts à l'improvisation ou à partager une aventure fondamentalement expérimentale : Valéria Kafelnikov (harpe, harpe électrique), Emmanuelle Ophèle (flûte), Jérôme Comte (clarinette), Clément Saunier et Lucas Lipari-Mayer (trompette), Éric-Maria Couturier (violoncelle), Samuel Favre (percussions), Félix Roth sur l'album ou Baptiste Germser en concert (cor). Comme j'ai évoqué le souci de Roberto Negro de ne pas travailler seulement le son, ajoutons Caty Olive pour la lumière et la scénographie.


À la réécoute je crois reconnaître l'origine des sons cristallins joués au clavier et les effets de délai stéréophonique sur lesquels s'allonge une belle mélodie de cor. Aussi ronde, la flûte s'en mêle sur l'harmonie des cuivres. Le piano imite un arpégiateur erratique. Les percussions font rentrer tout le monde dans le rang avant qu'un free libertaire s'empare de l'ensemble jusqu'à gagner les archets frénétiques. Au tour de la harpe de calmer le jeu, après la tempête. Rappel du cor en point d'orgue. Pince-moi, c'est déjà la fin de la première des quatre parties. Cette modeste description culinaire suggère l'évidence narrative de la construction orchestrale. Miniature pour deux trompettes dans le haut du spectre. La suite sonne plus électroacoustique. J'imagine l'excitation joyeuse des musiciens à frotter, taper, souffler. On passe en douceur d'une météo à une autre. Flûte et électronique font bon ménage. Comme chez Romitelli, on a l'impression que le compositeur a absorbé l'univers, tous les sons du monde, sans se soucier des styles, pour les aimer ou les avoir aimés, quitte à les superposer, du gamelan aux fanfares méditerranéennes. Charles Ives est de la fête. Si le piano est préparé c'est à l'orchestre, comme des tentacules résonnantes. Enfin, Roberto Negro aime mettre des guillemets aux glissements progressifs du plaisir.

→ Roberto Negro & Ensemble Intercontemporain, Newborn, CD Parco della Musica
→ création à Paris le 26 septembre à l'Ermitage

dimanche 5 mai 2024

Tours


vendredi 3 mai 2024

La théorie des contraintes


The Theory Of Contraints est le nouveau CD du trio TOC dont les initiales reprenaient jusqu'ici la première lettre de leurs trois noms, Ternoy Orins Cruz. Dois-je être encore une fois étonné par l'efficacité de leur rigueur ? Lorsqu'ils jouent sur les mots pour évoquer leur passion compulsive, ils se trouvent joyeusement pris au piège du processus qu'ils se sont fixés pour improviser. Ce nouvel album prouve que leur méthode fonctionne à merveille, et ce depuis quinze ans. Toc n'est pas tic. Je suis presque embêté de trouver chaque fois leur disque drôlement bien. Il faut que je garde de la place pour les autres. Dans mon propos de veille, j'enfile masque et tuba en quête de gros poissons, ou des petits mais alors très colorés, rares surtout. C'est un disque calme, posé, reposant, il flotte tout seul. Je plonge de temps en temps pour regarder ce qu'on voit par dessous. Ce sont les peaux graves ou les petits bouts de bois de Peter Orins, les cordes de la gratte d'Ivann Cruz, les touches feutrées du piano de Jérémie Ternoy, rien d'autre. Un disque acoustique. Faisant jongler les étiquettes, ils avaient revendiqué le post-rock, le jazz-core, le free hypnotic pop punk. Certains écriraient qu'ils émergent là où on ne les attend pas. Simplement inclassables. Leur presque rien qui fait tout swingue tendrement. Je comprends soudain que c'est une plongée de nuit. Les bestioles se rendent à peine compte qu'on les écoute avec les yeux. Ils fournissent les lampes torches. Je me laisse flotter entre deux eaux en faisant bien attention de ne pas remonter sans y penser. Amniotique.

→ Ternoy Cruz Orins, The Theory Of Contraints, CD Circum-Disc, dist. Les Allumés du Jazz / Bandcamp / Atypeek, sortie le 31 mai 2024

