Je suis absolument enchanté d'écouter enfin une autre version de Lélio ou "le retour à la vie" que celle de Pierre Boulez avec Jean-Louis Barrault comme récitant. Il est tout à fait étonnant que cette seconde partie qui fait suite à la Symphonie Fantastique soit relativement méconnue. Hector Berlioz écrit que l’œuvre « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément. » Ce mélologue ou "monodrame lyrique pour récitant, solistes, chœurs et orchestre" a toujours figuré pour moi les prémisses du théâtre musical moderne. Il anticipe aussi la mode de l'autofiction : la musique sauve le compositeur du suicide après une nouvelle rupture amoureuse ; après l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui lui inspire la symphonie et qu'il épousera plus tard, il se fait plaquer par Marie-Félicité-Denise Moke qui se mariera à Camille Pleyel. L'excès d'opium crée ainsi des visions terrifiantes, mais le réveil lui dicte une méditation sur Shakespeare. Le narrateur y incarne Berlioz lui-même, auteur d'un texte rageur réglant ses comptes avec la critique. Il revient sur son œuvre, se citant musicalement, scénographiant l'orchestre hors-champ avant que ne s'ouvre le rideau, allant jusqu'à donner d'astucieux conseils aux exécutants ! S'il emprunte le chœur d'hommes à la cantate La mort de Cléopâtre, la "harpe éolienne" à La mort d'Orphée, on retrouvait déjà dans la Symphonie Fantastique la cantate Herminie, la Scène aux champs et la Marche au supplice présents dans l'opéra inachevé Les francs-juges. Comme une sorte de jubilé moderne il rassemble une mélodie accompagnée au piano, des chœurs, un "chant de bonheur" pour ténor et harpe, une fantaisie avec chœurs et deux pianos à quatre mains ! Son concept de l'idée fixe fonctionne parfaitement avec sa colère. La mise en scène donne son unité à cette mosaïque de pièces musicales. On peut comprendre que Lélio soit rarement représenté comme il le devrait. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, l'œuvre apparaît celle d'un visionnaire.
J'ai un grand attachement à Berlioz pour plusieurs raisons. J'entends les poèmes symphoniques ou ses symphonies à programme comme des antécédents à ma "musique à propos". Flûtiste et guitariste, c'est un compositeur quasi autodidacte qui devra produire lui-même ses spectacles, et réinventer l'orchestre en intégrant l'instrumentation et l'orchestration dans la composition (son Traité est un modèle qui révolutionna l'histoire de la musique). Il incarne pour moi le maillon entre Rameau et Varèse.
La version dirigée par Jean Martinon est plus fine que celle de Boulez. Jean Topart en fait moins que Barrault, il est moins exalté, mais j'aime bien les deux, Barrault correspondant bien aux exagérations romantiques de Berlioz.