70 Cinéma & DVD - septembre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 21 septembre 2016

Mythologies américaines


La force des États Unis est de produire en chacun de nous une mythologie américaine, quel que soit notre point de vue, critique ou fasciné. Le cinéma y participe plus qu'aucun autre médium, fer de lance de son industrie culturelle et soft power qu'appuient même involontairement les résistances internes au pays. À convoquer les années 60 particulièrement riches en contre-culture, les uns s'emballeront pour son cinéma underground avec le film de Gideon Bachmann Underground New York, d'autres plongeront dans la surf culture de The Endless Summer de Bruce Brown. L'une et l'autre ont au moins le mérite d'échapper aux mythologies hollywoodiennes, formatées jusqu'à l'écœurement !



Underground New York répond à la commande de la télévision allemande ZDF en poussant la provocation tant sur le terrain politique que celui du sexe. Diffusé en juin 1968, son titre initial était Protest - Wofür ? (Contester ? Pour quoi ?) ! Il crée la polémique en présentant des cinéastes alors inconnus, des manifestations, des love-in, des spectacles psychédéliques inondés de light-shows, des scènes de nus. Voir Shirley Clarke se faire arrêter alors qu'elle manifeste contre la Guerre du Vietnam avec Allen Ginsberg, Susan Sontag et Tuli Kupferberg a quelque chose d'euphorique ou Andy Warhol vautré sur un divan de la Factory répondre évasivement par oui ou par non aux questions sur la réalité et sa mystification interroge les idées reçues. Grand fan de A Movie, j'ai un petit faible pour les séquences avec Bruce Conner commentant l'extrait de Cosmic Ray et ses manières de danseur dont ses montages sont le reflet. Côté commentaire, Bachmann s'en est justement épargné. Ainsi le livret de 50 pages accompagnant le DVD devient le complément indispensable de sa projection. De même le champ/contrechamp passionnant des bonus Jonas de Bachmann et l'extrait de Walden de Jonas Mekas, le premier montrant le cinéaste lithuanien filmer le second, complètent ce panorama où se retrouvent également Michelangelo Antonioni, Adolfas Mekas, George et Mike Kuchar, Carl Linder, Maurice Amar, Gerd Stern, Jud Yalkut, etc. Pas de hasard, Bachmann est un ancien élève de Hans Richter au City College de New York, condisciple de Clarke et Mekas. Document exceptionnel, Underground New York ravira les amateurs de cinéma expérimental.


Si vous trouvez que le "cinéma non narratif" est trop intello, bien que l'un n'empêche pas l'autre, vous pourrez vous régaler de The Endless Summer, film-culte de la cool attitude, où Bruce Brown suit et commente non-stop les aventures des pionniers Robert August et Mike Hynson surfant sur les vagues du Sénégal, du Ghana, de l'Afrique du Sud, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de Tahiti et d'Hawaii avant de retourner en Californie. On plane totalement, même si l'humour de Brown est souvent condescendant pour les "tribus primitives" croisées sur les plages. Le film, en cela, est fondamentalement américain, les surfers à la recherche de la vague parfaite colonisant les flots d'une hauteur typique. Tourné en 1966, devenu un véritable mythe, il fut le premier à s'intéresser à l'univers du surf et les images ont conservé la magie de ces équilibristes au milieu des grands espaces maritimes. La surf culture annonce déjà le fantasmatique sex, drugs and rock 'n roll, les hippies et la libération sexuelle dont le surf n'est qu'une métaphore.

→ Gideon Bachmann, Underground New York, DVD, Re:Voir Video, 19,90€
→ Bruce Brown, The Endless Summer, DVD et Blu-Ray, Carlotta, 20,06€ et coffret collector avec un livre de 176 pages 44,99€, sortie le 17 octobre 2016

vendredi 9 septembre 2016

Les idoles de Marc'O en DVD


Après La femme bourreau et les films maudits de Jean-Denis Bonan, Les Idoles est le second opus d'une collection DVD consacrée à des films rares et/ou inédits du cinéma français des années 60. Le film de Marc'O est un film-culte, parce qu'il a marqué son temps et qu'il était jusqu'ici difficilement visible. Que Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon et Pierre Clémenti, trois enfants terribles du cinéma indépendant, en tiennent les rôles principaux rend l'affaire encore plus sulfureuse. D'abord pièce à succès représentée au Bilboquet, une ancienne imprimerie de la rue Saint-Benoît transformée en théâtre en 1966, puis à Bobino, le film fait un flop, car il sort en plein milieu des évènements de mai 68 quand toute la jeunesse est dans la rue ! Le sujet avait tout pour lui plaire et son aspect de comédie musicale rock anticipait de peu le succès de Hair. Le show-biz, qui fabrique des vedettes en sacrifiant leur vie privée et au mépris du public, pousse les idoles à se saborder pour ne pas être complices de la société du spectacle.


