70 décembre 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 décembre 2022

Oiseau de mauvais augure


J'avais écrit un texte terrible. Terriblement efficace sur l'état de la planète et la fin de l'humanité, mais j'ai craint qu'il soit mis sur le compte de ma santé (conjoncturellement) dépressive. Et puis franchement ce n'était pas très sympathique de ma part de jouer les rabat-joie au moment de se souhaiter des vœux pour une meilleure année. J'ai donc choisi le déni. Pour que nous puissions momentanément panser les plaies en nous rendant ivres. Comme si la suivante allait être différente des précédentes. Plus juste, plus tendre. Comme le millier d'ultrariches qui nous condamnent, nous espérons tous éviter ou minimiser individuellement les catastrophes. Nous savons bien que l'amour secrète des baumes qui nous font traverser les pires passages. C'est justement d'être ensemble qui pourrait nous sauver, en rejetant l'individualisme consommateur qui nous fait perdre la boule. Car elle pourrait bien tourner sans nous. Pas demain, ni après-demain, mais bientôt, trop tôt. Il faut nous ressaisir, abandonner le faux confort qui nous anesthésie, nous souvenir que ce sont toujours des mouvements de masse qui nous ont permis de mettre un terme au pire. Reprendre le pouvoir aux marchands de canons propriétaires de tous les mass médias demande une organisation exceptionnelle. Ici la violence est sourde. Ailleurs c'est bien pire, le seul confort est celui de la misère et de l'absurde. Quant au millier de fous qui tiennent entre leurs griffes la planète, ils pensent probablement y échapper en se construisant un bunker en Nouvelle-Zélande ou une bulle sur Mars. Jacques Brel disait qu'il n'y a pas de gens méchants, seulement des gens bêtes. Seule la solidarité permet de sortir des pires ornières. Leur individualisme les condamne. Mais il est contagieux. Voilà, je voulais échapper à mon pessimisme, mais j'y ai succombé. J'ai ouvert la fenêtre pour faire de l'air. Les pies faisaient un tel raffut en se chamaillant que j'ai cru que c'était une déchiqueteuse. Les corneilles volaient autour, n'en croyant pas leurs ouïes. Je suis resté allongé sur le lit, sachant qu'il y aurait des jours meilleurs. J'ai pensé à vous, de tout mon cœur.

jeudi 29 décembre 2022

Je me taire


Contrairement à ce que pensent mes proches, je déteste me plaindre, mais cela devient pénible. Je ne peux voir personne, non parce que je suis contagieux, je ne le suis plus depuis belles lurettes, mais parce que ma laryngite m'empêche de parler. Cette solitude est aggravée par le fait que je ne peux pas non plus communiquer avec le téléphone. Joignable uniquement sur aPhone. Voilà sept jours que je suis à ce régime de retraite quasi bouddhiste ! Sauf que je finis par tourner chèvre, car émettre ses idées à voix haute facilite le développement de la pensée. J'avais même pris l'habitude de prendre mes chats à témoin dans des cas particuliers. Ou de valider mes gestes lorsque je fais plusieurs choses à la fois et que je risque d'en oublier une en route. Or il ne faut pas prononcer un mot : même murmurer fragilise les cordes vocales. Le miel et le citron n'ont aucun effet sur elles. J'ai tout essayé, du médicament classique aux huiles essentielles, des plantes aux remèdes de grand-mère, rien n'y fait. Sun Sun m'a apporté un sirop chinois qu'il a préparé lui-même, ma dernière chance ! Au moins c'est bon. Je me réveille chaque matin muet comme une carpe. J'espérais renouer avec le monde à l'occasion de la soirée du réveillon, mais c'est plutôt mal parti. Peut-être devrais-je y participer avec une ardoise autour du cou et un morceau de craie ? Ou bien je ferai des grimaces ? J'essaierai de parler avec les mains. Je pourrais rapidement apprendre le langage sourd-muet pour les nuls, encore faudrait-il que mes interlocuteurs le connaissent !
Après m'être abruti de séries télé et de films récents, je me suis plongé dans la lecture. En ce moment, Cher connard de Virginie Despentes me tient bien. J'enchaînerai avec Memento Mori, le nouveau polar de Mia Leksson, pseudonyme de Michaëla Watteaux. Je me souviens de Mia (diminutif de Michaëla) à dix-huit ans, lorsqu'elle écrivait des histoires de petits trolls verts ! J'ai lu avec plaisir ses deux précédents. Qu'ils ou elles soient compositeurs, écrivains, plasticiens, cinéastes, il est toujours passionnant de connaître les auteurs en marge de leurs œuvres. On les retrouve parfois, d'autres fois pas du tout. On peut être tenté d'y chercher des signes, des concordances. Comme c'est souvent l'inconscient qui guide la création, on fait souvent fausse route. J'aime ces terrains d'aventures où débusquer le réel et le fantasme sous des décors inventés de toutes pièces...
Cette réflexion m'a incité à regarder Een retrospektieve (Leçon d'éclairage), documentaire belge de Harry Kümel tourné en 1969 sur et avec Josef von Sternberg peu avant sa mort. Je l'avais gardé sous le coude. Tout document sur ce génie souvent incompris du cinématographe est précieux. Je connaissais D'un silence l'autre de la série Cinéastes de notre temps et ce qu'en avaient raconté André S. Labarthe, Claude Ollier et J.A. Fieschi, j'avais lu son autobiographie Fun in a Chinese Laundry où Sternberg prétend avoir répondu à toutes les questions pour ne pas avoir à se coltiner des interviews qu'il détestait. Il est certain que, comme il le revendique, c'est un être compliqué...
J'ai une pile de livres virtuels à lire plus haute que la maison, mais j'ai aussi besoin de reposer mes yeux. J'écoute un peu de musique, j'en fais aussi, mais, coupé du monde, tout me semble vain. En temps normal je n'arrive jamais à m'intéresser véritablement à mes instruments que lorsque je suis animé d'un projet. Comme je suis volontariste, je me force. Je me force à lire les modes d'emploi de mes dernières acquisitions, je me force à pédaler sur mon vélo d'appartement, je me force à marcher dans le quartier, à faire quelques courses, mais j'ai l'impression de passer mon temps à décliner des invitations. Aux dix jours d'une grippe épouvantable dont je subis les séquelles s'est ajoutée une semaine sans voix. Après l'ablation de la thyroïde l'an passé, je fais une fixette sur ma gorge. J'ai hélas une petite idée des mécanismes psychologiques qui m'ont amené à ces pathologies. Lorsque j'étais enfant nous nous demandions si nous préférerions devenir sourd ou aveugle. Je n'avais pas pensé à Ça. Dans quel état serai-je à la sortie ? Je ne parle pas des kilos perdus, mais de la lumière au bout du tunnel...

mercredi 28 décembre 2022

Canine : La mort en ce jardin


Depuis cet article du du 19 avril 2010, Yórgos Lánthimos a réalisé Alps (Άλπεις), The Lobster, Mise à mort du cerf sacré (The Killing of a Sacred Deer), La Favorite (The Favourite), et Poor Things sortira en 2023. Depuis Un chien andalou en 1929, Luis Buñuel a réalisé jusqu'en 1977 plus d'une trentaine de films qui m'ont considérablement marqué, tant cinématographiquement que dans divers aspects de mon travail ; il est mort le 29 juillet 1983 à Mexico.

Canine de Yórgos Lánthimos est un film éprouvant, mais c'est un vrai film (DVD mk2). Les cadres qui coupent la tête des personnages et le rythme inexorable du montage montrent comment le cinéaste grec se sert de ses outils de torture avec l'intelligence du dément. Canine (Kynodontas) rappelle évidemment Michael Haneke par le regard acéré qu'il porte sur notre société et les déviances brutales qu'elle occurre et Theo Angelopoulos pour le temps qu'il prend à installer des situations hermétiques qui déroutent les spectateurs. La folie qui habite la famille bourgeoise du film rappelle certains faits divers récents qu'il est toujours difficile d'assimiler tant ils paraissent extrêmes. Les murs des villas huppées, des pavillons de banlieue et des caves de HLM cachent pourtant bien des histoires terribles qui défient notre entendement. La mort en ce jardin.


La mort en ce jardin est le titre d'un film de Luis Buñuel de 1956 (ed. Montparnasse). Un autre enfermement ! Si ce film mexicain en couleurs tourné en français avec Georges Marchal (précédemment dans Cela s'appelle l'aurore), Simone Signoret (qui ne pensait qu'à retrouver Montand au lieu de travailler), Michel Piccoli (dont c'était la première collaboration avec Don Luis) et Charles Vanel (déjà rompu aux climats chauds du Salaire de la peur), n'est pas le meilleur Buñuel, il n'en recèle pas moins tous les ingrédients qui constituent son style génial en nous entraînant dans une aventure que Charles Tesson qualifie justement, dans un des bonus, de hustonienne.


Il est fascinant de noter la somme de concordances de La mort en ce jardin avec les autres films de Buñuel, tant dans les thèmes (la religion, le sexe, l'argent, qui sont les trois sujets d'intérêt principaux des êtres humains !) que dans les détails anecdotiques (les fourmis gloutonnes, l'œil crevé, la carte postale de Paris, la révolte sanglante, la prostituée très popote, etc.). Les péripéties dans la jungle cèdent la place à l'évolution des personnages face aux nouvelles conditions de vie qui leur sont imposées. En pleine forêt vierge, le surréalisme vient toquer à la porte lorsque s'animent les Champs Élysées et que leur son ralentit aussitôt comme un rêve impossible. La jungle en robe du soir rappelle l'enfermement de L'ange exterminateur, même si la fin laisse ici espérer une échappatoire. Le tournage fut si éprouvant que le réalisateur rechigna toujours à l'évoquer. Il appela à la rescousse son ami Raymond Queneau pour se sortir d'un scénario qui lui donnait tant de fil à retordre qu'il écrivait son adaptation au jour le jour. Lorsque je vis le film pour la première fois il y a [cinquante] ans, je fus happé par les couleurs et les sons de la forêt. Elle signifia désormais pour moi ce que j'avais aimé des courses au trésor, la surprise à chaque pas, le mystère, le dépaysement, l'obligation de changer ses habitudes, la mise en jeu de ses valeurs morales, leur vérification ou leur inanité, encore et toujours, l'impossibilité du réel.

mardi 27 décembre 2022

Abysskiss, travail d'orfèvres


On reconnaît un album de compositeur à ce qu'il privilégie l'expression de ses camarades plutôt que se mettre lui-même en avant. Abysskiss en est une belle démonstration, orchestre à l'initiative du guitariste Pierre Tereygeol (Suzanne, BAABOX, R.Khoury 5tet) qui en a écrit les quatre cinquièmes et de la saxophoniste Camille Maussion (Nefertiti 4tet, Mamie Jotax). Ensemble ils en ont assuré les arrangements. L'instrumentation n'est pas commune puisque leurs camarades de jeu sont le vibraphoniste Illya Amar et Victor Auffray à l'euphonium et flugabone, deux cuivres graves et romantiques. Tereygeol lui-même joue d'une guitare baryton. Ces petites fantaisies colorent les paysages sonores d'un timbre personnel qui va bien au delà du terme "rétrofuturiste" qu'ils ont adopté.
J'écris "paysages" qui semble l'univers qui guide les musiciens, sorte de science-fiction ou d'eroic fantasy qui n'a pourtant pas grand chose à voir avec ce que j'entends. Ce pourrait être autant de récits épiques en huis clos, entendre dans les limbes du rêve. Leurs références adolescentes risquent d'éloigner les interprétations imaginatives des auditeurs, alors que leur musique incite à se créer ses propres images. Parce qu'à l'écoute, c'est magnifiquement réussi et mature. Mature, comme on dit d'un bon vin, qu'il est temps de boire.


