70 Cinéma & DVD - août 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 24 août 2023

Joe Dante filme l'enfer américain


J'allais republier mon article du 6 mai 2011 sur Panic sur Florida Beach (Matinee) de Joe Dante lorsque j'ai retrouvé deux autres articles, datés du 22 mai 2013 et du 5 décembre 2016, sur ce cinéaste (vraiment) indépendant américain, et particulièrement sur Piranhas et Les banlieusards...

Panic sur Florida Beach

Derrière son sens aigu du spectacle Joe Dante est un cinéaste éminemment politique. Je ne connaissais que ses Gremlins (1984), qui ne m'avaient pas emballé outre mesure, avant de suivre film à film la liste des comédies transgressives américaines de Jonathan Rosenbaum. Nous avions commencé par Innerspace (L'aventure intérieure, 1987) et La Seconde Guerre de Sécession (The Second Civil War, 1997) qui provoquèrent l'hilarité générale, saines séances où rire à gorge déployée vaut toutes les vitamines. Le second serait à projeter toutes affaires cessantes en ces périodes de haute manipulation médiatique avec interventions guerrières à la clef ! Le virus Dante nous ayant contaminés, nous avons continué avec Explorers (1985), Les banlieusards (The 'Burbs, 1989), Small Soldiers (1998) et Panic sur Florida Beach (Matinee), sans compter quelques unes de ses participations à des séries télévisées et films collectifs. Hors Gremlins, l'échec commercial relatif de ses films est parfaitement justifié par leur ton politiquement incorrect, car Dante est viscéralement un indépendant. Dans tous il aborde la paranoïa, la peur de l'autre et de l'inconnu engendrant la violence, en faisant basculer le récit dans l'absurde que les films de genre exacerbent. Leur humour se révèle le meilleur antidote au racisme et à l'intolérance.


Carlotta a l'excellente idée de publier le DVD de Matinee, en français Panic sur Florida Beach, un petit bijou d'humour ravageur sur la projection d'un film d'horreur dans une ville de Floride au moment où éclate la crise des missiles de Cuba en 1962. La fascination pour les monstres de série B trouve son explication dans la paranoïa nucléaire de l'anti-communisme d'alors. Cette comédie décapante dessine un portrait de l'Amérique, au travers de ses préjugés et ses phobies, mais fait également figure de parcours initiatique pour des adolescents découvrant l'amour en même temps que l'horreur. Film dans le film à plus d'un titre, Panic sur Florida Beach est aussi une réflexion sur la production cinématographique au travers du truculent John Goodman jouant le rôle du réalisateur invité à projeter son Mant! (L'homme-fourmi) (en Atomo-Vision et Rumble-Rama s'il-vous plaît, court-métrage présenté en bonus à côté d'une passionnante interview de Joe Dante) dans cette petite ville de Key West, juste en face de Cuba ! Les angles d'attaque sont si variés que le film représente un véritable kaléidoscope braqué sur l'époque. Panic sur Florida Beach n'est pas un film mineur, c'est une mine dont l'heure a sonné.

Piranhas, pamphlet mordant anti-US


Pour une fois, le bonus DVD d'un film me permet de me rafraîchir la mémoire sans avoir besoin de le revoir pour écrire ma chronique. Un an est passé depuis la projection de Piranhas (1978) qui nous avait fortement impressionnés, pas seulement pour son suspense gore, mais aussi pour sa charge politique contre le gouvernement américain et son humour noir. En général j'ai du mal avec les entretiens qui citent d'abondants extraits du film que l'on vient de regarder, aussi suis-je ravi d'écouter Joe Dante évoquer le tournage de son second long métrage dans la nouvelle édition publiée par Carlotta. Pour commencer, il rend évidemment hommage à son producteur, le prolifique Roger Corman qui donna leur chance à nombreux réalisateurs prometteurs tels Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Peter Bogdanovich ou Jonathan Demme.


Joe Dante préfère comparer Piranhas à un film de guerre plutôt qu'à Hitchcock, son scénario dénonçant en sous-main les méthodes des États Unis pendant la guerre du Vietnam, chimie criminelle et manipulations génétiques à la clef. Il est probable que personne n'oserait aujourd'hui aller aussi loin dans le "politiquement incorrect", particulièrement dans les scènes où quantité d'enfants se font dévorer par les vilains poissons mutants. Dante insiste d'ailleurs sur la responsabilité du lobby des armes dans la violence qui s'est multipliée dans son pays plutôt que celle que véhicule le cinématographe. Lointain pastiche des Dents de la mer, Piranhas est un film fascinant qui loin de se complaire dans une horreur confortable et spectaculaire dénonce la bêtise humaine avec un humour saignant et ravageur.