jeudi 2 mai 2024

Eustache définitif


J'ai beaucoup de mal à évoquer les coffrets édités par Carlotta, car je me vois mal le faire avant d'avoir tout regardé. Or cela prend évidemment un temps considérable tant ils sont remplis à craquer. Craquer, il y a de quoi, lorsqu'il s'agit de l'intégrale de Jean Eustache dont le chef d'œuvre, La maman et la putain, était resté longtemps inaccessible. Alors plutôt que les fictions et documentaires que j'aurai tout le temps de revoir dans leurs versions somptueusement restaurées, j'ai dévoré les innombrables bonus que recèle le coffret, en 6 Blu-Ray ou 7 DVD, plus un livre de 160 pages bourré d'entretiens, d'articles, d'analyses et de projets. On rentrera dans l'intimité de ce cinéaste dont la sincérité fut jusqu'au boutiste, jusqu'à ce coup de pistolet dans le cœur qu'il se tira le 5 novembre 1981. J'étais trop jeune lorsque Jean-André Fieschi me le présenta. J'avais du mal à capter son regard, plus attiré par les bouteilles qui passaient à proximité. JAF apparaît dans La soirée, son premier film, muet et inachevé, tandis qu'Eustache avait monté L'accompagnement, son premier film à lui écrit en collaboration avec Claude Ollier et Maurice Roche. Les films d'Eustache sont des exemples exceptionnels d'une autobiographie projetée sur l'écran comme au travers du prisme de la poésie du réel. Plus tard je croisai Jean-Pierre Léaud ou Françoise Lebrun, toujours par le biais de Jean-André. J'ignorais que le texte de La maman et la putain était dicté à la virgule près. Ce va-et-vient entre l'écrit et l'instantané m'a toujours fasciné, comme chez Cassavetes, et probablement influencé dans mes improvisations préparées. J'ai du mal aussi à revoir tous ces chers disparus côtoyés dans une autre vie, Labarthe, Douchet, Lonsdale... La mémoire reconstruit le passé, le fige, comme le cinéma nous aide à envisager le présent...
Il faudra que j'aborde d'autres coffrets récents publiés encore par Carlotta, comme ceux consacrés à Satyajit Ray (La trilogie d'Apu), Wim Wenders (La trilogie de la route), Béla Tarr, Shinya Tsukamoto ou Lino Brocka...

→ Jean Eustache, coffret Carlotta en Blu-Ray ou DVD, 80€

mercredi 1 mai 2024

L'orchestre des uns les autres


À la fin du film Mix-Up ou Méli-Mélo de Françoise Romand, je me souviens que nous nous étions demandés comment traduire "we all belong one another" pour les sous-titres et que nous avions opté pour un truc du genre "nous nous appartenons tous les uns les autres". Ainsi ai-je traduit le One Another Orchestra par L'orchestre des uns les autres, dénomination que les protagonistes ont choisi pour revendiquer l'absence de chef et la solidarité du groupe. Rien d'étonnant à trouver ce recueil de chants et musiques résistantes sur le label nato, producteur des disques collectifs Buenaventura Durruti, Chroniques de résistance, de la trilogie sur les Indiens d'Amérique ou De l'origine du monde de Tony Hymas. Le pianiste anglais signe ici trois des titres, mais on découvrira aussi des pièces de Beb Guérin, Jacques Thollot, Michel Portal, Lol Coxhill, Nina Simone, Jef Lee Johnson, Sidney Bechet et François Corneloup... L'ensemble me rappelle les beaux arrangements de Carla Bley, les fanfares de la Nouvelle-Orléans ou les clins d'œil carabéens d'Eric Dolphy. C'est que le sextet est également composé de la clarinettiste Catherine Delaunay, des saxophonistes Nathan Hanson et François Corneloup, de la contrebassiste Hélène Labarrière et du batteur Davu Seru, tous et toutes chouchoux du label. Sur la Romance de la Guardia Civil española la rappeuse Billie Brelok a les accents de Violeta Ferrer qui avait l'habitude d'y déclamer les poèmes de Federico Garcia Lorca. Ajoutez les talents d'ingénieur du son de Jacky Molard et les illustrations de Nathalie Ferlut et vous obtenez un des plus beaux disques de ce printemps. La musique est festive. On sent le plaisir d'être ensemble. La musique est légère. On sent le poids de la passion. La musique est grave. On sent le lyrisme de la résistance. La musique est juste de la musique. On sent la chaleur qu'on a en soi et que l'hiver politique avait laissé refroidir.

→ One Another Orchestra, CD nato, dist. L'Autre Distribution, 15€, sortie le 24 mai 2024 (mais le 1er mai est forcément un bon jour pour l'évoquer)

mardi 30 avril 2024

Christiania à vélo


2e article sur Copenhague, d'abord parce que c'est une ville modèle pour les cyclistes (alors que mon vélo est en attente de pièces pour réparation), ensuite parce que nous avons besoin d'utopies telles Christiania (et que je prépare de nouveaux voyages, sans oublier d'inventer sans cesse de nouvelles utopies)...

Formidable initiative et beau cadeau de Claus qui [avait] acheté [ce 11 juillet 2012] un vieux vélo pour les amis. Nous visitons Copenhague de la plus agréable manière. On raconte que c'est la ville du monde la mieux adaptée à la bicyclette. Il y en a partout. Les quartiers sont étonnamment silencieux. Peu d'automobiles. Les avenues sont larges, bordées de hauts immeubles anciens. Il existe quantité de deux, trois ou quatre roues à pédales. Nombreux sont équipés d'une petite poussette pour transporter deux enfants, les courses ou une contrebasse ! Pendant le festival de jazz, des concerts fleurissent comme s'il en pleuvait, dehors, dedans. Nous sommes délicatement arrosés par leurs gouttes ici et là.