Evidemment ça plane, ça vogue, ça roule. J'y entends les enfants de Zappa et Marcœur qui se seraient entichés des musiques répétitives, des mélodies impressionnistes et des harmonies hadeniennes. La musique française a toujours lorgné du côté de l'orfèvrerie quand les Anglo-saxons préféraient la ferronnerie, ou les Méditerranéens la maroquinerie. La diversité des paysages hexagonaux se retrouve dans leurs transpositions qu'ils imaginent rétrofuturistes. C'est probablement ce qui fait la richesse de la musique actuelle. Entendre actuelle au sens de celle qui s'affranchit des modes et des styles pour se laisser porter par sa propre histoire.

Abysskiss, CD et Bandcamp, 8€

lundi 26 décembre 2022

En selle !


Après l'horrible grippe qui m'a assailli, comme beaucoup de camarades, dix jours d'affilée, j'ai surtout une extinction de voix tenace. Autour de moi, il y en a que cela repose. J'avais repris l'habitude de parler seul, des commentaires entre moi et moi, histoire de valider que j'étais bien là, bien à ce que je faisais, et pas ailleurs, dans mes rêves, avec cette manie de toujours faire plusieurs choses à la fois. Ne pas pouvoir l'ouvrir me met dans une situation univoque, ne pensant que dans l'unicité, sans possibilité de dialectique, interne évidemment, mais externe également puisque ne pouvant rien émettre on ne me rétorquera rien. Mon goût du partage s'en trouve fortement lésé. Je peux toujours écrire, mais le délai de réponse est à l'échelle de celui de l'émission. J'ai remplacé mon vieil iPhone par un aPhone de dernière génération. Il paraît que murmurer retarderait la guérison. Je trouvais plutôt amusant de prononcer lentement les syllabes sur un souffle, mais, bon, je n'en ferai rien. Sauf urgence.
D'urgence il n'y en a plus. La semaine qui se profile devrait être calme. Le toit de la maison a été isolé, traité, consolidé. Il était temps. C'est réglé. On dit "comme sur du papier à musique", mais on sait bien ce que je fais des lignes à longues portées. Les usines fonctionnent au ralenti. Il aura d'ailleurs fallu treize mois pour qu'un pressage en sorte. Le vinyle allemand Toxic Rice avec la pièce Très toxique d'Un Drame Musical Instantané sur la face A et Es Gibt Reis ! de Kommissar Hjuler und Frau sur la B traversera bientôt la frontière. Je possède quatre exemplaires de la version de luxe avec vitrine 30x30 cm, quatre sculptures uniques produites par le label Psych.org. J'ignore qui cela peut intéresser par ici. Je ne suis pas marchand d'art. Par contre il est très probable que nous mettions en vente quelques exemplaires d'une version réduite à la Face A, celle du Drame, sous label GRRR. De l'autre côté un noir immaculé, comme un "mirnoir". Trois éditions différentes du même vinyle à une époque de ralentissement du marché, c'est étrange. Il y en aura pour toutes les bourses. Notre enregistrement a été réalisé le 21 décembre 1976, juste avant Trop d'adrénaline nuit. Ce sont les premiers balbutiements d'un nouveau bébé. Quelle énergie ! Dix-neuf minutes où je joue de l'ARP 2600 et des cassettes, du sax alto, de la flûte et des trompes, de la guitare, de la mandoline et du frein, de la percussion... Avec Francis Gorgé à la guitare électrique et Bernard Vitet aux percussions, appeaux, sax alto, trompette à anche, violon et frein. Le frein est un instrument électrique qu'il avait inventé, une sorte de contrebasse à tension variable, comme un immense gopitchang. La trompette à anche était aussi une idée à lui. J'avais remasterisé la pièce l'année dernière.
Je digresse, par impatience, alors qu'on a tout le temps. Rentré à la maison je me suis remis en selle. Avec la crève cela faisait quatorze jours que je ne l'avais pas enfourchée. Cela fait un bien fou. Comme le Phó que j'ai commandé chez Dong Huong. Cela vous remet son bonhomme d'aplomb. À midi, en gare de Nantes, j'avais été obligé de mettre mon déjeuner de Prêt à manger à la boîte à ordures. Ce que j'avais avalé est passé en rentrant, grâce au Gaviscon. Tous les commerces viables étaient fermés. Pour les commentaires réclamés par la SNCF je n'ai pas manqué le couplet sur l'accueil des contrebasses dans les rames. Quelle honte ! Je passe du coq à l'âne, mais quand on n'a rien de particulier à faire on se disperse sur mille petites choses en ayant l'impression d'avoir perdu son temps. C'est que je compte faire cette semaine, perdre mon temps. J'avais bien commence il y a deux semaines avec la grippe. Il faut que je profite de ma lancée, à commencer par dormir. Il semble que la mélatonine fonctionne. Je tiens au moins cinq heures. Quel progrès ! On verra si je suis à la hauteur de ma paresse revendiquée et d'une procrastination aussi peu prouvée. L'idée des prochains jours est donc essentiellement de me requinquer.
Pourtant, me relisant, mieux, tentant de numéroter mes abattis, je ne suis pas certain que ma grippe soit totalement passée. On dirait que son virus s'est inspiré de celui de sa cousine, la Covid. Chacun, chacune, y fait face à sa manière, en fonction de ses propres ressources, mais je note que plusieurs fois il m'a semblé que c'était terminé, et cela repartait le lendemain, de plus belle ou sous une nouvelle forme. En tout cas, ça vous déglingue et ce n'est pas un petit épisode.

vendredi 23 décembre 2022

Histoire de fantômes


Ma chambre est plongée dans le noir. Je suis seul dans mon lit, bruyant et remuant comme un beau diable. Il y a longtemps Françoise avait filmé mes bonds de dormeur, sorte de lévitation convulsive. Me voici donc rassurant, oui ce n’est que moi, mais je suis tout de même désolé de tout ce raffut, tu me connais. On a du mal à s’y faire, partagé entre la précaution de ne pas réveiller l’autre et la liberté qu’il n’y ait personne sur le flanc est. Pas moyen de m’y faire totalement. Je ne profite qu’à moitié de cette absence. Dans le même temps je me laisse aller à certaines trivialités et je m’en excuserais presque. Mon ciboulot danse d'un pied sur l'autre, tel un homme têtard. Le désir est parfois plus contraignant que la réalité. C’est alors mon neuvième jour de grippe, sans pour autant le bout du tunnel. Je vais plusieurs fois cracher dans les cabinets, me recouchant pour aussitôt me relever en faisant attention de ne pas allumer la lumière pour ne pas te réveiller. Il est crucial de remplir mon verre d’eau. On ne peut se passer de boire. Je repose donc chaque fois délicatement le récipient dont les parois ont fini par devenir troubles. J’ai rarement été aussi malade. Je n’ai plus de fièvre, mais j’ai perdu la voix et je ne veux pas que Didi, fils du vénérable Wang Jen-Ghié, me coupe la tête pour m'aider à la retrouver. Les quatre premières nuits, terriblement blanches, m’ont coincé dans un no man’s land où les irritations nasales puis les quintes de toux ont eu raison de la mienne. Pourtant je ne rêve pas. Est-il possible que tu sois, que vous soyez, à la fois présente/s et absente/s ? Entre souvenirs et ectoplasmes. Le chat de Schrödinger s’est malicieusement couché entre Django et Oulala. Je glisse comme un fantôme, sans pieds ni jambes, sous mon peignoir de coton noir, comme un suaire de suie. Il m’arrive d’avoir des bouffées de chaleur sans que j’en comprenne l’origine. Ben v'là aut'chose ! L'andropause ? Si ce n’était que ÇA. La morphine a momentanément réglé son compte à ma toux compulsive, mais j’ai mal aux cheveux. La fatigue ne me lâche pas. Les aliens de trois ou quatre centimètres que j’ai extraits de mes narines m’inquiétaient ; il aurait fallu qu'ils bougent pour que Cronenberg me les rachète. Tintin. Aucune trace de ces bestioles sur le Net. Les spécialistes s'en fichent. Mises de côté pour éventuelle analyse, elles finissent par se dessécher, rendant mon récit peu compréhensible. Je peste, repensant aux quatre pages D'une histoire féline que Cocteau relate dans son Journal d'un inconnu et aux fantômes successifs qui m’ont collé dans de beaux draps. Ce sont pourtant bien les miens.

Deux jours et un TGV plus tard, je me réveille encore une fois dans le noir. Un filet de lumière passe sous la porte. Je me demande si j'ai oublié d'éteindre avant de m'endormir ou si le soleil a déjà pointé son nez. C'est dire à quel point je suis désynchronisé. J'émerge simplement d'une sieste réparatrice. La solitude ne me convient pas tant que l'unicité, mais je suis toujours aphone. Ce n'est pas très pratique pour communiquer avec Eliott qui, lui, a des séquelles de surdité de sa récente crève. Nous avons convenu que je siffle, me remémorant les grimaces de Harpo, ce qui me change de mon côté Groucho et de mon pseudo, Mellow, qui, retranscrit à la japonaise, sonne comme une guimauve. La guimauve serait anti-inflammatoire, antitussive, décongestionnante, émolliente et drainante. Fondamentalement expérimental, je suis prêt à tout essayer, y compris l'irrationalité, fut-elle philosophiquement matérialiste, une forme d'animisme moderne. L'inconscient est l'un des principaux carburants de l'énigme.