L'intérêt principal du DVD provient des suppléments qui intègrent le long métrage dans le processus de création mis en œuvre par Marc'O. Le metteur en scène offre aux acteurs une liberté que le théâtre traditionnel muselait. Jacques Rivette reconnaîtra plus tard l'influence de ces improvisations dirigées. Un groupe de rock sur scène excite l'hystérie communicative des jeunes gens qui dansent et chantent comme des fous. C'est peut-être aussi le point faible parce qu'ils braillent plus qu'ils ne chantent, d'autant que le rock français n'a jamais été très convaincant. On reconnaîtra néanmoins le flûtiste Didier Malherbe dans l'orchestre de Stéphane Vilar et Patrick Greussay. Théâtre musical avant la lettre ou opéras rocks, les pièces montées par Marc'O dégagent une énergie incroyable de la part de ses acteurs qui se la jouent autant qu'ils jouent la comédie. Pour avoir moi-même inauguré mon light-show sur Kalfon et Clémenti qui avaient formé ensuite le groupe Crouille Marteau, j'ai pu apprécier leurs délires ravageurs où le quotidien s'imprégnait autant de la fiction que l'inverse. C'est donc en regardant les documents inédits offerts en bonus que l'on prend la dimension du travail de Marc'O et de son influence, que ce soit avec Les Bargasses qui précéda Les idoles ou avec Sensibilité aux conditions initiales datant de 1996 et récemment peinturluré vidéographiquement. Les scènes de transe associent la musique et la danse au jeu théâtral de manière explosive et galvanisante.
Parmi la troupe, car c'est avant tout un jeu d'ensemble, on notera aussi la présence de Valérie Lagrange, Michelle Moretti, Bernadette Lafont, Philippe Bruneau, Henry Chapier, Francis Girod et Daniel Pommereulle. Le monteur des Idoles était Jean Eustache et l'un des assistants à la réalisation André Téchiné ! Les costumes pètent de couleurs psychédéliques, les décors sont hallucinants, mais le jeu appuyé des comédiens m'accroche moins que la folie ambiante qui fait trembler et se tordre les corps au son de la guitare électrique. L'entretien avec Marc'O avait déjà été publié en DVD avec son chef d'œuvre, Closed Vision, un film expérimental de 1954 qui mérite absolument d'être redécouvert.

→ Marc'O, Les idoles, Luna Park Films, DVD, 14,95€, sortie le 4 octobre 2016.

mardi 6 septembre 2016

Les Américains sont des Russes


Le plus étonnant de la série Les Américains qui vient de terminer sa quatrième saison est qu’elle soit produite par la chaîne FX appartenant à la Fox Entertainment Group de Rupert Murdoch, réputée pour son caractère réactionnaire. À l’instar des nombreux films de Hollywood mettant en scène les complots intérieurs et la corruption du système, serait-ce une manière de préserver les apparences de la démocratie, antidote adoucissant contre les dérives d’un État fondé sur le génocide et dont l’économie repose en grande partie sur la guerre et le crime organisé ? Car, après tout, ces forfaits et les manipulations d’opinion qu’ils nécessitent occupent essentiellement le champ de la fiction, comme un exorcisme des dérives que le système pourrait engendrées.


Les Américains, dont le c du titre est remplacé par une faucille et un marteau, est une sorte de mélange entre 24 heures chrono et Desperate Housewives. Un couple marié d’agents soviétiques, construit artificiellement par le KGB, est infiltré dans la vie américaine jusqu’à faire deux enfants qui ignorent tout des activités espionnes de leurs parents. Nous sommes en pleine guerre froide, période Guerre des étoiles de Ronald Reagan. Les États Unis soutiennent les Moudjahidin afghans contre les Soviétiques. La série de quatre saisons de treize épisodes de 46 minutes, qui en comptera six jusqu'en 2018, mêle l’action musclée aux désordres psychologiques de cette famille hors-normes avec des incartades de la vie banlieusarde, d’autant qu’un des principaux agents du FBI chargé de les démasquer habite dans la pavillon en face du leur !
Keri Russell et Matthew Rhys ont des rôles en or puisqu’à transformations, obligés de se grimer sans cesse pour jouer quantité de personnages avec perruques et maquillage. Noah Emmerich joue l’agent Beeman, lui-même en proie aux tentations sexuelles, arme préférée des espions de tous bords.

Le thriller, basé comme tout bon récit d’espionnage sur l’infiltration et le retournement, génère un suspense tous azimuts, opposant l’antenne de KGB domiciliée à l’Ambassade soviétique et le FBI. Le plus étonnant est donc que le couple de faux Américains, voire même une partie de sa hiérarchie, est plus sympathique que la section du FBI qui les traque, même si les uns comme les autres ne font pas dans le sentiment, mais assassinent à qui mieux mieux ceux qui les dérangent. On peut juste trouver étrange, voire énervante, la relation parentale que le couple entretient avec leur fille aînée, attirée par les voies du Seigneur, même si le pasteur est un militant anti-nucléaire. Ils choisissent l’autorité plutôt que la pédagogie pour tenter d’empêcher leur fille de prendre ce chemin. Ce conflit de générations incarné par les filles se retrouve dans presque toutes les séries américaines, de Six Feet Under à Mad Men.
Créée par Joe Weisberg, ancien gradé de la CIA, la série s’appuie sur des évènements réels, en particulier l’affaire des Illegals de 2010, mais il a préféré situer l’action dans les années 80, probablement pour ne pas rendre trop parano son public. L’auteur prétend également se focaliser sur le mariage en général, les relations internationales n’étant qu’une allégorie des relations humaines. Cette vision cynique, méfiante et brutale de l’humanité fait froid dans le dos. Ce sont bien Les Américains !

Les Américains, 4 saisons plus deux à venir, DVD et Canal +