Les banlieusards


Après Body Double, L'année du Dragon, Little Big Man et Panique à Needle Park, l'éditeur Carlotta publie un cinquième coffret Ultra Collector consacré au film relativement méconnu de Joe Dante, The 'Burbs (Les banlieusards). Amateur de DVD ou Blu-Ray pour le confort qu'ils apportent lorsqu'on a la chance de posséder chez soi un grand écran, cinéphile suite à mes études de cinéma, j'apprécie les éditions dont les bonus apportent un réel plus au film. Cette fois nous sommes servis : plus que les cinq études analytiques passionnantes de Frank Lafond, Florent Christol, Vincent Baticle, Christian Lauliac et Fabien Gaffez figurant dans le livre de 200 Pages abondamment illustré, apportant quantité d'informations sur l'histoire, le satanisme, le décalage comique, la musique ou les acteurs, j'ai surtout été intéressé par le témoignage de Joe Dante, la copie de travail, la fin alternative, les archives promotionnelles, etc. qui accompagnent cette comédie fantastique réalisée en 1989 avec le jeune Tom Hanks, Bruce Dern, Carrie Fisher, superbement remasterisée.


Comme tous les films de Joe Dante depuis Piranhas, Les banlieusards insinue une critique virulente de la vie américaine. Imitant avec quelques années de retard les dégâts produits par et aux États Unis, nous pouvons malgré tout nous y projeter sans difficulté avec nos manies xénophobes et nos réactions muées par l'émotion qui étouffent la réflexion ! Je reconnais l'amicale complicité de nos voisins contre les horribles sorcières du fond de l'allée et certains replis communautaires caricaturaux. Rien d'étonnant à ce que les Américains ne soient pas fans des films de Dante qui leur en envoie chaque fois plein les gencives, comme récemment Braindead, la série de Michele et Robert King... On peut lui préférer Matinee (Panique sur Florida Beach), Innerspace (L'aventure intérieure), Small Soldiers, The Second Civil War ou les Gremlins, mais The 'Burbs a quelques atouts, à commencer par son décor. Car Mayfield Place deviendra quinze ans plus tard Wisteria Lane, la série Desperate Housewives se passant dans la même rue des studios Universal, une autre histoire de banlieusardes avec ses ragots et ses histoires sordides. Le film de Joe Dante est une comédie pleine d'allusions cinéphiliques et de ressorts comiques liés au cinéma d'épouvante, le film parfait d'un samedi soir.

→ Coffret Les banlieusards (The 'Burbs), coffret ultra collector limité à 2.000 exemplaires numérotés en Blu-ray + DVD + 1 DVD de Bonus + Livre, 49€ / le DVD ou Blu-Ray seul, 14€

jeudi 10 août 2023

Aspergirl, Nicole Ferroni toujours drôle


Je ris de moins en moins au cinéma. Pleurer m'est beaucoup plus facile. Est-ce moi qui ai changé, l'époque qui ne s'y prête pas, l'humour lourdingue que je ne partage pas, sans parler du comique de répétition qui m'a toujours ennuyé ? Mais voilà, il y avait longtemps que cela ne m'était pas arrivé. Pas tant, mais suffisamment pour que je le remarque. J'ai donc regardé Aspergirl, mini-série franco-belge de 10 courts épisodes, créée par Judith Godinot et Hadrien Cousin, sur une idée originale de Sophie Talneau, réalisée par Lola Roqueplo, avec Nicole Ferroni et le jeune Carel Brown. Le sujet, l'autisme féminin, est grave, mais c'est le propre du rire de s'attaquer à ce qui pourrait faire souffrir et que les humoristes retournent comme un gant.


Je me souviens de Michèle, alors psychologue, entourée d'handicapés mentaux absolument adorables, écroulée d'un rire communicatif, alors que nous nous promenions dans la forêt avec eux et des dizaines de gallinacés plus étonnants les uns que les autres ; elle avait réussi à me faire accepter les trisomiques qui m'angoissaient jusque là. Oui, je sais, l'autisme n'est pas une maladie, c'est un handicap, caractérisé entre autres, malgré cela, par une inadaptation à la normalité sociale. Combien d'Aspergers qui s'ignorent parmi les artistes ! J'imagine que vivre avec une fille comme celle qu'interprète Nicole Ferroni ne doit pas être de tout repos, mais au moins on ne s'ennuie pas. Les scénaristes, avec l'aide de la psychologue Julie Dachez, elle-même diagnostiquée Asperger, ont bien étudié l'autisme avant de se lancer. Il y a quelques lourdeurs, mais dans l'ensemble Aspergirl fait bonne figure dans la comédie française, et d'un point de vue pédagogique cette série a son utilité, comme récemment En thérapie.