Le troisième rêve portait sur l'identité du rêveur !

jeudi 22 décembre 2022

Une histoire populaire de l'empire américain


La prolifération de bandes dessinées politiques à contenu historique fait penser aux illustrés de propagande avant l'avènement des actualités cinématographiques et de la télévision. Je tiens ainsi de mon père un exemplaire de 1912 de L'Alsace heureuse de Hansi qui n'est pas piqué des doryphores. Il est de véritables chefs d'œuvre tel Maus d'Art Spiegelman (Prix Pulitzer 1992), des sagas autobiographiques tel Persepolis de Marjane Satrapi, des reportages impliquant directement des journalistes tels Le photographe de Didier Lefèvre (décédé prématurément en 2007) ou Gaza 1956 de Joe Sacco, des enquêtes pamphlétaires tel L'affaire des affaires de Denis Robert, etc. Certains sont des adaptations de livres existants tel Une histoire populaire de l'empire américain de Howard Zinn (disparu le 21 janvier 2010), les autres ayant été pensés à l'origine dans leur format actuel. Les meilleurs réunissent un dessin original qui colle au propos, un scénario digne des meilleurs romans et une mise en page tenant compte des tournes, tandis que les pires joueront le rôle de vulgarisateurs auprès de jeunes lecteurs qui ne sont pas encore passés à la lecture proprement dite. J'en fais momentanément partie.
Le volume 2 du livre de Denis Robert me donna envie de continuer mes recherches sur le Net ou dans d'autres ouvrages, et je finis par comprendre grâce à lui comment fonctionnent le blanchiment de l'argent sale et les pouvoirs limités des États entre les mains des maîtres-chanteurs de la finance. Le résumé illustré de Howard Zinn, réalisé en collaboration avec le dessinateur Mike Konopacki et l'historien Paul Buhle, tient plus du livre d'histoire en bandes dessinées, mais il a le mérite de révéler des pans cachés ou méconnus de l'histoire américaine, depuis le massacre des Indiens à Wounded Knee jusqu'en 1980 lors de la chute du Shah d'Iran. On reconnaît avec effroi que la politique expansionniste américaine n'a pas changé depuis sa fondation, s'appuyant toujours sur le crime, le parjure, l'injustice, la guerre et le colonialisme. Étouffer ces pages d'Histoire, c'est la reproduire éternellement jusqu'à la catastrophe inévitable, puisque tous les empires finissent toujours par s'effondrer dans la honte et la déchéance. Il est passionnant de découvrir les révoltes des esclaves et le mouvement des Noirs contre le racisme et pour les droits civiques, la résistance des ouvriers et des syndicalistes contre le Capital, le combat des femmes contre le patriarcat, les guerres incessantes de Cuba aux Philippines, du Vietnam à la péninsule arabe, les ingérences en Amérique du Sud comme dans tous les pays du monde. Même si l'on est vaguement au fait de tout cela, l'ouvrage nous éclaire sur maint détail à nous en laisser pantois. Aucun doute n'est permis sur les méthodes monstrueuses et illégales des gouvernements américains successifs depuis des décennies. Les complots fomentés par la CIA sont légion et qui en doute peut se poser la question de son utilité sinon ! Leurs archives ont le mérite d'être déclassifiées plus rapidement qu'en France... Savoir enfin que la résistance existe toujours où que s'exercent l'horreur et la répression est facteur d'espoir. À condition de vivre debout.

Article du 29 avril 2010

mercredi 21 décembre 2022

Ascenseur !


Ma nièce devait avoir trois ans lorsque sa maman lui demanda d'appeler l'ascenseur. Prenant la chose à cœur elle cria de toutes ses forces : "Ascenseur !".
[L'aînée avait grandi et n'était déjà plus l'as en sœur ;-)]
Quelques années plus tard, elle fera comme tout le monde, elle appuiera sur le bouton. J'avais douze ans à mon premier voyage aux États Unis quand je découvris qu'il n'y avait pas de treizième étage. On passait directement du douzième au quatorzième. Trois ans plus tard, le liftier nous emportait directement jusqu'à l'appartement improbable que l'on nous avait prêté sur un toit de Manhattan, encombré de Moore, Arp et de Calder ! Dans l'ancien hôtel de chasse de Richelieu de la rue Vivienne j'empruntais le vieil ascenseur en bois verni pour monter au troisième où mes parents louaient une partie d'un meublé au-dessus d'un cercle de jeu. Rue Léon Morane notre rez-de-chaussée en gravier aggloméré escamota la cabine. Rue des Peupliers je préférais l'escalier qui allait toujours plus vite à un âge où l'on monte quatre à quatre et où l'on saute des demi-étages. Route de la Reine notre neuvième nous épargnait la grimpette sauf les jours de panne. Rue du Château notre jeunesse nous rendait forcément paresseux. Rue de l'Espérance j'avais pignon sur rue. L'ascenseur du boulevard de Ménilmontant était beaucoup trop capricieux pour être pris autrement que lorsque nous étions chargés... Anh-Van s'est d'ailleurs retrouvé coincé dedans au mois d'août avec personne dans l'immeuble. Il avait calculé combien de jours il pourrait tenir en buvant son urine. Les ascenseurs m'ont toujours fait penser à des cercueils en route pour les étoiles ou les ténèbres, un sous-marin renversé, une cellule pas si moderne. Le mari de Claudette avait eu le temps de sauter avec sa môme avant qu'il ne s'écrase en bas...
Ces pensées se télescopaient tandis que je quittais le magnétiseur. En général, je grimpe avec et redescends sans [...]. Habitant une maison à quatre niveaux, j'ai l'impression de vivre en abscisse et ordonnée pour entretenir ma santé. Si un jour je construisais quelque part un ascenseur je voudrais qu'il soit suffisamment grand pour en faire une pièce à part entière, chambre ou petit salon avec vue sur la nature ! Mais rien de tout cela ne vaudra jamais le garçon d'ascenseur des Galeries Lafayette de mon enfance, annonçant les rayons à chaque étage, dont celui des jouets... Et Bourvil de chanter en 78 tours, sa mélodie suivant aller et retours : "Ça monte toujours en l'air, puis ça redescend en bas !"

Article du 15 avril 2010

mardi 20 décembre 2022

Todd Solondz


Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après. Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil, qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. [...]


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.

Article du 11 avril 2010

lundi 19 décembre 2022

Grippe et sommeil



Cela semblera évident pour certain/e/s, mais il faut parfois se coltiner l'expérience pour comprendre ce qui est en jeu, en l'occurrence le sommeil et le rhume, a fortiori la grippe. J'ai beau tourner cela dans tous les sens, et suivre le mouvement dans mon lit, changer souvent de position ne produit pas d'effet positif, bien au contraire. Il n'existe aucune bonne solution. L'obturation des fosses nasales altère les facultés de bouger à tel point que je le vis de manière claustrophobe. Le principe des vases communicants appliqué aux narines permet d'aborder le sujet de manière objective. De même, l'impression de suffocation empêche de traiter la question de l'insomnie potentielle. C'est fichu, quelle que soit la médicalisation adoptée.
À noter que les conseils amicaux reproduisant sa propre ordonnance tiennent du matérialisme mécaniste en négligeant le travail des professionnels qui ont peaufiné une recette appropriée à un individu bien précis. Exemple : le fait que je sois potentiellement asthmatique m'empêche d'utiliser certaines huiles essentielles qui ont fait leurs preuves pour d'autres. Il n'empêche qu'il existe des produits magiques, en allopathie comme en homéopathie, là tout le monde n'est pas d'accord et ses adeptes sont pris pour des gogos bénéficiant de l'effet placebo, mais je ne cherche nullement la polémique, allez en parler à mon cheval ! D'un continent à l'autre certaines pratiques peuvent sembler contradictoires tout en ayant prouvé leur efficacité depuis parfois plusieurs millénaires. Enfin malgré mes sérieux doutes sur la qualité des vaccins promus et la probité des laboratoires pharmaceutiques, il est hors de question que je me coltine un Covid ou une grippe carabinée dans les années qui viennent, je me ferai donc piquer, n'ayant pas grand chose à en craindre à mon âge !
Je cherchais donc à bien dormir alors que j'avais le nez pris. C'était forcément un vœu pieu. La première chose à régler était de m'éviter de consommer deux boîtes de Kleenex en une seule nuit ou d'être victime de quintes de toux toutes les deux minutes. Passé ces périodes critiques on peut retrouver une fluidité de positions de sommeil propre à chacun/e. Ce n'est pas tout ça, je me suis levé au milieu de la nuit pour me débarrasser de ces réflexions qui me trottaient dans la tête, mais j'y retourne, évidemment perturbé par quelques éternuements, toux, irritations de la gorge et obstructions nasales très contrariantes. Quant à la pharmacopée ordonnée elle fut tout simplement en rupture de stock, aussi le commerçant crut bon de me refiler un sirop aux plantes totalement inefficace. M'étant couché très tôt en espérant rattraper mes cinq nuits blanches, à trois heures du matin j'étais donc debout à taper ces mots au coin du feu que j'avais heureusement préparé. Plus tard un voisine m'apportera du Néo-codion en espérant que cela atténuera les quintes de toux qui m'empêchent de dormir et m'épuisent, dos au sol. D'ailleurs je n'ai plus de voix, ce qui pourrait plaire à certains de mes proches !


En y repensant je me demande comment samedi j'ai réussi à enregistrer la musique de Pierre-Oscar, bégayant Ah vous dirais-je maman et un leitmotiv de quelques notes sur divers instruments d'époque. Sur sa photo je me trouve bien fatigué et pâlichon. Ce n'est pas qu'une impression en ce septième jour d'absences !

samedi 17 décembre 2022

Nuits blanches


Je suis très inquiet. La grippe qui me terrasse m'a empêché de dormir quatre nuits de suite. Au début c'était les éternuements incessants, puis la toux a pris le relais, bousculant mes côtes. Pour faire baisser la fièvre je prends quatre Doliprane par jour, ce qui supprime les grelotements. Mais rien n'y fait vraiment, et surtout je ne dors pas. J'ai tout essayé, sauf les somnifères. Je n'en ai jamais pris. L'impression qu'il pourrait se passer quelque chose pendant mon sommeil et qu'il serait impossible de contrer. C'est comme les volets sur rue que je laisse toujours ouverts la nuit. J'ai l'habitude de dormir peu, mais je m'endors en trente secondes. Lorsque j'ai une insomnie je vais travailler et je me recouche au bout d'une heure, hop, réendormissement assuré. Cela ne marche pas. Est-ce le Lévothyrox que je prends depuis mon ablation de la thyroïde pourrait être à l'origine de ma veille ? Ou l'angoisse d'approcher la date anniversaire de la mort de mon père un 2 janvier, à l'âge qui est le mien aujourd'hui ? Les amis, les amies me suggèrent maints remèdes de bonne femme que ce soit pour la grippe ou l'insomnie, je les suis, mais aucun n'a le moindre effet. Je fais des mélanges. Nuits blanches est le titre d'un film de Lucchino Visconti, même scénario d'après Dostoïevski que les Quatre nuits d'un rêveur de Robert Bresson. Quatre nuits. Venise ou Paris. Deux villes encore magiques, la nuit. Deux films qui m'ont considérablement marqué. Peut-être ne suis-je pas encore remis de mes récentes séparations ? À côté de la plaque ! Pas question pour moi de rajouter une cinquième nuit blanche, mais comment faire ? Je n'ai pas l'impression d'être fatigué par le manque de sommeil, mais bien par cette vilaine grippe qui m'entraîne jusqu'à l'ennui, un sentiment pourtant très rare chez moi. Ce matin j'ai pris mon courage à deux mains et enregistré une musique de film pour Pierre-Oscar Lévy, ensuite je suis allé me recroqueviller sous la couette en attendant le médecin. Il y a des fins d'année plus rigolotes, mais il reste tout de même deux semaines...

