70 Cinéma & DVD - mars 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 31 mars 2009

Ce n'est pas du chinois, mais pour moi c'est tout comme


Ouh la la, quelle catastrophe ! J'ai perdu la journée à m'escrimer sur un mode d'emploi qui s'efface au fur et à mesure qu'on le suit. J'ai eu beau invoquer forum, chat, camarades, lorsque la technique résiste elle nous fait devenir chèvre. Douze heures d'affilée j'ai retourné le problème dans tous les sens, j'ai recommencé, à l'endroit, à l'envers, j'ai secoué, soufflé, tordu, plié, je suis revenu à mon point de départ. En y laissant des plumes. Quand je vous disais que le mieux est l'ennemi du bien ! Évidemment c'était une question informatique, il n'y a rien de plus crispant et de plus contrariant qu'une machine qui ne fait aucun effort pour vous simplifier la tâche. J'aurais été mieux inspiré d'aller me promener, mais j'avais tellement envie que ça marche. Et bien non, ça me marche pas et j'ai l'impression d'avoir subi une lobotomie. Plus bon à rien que je suis. Autant aller s'écrouler devant des images qui bougent toutes seules, histoire d'oublier qu'on est bien peu de chose en face des 0 et des 1. Ni entier ni divisible. Une absence.

Nous avons opté pour L'âge des ténèbres de Denys Arcand, troisième volet de la trilogie commencée avec Le déclin de l'empire américain, suivi, vingt ans après, par Les invasions barbares. Le film est passé complètement inaperçu à sa sortie l'année dernière. Arcand imagine un futur proche dont chaque élément visionnaire et crépusculaire est tiré d'un fait divers récent. Comme toujours chez le réalisateur québecois, la direction d'acteurs est formidable. La satire teintée d'humour noir nous renvoie à la peur d'un monde formaté, déshumanisé, absurde, le nôtre.

lundi 30 mars 2009

Faire semblant


Je fais semblant de ne rien dire comme le lutin fait mine de sauter. En réalité je lui prends la main et nous pensons à autre chose...! Le week-end m'a trop accaparé dans ma recherche d'incunables. La moisson a dépassé mes espérances : Les quatre nuits d'un rêveur de Bresson et son premier court-métrage, une comédie intitulée Les affaires publiques, deux films retenus par sa veuve, cinq épisodes de France tour détour deux enfants de Godard que je n'ai pas vus depuis 1977, Une femme mariée dont je voulais montrer aux étudiants la séquence du café avec le son off, onze courts de Bruce Conner puisque A Movie est déjà un de mes films préférés, dix de Pascal Aubier que je découvre, Crime et châtiment de von Sternberg avec Peter Lorre, Safe de Todd Haynes dont Françoise m'a parlé, plusieurs longs de Vera Chytilova qui mériterait franchement qu'on lui rende justice (Les petites marguerites, c'est elle !), quatre Fuller dont Park Row et Dead Pigeon in Beethoven Street que je cherche depuis que je l'ai vu lorsque j'étais étudiant à l'Idhec, deux Denys Arcand... J'ai commandé aussi Prometheus' Garden de Bruce Bickford, l'animateur dément qui travailla avec Frank Zappa et un second DVD, Monster Road, consacré à son travail en animation d'argile le plus époustouflant que l'on puisse imaginer... Donc ça existe, souvent sans sous-titres pour les films étrangers, il suffit de chercher, parfois très longtemps, mais la course au trésor finit par porter ses fruits ! Il faudra encore avoir le temps de tout regarder et je reviens pour un petit compte rendu.

samedi 7 mars 2009

... All the Marbles (Deux filles au tapis)


Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? En cherchant des informations sur le dernier film de Robert Aldrich que j'ai exhumé de ma vidéothèque VHS pour le montrer à Françoise qui a évidemment biché pendant toute la projection, j'en étais presque déprimé. En 1981, ... All the Marbles, sorti en France sous le titre Deux filles au tapis, était probablement trop en avance sur son temps pour être remarqué à sa juste valeur. Les critiques y ont vu un film misogyne alors que n'importe quelle féministe jubilerait d'admirer les California Dolls cogner sur l'arbitre pourri et qu'il n'y en a pas une trace ni dans le scénario ni dans la réalisation. Bien au contraire, Aldrich, en filmant ces filles hors du commun, montre le statut des femmes dans une société corrompue qui vacille dès que l'on n'en respecte pas les conventions. D'autres parlent d'une comédie invraisemblable quand il s'agit d'un des meilleurs films réalisés sur le catch, très loin des tics éculés de The Wrestler d'Aronofsky. D'abord il y a le décor, villes du Nord des États-Unis dont on ne voit que les banlieues grises, motels miteux, autoroutes uniformes, tandis que l'on entend en off les savoureux dialogues à l'intérieur de la vieille voiture du manager dévoué et roublard. Aussi extraordinaire que chez son ami Cassavetes, Peter Falk y tient là un de ses meilleurs rôles, avec ses California Dolls, deux filles un peu paumées qui aiment comme lui leur travail, le catch à quatre pour la beauté du sport, filmé magnifiquement par Aldrich. J'ai l'impression de regarder un match à la télé comme lorsque j'étais petit. Évidemment c'est drôle, mais chaque scène est poignante, sur le ring comme hors piste. ... All the Marbles montre la veulerie des hommes et le courage des femmes, la pudeur des uns et le sacrifice des autres, le besoin de réussir pour elles qui ne sont qu'objet de désir pour les mâles. Aldrich a payé cher son indépendance de vue, viré d'Holywood pendant des années. Il évite les clichés racistes sur les indiens de Bronco Apache, montre les héros crapuleux de Vera Cruz, fustige le maccarthysme dans Kis Me Deadly (En quatrième vitesse) avec son Mickey Spillane en détective facho brutal, taille un costard aux producteurs de cinéma dans The Big Knife (Le grand couteau), dénonce la violence des hommes dans la guerre avec Les douze salopards, leur déshumanisation, la barbarie...

Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? Je me repose la question en pensant à Anathan de Josef von Sternberg, à 7 Women (Frontière chinoise) de John Ford, à Gertrud de Dreyer, à L'innocente de Visconti (encore quatre derniers films, des films de vieux !), à Convoi de femmes de Wellman, à Leo the Last de Boorman, à La symphonie des brigands de Feher ou aux 5000 doigts du Dr T de Rowland... Les connaisseurs appellent ces œuvres méconnues ou malaimées des films-culte !
Des cinéastes sont souvent méprisés pour de mauvaises raisons : Agnès Varda a beau récolter les faveurs du public et les récompenses je suis toujours étonné du mépris d'une grande partie de la profession, c'est une femme ; Jean Cocteau continue à subir l'anathème des surréalistes probablement dûe à son homosexualité déclarée, je ne vois aucune autre explication ; Jacques Rozier a ramé toute sa vie ; pourquoi Jacques Becker ou Jean Grémillon n'ont-ils pas la renommée d'un Jean Renoir ? Jusqu'à peu Michael Powell était inconnu dans notre pays. Parfois des histoires de droits bloquent les films ; connaissez-vous La nuit du carrefour de Renoir ? Les films de Pierre Etaix sont scandaleusement coincés par un contrat assassin. Quand je pense que les chaînes de télévision publique repassent sempiternellement les mêmes longs métrages, cela me met en rogne...

vendredi 6 mars 2009

Bachir, carnet de balles


Le 4 juillet dernier, j'avais écrit ici : Le film de Ari Folman est à rapprocher du Tombeau des lucioles, l'animation produisant une distance avec l'évocation troublée de la mémoire et de l'oubli. Le réalisateur aborde le massacre de Sabra et Chatila sous l'angle du refoulement. Les images d'ombre et de Lumière enrobent le cauchemar. Cet incontournable documentaire d'animation n'a hélas rien de la fiction ni du rêve. On prend cette enquête en pleine figure, parce qu'elle chatouille nos propres traumas. J'ai vu Beyrouth dévasté, les immeubles grêlés de millions d'impacts, j'ai vu la mer imperturbable, le soleil et la nuit. Valse avec Bachir me fait découvrir ce que je pouvais deviner, le contre-champ.
Depuis, le film a fait du chemin. Il a reçu 6 Ophirs du cinéma israélien, le Golden Globe et le César du meilleur film étranger et une quantité d'autres récompenses. Les Éditions Montparnasse le publient en DVD agrémenté de bonus qui en éclairent la réalisation. Il y est confirmé qu'il s'agit d'une histoire vécue par Ari Folman lorsqu'il avait 19 ans, qu'il commente en voix off tandis que ses camarades y témoignent pour la plupart sous leur vrai nom. Les quelques secondes de silence des images du Journal Télévisé d'Antenne 2 filmées à Sabra et Chatila le 18 septembre 1982 valident le choix du dessin animé. Dans un entretien, Joseph Bahout évoque la guerre du Liban, l'assassinat de Bachir Gemayel et le massacre de 4 à 5000 Palestiniens qui s'en suivit par la milice chrétienne libanaise avec l'approbation de l'armée israélienne dirigée par Ariel Sharon.
Depuis la sortie du film, le gouvernement israélien s'est rendu coupable d'un nouveau massacre dans la bande de Gaza, se mettant à dos la plus grande partie de l'opinion internationale. De nombreux Juifs condamnent enfin le colonialisme d'un état paranoïaque qui détruit des siècles de culture pacifiste et sonne le glas de l'intelligence. Aucune confusion ne doit pouvoir se faire entre la politique criminelle de l'état religieux et une grande partie de la diaspora en désaccord avec la folie qui s'enferme en Israël.
La consécration de Valse avec Bachir n'en a que plus de force. Le traitement freudien de la culpabilité des soldats israéliens traumatisés par ce qu'ils ont laissé faire, l'humour et les délires surréalistes que le cinéaste israélien s'autorise, son travail intime d'enquêteur en font une œuvre puissante et originale d'un genre nouveau aux côtés de Persepolis, comme l'avait été Maus pour la bande dessinée.