"Christiania (Fristaden Christiania) est un quartier de Copenhague au Danemark, autoproclamé « ville libre de Christiania », fonctionnant comme une communauté intentionnelle autogérée, fondée en septembre 1971 sur le terrain de la caserne de Bådmandsstræde par un groupe de squatters, de chômeurs et de hippies. Le quartier est une rare expérience historique libertaire toujours en activité en Europe du Nord..." (intéressant article sur Wikipédia et évidemment sur le site officiel de la communauté). La population est très mélangée, habitants et touristes, jeunes bobos et vieux hippies, énergumènes laissés libres de faire ce qu'il leur plaît, vendeurs de hasch et d'herbe étalant leurs produits comme des épiciers... C'est encore plus cool qu'aux Pays-Bas et la qualité est la même, attention danger, c'est très fort ! L'atmosphère est détendue, mais la situation est paradoxale. Ceux qui ont voulu vivre en marge se sont retrouvés un des principaux centres touristiques du pays, les rixes ne sont pas rares entre dealers sur Pusher Street, les touristes mitraillent de leurs yeux les habitations soigneusement rénovées et entretenues, le commerce y semble prépondérant. Est-il possible de créer un nouveau monde sans y projeter l'ancien et recommencer les mêmes absurdités ? Seul le virtuel telle l'expression artistique échappe à cette fatalité, car ces mondes libertaires s'inscrivent toujours comme des îlots de résistance au milieu d'une galaxie humaine autrement plus puissante dans ses us et coutumes. Un monde plus juste ne peut exister en marge, c'est le monde lui-même qu'il faudrait pouvoir changer pour transformer les relations entre les hommes et les femmes. Il n'empêche que l'expérience de Christiania est passionnante et nous promener parmi les collectifs autogérés, les maisons inventives, les sourires partagés, est un plaisir renouvelé. À la sortie on peut lire : "Vous entrez dans la Communauté Européenne" !

lundi 29 avril 2024

Aki Takase Japanic ou Laughing Bastards, deux moods du jazz


Le jazz ou le free jazz n'en finissent pas de se transformer, voire de renaître s'il a tendance à s'endormir sur ses lauriers swing ou libertaires. L'écriture préalable et l'instantanée se font des courbettes. L'actualité s'appuie sur les leçons du passé. Dans le nouveau disque de Japanic, le groupe mené par la pianiste Aki Takase, l'énergie tient le cap. Ce n'est pas pour rien que l'album s'intitule Forte. On y retrouve le saxophoniste Daniel Erdmann, au ténor et au soprano, carrément abonné au label hongrois BMC, qui tient une fois de plus ses promesses. La contrebasse est entre les mains de Carlos Bica, la batterie dans celles de Dag Magnus Narvesen. Le platiniste Vincent von Schlippenbach confère une originalité particulière à l'ensemble lorsqu'il scratche des voix, de vieilles cires ou jongle avec les timbres. Son papa (et compagnon d'Aki Takase), le célèbre pianiste de free jazz Alexander von Schlippenbach, et le tromboniste Nils Wogram viennent en renfort ici ou là. En finale nous avons droit à un duo piano-trombone sur I'm confessin' de Chris Smith popularisé par Fats Waller, manière de rendre hommage à tous ceux qui les ont précédés et sans qui il n'y aurait pas de renouveau.


Le renouveau du jazz passe aussi par ses hybridations avec d'autres musiques, souvent venues d'autres continents. Ce choix permet aux Laughing Bastards de mener la danse, d'Ethiopie en Jamaïque en faisant un crochet par les pays slaves. Ces emprunts sont autant de séduisants Fetish qui donnent son nom à l'album. Michel Mast au saxophone ténor, Jan-Sebastiaan Degeyter passant des guitares au banjo ou à l'omnichord, Eline Duerinck au violoncelle, Cyrille Obermüller à la contrebasse, Marcos Della Rocha à la batterie et aux percussions sautent d'un pied sur l'autre en glissant sur la piste comme des pros de la valse. Ces Belges de Gand ont la tendresse en ligne de mire. Si les couleurs sont caméristes, leurs mélodies font pop.

Donc deux manières d'envisager le jazz, dans la force ou la retenue, un temps pour tout, mais toujours entre tradition et modernité :
→ Aki Takase, Forte, CD BMC, dist. Socadisc, 11€
→ Laughing Bastards, Fetish, CD BMC, dist. Socadisc, 11€