P.S.: c'est bien la grippe, le camarade médecin m'a prescrit une ordonnance, je vais rester tranquille jusqu'à mon départ pour Nantes...

vendredi 16 décembre 2022

Socrate


Citant hier [8 avril 2010] le Piège de Méduse d'Erik Satie et sa musique d'ameublement ayant marqué le début de la visite-concert que nous fîmes de l'exposition Vinyl avec Vincent Segal à La Maison Rouge, j'ai ressenti l'envie soudaine de réécouter Socrate, le "drame symphonique avec voix" qu'il composa d'après Platon à la commande de la mécène Winnaretta Singer, héritière des machines à coudre et veuve du prince Edmond de Polignac. Satie attendit que Claude Debussy mourut pour oser écrire une œuvre grave, un opéra, fut-il "de chambre". L'estime dans laquelle il portait son ami le retenait. Debussy avait tenté de l'aider en orchestrant deux Gymnopédies et les Sarabandes, mais Satie souffrait d'une incompréhension qui lui rappellera celle de Socrate. À la création en 1918, le public rit de l'œuvre, la prenant pour une ultime facétie du maître d'Arcueil. Jane Bathori tenait le rôle principal, accompagnée par Satie au piano. La première avec orchestre n'eut lieu qu'en 1920. Elle est écrite pour trois sopranos et une mezzo, à la demande de la princesse de Polignac, très liée au milieu homosexuel comme feu son époux, qui désirait de la musique pour accompagner une femme lisant des textes philosophiques.
Le premier mouvement, Portrait de Socrate tiré du Banquet de Platon ("un collaborateur parfait, très doux et jamais opportun") et traduit comme le reste par Victor Cousin, est un éloge dissimulé de la mécène envers son mari. Elle avait également sorti Satie de prison après qu'il ait envoyé une carte postale injurieuse à un critique. J'aimerais bien connaître les termes qui justifièrent l'incarcération, mais l'on peut y voir un autre motif de sympathie du compositeur pour Socrate. Si le second mouvement, Sur les bords de l'Ilissus, est une promenade champêtre de Phèdre avec le philosophe, la Mort de Socrate, extrait de Phédon, est le plus émouvant, les deux précédents nous y amenant doucement. Les intonations du texte ne sont jamais exagérées. La modernité du parlé-chanté (la partition porte en exergue "Récit (en lisant)" ) me renverse comme, à la première écoute, il y a près de quarante ans, lorsque je dégottai la version dirigée par Friedrich Cerha avec quatre sopranos (LP Candide CE 31024). Peu de temps après, j'achetai une version adaptée pour ténor et piano interprétée par le grand Hugues Cuénod (LP Nimbus 2104, étonnamment stéréo et quadriphonique à condition de posséder un décodeur d'époque !). Chaque mot y est naturellement articulé, le texte si compréhensible qu'il nous permet de suivre la pensée d'Alcibiade, Socrate, Phèdre et Phédon, mais, comme souvent lors de la découverte d'une œuvre marquante, la première interprétation vous semble inégalée. J'ai toujours été surpris par le peu de cas fait de cette œuvre majeure de la musique française, chef d'œuvre de simplicité où l'émotion vient à son comble lorsque Socrate, prenant congé de ses amis, boit la ciguë, sentence de ses juges imbéciles. La ligne mélodique est si évidente qu'il nous semble être là, dans le même espace-temps que Socrate lui-même.
Rien d'étonnant à cette téléportation réussie lorsque l'on sait que c'est sur cette partition que Satie écrivit la première fois "musique d'ameublement" ! À ne pas confondre avec la Muzak et la musique d'ascenseur. C'est comme comparer la fontaine de Duchamp avec tous ses imitateurs. "Contribuer à la vie au même titre qu'une conversation particulière, qu'un tableau de la galerie ou que le siège sur lequel on est, ou non, assis." En faisant sous-jouer texte et musique, Satie fait de Socrate un des jalons de la musique du XXème siècle, en préservant l'émotion, à son comble tant on a l'impression d'y être, comme un fait-divers dans le journal de ce matin.

Article du 9 avril 2010

jeudi 15 décembre 2022

Je rêve


Je rêve d'un film en 5.1 où les sons diffusés derrière les spectateurs les inciteraient à tourner la tête pour qu'ils ratent ce qui se passe sur l'écran, rajoutant du suspense, de la frustration et du désir. Je rêve d'un film en 3D où les images viendraient vous chercher sur votre fauteuil en vous chatouillant le nez, des personnages qui sortiraient de l'écran pour venir vous susurrer des choses à l'oreille, comme une traversée du miroir. Je rêve d'une chaîne de télévision généraliste où toutes les émissions seraient en direct, mettant en scène le réel et ses aléas. Je rêve d'un spectacle en public où chaque représentation serait radicalement différente, on appellerait cela improviser. Je rêve d'un disque dont on aurait envie d'accrocher la pochette au mur comme un tableau. Je rêve d'un orchestre qui accompagnerait les informations en direct, analysant la fiction à l'œuvre dans le 20 heures par une dramatisation épique des événements. Je rêve que les speakers se mettent à chanter pour casser leur immuable et uniforme prosodie. Je rêve de danses qui poussent à se toucher. Je rêve de livres tels que l'on ne puisse s'empêcher de les lire à haute-voix. Je rêve que les villes trouvent chacune leur style d'urbanisation sonore, que leurs murs se parent de couleurs, que les objets du quotidien devenus customisables rivalisent de fantaisie. Je rêve que l'on apprenne à se servir des merveilleux outils qui sont les nôtres. Je rêve de trouver chaque jour une nouvelle idée pour pouvoir continuer à écrire. Je rêve de choses plus graves et d'autres plus légères. Je rêve d'avoir toujours la patate pour aborder les premières. Je rêve de prendre le temps de profiter des secondes. Je rêve que les capitalistes aient une autre solution que la guerre pour sortir de la panade. Je rêve que les populations les renversent avant la catastrophe.

Diapo-montage, 1965.

Article du 30 mars 2010
Cette fois, pas d'autre choix que de revenir sur ces souhaits toujours d'actualité, une grippe carabinée me rendant incapable de faire quoi que ce soit, même de dormir, ainsi ces rêves me requinquent un peu...

mercredi 14 décembre 2022

Vivre la mort du vieux monde


Vivre la mort du vieux monde est encore un disque représentatif de la pop française du début des années 70. Le premier album du groupe Maajun, avant que Jean-Louis Mahjun rajoute du H à leur nom, rassemble des chansons revendicatives d'un nouveau monde, d'amour et de paix. La libération sexuelle est à la mode. Les influences vont du musette à la musique indienne fondues dans une pop expérimentale assez carrée. À l'époque le folk flirte avec le rock. Les musiciens sont tous multi-instrumentistes : Jean Louis "Mahjun" Lefebvre (basse, violon, guitare, voix), Roger Scaglia (guitare solo, clochettes, shenaï, voix), Alain Roux (saxophones, flûte, harmonica, cythare, voix), Cyril Lefebvre (guitares, dobro, banjo, orgue), Jean-Pierre Arnoux (batterie, saxophone, tablas, vibraphone). Sur la pochette ils se présentent seulement sous leurs prénoms. Ils ont les cheveux longs. S'ils se réclament de Captain Beefheart, Jimi Hendrix et Frank Zappa, la logique musicale, qui rappelle fortement Jacques Higelin, les fera plus tard glisser vers la chanson française. Ce premier disque est sorti à l'origine en 1971 chez Vogue alors que les suivants avec des musiciens différents aboutiront chez Saravah, le label de Pierre Barouh, avant d'être réédités par Le Souffle Continu en 2016.

→ Maajun, Vivre la mort du vieux monde, Le Souffle Continu, CD 12€ / LP 23€, sortie le 9 décembre 2022

mardi 13 décembre 2022

Circonflexe


Il fait froid. Tout le monde le sait par ici. Je brûle quelques bûches dans l'âtre. Trois accents circonflexes dans une phrase indépendante. Étonnant pour un diacritique exprimant une suppression. Sur un autre plan on en rajoute tout en haut. Les couvreurs vont insérer de la laine de verre entre les tuiles et le placo. Le toit aussi est circonflexe. J'y grimpe rarement, mais c'est toujours magnifique et surprenant de regarder le quartier sous un nouvel angle. Le 14 juillet nous nous asseyons sur les tuiles faîtières lorsque tombe la nuit. Sur le toit on trouve souvent des coquilles de noix ou des os que les corneilles ont lâché pour les briser et s'en repaître. Il fait froid. C'est rassurant en cette saison.
J'avais une autre idée en commençant cet article, mais je l'ai perdue en route. Peut-être pensais-je évoquer les films que j'ai regardés calfeutré ? Desquels me souviendrai-je ? She said de Maria Schrader est de facture plus classique que ses précédents, façon enquête journalistique d'inquisition à l'américaine, mais le sujet est d'actualité, l'affaire Weinstein ayant généré toute la vague MeToo & Co; il y aura un avant et un après. Les Nuits de Mashhad (Holy Spider), excellent thriller sur le machisme, aurait-il pu être réalisé si Ali Abbasi avait été iranien au lieu de danois d'origine iranienne ? La nuit du 12 de Dominik Moll est un bon polar français qui annonce la couleur en intro, énigme non résolue, c'est triste. Amsterdam est un film loufoque de David O. Russell avec des comédiens qui ont dû bien s'amuser, j'aime bien les films loufoques, mais ce n'est pas du niveau des Rois du désert ou de Happiness Therapy du même réalisateur. Armaggedon Time de James Gray est très fin, comme d'habitude. Ce n'est pas le cas de As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, insupportable, trop de violence imbécile et de racisme ordinaire même si c'est le sujet. Ce ne sont pas des critiques, juste un pense-bête. J'ai trouvé intéressant Moonage Daydream sur David Bowie, bonne utilisation du 5.1. Par contre Tár de Tood Field est caricatural de l'autorité abusive d'une cheffe d'orchestre. J'en ai vu beaucoup d'autres. Trop. J'en oublie beaucoup. Circonflexe et circonspect. Il faisait trop froid pour que je grimpe plus haut photographier les deux pentes !
C'était peut-être une autre idée. Je ne me souviens plus de rien. Semaine rock déglingué. Essais techniques avec ma nouvelle pédale d'effets Eventide, la H90. Week-end grand-père de garde. Musique de film à enregistrer aujourd'hui mardi. L'emploi du temps pourrait ressembler à une période de fêtes dès demain. Sauf qu'en fin de journée je découvre, un, qu'Eliott ou son père m'ont refilé leur crève, deux, que la chaudière est tombée en panne ! J'ai beau anticiper, préparer, rêver, rien ne se passe jamais comme prévu. Cela fait partie du jeu. Trouver des solutions à des problèmes qui n'en sont pas. Qui n'en sont plus. Forcément. L'un après l'autre. Ou bien tous en même temps. La liste des choses à faire est un puits sans fond. C'est vivre, et rêver.
Et me voilà à rajouter un nouvel addendum au moment de publier. Le dépanneur est resté de 21h30 à minuit. Conscience professionnelle. Cela remonte la moral de rencontrer des personnes qui aiment se sentir utiles, comme dans la chanson écrite par Roda-Gil que j'ai fait écouter à Stéphane cet après-midi-même...

lundi 12 décembre 2022

Pandore, le Monde dans l’œil d’Adam Curtis 


Découvrant une chronique du petit livre consacré à Adam Curtis dans les Cahiers du Cinéma, j'ai sauté de joie. De toute évidence son auteur n'avait que survolé l'œuvre du génial réalisateur de la BBC qui préfère d'ailleurs se penser journaliste. Tout le contraire de Julien Abadie, François Cau, Jérôme Dittmar, Fernandoo Ganzo et Jacky Goldberg qui, dans Pandore, le Monde dans l’œil d’Adam Curtis, évoquent relativement méticuleusement chaque film, ce qui a pour moi surtout l'intérêt de me rappeler leur contenu en fonction des titres, puisque je les ai tous dévorés, mais que je m'y perds parfois. L'initiative de ce petit livre revient à Jérôme Dittmar, directeur éditorial de Façonnage, une maison indépendante qui soigne la présentation. S'il a demandé au musicien Jean-Baptiste de Laubier [Para One] d'en écrire la préface, c'est surtout l'entretien avec Adam Curtis qu'il mène avec Jacky Goldberg qui me ravit. Mon documentariste préféré (je parle des vivants) répond avec la même rigueur qu'il utilise dans ses films, autant direct qu'entre les lignes, histoire de suggérer sans braquer le lecteur, comme il le fait avec ses employeurs de la télévision britannique. Ses points de vue sur le monde sont passionnants, loin des illusions perdues, fustigeant l'individualisme qui le plus souvent s'ignore, au profit d'un réveil collectif auquel il croit et du moins qu'il espère. Le plus simple est de republier deux articles que je lui consacrai, le premier du 23 juin 2016, le second du 24 Octobre de cette année.

