70 Cinéma & DVD - janvier 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 janvier 2013

Sept psychopathes et un bipolaire


Il était une fois... Un thriller hors du commun où le scénario mêle la fiction avec la fiction, celui du film s'écrivant au jour le jour sans que l'on sache ce qui est de l'ordre de l'imagination ou pas. Brouiller les cartes, ici de saignants valets de carreau, permet à l'histoire tordue de se construire et au spectateur de s'amuser de cette farce abracadabrante et hilarante contée par le réalisateur de In Bruges (Bons baisers de Bruges), film qui nous avait déjà surpris par son ton original et insolent. 7 Psychopaths, le second long métrage de Martin McDonagh possède un humour noir british encore plus décapant que le précédent. Son architecture, sorte de film dans le film à la sauce peyotl et fausse mise en abîme, est un modèle du genre. De plus, la distribution permet de savourer cette fois le jeu ébouriffant de Colin Farrell (déjà excellent dans In Bruges), Sam Rockwell, Woody Harrelson, Tom Waits, Harry Dean Stanton et, last but not least, le "danseur" Christopher Walken. L'un des meilleurs films de ce début d'année !


N'en restons pas là, lorsque sortent des films vraiment réjouissants qui nous réconcilient avec le cinéma quand la presse tant spécialisée que généraliste continue de se gargariser avec les pan-pan-boum-boum de Tarantino, Bigelow, Affleck, les exercices de nostalgie moderne de Ferrara, Gomes et consorts, ou le verbeux et laborieux Lincoln... On devait à David O. Russell un film dont l'affiche nous avait fuir, mais dont les dialogues et la réalisation nous avait épatés, Three Kings (Les rois du désert), chasse au trésor en pleine guerre d'Irak avec Clooney, Jonze, Wahlberg et Ice Cube. Le revoici avec une nouvelle comédie dramatique, Happiness Therapy, parfois présentée sous le titre Silver Linings Playbook. Histoire de fous également, mettant en scène un prof dont la bipolarité a fait tout perdre, mais qu'une rencontre va transformer. Si Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Robert De Niro et toute la distribution sont là encore remarquables, c'est au montage que l'on peut immédiatement repérer les films qui sortent de l'ordinaire. La succession des plans n'y illustre pas la progression du scénario, mais crée des émotions, leur rythme s'appuyant sur les ellipses générées par les coupes. Si les conventions musicales ne viennent pas tout saccager on a des chances de tomber sur l'oiseau rare... À l'opposé, de belles images font rarement un bon film, même si cela ne gâche pas le reste ! Happiness Therapy réussit à montrer avec beaucoup d'humour la folie ordinaire, là où la plupart des cinéastes tracent une ligne caricaturale entre les souffrants et les bien portants. Le happy end attendu n'est hélas pas du niveau de la première heure. Tout de même un second bon film à sortir aujourd'hui...

mercredi 23 janvier 2013

Beauté de la beauté


Beauté de la beauté est une gigantesque série sur la peinture réalisée par Kijû Yoshida, l'auteur de Eros+Massacre, équivalent japonais de la Nouvelle Vague. Le dispositif répétitif du tournage et la voix monocorde du réalisateur interdisent de regarder les épisodes à la suite les uns des autres. La magie du feuilleton provient de sa régularité, mais aussi de son espacement dans le temps. Chacun provoque alors une découverte, soutenue par la musique contemporaine de Toshi Ichiyanagi et une remarquable partition sonore où les ambiances enveloppent les œuvres d'un halo à la fois magique et réel. En trois DVD, Carlotta propose 20 épisodes de vingt-quatre minutes parmi les 94 tournés au gré des années, de 1974 à 1978, où Yoshida arpente la planète à la recherche de la beauté en prenant garde de ne jamais la nommer. Si son approche des peintres est d'abord géographique et historique, elle est surtout sociale et politique. Il plonge dans l'Histoire, resituant ce qui a poussé les artistes à se distinguer de leur époque. Toute œuvre est critique. À son tour Yoshida revisite la peinture avec le regard distancié de son île et de son esprit frondeur. Sa présence de visiteur étranger hante les lieux où sont exposées les œuvres. Imperceptiblement il s'identifie aux plasticiens qui furent d'abord des hommes avant de transposer sur la toile ce qu'ils voyaient et entendaient, ce qu'ils vivaient et ressentaient. Les titres et sous-titres en disent long :
- Bosch, le peintre du fantastique : L'hérésie de la naissance du nord, La descente aux enfers, Le rêve d'un royaume millénaire
- Bruegel, quand le peintre est témoin de la ruine de son pays : La mise en perspective de la foule, La beauté violée du paysage
- Les crimes du peintre Caravage : Le réalisme ou l'aboutissement du crime, La fuite vers la Sicile et l'île de Malte
- Goya, le magicien de l'Espagne : L'apparition d'un peintre de cour maléfique, Avec lui commence le chaos moderne, Le sommeil de la raison engendre des monstres
- Delacroix ou le paradoxe du romantisme : Un jeune homme venu trop tard, De l'aristocratie de l'âme
- Le scandale sacré : le peintre Manet : Olympia un sentiment d'obscénité, Le dandysme est un soleil couchant
- Cézanne, le regard d'un solitaire : Qu'elle est loin la jeunesse, L'orage du midi
- Van Gogh : Le prédicateur, Celui qui perdit son pays natal, L'autodestructeur, Le suicide