dimanche 1 mars 2009

Cortex : l'oubli structure le récit


Je raconte souvent que je ne regarde jamais la télévision, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Abonné à Canal+ et à Ciné-Cinémas, je vois de temps en temps en temps des films et de rares émissions de création, évitant soigneusement tout ce qui constitue le paysage télévisuel standard, en particulier le Journal, les débats, la télé-réalité, le sport, la publicité, etc., et la pratique du zapping. Sur un écran de plus de trois mètres de base, la laideur s'étale avec trop d'évidence. L'effet de loupe force l'analyse et souligne l'entreprise de manipulation. Une fois par an peut-être, je tombe estomaqué sur l'horreur offerte quotidiennement à ce qu'il est coutume d'appeler les téléspectateurs.
Pour choisir les films programmés sur la vingtaine de chaînes qu'il m'arrive donc de sélectionner grâce à l'antenne satellite accrochée sur le toit, je feuillète un magazine qui en précise les horaires. Si Libération et Le Monde, récupérés tôt le matin dans la boite aux lettres, en signalent quelques uns, le Télérama du mercredi reste un outil précieux, d'autant qu'il fait également office de magazine de société qui est loin d'être le pire dans les dossiers qu'il effleure. Pour y avoir longtemps coché les programmes de France Musique et France Culture où j'enregistrais des heures et des heures de musique sur cassette audio, j'ai conservé la pratique de vérifier ce qu'il y a à la télé avant d'opter pour un DVD plus en accord avec mes centres d'intérêt. Les autres canards auxquels je suis abonné, Cahiers du Cinéma, SVM Mac, Le Monde Diplomatique et les magazines de musique dans lesquels il m'arrive d'écrire, ne sont d'aucune aide pour occuper mes soirées, préférant d'une part la lecture matinale et d'autre part ne supportant pas facilement les petites lignes après une journée passée à en décrypter et en taper sur les écrans envahissants de notre espace vital. Le soir, je ferme les volets et m'écroule en général sur le divan ou dans un fauteuil pour m'obliger à me déconnecter de mon hyper-activité, quel que soient les sens qui ont été mis à l'épreuve pendant la douzaine d'heures intense passée à travailler sept jours sur sept.
Ainsi hier soir samedi, le jour le moins sexy de la programmation télévisuelle, je note à 20h45 sur Canal un polar de Nicolas Boukhrief intitulé Cortex dont le sujet semble intéressant, l'enquête d'un inspecteur atteint de la maladie d'Alzheimer, placé dans une maison de retraite où les pensionnaires meurent un peu trop souvent. Le handicap du héros interprété avec la plus grande sensibilité par André Dussollier crée un climat de mystère et de suspicion qui fait partager ses doutes au spectateur, notre mémoire étant astucieusement mise à l'épreuve comme la sienne. L'ambiance de la clinique offre de formidables dialogues surréalistes et la veilleuse violette des nuits nous plonge dans un état semi-comateux où la paranoïa flotte comme un doux délire. Comme dans Memento, l'oubli structure le récit et produit de vrais effets de cinéma. Aux côtés de Dussollier dans un de ses meilleurs rôles, les autres comédiens sont tous formidables, donnant sa profondeur à l'abîme de perplexité dans laquelle nous sommes plongés.