Adam Curtis, documentariste à l'œuvre contre les idées reçues


Si vous n'avez jamais entendu parler du documentariste britannique Adam Curtis (plus fourni, mais en anglais dans le texte) cela n'a probablement rien de surprenant et il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu à regarder des reportages plan-plan comme il y en a tant. Adam Curtis réalise des films presque exclusivement pour la BBC, or le monde du cinéma méprise royalement ce médium. De plus il est anglais et il est difficile de trouver ses films sous-titrés. Deux raisons pour passer à côté d'un incontournable pourfendeur de l'establishment dont les recherches formelles de ses derniers films sont à l'égal des sujets traités. On connaît la réputation des Britanniques en matière de documentaires et cette fois vous serez servi !


Contrairement à ses autres documentaires qui ont recueilli quantité de prix dont de nombreux BAFTA, It felt like a kiss (2009) n'est pas un film en soi puisqu'il fait partie d'un spectacle multimédia de la compagnie Punchdrunk avec la partition du musicien de Blur et Gorillaz, Damon Albarn, interprétée par le Kronos Quartet, mais c'est un des plus drôles, accessible même si l'on ne comprend pas bien la langue de Shakespeare ou de Lennon-McCartney. Dans ses films les plus récents Adam Curtis utilise des images d'archives qui ne semblent pas toujours en rapport avec son sujet, mais qui sous-tendent un discours intelligent et sensible touchant souvent à l'inconscient. La manipulation de l'opinion dans les pays démocratiques est justement le thème de The Century of the Self (2002) ou comment le neveu de Sigmund Freud inventa les relations publiques et la société de consommation en adaptant les théories de son oncle, suivi par Anna, la fille coincée du psychanalyste viennois.


Dans tous ses films, souvent assez longs et découpés en trois ou quatre parties d'une heure, on découvre des séquences incroyables d'images vues nulle part ailleurs. La fiction et le réel se mêlent souvent pour servir son propos. Le travail de montage et de sonorisation est remarquable. Dans ses films les plus récents les cartons rappellent explicitement les travaux de Jean-Luc Godard, mais ailleurs la voix de Curtis accompagne souvent ses montages insolents ; les images et les sons ne sont pas des redondances du commentaire, ils jouent de transversalités en s'inspirant de Brecht et Freud. Pandora's Box (1992) aborde les dangers de la rationalité technocratique et politicienne, The Living Dead (1995) les manipulations de l'Histoire nationale et de la mémoire individuelle, The Power of Nightmares (2004) le parallèle entre l'islamisme du monde arabe et le néo-conservatisme des États Unis avec leur intérêt mutuel de créer un ennemi pour attirer notre sympathie, The Trap - What Happened to our Dream of Freedom (2004) le concept simpliste de liberté sur des êtres devenus robotiques à force de bourrage de crâne, All Watched Over By Machines of Loving Grace (2007) la faillite des ordinateurs à nous rendre la vie meilleure, Bitter Lake (2015) l'alliance perverse de l'Arabie Saoudite avec les États Unis créant un monstre sous prétexte de lutter contre le Mal, etc.
J'ai découvert Adam Curtis par hasard en prenant It felt Like A Kiss pour un film de Bill Morrison dont j'ai acquis depuis le triple coffret Blu-Ray. Le style était très différent, mais l'un et l'autre se servent exclusivement d'images d'archives avec des partitions sonores savamment travaillées. Je pensais plutôt à une sorte d'actualisation du génial A Movie (1958) de Bruce Conner.


Il existe quantité de petits films et la plupart des longs de Curtis sur Vimeo ou YouTube, tous en anglais [souvent] non sous-titrés, mais relativement compréhensibles selon vos connaissances en anglais. J'en ai reproduits deux ci-dessus, commencez par ceux-là, les plus anciens sont de facture plus classique, mais très au dessus de ce que l'on nous montre la plupart du temps.

Russia 1985-1999: TraumaZone


Russia 1985-1999: TraumaZone (sous-titré un temps What It Felt Like to Live Through The Collapse of Communism and Democracy, soit Ce que j'ai ressenti à vivre la chute du communisme et de la démocratie) est un documentaire en six parties d'une heure chacune, réalisé par le formidable Adam Curtis. Mais cette fois le réalisateur britannique n'ajoute aucun commentaire en voice-over ni d'illustration musicale. C'est un montage brut de documents d'archives avec seulement des titres ou phrases informatives qui s'inscrivent de temps en temps en surimpression. Personne à la BBC ne voyait l'intérêt de ces stock-shots numérisés par un des employés du bureau de Moscou jusqu'à que Adam Curtis décide de s'y coller. Comme tous ses films précédents, l'expérience est époustouflante. Au travers de courtes séquences extrêmement variées de la vie quotidienne en Russie, publique et privée, mais aussi le désastre militaire en Afghanistan ou les recherches sur le site de Tchernobyl, Adam Curtis montre la déliquescence de l'Union Soviétique, la montée du capitalisme et de la puissance des oligarques, les retombées sur toutes les couches de la société russe qui mèneront au pouvoir grandissant de Vladimir Poutine. Les séquences a priori sans rapport de cause à effet relèvent de l'art du montage, laissant au spectateur le soin de créer ses propres synapses. Toutes proportions gardées, je n'ai pu m'empêcher de penser aux chefs d'œuvre La route parallèle de Ferdinand Khittl ou aux Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard [comparaison qui contrarie Curtis qui ne les a pas vus ! Peut-être craint-il de rencontrer un autre lui-même comme jadis Schnitzler et Freud].


Mikhaïl Khodorkovski, le premier oligarque, spécule sur le passage des échanges "non cash" (beznalichnye) à l'argent réel. Mais les prix commencent à flamber pour la population. Mikaïl Gorbatchev espère sauver le communisme, mais la Perestroïka devient une catastrophe. Elle exacerbe les nationalismes et les désirs d'indépendance des différentes républiques qui composaient l'URSS. Les émeutes en Géorgie sont réprimées. L'Arménie se rebelle et vote l'indépendance. Boris Eltsine donne le coup de grâce à ce qu'il était coutume d'appeler le communisme en Russie et à la Perestroïka. La corruption bat son plein. Le putsch de Moscou échoue, mais il affaiblit l'armée soviétique. La guerre de sécession en Tchetchénie n'arrange rien. Avec Iegor Gaïdar la Thérapie de choc qui génère des privatisations aux mains d'une nouvelle mafia est perçue comme un génocide économique. Le nationalisme russe grimpe. Les oligarques et l'équipe autour de Yelsine qui voient la tentative de démocratie à l'américaine et l'économie de marché comme un échec nomment un bureaucrate anonyme à la tête du FSB (ex KGB) avant de propulser leur créature premier ministre. Il se nomme Vladimir Poutine. Il redonnera aux Russes leur honneur bafoué avant de sombrer à son tour, aveuglé et perverti par la soif du pouvoir, avec en apothéose l'invasion de l'Ukraine, exploitée par les États-Unis manipulant leurs alliés via l'OTAN.
Russia 1985-1999: TraumaZone, c'est Adam Curtis au Pays mourant des Soviets. Les six épisodes sont chronologiques : 1985-89, 1989-91, 1991, 1992-94, 1993-96, 1995-99. Le film Hypernormalisation d'Adam Curtis de 2016 est un excellent complément pour renvoyer le capitalisme occidental à sa propre monstruosité.

→ Collectif, Pandore, le Monde dans l’œil d’Adam Curtis, Façonnage Édition, 18€

vendredi 9 décembre 2022

Ajitsuke Tamago


Depuis que j'ai commencé à préparer les œufs à la japonaise, je n'arrête plus d'en cuisiner. Il faut dire que, comme pour les pommes de terre, chaque manière de cuire les œufs leur donne une consistance et un goût différent. Je n'ai jamais été fan des œufs durs que je trouve bourratifs sauf dans certaines préparations où ils sont associés, mais le matin je mange souvent des œufs au plat, pochés, brouillés ou en omelette. Je tiens de mon père quelques petites astuces comme ajouter un peu d'eau plutôt que du lait dans l'omelette pour la rendre légère, ou encore tourner sans cesse les œufs brouillés et la crème fraîche avec une cuillère en bois et surtout les retirer du feu avant qu'ils soient cuits pour conserver leur moelleux. Il y a quarante ans j'ai eu l'idée d'en faire en ramequins au micro-ondes : je bats un œuf au fond du récipient individuel, j'ajoute de la crème fraîche (toujours généreusement), sel, poivre, etc. et recouvre de fromage râpé ; en 40 secondes le résultat monte en soufflé et c'est délicieux. En cuisine je remplace souvent le sel par une des mes nombreuses sauces de soja que j'achète chez ACE ou K-Mart rue Sainte-Anne, ou encore Kioko rue des Petits Champs. C'est mon expédition régulière à l'Opéra. Il m'arrive aussi de rapporter des œufs de cent ans des épiceries chinoises ou de gober des œufs de caille (il paraît que c'est indiqué contre le rhume des foins) !
Amateur de rāmen, j'ai donc décidé de préparer des œufs (Tamago en japonais, quelque chose qui n'est pas arrivé à maturité) marinés à la japonaise, les œufs Ajitama. C'est très simple sauf qu'écaler est un peu minutieux (il faut rouler la coquille pour qu'elle se mette en tous petits bouts et commencer par la grosse extrémité où réside la chambre à air). Faire bouillir les œufs 6 minutes, les tremper dans l'eau glacée, les écaler et les laisser entre 12 et 48 heures au réfrigérateur dans une saumure constituée de 12 cl de sauce de soja, 6 cl de mirin, 6 cl de saké, 50 cl d'eau. Comme pour le bouillon des rāmen (je n'utilise plus que des sauces de soja japonaises pour soupe qu'on allonge avec de l'eau), toutes les facéties aromatiques sont ajoutables à la marinade (champignons shiitake, flocons de bonite, anchois, sardines, algue kombu, oignon, ail, gingembre, etc.). On peut aussi laisser tremper les œufs un bon quart d'heure dans de l'eau bouillante avant de les écailler, et les laisser mariner dans le jus de cuisson refroidi d'un porc Chashu ou dans une sauce Teriyaki diluée avec de l'eau (1/3 pour 2/3). Les Ajitsuke Tamago ont un délicieux goût fumé, sucré-salé.