mercredi 9 août 2023

Out of Order, suspense en huis clos


Je regarde tout, sans distinction de genre, films et séries, blockbusters et expérimentaux, anciens et nouveaux, animations et documentaires, drames et comédies, films X, Y ou Z... Il y a des découvertes à faire dans tous les genres, des œuvres qui sortent du lot, des scénarios incroyables, des maîtrises à couper le souffle. Out of Order (Abwärts) (1984) de Carl Schenkel fait partie des films qui tiennent en haleine du début à la fin, précision d'horloger suisse pour un huis clos tendu où quatre personnes se retrouvent coincées dans un ascenseur. Derrière le film d'action et psychologique se devine une critique acerbe de la société capitaliste et patriarcale. Parmi les bonus, le témoignage de l'acteur Hannes Jaenicke est particulièrement éloquent sur l'Allemagne d'après-guerre et sur le travail de Carl Schenkel, franc-tireur qui aura toujours du mal à faire produire ses films dans une Allemagne alors encore partagée entre son rêve socialiste et ses casseroles nazies. Une pensée pour William Friedkin qui vient de disparaître et dont le travail n'est pas si éloigné...

→ Carl Schenkel, Out of Order, Blu-Ray Carlotta, 20€, sortie le 22 août 2023

vendredi 4 août 2023

Les Basilischi, le premier d'une grande cinéaste


En Italie on cause, on cause, mais après ? C'est ce que raconte Lina Wertmüller dans Les Basilischi. C'est aussi comme cela que les Français caricaturent souvent les Italiens. Les Italiens, est-ce que cela existe vraiment ? L'unification du pays amorcée en 1861 a-t-elle jamais été assumée ? Ceux du sud sont toujours regardés comme des parias par ceux du Nord. Dans la petite ville provinciale de Minervino Murge, située entre les Pouilles et la Basilicate (qui donne son nom au film), les jeunes s'ennuient. Ils tiennent les murs, battent le pavé et rêvent des filles que leurs parents ne laissent pas sortir. Les préjugés, les clichés et les rituels les gardent prisonniers. Rome est un fantasme que peu transformeront en réalité, tant bien même, ils retournent au bled. Soixante ans plus tard, cette jeunesse laissée pour compte ressemble terriblement aux gamins français de nos cités. Ce premier film de Lina Wertmüller, sorti en France pour la première fois l'année dernière, laisse espérer que d'autres seront édités à l'avenir. Cette cinéaste rebelle, décédée à 93 ans en 2021, qui fut l'assistante de Fellini sur 8 1/2, est l'égale des plus grands. Sous une apparence néo-réaliste, on perçoit ce qui fera son style, un regard acéré sur les classes sociales, un grand écart qui mine les uns comme les autres. Comme Luchino Visconti di Modrone, Lina Wertmüller, née Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich, entretient une sympathie fondamentale pour la classe ouvrière. Les Basilischi est une magnifique mise en bouche pour une œuvre épatante à découvrir ou redécouvrir. À noter que Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été, mon préféré, a déjà été publié par Carlotta.

→ Lina Wertmüller, Les Basilischi, Blu-Ray Carlotta, 15€, sortie le 22 août 2023

mercredi 2 août 2023

Mean Streets, film ethnique


Après la dégringolade des derniers films de Martin Scorsese [cela ne s'est pas arrangé depuis cet article du 25 mars 2011], revoir Mean Streets permet d'apprécier l'authenticité et la sincérité du réalisateur à ses débuts. Film quasi autobiographique, du moins dans l'étude de son milieu social et de sa jeunesse dans le quartier italien de New York, le film possède une valeur documentaire exceptionnelle. Passé le conseil assaisonné que John Cassavetes lui donna à la sortie de Bertha Boxcar de faire ce qui lui plaît réellement, cette influence directe se fait sentir dans les plans à l'épaule, l'amitié virile des petits machos et les improvisations extraordinaires que ces deux phénomènes engendrent. Harvey Keitel y est extrêmement touchant et Robert De Niro une parfaite tête à claques, tandis que Scorsese étale ses doutes sur son ancienne attirance pour la prêtrise. L'aspect fondamentalement chrétien de son cinéma de gangsters m'a toujours empêché d'y adhérer totalement. Si l'hypocrisie de cette morale avec laquelle on s'arrange par la confession, le repentir, la punition et la rédemption me lève la peau, je me laisse porter par cette plongée ethnique comme dans n'importe quel film exotique. La magie s'évanouira hélas après Casino lorsque la rigueur du scénario et la manière de filmer s'effaceront derrière un classicisme arbitraire et un maniérisme tout aussi maladroit.


Les bonus publiés par Carlotta confirment mon sentiment, évocation de sa jeunesse par Scorsese, témoignages de son chef opérateur Kent Wakeford et du critique Kent Jones, reportage sur le réalisateur revenant dans Little Italy après le tournage et un autre sur ce que sont devenus les décors aujourd'hui, les home movies en Super 8 muets utilisés pour l'introduction de Mean Streets présenté ici remasterisé, etc. La version Blu-Ray offre en supplément Italianamerican, le moyen métrage tourné par Scorsese en 1974 avec ses parents. Mean Streets qui fut son premier succès l'année précédente est la pierre angulaire de tout son cinéma.