vendredi 26 avril 2024

Explosion de selle au cours des courses


Les piétons autour ont eu autant d'émotions que moi lorsque la selle de mon Moustache a littéralement explosé sous mes fesses. Heureusement j'allais lentement et j'ai évité de peu l'empalement. Après avoir ramassé les pièces je suis rentré debout sur les pédales, ce qui n'est pas si facile sur un vélo électrique qui pèse un âne mort. Autre coup de chance, je n'étais pas loin de chez moi. J'entretiens pourtant bien l'engin. Ont récemment été installées sur le guidon deux sonnettes relativement sonores une acoustique et l'autre, électrique, cette dernière pouvant être salutaire, par exemple, lorsqu'un camion recule sans regarder qui est derrière !
Comme chaque semaine j'étais allé chercher mon pain à La Gambette dans le 20ème. Je fais trancher différentes sortes de miches et les congèle en alternant une tranche de chaque pour ne pas qu'elles collent entre elles et pour varier les plaisirs. Il est préférable de dégeler d'excellents pains plutôt que de s'accommoder de pain frais quelconque. En plus de leurs classiques "pain préféré" et pain aux graines, Jean-Paul Mathon propose un pain particulier chaque jour de la semaine (fermé le week-end !) et quelques merveilles à base de thé vert ou de haricots azuki probablement inspirées de deux années passées en Asie (pour avoir épousé une Taïwanaise).
Puisque j'étais de sortie j'avais pédalé jusque chez Les jumeaux aux Lilas qui proposent de temps en temps des viandes hors du commun. J'avais enchaîné avec un magasin bio pour mes pains de fleurs aux châtaignes (j'essaie de maigrir, La Gambette c'est surtout pour mes invités) et mon lait de riz au thé vert matcha & sencha dont je ne peux me passer.
De retour, j'ai pris rendez-vous avec un réparateur de Cyclofix qui passera dans la matinée (P.S.: sauf que je me suis trompé de semaine quand j'ai pris le rendez-vous !). Dans la passé c'était un vrai problème lorsqu'il fallait porter le vélo à l'autre bout de Paris...

jeudi 25 avril 2024

Copenhague, de l'autre côté du pont...


Copenhague 1972. [C'était quarante ans avant cet article datant du 10 juillet 2012, donc il y a déjà 52 ans.] Pour rejoindre Michaëla dont la grand-mère habitait Öland j'avais pris le train jusqu'ici et embarqué pour Malmö. La construction du pont de l'Øresund reliant les deux pays est récente. Le seul pont de la traversée était celui du navire sur lequel j'avais partagé un joint corsé avec des hippies qui m'avaient invité à dormir chez eux. Chez eux, de l'autre côté du pont, là où les fantômes vinrent à ma rencontre. Mélangerais-je ici le pont de Murnau et le bac de Dreyer ? Quoi qu'il en soit et qu'il en fut je passai le dernier à la douane. Les deux préposés avaient probablement remarqué mon abondante chevelure tombant sur ma tunique bleue et verte, et mon air hagard. La valise ouverte, ils flashèrent sur ma collection de flûtes que je rangeais dans le même tiroir de mon bureau que mes sachets d'encens indien. Reniflant les parfums de l'Orient ils eurent un soupçon. Et si j'y cachais quelque produit prohibé ?! Comme ils ne voyaient rien en y glissant un œil, germa sous leurs casquettes une idée de génie. Je ne parlais pas un mot de suédois (si ce n'est "jag älskar dig"), mais je suivais parfaitement leur association d'idées. Imaginez-moi, seul, complètement défoncé, dans cet immense hangar à minuit passé, regardant deux douaniers en uniformes souffler dans mes flûtes pour s'assurer que je n'y avais rien planqué. Ce duo improvisé et surréaliste fait partie de mes grands souvenirs musicaux. Relâché une demi-heure plus tard faute de preuves, je ne retrouvai pas les passagers qui m'avaient offert joint et hospitalité, mais qui avaient filé fissa. Dehors pas un chat. Malmö ressemblait à une ville fantôme. Du Delvaux. Je résolus de dormir sur les marches de la gare de chemin de fer. Le matin je fus réveillé tôt par des mouettes qui m'inspectaient sauvagement en volant tout près de moi.
Quarante ans après, j'aperçois la Suède du hublot.

Le nouveau métro nous amène à Nørrenport où Birgitte nous attend pour nous accompagner chez elle et Claus. Je suis très heureux de retrouver Birgitte Lyregaard que je n'ai pas vue depuis le concert de notre trio El Strøm. Ce même jour, Sacha Gattino, le troisième larron, est sur la route de Rennes où il emménage.


Nous nous reposons enfin dans la tour de la copropriété où nos amis ont élu domicile. La grande maison de briques rouges a plus d'un siècle. Les escaliers étroits forment parfois labyrinthe lorsqu'il faut rejoindre les toilettes à mi-étage, et la salle de douche, collective à l'immeuble, est quatre étages plus bas. Les formes épurées et blanches de l'appartement cèdent alors la place à des couloirs gris et mystérieux où nous craignons de croiser les fantômes évoqués plus haut...

mercredi 24 avril 2024

Brâncuși au Centre Pompidou


Je ne vois vraiment pas ce que je pourrais dire de Constantin Brâncuși qui n'ait été mieux écrit par d'autres. Si, peut-être... Qu'il est indispensable d'aller voir des expositions, comme on lit des livres, qu'on regarde des films, qu'on écoute de la musique ou que l'on va se promener le nez au vent. C'est le premier conseil que je livrai à mes étudiants en cinéma de l'Idhec lorsque je pris la direction des études de la première année en 1979 ! Et l'exposition Brâncuși au Centre Pompidou mérite qu'on y aille parce que ses sculptures sont incroyablement modernes, dans leur sobriété d'une profondeur bouleversante. Dans le passé j'ai visité plusieurs fois son atelier remonté par Renzo Piano dans une bâtisse devant Beaubourg. Or il n'y avait jamais personne. Aujourd'hui il y a foule au sixième étage et il est nécessaire de réserver son créneau horaire. Une des salles de son atelier y est exposée. Devrais-je dire reproduite ou, mieux, réinstallée, car à la fin de sa vie l'artiste avait cessé de sculpter pour ne plus fabriquer que des mises en espace de ses œuvres et de ses outils. S'il vendait une pièce il la remplaçait par un moulage en plâtre ou il réagençait l'ensemble.