lundi 21 janvier 2013

Le BachFilm des Straub


Avec Le BachFilm les Éditions Montparnasse continuent de publier leur incroyable intégrale des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Après déjà sept volumes nous est proposée la célèbre Chronique d'Anna Magdalena Bach dans cinq versions qui diffèrent par la langue, allemande, française, anglaise, italienne, néerlandaise, toutes originales, tant le couple de réalisateurs tient à l'authenticité de tout ce qu'ils filment. Ainsi toutes les œuvres interprétées par Gustav Leonhardt qui joue le rôle du compositeur, par Christina Lang-Drewanz qui joue celui de sa femme, par Nikolaus Harnoncourt à la tête du Concentus musicus, Ensemble fûr alte Musik de Vienne, par August Wenzinger à celle du Konzert-gruppe des Schola Cantorum de Bâle, par Heinz Henning à celle du Knabenchor de Hanovre, etc. sont intégralement enregistrées en direct. Il est peu probable que vous regardiez et écoutiez les cinq versions, mais le jusqu'au-boutisme d'une intégrale doublé de l'exigence straubienne imposent cette exposition quasi encyclopédique. Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967) est certainement leur film le plus évidemment accessible au grand public qui devrait être fasciné par l'authenticité de l'entreprise. J'ai un petit faible également pour l'opéra Moïse et Aaron de Schönberg tourné sept ans plus tard, référence fondatrice de mon propre travail. Pris entre le spectacle de la vie réelle et le travail critique sur les conditions sociales où s'exerçait l'œuvre de Bach la magie vous entraîne dans des mondes insoupçonnés, expérience unique dans l'histoire du cinéma. Les rapports que Bach entretient avec ses commanditaires montrent que rien n'a vraiment changé depuis cette époque ! Le second DVD propose un documentaire de 1968 de Henk de By sur les trois premiers films des Straub, les témoignages de Gustav Leonhardt lors du tournage de la Chronique, plus récemment de Christina Lang-Drewanz et Nikolaus Harnoncourt, un extrait d'une conférence de Gilles Deleuze intitulée Qu'est-ce l'acte de création ?, ainsi que des photos et documents inédits sur la partie Rom du DVD, plus un livre de 160 pages incluant le découpage précis du film avec toutes les références musicales, cela va de soi ! Le film est un des must absolus en matière de musique au cinéma, il n'y en a pas tant que cela, tout aussi indispensable aux amateurs de Jean-Sébastien Bach, alors que Gustav Leonhardt était encore à ses débuts, comme à toutes celles et ceux qui se demandent à quoi rime le cinématographe.

mercredi 16 janvier 2013

Remix, violence et décervelage


Bastards est une série entraînante de remixes de Biophilia de Björk, son dernier album qui ne présente pas grand intérêt. Et là ça marche. Le Syrien Omar Souleyman séduit sur Crystalline et Thunderbolt, et Hudson Mohawke, Death Grips, Matthew Herbert, These New Puritans, Alva Noto, Current Value, The Slips s'en sortent mieux que l'originale. De là à traîter ces sauciers de bâtards, Björk exagère. Elle va trop au cinéma ou choisit mal ses films. Aujourd'hui je ne suis pas certain de mieux m'en tirer.


