70 Cinéma & DVD - avril 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 avril 2013

L'étrangleur de Boston


Inventer des formes qui collent au sujet n'est pas chose si courante dans le cinéma d'aujourd'hui. Quelques cinéastes continuent à mettre systématiquement leur titre en jeu en renouvelant chaque fois leur manière de filmer au risque de décevoir leurs fans. C'est rarement la compromission ou l'usure qui figent un auteur, mais sa générosité envers ceux qui ont aimé ses œuvres précédentes. Le succès peut devenir ainsi un frein à l'invention. Quoi qu'il en soit, si le style est souvent dicté par ses maladresses, il n'y a pas meilleur choix pour les contourner que d'imaginer un angle d'approche qui colle au sujet.
En 1968, le split-screen (écran divisé) utilisé par Richard Fleischer dans L'étrangleur de Boston (The Boston Strangler) est le miroir brisé du schizophrène que l'enquêteur joué par Henry Fonda cherche à identifier. Le procédé sera utilisé la même année par Norman Jewison pour L'affaire Thomas Crown dans un propos très différent : un tueur en série qui terrorisa Boston au début des années 60 pour le premier, un hold-up chronométré pour le second.


L'étrangleur de Boston est un thriller captivant par ses aspects documentaires autant que par l'interprétation magistrale de Tony Curtis dans un rôle dramatique à contre-emploi. Le personnage d'Albert DeSalvo a existé, même si le scénario diverge sur quelques détails. Fleischer tourne probablement là son meilleur film. L'intrigue est traitée comme un fait-divers en marge des évènements historiques qui marquent l'époque tels la marche sur la Lune ou l'assassinat de J.F. Kennedy. Fleischer cherche à comprendre comment le criminel a pu tuer une douzaine de femmes, sans ne jamais tomber dans le psychologisme qu'Hitchcock aurait servi sur un plateau. Si l'énigme reste entière, le rôle de la société est remarquablement disséqué : responsabilité des médias, opinion publique, état d'esprit des victimes, méfiance envers la population homosexuelle, etc. Lorsqu'un fou criminel est arrêté, les témoignages des voisins évoquent presque toujours un garçon charmant et serviable ou un bon père de famille. La force de nombreux malfaisants est justement qu'ils n'en ont pas l'air ! L'étrangleur de Boston, que Carlotta édite en DVD et Blu-Ray remasterisé en même temps qu'un autre excellent polar de Richard Fleischer, Les inconnus dans la ville (Violent Saturday, 1955), possède une modernité que peu de films actuels assument, trop enclins à vouloir en mettre plein la vue et étouffant la réflexion sous des effets artificiels de plus en plus formatés.

jeudi 4 avril 2013

Alexander Kluge, un Godard allemand ?


On a parfois appelé le cinéaste Harun Farocki le Godard allemand, mais, à la revoyure, Alexander Kluge lui est plus comparable, par la variété inventive de son œuvre, son engagement politique et un traitement documentaire de la fiction, ou son contraire ! En effet, le cinéma est incompatible avec la vérité et, dans le même temps, s'en approche parfois au plus près, telle la poésie.
La Cinémathèque Française, concentrée sur l'évènement Jacques Demy que l'on ne manquera pas, risque de passer à l'as la rétrospective qu'elle consacrera à Alexander Kluge du 24 avril au 3 juin, en sa présence.
Le cinéaste et écrivain allemand est un des chefs de file de la Nouvelle Vague allemande des années 60-80. En 1962, il fit partie des initiateurs du manifeste d’Oberhausen qui revendiqua un cinéma d'auteur, indépendant et critique. Il avait été l'élève d'Adorno, l'assistant de Fritz Lang et réalisa dix longs métrages et de très nombreux courts, sans compter ses romans et installations.
L'éditeur Filmmuseum, distribué en France par Choses Vues, a publié quinze double-DVD soit 200 films dont les titres français m'ont paru éloquents : Anita G, Travaux occasionnels d'une esclave, Les artistes sous les chapiteaux : perplexes, Ferdinand le radical, L'indomptable Leni Peickert, Reformikus, L'Allemagne en automne, La patriote, La force des sentiments, L'attaque du présent sur le temps qui reste, La puissance poétique de la théorie, La magie de l'âme obscure, Liberté pour les consonnes, La guerre est la fin de tous les plans, Dans le danger et la plus grande détresse le juste milieu apporte la mort, L’amour est clairvoyant, La Tour Eiffel, King Kong et la femme blanche, L’homme sans tête, Dans la frénésie du travail, Adieu au bon côté de la vie... Comment voulez-vous résumer cela en quelques lignes ? Alexander Kluge dresse un portrait social et politique, historique et intime, philosophique et poétique de l'Allemagne, et de l'humanité. Aucun film ne se ressemble et ses films ne ressemblent à aucun autre.