Il est magnifique d'admirer ses Oiseaux dans l'espace (1927-1934) devant le paysage merveilleux de la capitale. Les vues sur Paris sont parmi les plus belles du monde. Il n'y a que le troisième étage de la Tour Eiffel qui rivalise à mes yeux ! La fermeture annoncée du Centre pour rénovation de 2025 à 2030 donne le vertige.


La scénographie de Pascal Rodriguez, en lien avec la commissaire Ariane Coulondre, offre ici et là des points de vue avec des trouées me rappelant les avant-plans de Max Ophüls par exemple. La comparaison peut sembler osée, mais j'aime découvrir des perspectives dans les expositions. J'ai besoin de ces lignes de fuite pour ne pas me sentir étouffé, d'autant que j'en ressors toujours lessivé, comme si l'observation intense des œuvres d'art avait aspiré toute mon énergie. Mes yeux me brûlent. J'ai mal au dos. J'aimerais juste m'allonger devant une toile...


Brâncuși inspirera tous les sculpteurs du XXe siècle, qu'ils aillent vers ce dépouillement extrême des formes ou qu'ils s'y opposent. Il pose le socle comme faisant partie explicite de chaque œuvre. Il place même sa Léda en bronze poli sur un disque en maillechort qui tourne sur lui-même, offrant des formes changeantes selon les angles de vue. Si le volume est forcément souligné, il manque fondamentalement le toucher aux sculptures exposées dans les musées. On comprend facilement que c'est impossible, mais on peut néanmoins le regretter, car l'expérience ne peut être complète sans cela. La découverte d'une sculpture ne serait-elle pas formidable pour les aveugles ?


Brâncuși ne voulait pas abîmer la beauté puissante de ses portraits en leur adjoignant des oreilles ou en les perçant de trous pour les yeux !


L'artiste n'est pas seulement inspiré par l'Asie ou les arts primitifs lorsqu'il sculpte sa Danaïde. On peut y déceler l'influence de la mode des années 20...


En admirant les phoques deux idiots évoquaient l'homosexualité cachée de Brâncuși. Ils faisaient simplement la même erreur que nous fîmes avec Bernard Mollerat en appelant notre film La nuit du phoque. Dans l'expression "pédé comme un foc", il s'agit de la voile triangulaire à l'avant d'un bateau qui prend le vent par derrière. Cela n'empêcha pas Brâncuși d'avoir des compagnes. La vie intime des artistes en dit parfois long lorsqu'il s'agit d'analyser leur œuvre... Ses visages aux formes pures, le Torse de jeune homme, le phallus dressé intitulé Princesse X, qui fit scandale et fut refusé au Salon des Indépendants de 1920, sont-ils vraiment ambigus ?


Ce ne sont que quelques réflexions à brûle-pourpoint. J'aurais pu raconter qu'à 28 ans il traversa l'Europe à pied de sa Roumanie natale jusqu'à Paris, évoquer son bref passage chez Rodin en 1907, son atelier impasse Ronsin à Montparnasse, son procès gagné contre les États Unis qui voulaient taxer ses œuvres comme si c'était des objets industriels, sa technique de la taille directe et du poli, son goût pour le blanc immaculé, ses photographies et ses films où en fait il pose au milieu de son univers, son désir de produire finalement des sculptures monumentales comme La colonne sans fin en fonte mesurant vingt-neuf mètres de haut, son legs à l'État français à condition que son atelier soit reconstitué, mais on peut lire tout cela partout.

Exposition Brâncuși "L'art ne fait que commencer", Centre Pompidou, jusqu'au 1er juillet 2024

mardi 23 avril 2024

Chambre avec vue


D'abord la vue. Chaque fois que j'arrive dans un nouvel endroit je scrute l'horizon, même s'il est bouché. Ici, Saint-Étienne, sur le chemin vers le sud, l'atelier d'Ella et Pitr. Le cadre éjecte les collines à droite. C'est la campagne. Je cherche un détail qui m'attire, que je n'aurais pu voir d'ailleurs. Adverbe, d'ailleurs est de circonstance. De la fenêtre l'à-pique vertical donnant sur un étroit jardin est déjà dans l'ombre en cette fin de journée. La nuit aurais-je été séduit par les éclairages racoleurs du nouveau théâtre ? Rejetant les immeubles sans style je fais donc le point sur des balcons en fer forgé, vestige d'une autre époque. La géographie évoque l'histoire.