jeudi 8 décembre 2022

Surtout pas Fedex


Les entreprises dans leur routine font parfois preuve d'une telle mécanorigidité qu'elles sombrent dans une incompétence incommensurable qu'aucun humain, fut-il le pire imbécile, ne saura jamais égaler. On nage alors dans le vaudeville kafkaïen qui mérite qu'on en rit plutôt qu'on en pleure. On raconte d'ailleurs que Franz, juché sur un tabouret, avait du mal à lire à haute voix son Château tant son roman le faisait se bidonner. La mésaventure dont sont aujourd'hui victimes certains clients de Fedex explique ainsi pourquoi je n'ai jamais reçu un instrument de musique envoyé d'Allemagne et arrivé en France près de chez moi, malgré mes doléances dûment formulées. L'entreprise américaine spécialisée dans le transport international de fret qui avait égaré mon colis ne s'expliqua ni ne s'excusa jamais. La taxe douanière avait même été réglée, ce qui ne m'empêcha pas de faire le deuil de cet achat réalisé deux ans plus tôt sur KissKissBankBank. Pour avoir subi les affres des transports routiers et aériens lorsque nous tournions avec Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins connectés, je sais à quel point les chauffeurs sont doués de fantaisie ambulatoire...
Il y a donc une dizaine de jours fut livré à mon domicile un très lourd carton qui ne m'était pas destiné. Je m'en ouvris au livreur qui me montra une étiquette avec mes nom et adresse collée sur le colis. À l'intérieur étaient empaquetés des centaines de tubes stériles destinés à recevoir l'ADN de personnes en quête de leur passé. Ayant répété plusieurs fois la cérémonie consistant à tchater avec une personne prénommée jusqu'à ce que la communication soit interrompue, je décidai de ne pas recommencer à donner mes coordonnées et celles chiffrées du paquet. J'envoyai un mail à l'expéditeur aux États-Unis et au destinataire en Inde, au Bengalore. Vous vous demandez avec justesse comment ces éprouvettes avaient traversé les barrières douanières pour atterrir chez moi, alors que je me fais taxer systématiquement lorsque je reçois des objets hors communauté européenne. Le pompon revient à la réponse de Fedex : "Cher Monsieur Birgé, nous sommes désolés que le traitement de votre commande n’ait pas suscité votre entière satisfaction. Nous avons le regret de vous informer que Fedex France ne peut pas gérer votre situation, votre colis provient de 2 pays dont aucun n'est la France. Veuillez contacter l'un des deux pays concernés par votre colis...". J'ai répondu que ce n'était pas mon colis et tutti quanti, reçu une réponse d'excuse du transporteur et c'est reparti pour un tour. La même lettre idiote automatique resurgit une semaine plus tard. De nouveau des excuses. J'ignore quoi faire, le destinataire et l'expéditeur ne s'étant pas non plus manifestés. Mettre tout cela à la poubelle au lieu de passer des heures à régler un problème auquel je suis totalement étranger ? C'est tentant. Ce qui est sûr, c'est d'éviter consciencieusement un transporteur injoignable, et celui-ci en particulier. Malgré toutes les attentes, Colissimo était jusqu'ici le service le plus fiable, la Poste elle-même n'étant plus à la hauteur de sa réputation passée. Si je me réfère à mes expériences passées, GLS m'en a fait voir aussi de toutes les couleurs. Quant au transport de voyageurs vous avez probablement apprécié le foutoir de la SNCF. Mais là c'est probablement une manœuvre pour dézinguer le service public et le vendre au privé. Privé qui marche sur la tête, on l'aura compris, nous sommes loin de la promptitude et de la probité de ce qu'étaient les PTT. Ce ne sont plus des services, mais des échanges commerciaux. Le monde tourne au vinaigre. Comme la Sécurité Sociale devenue l'Assurance Maladie. Au moins là les mots sont explicites.

mercredi 7 décembre 2022

La preuve est dans le poudingue


La preuve est dans le poudingue (Friedrich Engels)
Poudingue - si nous en conservons le nom - c'est du rock déglingué - no commercial potential - deux jours au studio GRRR à enregistrer la batterie… un autre pour une dixième chanson… la photo officielle validée par nous quatre… J'ajouterais que le diable est dans les détails...

P.S.: Poudingue, c'est Nicolas Chedmail, Frédéric Mainçon et moi-même. Sur la photo, notre invité, le batteur Benjamin Sanz.

Fictions documentaires de Lionel Rogosin


[...] Après The Savage Eye la semaine dernière, j'ai l'immense plaisir de revoir un autre film sorti en 1959, l'incontournable Come Back, Africa de Lionel Rogosin dans un coffret avec On The Bowery et Good Times, Wonderful Times [aujourd'hui épuisé]. Comparant ma copie 16mm, que je n'ai pas sortie de sa boîte depuis une éternité [et déposée depuis à la Cinémathèque Robert Lynen], avec ce nouveau master je suis stupéfait par la beauté de l'image. De plus le documentaire qui l'accompagne livre les clefs de ce film unique tourné clandestinement à Johannesburg pendant l'Apartheid. Si Rogosin s'y réclame de Flaherty et De Sica dans son approche du documentaire, sa fiction filmée in situ avec des non-acteurs n'a rien à voir avec le terme de cinéma-vérité si abusivement employé, et c'est tant mieux ! En regardant Come Back, Africa, on constate la distance entre la prétendue vérité défendue par Rouch ou, pire, Lanzmann et l'authenticité analytique de Strick, Rogosin, Cassavetes, Varda ou Romand qui font glisser leurs œuvres vers des formes de réalisme poétique qui ne trichent jamais avec l'illusion cinématographique. Dès qu'il pose un regard sur une scène, que la caméra soit cachée ou visible, dès qu'il cadre, le cinéaste fait des choix et leurs modèles, se sachant filmés, ne se comportent plus de la même façon. Il faut alors inventer autre chose...


Come Back, Africa est un témoignage époustouflant sur l'Afrique du Sud et le racisme, un brûlot politique généreux, une histoire terrible et émouvante, un film de cinéma avec des acteurs formidables. La chanteuse Miriam Makeba sera contrainte à l'exil pendant 31 ans suite à sa prestation merveilleuse. La musique est d'autant plus présente dans le film que Rogosin faisait semblant de faire un documentaire pittoresque pour échapper à la censure et à l'extradition.
On The Bowery, tourné trois ans plus tôt pour se faire la main et apprendre à filmer, utilise déjà le procédé du récit de fiction dans un univers documentaire. Je n'ai jamais supporté les histoires d'ivrognes, j'ignore pourquoi, mais, films ou romans sur le sujet me mettent terriblement mal à l'aise. Le film de Rogosin n'a pas la complaisance de La merditudes des choses (mk2) regardé la semaine dernière et qui m'a complètement déprimé. Les clochards, qui ne vivent que pour l'alcool et en crèvent, préservent une petite part de dignité ; s'ils sont parfaitement conscients de leur déchéance ils ne la portent pas en étendard. Ceux du film ont souvent eu du mal au retour de la guerre en Europe. Un long bonus éclaire l'histoire de la plus ancienne rue new-yorkaise devenue le refuge de tous les marginaux jusqu'à ce que Manhattan soit "nettoyé" au tournant du siècle comme le montre un autre court-métrage. Le regard humaniste que le réalisateur jette sur ses personnages donne leur originalité à ses films.
Good Times, Wonderful Times est un documentaire pacifiste de 1965 proche des idées de Bertrand Russell, pamphlet contre les armes nucléaires en forme de long ciné-tract qui oppose les invités futiles et conformistes d'un cocktail londonien et des images d'archives exceptionnelles sur les ravages de la seconde guerre mondiale. La gloire illusoire des jeunesses hitlériennes s'éteindra sous les décombres de l'Allemagne rasée, dans le froid glacial du Front de l'Est et les camps d'extermination qui sont le déclencheur de l'engagement de Rogosin. Les images d'Hiroshima sont tout autant insoutenables. L'utilisation contrapuntique d'un rock 'n roll souligne le danger de ne pas vouloir croire aux signaux d'alarme tandis que des comparses jouent les "barons" pour révéler l'idéologie des petits bourgeois de la party. Comme dans tous les films de Lionel Rogosin, aucun commentaire ne vient polluer la démonstration, laissant au spectateur la liberté de ses émotions.

Article du 7 avril 2010

mardi 6 décembre 2022

Le décalage


En exprimant mon humeur du moment, plutôt en l'imprimant, oserais-je dire, même si les caractères à l'écran sont volatiles, je risque chaque fois le décalage. À l'usage je peux affirmer que ce n'est plus un risque, mais une réalité, puisque la publication du moindre article date au mieux de la veille. L'horodateur affiche souvent minuit, l'heure du crime, ou les minutes qui suivent. Or au dateur la bascule des humeurs s'est forcément déjà produite. N'y voir là aucune inconstance, mais une résilience à toute épreuve, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Les bonnes nouvelles succèdent aux mauvaises, mais le cycle imperturbable est pour chacun, chacune, inévitable. J'ai inlassablement répété que, si le cycle touche toutes nos actions, le son et la lumière, la vie sur Terre, les merveilles et les revers, il est toujours possible d'entretenir les crêtes et d'en réduire les creux sur l'axe des abscisses. Puisqu'il semble impossible d'agir sur celui des ordonnées. C'est à ce fabuleux désordre que je dois mon bonheur, la faculté de se reprendre en mains et d'envisager l'avenir de façon vectorielle. Le présent est si fugace que longtemps je ne sus le saisir. Comme en arabe, seuls l'accompli et l'impératif guidaient mes pas. C'est bien d'une discipline qu'il s'agit, une autodiscipline, probablement la seule qui me sauve des routines imposées auxquelles je n'ai jamais pu me plier, ce qui revient aux mèmes. Les amies qui savent me lire entre les lignes s'inquiéteraient facilement si je ne les avertissais avant publication que la misère est déjà derrière moi. Pratiquant scrupuleusement ce que je prône, la rémanence des heureuses nouvelles a le mérite d'éclairer souvent les jours qui suivent. Il n'est par contre pas question de prévenir qui que ce soit que le soufflé est retombé. La bienveillance dont je suis l'objet ne mérite pas qu'on y jette l'ombre de ce qui est hélas révolu. On notera que lors de ces révolutions le soleil est de face. Éblouissant, aveuglant si l'on n'y prend garde, réchauffant à condition de s'y prélasser. Fi de ces généralités, on comprendra que j'ai failli décrire un petit moral, mais en utilisant certains verbes au passé je suggérai que je pouvais espérer que ce soit déjà de l'histoire ancienne. Et en m'adressant à vous je minimisais l'effet sur mon conscient. L'autre fait ce qu'il veut, je n'ai que très peu de prise. On se fait des montagnes de vaguelettes, les éléments se déchaînent, les séries font la loi, mais la nuit porte conseil. Sauf qu'à ce jeu de la veille on finit par piquer du nez l'après-midi. Et puis le soir on se réveille. Au loin j'entends pourtant les violons de l'automne.

