Homme du collectif, tant professionnellement que domestiquement, j'ai toujours été un fervent adepte de la dialectique. Le solo m'ennuie. De mon point de vue la composition instantanée à plusieurs, appelée souvent improvisation, se rapproche d'une discussion où tout le monde parle en même temps en tentant de s'écouter les uns les autres sans perdre de vue le résultat d'ensemble. Le deuxième quatuor de Charles Ives, écrit entre 1907 et 1913, en est aussi un bon exemple : les quatre musiciens discutent, argumentent (politiquement !), se chamaillent, se serrent la main, se taisent, enfin ils grimpent ensemble en haut de la montagne pour admirer le firmament ! La contradiction oblige à préciser ses idées, à les remettre en question. Ce doit être mon héritage talmudique ! La dialectique peut même casser des briques si j'en juge par le film de René Vienet de 1972 et s'exprimer en azulejos comme dans le jardin du Palais Fronteira à Lisbonne.


Ce n'est pas une raison pour éviter la rhétorique. Il faut bien convaincre, et aller au bout de sa démonstration peut être nécessaire. J'adore faire des conférences, par exemple sur la rapport du son et des images. Ayant admiré des Américains vivre leur passage en chaire comme un spectacle, j'avais adopté cette attitude passionnelle pour réveiller mon auditoire et faire passer les idées qui m'étaient chères. Écrire mes articles tient évidemment souvent de la rhétorique alors que jouer de la musique avec d'autres fait prendre des chemins sérendipitaires auxquels on ne pouvait s'attendre.


La rhétorique accepte la mauvaise foi. La dialectique exige que la raison prévale. Lorsque je travaillais quotidiennement avec Francis Gorgé et Bernard Vitet au sein d'Un Drame Musical Instantané (respectivement pendant 18 et 35 ans !) nous avions parfois des points de vue extrêmement différents, voire antagonistes. Cela pouvait même devenir très houleux, des portes claquèrent, mais nous tombions toujours d'accord à la fin de la journée. Nos egos importaient peu. Le projet nous guidait. Le "id" (ça en latin). Les trois sujets s'effaçaient devant l'objet. La meilleure idée emportait le morceau. C'est ce qui me plaît lorsque je travaille en équipe ou lorsque je mixe, pourtant seul, les séances d'enregistrement collectives. Je privilégie alors le meilleur de chacun/e d'entre nous. Cette complémentarité me plaît aussi lorsque je réalise des films. J'ai toujours considéré la musique et le cinéma comme des sports d'équipe, contrairement à l'écriture ou la peinture. Le même sentiment m'habite dans les ébats amoureux. Je fais l'analogie avec le couple parce que j'ai parlé de sport d'équipe alors que les matchs n'ont jamais été ma tasse de thé ! Lorsque je joue avec d'autres je suis autant préoccupé de mettre à l'aise mes partenaires que d'être juste dans mon propos. Cette considération se rapporte aux adverbes de la première phrase de ce petit article, car je compare toujours notre manière de nous comporter en société comme au sein du cercle familial.

N.B: Les trois photographies montrent des faïences peintes de la terrasse du Palais Fronteira, successivement Didactique, Rhétorique et Musique.