Une trouée entre deux immeubles, une façade un peu ampoulée, un œil de bœuf au fronton d'un édifice, on s'approche... Ancien ou moderne, qu'importe, y chercher du caractère. Celui de la ville se précise. Au premier plan des ateliers désaffectés ; derrière nous, invisible puisqu'en contrechamp, l'ex école des beaux arts abandonnée au vandalisme est un furoncle absurde, laissé en friche. Les municipalités ne savent pas sauter sur les occasions pour recycler les grands espaces dont ont besoin les artistes pour travailler. Les caves sont idéales pour les répétitions d'orchestre, les échangeurs d'autoroute feraient aussi bien l'affaire, et les vieilles usines siéraient aux troupes de théâtre et aux plasticiens. Les volumes se délabrent avant que les décisions soient prises.


Fer forgé. Nous sommes dans l'ancienne capitale des armes et cycles. Manufrance a tenu un siècle jusqu'en 1985. En 2010 sa renaissance accouche d'une nouvelle édition du célèbre catalogue, mais comme nombreuses villes de province l'âge d'or est passé. Automatisation, délocalisations, concurrence. Que signifient les volets clos ? Que se passe-t-il derrière les rideaux de voile ? Le charme discret de la bourgeoisie est un euphémisme. L'esprit mal tourné, on pense à Chabrol.


Panoramique vers le bas. En réalité un simple recadrage tranchant avec les vieilles pierres. Présence humaine. Deux jeunes types reviennent du sport. C'est dimanche. Un magasin de fringues branché, une banque : classique ! Les volets métalliques sont-ils une conséquence des vacances ou de la mutation ? Saint-Étienne se revendique capitale du design. Ça bouge. Il y a des affiches d'Ella et Pitr un peu partout. Un énorme poisson rouge orne la caserne des pompiers. [...]

Article du 25 juillet 2012

lundi 22 avril 2024

La boîte à musique programmable


Avec le temps le plastique s'effrite. Rien qu'à le frôler le cylindre crénelé est parti en morceaux. Panique à bord. Deux mille cinq cents personnes assis dans la nuit sur les gradins du Théâtre Antique et un silence mortel au moment où j'aurais tourné la manivelle ? Ma boîte à musique programmable [faisait] partie de l'instrumentation du Prix Découverte des Rencontres d'Arles [...]. Antonin-Tri Hoang aurait su rattraper le coup avec son alto ou sa clarinette basse, mais les moustiques camarguais de fondre sur moi, alléchés par mes sueurs froides. L'horreur ! Vingt-cinq ans de bons et loyaux services pour finir par se désagréger à peine on l'effleure. Heureusement Lutèce Créations commercialise l'objet que j'avais acheté dans une boutique du Palais Royal. Miracle d'Internet, de la carte bleue et de la Poste, en arrive une toute neuve. Comme les vis sont au même endroit il n'y a qu'à la fixer sur la boîte à cigares servant de résonateur et le tour est joué. Des p'tits trous, des p'tits trous, toujours des p'tits trous, des trous de première classe percés grâce à la pince livrée avec, pour composer sa propre musique. Vingt notes seulement ; passer à trente-trois pour bénéficier d'une gamme chromatique [était] au-dessus de mes moyens (article du 22 juin 2012). D'autant qu'il en existe de jolies virtuelles chez SonicCouture ou UVI ! Ce n'est pas pareil. Tournez, tournez manège, les petits bruits de la mécanique donnent une poésie inégalée.

vendredi 19 avril 2024

Black Museum de Bruno Letort


Une couverture de François Schuiten, des musiciens aussi prestigieux que variés parmi lesquels David Krakauer, Evan Ziporyn, David Torn, David Linx, Mike Ladd, Thomas Bloch, Christian Zanési, des paroles de Laurie Anderson, le tout chapeauté par le compositeur Bruno Letort que je connaissais évidemment comme homme de radio pour avoir joué plusieurs fois à son émission Tapage nocturne pendant les vingt ans où il officia à France Musique, le disque Black Museum a de quoi me mettre la puce à l'oreille. En 1998 j'avais participé à son livre Musiques plurielles, mais je me souviens surtout du professionnalisme de Bruno Letort lorsqu'il s'agissait de présenter le travail d'un de ses collègues ou de les interviewer à l'antenne (cf. quelques unes de mes interventions aux index 4, 6, 16, 24, 27). Pourtant il ne cessa jamais de composer depuis son premier album en 1982, ni de collaborer avec Schuiten et Peeters, Richard Galliano ou Wally Badarou, Jean-Claude Petit ou Bruno Coulais, Ghédalia Tazartès ou Henry Selick, et tant d'autres comme Stromae dont il arrangea six chansons de son album Multitude. Alors pourquoi ai-je immédiatement pensé à Hector Zazou ? Peut-être pour cette aptitude à embarquer du monde avec lui au cours de ses aventures, aboutissant à une sorte de nouveau baroque...