La photo est un instantané de Gerridae, réponse oraculaire à ce qui généra le petit texte du jour.

lundi 5 décembre 2022

Vous aurais-je oublié ?


Sur le site du Drame le lien est discret, mais tout en bas de la page d'accueil il faut tomber sur les Crédits pour découvrir mes remerciements à toutes celles et tous ceux que j'ai accompagnés ou qui m'ont accompagné d'une manière ou d'une autre. Comme ma mémoire fait défaut, j'ai constitué cette liste au fur et à mesure depuis 1995, création du premier site, et 2010 lorsque Jacques Perconte m'aida à sa refonte. Hélas parfois le nom de certains ou certaines ne me dit plus rien et je dois faire des recherches compliquées pour raviver ma mémoire. L'important c'est qu'il ou elle soit là, y compris celles et ceux qui nous ont quittés et qui nous manquent souvent cruellement. Musiciens, cinéastes, plasticiens, comédiens, chorégraphes, écrivains, ingénieurs du son, techniciens, journalistes, illustrateurs, maquettistes, producteurs, organisateurs de spectacles, développeurs, scénographes, gens de radio ou de télévision, commissaires d'exposition, disquaires, photographes, assistants, je ne serais pas là sans elles et sans eux.

J'ai ainsi tenu à remercier Homeira Abrishami, Françoise Achard, Sophie Agnel, Paula Aisemberg, Lucien Alfonso, Pedro Almodóvar, Anne Amiand, Richard Arame, Steve Argüelles, Feodor Atkine, José Artur, Cyril Atef, Étienne Auger, Serge Autogue, Gérard Azoulay, Mourchid Baco, Mama Baer, Bradford Bailey, Balanescu String Quartet, Anilore Banon, Patrick Barbéris, Raùl Barboza, Luc Barnier, Patrice Barrat, Bruno Barré, Igor Barrère, Franpi Barriaux, Uriel Barthélémi, Hélène Bass, Blick Bassy, Michal Bathory, Nathalie Baudoin, Ruedi Baur, Michael Bazini, Sidney Bechet, Claudette Belliard, Dominique Belloir, Patrick Bensard, Samuel Ber, Antoine Berjeaut, Sophie Bernado, Sébastien Bernard, Maryse Bernatet, Jacques Berrocal, Michel Berto, Jacques Bidou, Christian Billette, Elsa Birgé, Geneviève et Jean Birgé, Jane Birkin, Charles Bitsch, Ludovic Blanchard, Daphna Blancherie, Emmanuelle Blanchet, Nico Bogaerts, Richard Bohringer, Marc Boisseau, François Bon, Antoine Bonfanti, Raymond Boni, Marianne Bonneau, Stéphane Bonnet, Marc Borgers, Irina Botea, Elisabeth Boudjema, Noémie Breen, Hélène Breschand, Dee Dee Bridgewater, Alex Broutard, Jean Bruller dit Vercors, Étienne Brunet, Menica Brunet-Fabulet, Jean-Yves Bouchicot, Jean-Louis Bucchi, Nicolas Buquet, Bumcello, Noël Burch, Christine Buri-Herscher, Michèle Buirette, Fara C, Geneviève Cabannes, Dominique Cabréra, Patrice Caillet, Philippe Caloni, Lulla Card, Phillipe Carles, Carolyn Carlson, Rafael Carlucci, Élise Caron, Kent Carter, Amandine Casadamont, Gwen Catalá, Stéphane Cattaneo, François Cavanna, Marc Cemin, Evan Chandlee, Dorothéee Charles, Denis Charolles, Christophe Charpenel, Jean-Louis Chautemps, Lulu Chedmail, Nicolas Chedmail, Nicholas Christenson, Mino Cinelu, Mikaël Cixous, Eric Clapton, Valentin Clastrier, Nicolas Clauss, Bass Clef, Annabel Clin, Alain Cluzeau, Gilles Cohen, David Coignard, Denis Colin, Médéric Collignon, Isabelle Collin, Hélène Collon, Henry Colomer, Pascal Contet, Controlled Bleeding, François Corneloup, Aude de Cornoulier, Gilles Coronado, Francisco Cossavella, Lol Coxhill, Valérie Crinière, Sonia Cruchon, Francisco Cruz, Pablo Cueco, Élise Dabrowski, Marwan Danoun, Philippe Danton, Louis Daquin, Corine Dardé, Isabelle Davy, Jon Dean, Françoise Degeorges, Olivier Degorce, Thierry Dehesdin, Benoît Delbecq, Marie-Reine Delpech, Éric Delva, Jacques Denis, Antoine Denize, Jean-Claude Deretout, Régis Deruelle, Xavier Desandre-Navarre, Philippe Deschepper, Pierre Desgraupes, Daniel Deshays, Agnès Desnos, Julien Desprez, Marie-Jésus Diaz, Dana Diminescu, Bernard-Pierre Donnadieu, Jimmy Doody, Yves Dormoy, Brigitte Dornès, Pierre-Étienne Dornès-Thiébaut, Iann Douarinou, Nicolas Dourlhès, Tom Drahos, Benoît Drouillat, Claudine Ducaté, Bernard Ducayron, Alain Durel, Frédéric Durieu, Pierre Durr, André Dussollier, Serge Duval, Antoine Duvernet, Éric Échampard, Linda Edsjö, Xavier Ehretsmann, Julien Eil, Youssef el Idrissi, Samy El Zobo, Ella & Pitr, Alix Ewandé, Pere Fages, Valéry Faidherbe, Fantazio, Pierre Favre, David Fenech, Roger Ferlet, Luc Ferrari, Jean Ferry, Véronique Fèvre, Jean-André Fieschi, Fillion-Guttin, Jean-Luc Fillon, Dominique Fonfrède, Brigitte Fontaine, Isabelle Fougère, Fidel Fourneyron, Régis Franc, Daniela Franco, Mathias Frank, André Franquin, Stéphane Frattini, Alan Freeman, Peter Gabor, Françoise Gagneux, Jalal Gajo, Vyacheslav Ganelin, Christophe Gans, Maurice Garrel, Olivier Gasnier, Sacha Gattino, mc gayffier, Lucas de Geyter, Raphaëlle Giaretto, Jean-Pierre Gillard, Bruno Girard, Gabriel Glissant, Vinko Globokar, Fred Goaty, Michel Godard, Corinne Godeau, Jean-Brice Godet, Alba Gomez-Ramirez, Zeev Gourarier, Alain Grange, Geoffrey Grangé, Jean-Loup Graton, Alexandra Grimal, Antoine Guerrero, Louis Hagen-William, Wassim Halal, Franck Hammoutène, Richard Hamon, Yoshihiro Hanno, Alain-René Hardy, George Harrison, Richard Hayon, Tincuta Heinzel, Annick Hémery, Jean-Jacques Henry, Werner Herzog, Kommissar Hjuler, Anh-Van Hoang, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, James et Liliane Hodges, Veronica Holguin, Hugh Hopper, Horace, Michel Houellebecq, Éric Houzelot, Régis Huby, Emmanuelle Huret, Tina Hurtis, Tony Hymas, Jean-Jacques Imerglik, Naïssam Jalal, Théo Jarrier, Werner Jeker, David Jisse, Eltron John, Jef Lee Johnson, Oliver Johnson, Matthieu Jouan, Patrick Joubert, Lors Jouin, Igor Juget, Wolf Ka, Hermine Karagheuz, Sylvain Kassap, Dill Katz, Ademir Kenovic, Nikoleta Kerinska, Klee, Olivier Koechlin, Jürgen Königer, Philippe Kotlarsky, Ivan Kozelka, György Kurtag Jr, Hélène Labarrière, Philippe Labat, Pascale Labbé, Hervé Lachize, Philip de La Croix, Alain Lacombe, Étienne Lalou, Daniel Laloux, Nathalie Lance, Jean-Pierre Laplanche, Mireille Larroche, Michèle Larue, Fanny Lasfargues, Pierre Lavoie, Daunik Lazro, Ronan Le Bars, Youenn Le Berre, Nicolas Le Du, Arnaud Le Gouëfflec, Anne-Sarah Le Meur, Le Tone, Joëlle Léandre, Pascal Lebègue, Madeleine Leclair, Jocelyne Leclercq, Irène Lecoq, Patrick Lefebvre, Murielle Lefèvre, Hervé Legeay, Pascal Légitimus, Philippe Legris, André Lejarre, Sylvain Lemêtre, Paul Lemos, Jean-Pierre Lentin, Corinne Léonet, William Leroux, Bruno Letort, Michel Levasseur, Mathias Lévy, Pierre Oscar Lévy, Marc Lichtig, Karl Lieppegaus, Éric Longuet, Michael Lonsdale, Bernard Loupias, Serge Loupien, Bernard Lubat, René Lussier, Birgitte Lyregaard, Jean-Pierre Mabille, Ahmed Madani, Jean-Marie Maddeddu, Colette Magny, Martin Maillardet, Sabine Maisonneuve, Kristine Malden, Didier Malherbe, Bernard Mallaterre, Frank Mallet, Sous-commandant Marcos, Christian Marin, Francis Marmande, Alexandre Martin, Arlette Martin, Jean-Hubert Martin, Lionel Martin, Jacques Marugg, Cesare Massarenti, Massimo Mattioli, Gary May, Dominique Meens, Mephisto, Annick Mevel, Olivier Mevel, Youval Micenmacher, Jocelyn Mienniel, Claire and Étienne Mineur, Jouk Minor, Valérie Moënne, Benoit Moerlen, Bernard Mollerat, Jacques Monory, Anne Montaron, Agnès and Philippe Monteillet, Alain Monvoisin, Nicolas Moog, Thurston Moore, Maxime Morel, Mathilde Morières, Pierre Morize, Ken Morris, Talia Mouracadé, Manolis Mourtzakis, Dolf Mulder, Michel Musseau, Judit Naranjo Rib, Basile Naudet, Laure Nbataï, Dj Nem, Louis-Julien Nicolaou, Lé Quan Ninh, Laura Ngo Minh Hong, Natacha Nisic, Stéphane Ollivier, Hugues Ometaxalia, Aki Onda, Nicolas Oppenot, Christian Orsini, Ben Osborne, Yuko Oshima, Jean-Éric Ougier, Kvèta Pacovská, Csaba Palotaï, Gérard Pangon, Guy Pannequin, Vilma Parado Dejoras, Jean-François Pauvros, Jacques Peillon, Hervé Péjaudier, Yves Pénaud, Jacques Perconte, Didier Périer, Edward Perraud, Didier Petit, Patrice Petitdidier, Claude Piéplu, Guy Piérauld, Max Pinson, Philippe Pochan, Laurent Poitrenaud, Michel Polizzi, Jean-Louis Pommier, Olivier Poncer, Jonathan Pontier, Daphné Postacioglu, Michel Potage, Hasse Poulsen, Anna Prangenberg, Xavier Prévost, Yves Prin, Maÿlis Puyfaucher, Sophie de Quatrebarbes, Jean Querlier, Joseph Racaille, Sylvain Ravasse, Jacques Rebotier, Luis Rego, François Reichenbach, Dominique Répécaud, Nathalie Richard, André Ricros, Michael Riessler, Sylvain Rifflet, Marie-Noëlle Rio, Bruno Riou-Maillard, Eve Risser, Annick Rivoire, Philippe Robert, Yves Robert, Walter Robotka, Jean Rochard, Gilles Rollet, Jean Rollin, Françoise Romand, Aldo Romano, Gwennaëlle Roulleau, Xavier Roux a.k.a Ravi Shardja, Jacques Rouxel, Guillaume Roy, Frank Royon Le Mée, Marie-Noëlle Sabatelli, Farhad S., Hélène Sage, Makiko Sakurai, John Sanborn, Raoul Sangla, Adriana Santini, Benjamin Sanz, Sapho, Raymond Sarti, Sylka Sauvion, Tuff Sherm, Antoine Schmitt, Bruno Schnebelin, Jean-Nicolas Schoeser, Louis Sclavis, Laura Seaton, Miroslav Sebestik, Vincent Segal, Boris Séméniako, Michel Séméniako, Pierre Senges, Christelle Séry, Romina Shama, Archie Shepp, Shiroc, Abdulah Sidran, Didier Silhol, Jean-Pierre Simard, Gérard Siracusa, Yassine Slami, Madeleine Sola, Marie-Christine Soma, Silvio Soave, Aldo Sperber, Alan Spira, Monika Stachowski, Steve Stapleton, Frédéric Stignani, Laurent Stoutzer, Fabiana Striffler, Frédéric Tachou, Christian Taillemite, Cécile Tamalet, Tamia, Henri Texier, Claude Thiébaut, Benoît Thiebergien, Michel Thion, Jean Tholance, Florian Tirot, Toffe, Benoît Tonnerre, Topper, Gérard Touren, Michel Tournier, Luigee Trademarq, Bernard Treton, Claudia Triozzi, Élisa Trocmé, François Tusques, Richard Ugolini, Valentina Vallerga, Serge Valletti, Monique Veaute, Brigitte Vée, Jorge Velez, André Velter, David Venitucci, Daniel Verdier, Éric Vernhes, Isabelle Veyrier, Magali Viallefond, Antoine Viard, Martine Viard, Lucinda Vieira Monteiro, Franck Vigroux, Edgar Vincensini, Boris de Vinogradov, Jacques Vivante, Jean-Pierre Vivante, Jean-François Vrod, Michaëla Watteaux, Gershon Wayserfirer, Joël Weiss, Robert Weiss, Benoît Widemann, Mary Wooten, Sun Sun Yip, Otomo Yoshihide, Meidad Zaharia, Hervé Zenouda, Valérie Ziegler, Carlos Zingaro et toutes les belles personnes avec qui nous avons partagé de délicieux moments.

