70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 18 mars 2024

CODEX sur Bad Alchemy #123


Article de Rigobert Dittmann traduit de l'allemand tant bien que mal par mes soins !
Après le violoniste Mathias Lévy dans Apéro Labo 1, la suite intitulée Codex (digital) accueillera le 18 février au studio GRRR MAËLLE DESBROSSES à l'alto, voix, appeaux & percussions, qui, elle-même membre des trios Suzanne et Ignatius et tête pensante de Maëlle et les Garçons, a joué et enregistré "Les Démons Familiers" de Lévy. On retrouve également FANNY METEIER au tuba et à la voix, la partenaire de Desbrosses dans le duo Météore ; elle avait déjà réalisé "Raves" avec JJB sur la base des 'Oblique Strategies'. JJB a rédigé son portrait pour Citizen Jazz dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes et suggéré des tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay comme partitions idéales pour son tuba. Mais ici, c'est le "Codex Seraphinianus" qui sert de base, l'encyclopédie de choses imaginaires de l'artiste, illustrateur et designer romain Luigi Serafini, publiée en 1981 et saluée comme "le livre le plus étrange du monde". Ce mélange détonnant du manuscrit de Voynich, de Bosch, de Borges et des Monty Python est un assemblage parfait pour alimenter et défier l'imagination. Ainsi, dans une spontanéité improthéâtrale, les trois musiciens se sont essayés à mettre en musique l'étonnant et l'incompréhensible d’après 7 illustrations choisies par le public - un véhicule-mouche qui se désagrège, un étrange jeu d'amour et de crocodiles, une écriture énigmatique, des poissons-robinet, des fleurs imaginaires, un numéro de cirque fantastique, des œufs surréalistes. Le fait que JJB ait pour cela élargi sa panoplie de jouets - clavier, Enner, Terra et Tenori-on - Le fait que l'artiste ait prêté une arbalète en laiton et plexiglas à Desbrosses, ajoutant flûte, criquet, triangle, chuchoteur, trompette à anche ne doit pas étonner. Même si l'image et le son restent droits dans leurs bottes, la recherche d'analogies sonores par des gestes, pincements, tintements, pinceaux et même en utilisant la bouche, donne à cette peinture électroacoustique de ce dimanche, à ce soundscaping miraculeux, un attrait ludique et une note extra curieuse. Le fait que JJB admire des femmes comme la compositrice Gloria Coates (1933-2023), mais surtout Hector Berlioz en tant que lien entre Rameau et Varèse, est plus qu'une simple note en bas de page. Il déclare même que ses poèmes symphoniques, ses symphonies à programme et surtout son mélologue "Lélio ou Le retour à la vie" (une mosaïque d'autocitations et un traité autofictionnel qui a révolutionné l'histoire de la musique) sont les précurseurs de sa 'musique à propos'. Et j'ai l'impression que la définition d'A.C. Danto de l'art comme 'rêves éveillés' et son 'aboutness' comme 'à-propos-de' sont sortis d'un des œufs de Serafini.

Le punk et le rock alternatif en bande dessinée


J'ai dévoré la nouvelle bande dessinée d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir. À grand renfort d'entretiens avec celles et ceux qui ont vécu ces années révolutionnaires, de 1981 à 1989, les auteurs réussissent à me faire comprendre un mouvement qui m'avait échappé alors. Mieux, ils me révèlent enfin pourquoi Un Drame Musical Instantané se retrouvait sur des disques de compilation avec des groupes qui nous semblaient très éloignés de nos préoccupations musicales, comme chez V.I.S.A. pour qui nous avions enregistré Utopie Standard. Le lien était éminemment politique. À cette époque nous avions délaissé le rock pour le free jazz, la musique classique, la plus contemporaine surtout, le théâtre musical, les ciné-concerts, et une indépendance qui nous évitait toute étiquette. Le Gouëfflec et Moog l'ont remarquablement compris et traité dans leur précédent ouvrage à succès, Underground.
Avoir discuté avec Lionel Martin (Mad Saxx), avec qui j'ai enregistré le vinyle Fictions, m'avait éclairé sur le mouvement punk. Ayant participé à l'aventure de Bérurier Noir, il a même récemment sorti No Suicide Act, un disque en duo avec leur chanteur, François Guillemot dit Fanxoa. Les autres protagonistes des Bérus, Loran, Masto et Laul (ex-Lucrate Milk), Marsu, Florence Duquesne/La Grande Titi, Karine/Mistiti sont aussi présents dans la BD, tout comme Jean-Yves Prieur (Kid Bravo, Kid Loco), Spi (OTH), Rémi Pépin (Guernica), Olivier Tena (Les $heriff), Antoine Chao (Los Carayos, Mano Negra), Didier Wampas, David Dufresne, Catherine Lemaire alias KK (Pervers Polymorphes Inorganisés), Géraldine Doulut (Kochise), etc. On y croise évidemment les disparus, François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle) et Helno (Négresses vertes).
Les dessins de Moog suivent merveilleusement la narration décousue et recousue de Le Gouëfflec si bien que tout se tient, une histoire palpitante, un rêve de jeunesse, de changer le monde, rageusement, renvoyant sans cesse à l'actualité politique d'alors, tout en assumant le fantasme sex, drugs & rock 'n roll. Ils arrivent à rendre vivant un mouvement qui s'est éteint, mais pourrait toujours renaître sous une forme nouvelle, racontant ce que ces musiciens en herbes folles sont devenus, avec en prime une discographie illustrée de 48 albums... Ce roman graphique, comme on appelle aujourd'hui les bandes dessinées pour "adultes", dresse remarquablement le portrait d'une époque où la jeunesse portait encore de belles utopies, une "jeunesse qui emmerde le Front National", une jeunesse qui prendra toujours le risque de vivre libre ou mourir. C'est à la fois encourageant et cela fait forcément peur. On ne vit qu'une fois, mais rien n'est figé dans le marbre.

→ Arnaud Le Gouëfflec & Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir, 176 pages, Éditions Glénat/ Collection 1000 Feuilles , 22,50€