Je me lance dans une autre comparaison entre un original et son remix inspiré, Django de Sergio Corbucci tourné en 1966 (au cinéma le 23 janvier) et Django Unchained de Quentin Tarantino. Le film sorti mercredi est un come back plutôt réussi du vidéotécaire après une série de navets plus indigents les uns que les autres. Si les deux spaghetti western sont à la sauce tomate, acidité au programme, l'un et l'autre jouent sur la vengeance des opprimés contre le racisme, ici les victimes de l'esclavage, là de pauvres Mexicains plutôt lasagnes. La démagogie identificatrice profite aux deux films, effets téléphonés à la clé, loi du genre oblige, sans surprise. Le film pompier de Tarantino est sauvé par le personnage interprété par Christoph Walz (à gauche de Jamie Foxx) dont l'humour fait passer la violence, encore plus répétitive et fatigante chez son prédécesseur italien.


Quitte à se laisser décerveler par un des blockbusters de la nouvelle année, autant se coltiner Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, thriller d'action réussi dont le prétexte benladenien n'a aucun intérêt historique ni politique. Il a par contre l'avantage de revendiquer son féminisme dans un domaine où le machisme est la règle (en photo, Jessica Chastain). La polémique américaine sur ses scènes de torture, il est vrai éprouvantes, est évidemment idiote. Le spectacle est payant ; la dénonciation sincère. Bigelow, comme Tarantino, y gagne sur les deux tableaux. Ils se dédouanent en se répandant. À la fois cynique et empli de culpabilité, ce cinéma ne présage rien de bon.


À peine plus critique, si ce n'est le début du film qui rappelle la responsabilité (aujourd'hui assumée) des États Unis et de la Grande Bretagne dans le coup d'état de 1953 contre Mossadegh (il avait nationalisé le pétrole iranien !), mais franchement anecdotique, Argo, le film multiprimé de Ben Affleck coproduit par George Clooney, est rondement mené, mais le suspense est éventé par la chute attendue. Cette fois la CIA opère sans effusion de sang, les gentils Américains tournant en dérision les vilains Iraniens lors de l'exfiltration en 1979 de six de ses diplomates. À la fin du film, le réalisateur nous fait le coup de que sont-ils devenus plutôt que de rappeler que la technique expérimentée lors de l'Opération AJAX qui a permis le retour du Chah, un homme de paille, devenue le modèle de toutes les ingérences américaines dans le monde. Barack Obama a eu beau reconnaître l'implication de son pays "dans le renversement d’un gouvernement iranien démocratiquement élu" et à s'en excuser dans un discours adressé à la communauté musulmane, les États Unis n'ont depuis jamais cessé de fabriquer des fictions plus vraies que n'en produit Hollywood à la chaîne... There is no show business like business !

lundi 14 janvier 2013

Ça ne peut pas continuer comme ça !


Ça ne peut pas continuer comme ça ! est un film jubilatoire de Dominique Cabrera coproduit par France Télévisions (MFP) et la Comédie-Française, la première fiction développée par cette noble institution depuis 1680 comme le souligne son administratrice, Muriel Mayette. Comédie du pouvoir et pouvoir des comédiens s'y renvoient la balle dans une remarquable mise en scène en abîme où la critique politique résonne avec les propositions les plus radicales de la Gauche tandis que s'ébrouent les pensionnaires de la maison de Molière. Les multiples clins d'œil à la réalité ne gomment pas l'habile scénario où le Président de la République en phase terminale est remplacé secrètement par un comédien.


Aurélien Recoing ne joue pas seulement les deux rôles, il montre les deux faces de chacun de ses personnages, aussi graves que comiques. Le film révèle d'ailleurs une pépinière d'acteurs peu vus au cinéma, tous membres de la Comédie-Française, théâtre faisant miroir aux intrigues de l'Élysée ! Dominique Cabrera a réussi à mettre dans sa poche tous ses co-producteurs, son scénario, écrit avec Olivier Gorce, révélant admirablement la manipulation des masses par le pouvoir et la télévision comme la passion des comédiens pour leur métier, le tout avec humour et perspicacité. Les laquais patentés le prendront forcément mal, le public devrait s'en réjouir.

Le film est programmé vendredi prochain 18 janvier à 22h15 sur France 2.