Dédicace spéciale à Frank Zappa, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal dont les encouragements furent précieux à mes débuts. Pensée quotidienne à Bernard Vitet. Je n'ai évidemment pas cité Francis Gorgé avec qui j'ai commencé, l'autre pilier d'Un drame musical instantané et toujours mon ami. Pour les autres, se reporter aux paroles de l'index 1 de l'album Chansons.

vendredi 2 décembre 2022

L'aventure cinématographique de la Croisière jaune


Lorsque j'étais petit nous pouvions encore rêver de découvrir des territoires inconnus, des îles au trésor, des peuplades isolées. Nous imaginions l'ailleurs en pirogue et le futur à la lecture des romans de Jules Verne. Mais le monde a changé, beaucoup trop vite. Les satellites ne laissent aucun espace de liberté à nos divagations. Wikipédia répond à la moindre recherche, même si l'encyclopédie contributive est aujourd'hui prise d'assaut par des politiques manipulatoires et les grosses entreprises capitalistes qui y diffusent leur storytelling. Dans les endroits les plus reculés de la planète les gens n'ont parfois rien d'autre qu'un téléphone portable. Regarder la croisière jaune représente d'autant plus un choc que les constructions extraordinaires filmées par André Sauvage ont probablement été détruites depuis l'expédition qui se déroula du 4 avril 1931 au 12 février 1932. Une chance aussi que le cinéma soit devenu sonore il y a peu. Le film est une mine pour les ethnologues, mais aussi pour les ethnomusicologues, et les chorégraphes. J'ai déposé une copie 16 mm de la croisière noire à la Cinémathèque Robert Lynen qui a participé à cette édition fabuleuse réalisée par Carlotta. André Citroën avait déjà financé celle-ci en 1924-1925. Avec ses expéditions incroyables le constructeur automobile faisait évidemment la promotion de son industrie. Les commentaires ne sont pas exempts de colonialisme et de paternalisme français, voire de racisme si je me souviens du film sur l'Afrique. Le drame est que Citroën a spolié Sauvage de son film en confiant le nouveau montage à Léon Poirier qui n'était pas de l'expédition, mais avait réalisé La croisière noire. Sauvage ne s'en est jamais remis. Citroën trouvait qu'il ne mettait pas assez en valeur ses automobiles.


Il est donc fort intéressant de comparer les intertitres du document muet L'autre croisière d'André Sauvage (1h49) avec le commentaire de La croisière jaune (1h46). Ou encore la flopée de suppléments, courts métrages sur l'Indochine, l'Afghanistan, la Perse, etc. Il existe même une version courte réalisée par Albert Radenac sortie en 1973 (18') avec la musique de Prokofiev, mais celle de Sauvage avec la musique de Maurice Jaubert est hélas définitivement perdue. Il n'empêche que le film en l'état, augmenté de tous ces bonus, est absolument fascinant. L'équipée, composée de techniciens, mécaniciens, opérateur radio, naturaliste, médecin, artiste peintre, écrivain, historien, archéologue, photographe et cinéaste, doit faire face aux accidents du terrain, aux conflits locaux, au climat terrible, et le convoi réussit à traverser le Moyen Orient, l'Himalaya, le désert de Gobi... Pas tout à fait puisqu'ils doivent abandonner leurs quatorze autochenilles et retrouver, de l'autre côté des montagnes tibétaines, un autre convoi parti à leur rencontre depuis Pékin ! Georges Marie Haardt, qui dirige l'équipe partie de Beyrouth, mourra d'une double pneumonie à Honk Kong le 16 mars 1932, tandis que Victor Point, qui dirige celle partie de Tianjin, se suicidera, le 8 août de la même année, au retour de l'expédition, par désespoir amoureux pour l'actrice Alice Cocéa, en se tirant une balle dans la bouche, dans une barque avec elle. Ces deux drames me font penser à la mort accidentelle de Murnau, le 11 mars 1931, une semaine avant la première de Tabou tourné à Bora-Bora.
Le livre de 396 pages, merveilleusement illustré, où sont insérés DVD et Blu-Ray, est fabuleux car il contient le journal de voyage d'André Sauvage, tiré de sa correspondance avec sa femme, annoté et commenté par Béatrice de Pastre. C'est un humaniste sensible, ouvert, à l'écoute du monde. Ses missives sont un vrai bonheur. J'aurais aimé le rencontrer. Il faut que je retrouve mon DVD de ses Études sur Paris tournées en 1928. Entre la vision de Sauvage et celle de Poirier, c'est le grand écart. Pas étonnant que le grand patron de l'automobile ait viré l'un pour l'autre. En 1933 Jacques Prévert écrira le corrosif poème Citroën pendant la grève qui dura plusieurs mois.

L'aventure cinématographique de la Croisière jaune, coffret Blu-ray + DVD + Livre Carlotta, édition limitée, magnifiquement remasterisée (contrairement à la vidéo ci-dessus !), 40€, sortie le 6 décembre 2022

jeudi 1 décembre 2022

Adjugé !


Ayant confié quelques objets à une commissaire-priseur, je suis allé pour la première fois de ma vie à Drouot. J'y suis resté trois heures, totalement fasciné par le spectacle. Franchement, cela vaut la visite à la Tour Eiffel ou au Zoo de Vincennes ! Si je suis resté la majorité du temps dans la 6 où officiait Maître Lynda Trouvé, j'ai pris le temps d'aller voir ce qui se passait dans la quinzaine d'autres salles réparties sur deux niveaux de l'Hôtel des ventes de Drouot. Le style de chacune est très varié, compassée ou bon enfant, et certaines salles servaient juste d'exposition. La vente à laquelle j'assistai est dite courante, regroupant livres, tableaux, bijoux et objets de périodes et valeurs différentes sans qu'ils soient décrits dans un catalogue. Je participerai à une seconde vente en mars, mais celle-ci sera cataloguée.
La vente ressemblait à une ruche, nécessitant une douzaine de personnes, la commissaire-priseur, ses clercs, le crieur, les manutentionnaires. À gauche trois jeunes gens, dont certains experts, prennent les ordres sur leurs téléphones portables, à droite cela se passe en "live" sur Internet, certains sont déjà inscrits auprès de la commissaire-priseur et dans la salle on lève le bras pour signifier son enchère. Parfois cela va très vite, d'autres fois ça rame. La salle est pleine, elle se vide, elle se remplit à nouveau, il y a foule, des gens assis, debout, de passage. Des lots qui ne partent pas sont légèrement baissés, d'autres sont regroupés pour devenir plus attrayants. J'ai vu des caisses de livres d'art partir pour trente euros, on les appelle mannettes, et un seul bouquin afficher 1800 euros. Tant que le marteau n'est pas tombé et que la commissaire n'a pas dit "Adjugé !", on tergiverse, on plaisante... Des éditions originales de Verlaine ne trouvent aucun preneur et sont retirées de la vente. Elles seront probablement représentées un autre jour. Des "premiers" acheteurs donnent leur carte bleue au crieur. Les manutentionnaires n'arrêtent pas de se croiser, entre ceux qui apportent et exposent l'objet, ceux qui les remportent et ceux qui les préparent. Ce jour-là ce sont des centaines de lots qui sont mis à prix. Je vois partir les soldats de plomb de mon père avec lesquels je n'ai jamais joué, un Vian illustré par Boullet, Le zoo des vedettes, quelques bijoux fantaisie et des petits tableaux vraiment pas à mon goût, mais qui trouvent preneur. Je suis hélas obligé de partir avant la mise en vente des objets qui m'intéressent le plus... Je reviendrai, d'autant qu'on entre à Drouot comme dans un moulin, sans avoir de compte à rendre à personne. Le spectacle est permanent.