Un univers dramatique, rythmiques généreusement lourdes, guitares saturées s'envolant dans les cintres, clarinettes, cor et basson, quatuors à cordes et renforcement par les cordes en général, la musique de Black Museum est à la fois chargée et entraînante, comme si le feedback servait de fil d'Ariane. Les improvisations y générant l'écrit, cette pratique suscite l'empilement. Les sons électroniques jouissant d'une grande liberté se mêlent aux archets obstinato. Letort est aux claviers, aux sons électroniques et aux percussions. Et les voix de commenter ici et là cette bande dessinée sans images.

→ Bruno Letort, Black Museum, CD Soond, 16,99€, sortie le 26 avril 2024

jeudi 18 avril 2024

D'une actualité brûlante


Regarder le film de Pauline Horowitz, Récit de l'enfer d'Auschwitz - "Maus" d'Art Spiegelman (actuellement sur Arte.tv), a suscité plusieurs réactions de ma part. La première fut d'ouvrir l'iBook blanc rangé sur une étagère et de constater avec soulagement que je pourrai toujours regarder mes centaines de CD-Roms collectés à la fin du siècle dernier dont celui consacré à ce chef d'œuvre, roman graphique qui permit à la bande dessinée de passer à l'âge adulte, seule bédé à avoir reçu le Prix Pulitzer, la seule que je réussis à faire lire à ma mère. L'émulateur d'OS9 fonctionne parfaitement sur mon vieil ordi portable. Depuis 1987 j'acquiers scrupuleusement tout ce que Art Spiegelman publie. La seconde fut l'irrésistible besoin de rappeler comment j'appris l'histoire du génocide lorsque j'eus cinq ans et les conséquences psychiques que cette révélation eut sur moi, découvertes qui ne cessent d'éclairer mes choix de vie jusqu'à aujourd'hui. Que j'ai longtemps préféré le bain à la douche en est une amusante : il ne pourrait pas en sortir du gaz au lieu de l'eau. D'autres sont plus dramatiques ou complexes. Pendant la projection de La zone d'intérêt je ne pouvais m'empêcher de penser que mon grand-père était de l'autre côté du mur. Le sentiment d'injustice m'a longtemps empêché de grandir. Je n'avais que cinq ans, c'était la guerre d'indépendance en Algérie et je ne pourrais plus faire autrement que de me situer toujours du côté des opprimés. À onze ans je pris par exemple ma carte de Citoyen du Monde et, malgré les événements de mai auxquels je participais, je devins plutôt Peace & Love ! Je me retrouverai ainsi à faire des films en Algérie et en Afrique du Sud en 1993 et à Sarajevo pendant le siège, expérience dont j'eus du mal à me remettre. J'ai eu envie de raconter cela à la lumière du massacre à l'œuvre en Palestine. Je me sens moins seul qu'il y a quelques années et c'est avec soulagement que j'écoute les cinéastes Eyal Sivan et Simone Bitton ou mes ami/e/s les plus proches. Or ce texte je l'ai déjà écrit. Une petite recherche sur mon blog m'a permis de le retrouver. Il date du 14 juillet 2006. J'aurais pu l'écrire aujourd'hui. Se taire m'apparaît criminel. Qu'il est difficile d'être un homme !

Autodestruction


J'ai commencé par demander pourquoi je n'avais pas de grand-père. Il avait été déporté à Auschwitz et gazé à Buchenwald. Mon père avait sauté du train qui l'emportait en Allemagne. J'ai essayé de comprendre pourquoi les Juifs avaient toujours été persécutés. Mes parents me répondaient que les gens étaient jaloux de notre réussite. Nous étions des marchands, des banquiers, des artistes, des savants, nous avions su lire avant tous, survivant à tous les pogromes, traversant les siècles sans jamais être du côté du manche. Nous avions préféré fuir l'horreur et l'intolérance en nous battant avec la seule ressource de notre intelligence. Voilà comment naît le complexe de supériorité. Je n'avais pas d'autre choix que de me retrouver premier de la classe, presque une tradition, quoi qu'il m'en coûtasse. Nous n'étions pas très sportifs, la compétition ne pouvait s'exprimer que sous l'angle de l'esprit. Aucune icône, mais des exemples, Christ, Marx, Freud, Einstein, Schönberg, où que je me tourne l'écho de leur voix résonnait en moi. Séduisante paranoïa ! Une réponse à l'angoisse du "pourquoi moi ?". Mes parents avaient beau affirmer que ma circoncision n'était qu'hygiénique, comme les Américains et les Africains, je n'aurais pas supporté d'avoir un fils qui ne le soit pas, qui ne me ressemble pas. Où l'histoire va-t-elle se nicher ? Habillé, rien ne se voit. Pourquoi moi ? Ma non-violence, "Peace and Love", ma "citoyenneté du monde" découlèrent logiquement de cette conscience inculquée par des siècles de questions sans réponses.
La fierté d'appartenir à ce peuple géographiquement informe, à cette communauté que nous ne fréquentions pourtant pas plus que la famille, allait se transformer en la plus grande honte, celle de ressembler à tous les hommes, de partager enfin les mêmes valeurs que le reste de l'humanité : intolérance, colonialisme, et la brutalité la plus vulgaire. Comment est-il possible qu'un peuple dont une partie a vécu l'holocauste sombre dans la barbarie et le crime organisé ? Quelles sont ses motivations profondes ? Je reste interdit devant tant de stupidité et d'horreur. Ma culture n'en finit pas de mourir. Je ne pourrai jamais transmettre à ma fille ce qui m'avait rendu si fier d'être un être humain. Élevé dans la laïcité, sans religion, voire dans un anticléricalisme œcuménique, ayant plus tard mûri dans l'athéisme, je n'ai jamais tant revendiqué mes origines juives que depuis la guerre des six jours et tout ce que la paranoïa israélienne suscita d'exactions. Comment vivre dans un pays où l'état et la religion ne sont pas séparés ? Qu'il était agréable d'être français ! Les Juifs israéliens sont tous responsables, toute la diaspora porte une lourde responsabilité dans ce qu'il adviendra du Moyen Orient.
Certains diront qu'ils ne savaient pas. Qu'ils ne savaient pas comment vivaient les Palestiniens, qu'ils ignoraient tout des sévices, des brimades quotidiennes et des privations que ce peuple endure depuis des décennies. Mais tout aura été dit. Les pays arabes ne veulent pas d'eux, sinon le problème serait réglé depuis longtemps. Septembre noir fut l'œuvre des Jordaniens, il est important de se souvenir. Les Arabes parlent des Palestiniens comme j'ai toujours entendu évoquer les Juifs. Ils ont contre eux les mêmes griefs. Ce sont les Juifs arabes. Nous partageons l'antisémitisme avec eux. Au lieu de se solidariser, le gouvernement israélien n'a eu de cesse de les persécuter, au nom du terrorisme. Mais comment appelait-on les résistants qui luttaient contre l'occupation allemande, me rappela un jour l'ancien ministre des Affaires Extérieures, Claude Cheysson ? Des terroristes ! Avoir trente ans aujourd'hui en Palestine, c'est n'avoir jamais connu autre chose que l'occupation. Sartre, dans On a raison de se révolter, rappelait que le terrorisme n'était que le fruit du désespoir. Comment a-t-on pu cautionner ces persécutions quotidiennes ? Comment les Juifs peuvent-ils accepter de reproduire ce qu'ils ont subi. Israël n'est pas Auschwitz, mais jusqu'où ses dirigeants sont-ils prêts à aller ? La paranoïa a toujours créé les pires actes de barbarie. Les Serbes disaient qu'on voulait les exterminer. Voyez les Tutsis et les Hutus. Anéantissons les autres avant qu'ils ne nous tuent, frappons les premiers, le schéma est toujours le même. On apprend souvent que le violeur d'enfants a lui-même été abusé lorsqu'il était petit. Les Juifs ont même reconstruit chez eux le mur du ghetto de Varsovie, le mur de la honte.
Il faut que du monde entier s'élèvent les voix de ceux qu'on ne pourra pas taxer d'antisémitisme pour dénoncer les actes absurdes et suicidaires d'Israël. Il faut que la diaspora, en particulier celle qui alimente l'économie désastreuse de ce pays, comprenne qu'il n'y a pas d'issue dans les armes, que si elle devenait finale, la réponse détruirait le pays d'abord, toute une culture ensuite. Il ne suffit pas aux États Uniens de continuer leur politique impérialiste, ils sont les plus grands complices de l'horreur qui se perpétue en Israël comme en Irak, en Afghanistan et dans bien d'autres pays. Quelle sont les motivations des uns et des autres ? Est-ce la peur de la démographie inégale entre Arabes et Juifs qui, dans une supposée démocratie, donnerait le pouvoir aux Palestiniens ? Est-ce la nécessité des USA d'avoir le maximum de bases au Moyen Orient ? Est-ce une manière de faire indirectement la guerre à l'Iran ? Qui cédera un bout de territoire, légalement reconnu en 1948 (mais rejeté par la Ligue Arabe, il faudra revenir sur la responsabilité des uns et des autres) pour créer enfin un état palestinien ? Qui donc a intérêt à ce que la guerre continue éternellement ? Quel rapport avec le prix du baril de pétrole ? À qui profite le crime ? Certainement à aucun des peuples qui vivent sur une terre qu'ils ont le culot de considérer comme sainte. Il faut que s'élèvent les voix de la morale, de tous côtés. L'ONU s'est partout montrée impuissante. Les enjeux économiques ne concernent pas les populations locales. Les manipulations dont ils sont les victimes les détruit. Réveillez-vous, camarades, ne vous laissez pas entraîner dans cette troisième guerre mondiale commencée il y a soixante ans. N'acceptons pas l'horreur ni l'arrogance des puissants ! Il n'y a pas de fatalité. Nous sommes tous responsables.