70 Cinéma & DVD - mai 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 13 mai 2022

Les promesses


Si l'on se fie à la bande-annonce du film de Thomas Kruithof, Les promesses ne seront pas tenues et c'est tant mieux. Les personnages de cette évocation du monde politique n'ont rien de manichéen. Ils oscillent entre leurs ambitions et la morale individuelle qui les a portés à s'engager. Pour avoir participé deux fois à des élections municipales, et de plus dans le département de la Seine-Saint-Denis où se passe l'action, j'ai trouvé très juste la vision du cinéaste qui avait préalablement réalisé le thriller La mécanique de l'ombre. Il réussit même à donner quelque espoir face aux magouilles et petits arrangements qu'implique une loi mal fichue qui donne tout pouvoir au maire après son élection. Ce n'est pas si simple. Décrocher des subventions importantes pour faire des travaux sur des immeubles insalubres n'est évidemment pas de son seul ressort. Passé la dénonciation des marchands de sommeil, c'est le système français qui se lit en filigranes derrière le combat de la mairesse incarnée par la toujours pétulante Isabelle Huppert et son chef de cabinet Reda Kateb tout aussi convaincant.


On sait bien que les municipales n'obéissent pas aux mêmes règles que les présidentielles ou les législatives. Il existe de bons maires de droite et d'épouvantables à gauche. Cela dépend aussi de la taille des communes et de leur localisation, à savoir le budget dont elles disposent et les populations qui y vivent. Je me souviens avoir dîné avec un commissaire aux comptes du gouvernement qui m'expliquait que la corruption est générale. Un inspecteur qui revient bredouille signifie qu'il en a croqué ! À l'époque la différence résidait dans les poches de qui atterrissaient les pots de vin, personnelles à droite, pour le parti à gauche, du moins chez les communistes. Les temps ont changé. Le marché de l'immobilier et les travaux publics sont une manne pour les dessous de table. C'est en partie ce qui sert à payer les campagnes politiques. Le seul levier qu'avaient les commissaires aux comptes était de freiner un temps les ardeurs des épinglés. Ceux qui font fi de l'avertissement tombent. Ce fut par exemple le cas de Jacques Médecin à Nice ou des Balkany à Levallois. Vivant à Bagnolet, je dois avouer que nous en avons vu des vertes et des trop mûres, au point que j'ai fini par me retirer de la tambouille, difficile à comprendre pour les électeurs. C'est tout le système, donc la loi, qui est à changer. Une des raisons, parmi tant d’autres, justifiant la nécessité d'une nouvelle Constitution qui oblige les élus à rendre des comptes. Les autres corps de métier y sont tenus. Mais ce n'est pas un métier, puisque les élus ne sont pas salariés et n'ont donc pas le droit à des indemnités de chômage s'ils perdent les élections. On comprend pourquoi ils s'accrochent !

→ Thomas Kruithof, Les promesses, DVD/Blu-Ray Wild Bunch, sortie le 8 juin 2022

jeudi 12 mai 2022

L'arbre donne le temps de voir et d’entendre


J'étais un peu fatigué et je m'attendais à un film contemplatif, alors évidemment j'ai un peu piqué du nez. Tandis que j'émergeais, le projecteur affichait un rêve sur l'écran. Pas celui de la luge qui arrivera plus tard. Des images magnifiques. Une lumière incroyable. Comme si la nature était éclairée de l'intérieur. Au début, j'avais bien reconnu les bruits de la guerre, au fond, loin, enfin, pas si loin. Sarajevo évidemment. La neige. Le vieil homme et l'enfant. Un classique. Le vieux porte de l'eau. Vie. Le jeune est près du feu. La vie toujours. L'eau et le feu. Voyage. C'est pour tout le monde. Le monde. Tout le temps. Dans l'entretien en bonus, le réalisateur, André Gil Mata, a du mal à s'exprimer avec des mots. Heureusement qu'il n'est pas là pour ça. L'échange est douloureux. La caméra lui sied mieux. Un cinéaste portugais qui filme au ralenti des images fantastiques en Bosnie. On perçoit l'empreinte de Béla Tarr à la film.factory. André Gil Mata cite La nuit du chasseur, la rivière dans la nuit étoilée, et puis Wiene, Murnau, Lang, des cinéastes du temps du muet qui inventèrent le sonore quand ils en eurent l'occasion. À côté du vieil homme et de l'enfant, les autres personnages sont hors-champ. On les entend. Bien. L'arbre (Drvo) est un film d'image et de son. Ce n'est pas si courant.



→ André Gil Mata, L'arbre (Drvo), DVD E.D.

mercredi 4 mai 2022

La chair et le sang


Si j'ai quelques réserves sur le film de Paul Verhoeven, en particulier les dialogues que je n'ai pas trouvés à la hauteur du reste, j'ai lu avec le plus grand intérêt le livre qu'Olivier Père lui consacre. Les deux sont intimement liés puisqu'ils forment un tout sous le coffret Ultra Collector publié par Carlotta, éditeur spécialiste DVD/Blu-Ray de la cinéphilie. Outre les suppléments vidéo, entretiens avec le réalisateur ainsi que le scénariste Gerard Soeteman et le compositeur Basil Poledouris, le livre de 160 pages où sont insérés DVD et Blu-Ray est illustré de 40 photos d'archives dont celles du tournage prises par François Cognard. Cette luxueuse édition est la 22ième après Body Double, L'année du dragon, Little Big Man, Phantom of the Paradise, Profession : Reporter, La dame de Shanghaï, Network, Crash, Pandora, etc. À tirage limité, ces coffrets sont souvent vite épuisés, et je constate sur le site de Carlotta que c'est déjà le cas de La chair et le sang alors qu'il est sorti le 19 avril. Le film est toujours disponible en version single, DVD ou Blu-Ray, mais j'ignore comment se procurer le texte d'Olivier Père qui aborde à la fois Paul Verhoeven, son œuvre en général et cette étonnante évocation médiévale. C'est vraiment dommage, parce que le journaliste lève de nombreuses ambiguïtés dont le cinéaste néerlandais est victime.


J'avoue n'avoir repéré l'humour incisif de Verhoeven qu'il y a vingt ans en l'écoutant commenter Starship Troopers. Depuis je ne peux voir ses films autrement, un peu comme ceux de Luis Buñuel, référence de Verhoeven avec Eisenstein, Bergman et Hitchcock. Il emprunte au premier son absence de jugement et sa critique de la religion, au second les mouvements de caméra et le montage, au troisième la lumière et la noirceur, au dernier le suspense évidemment. Comme Samuel Fuller, Verhoeven est souvent compris à l'envers de ses intentions, lorsqu'il dénonce la violence en la montrant cruellement crue. Sa mise en scène de l'érotisme procède des mêmes contradictions, contradictions inhérentes au désir. Il interroge les pulsions des êtres humains plus qu'il n'impose une lecture unilatérale. Ses comédiennes incarnent des femmes fortes, certes prêtes à tout pour sauver leur vie, alors que ses personnages masculins sont généralement suicidaires. Tous ses films mêlent une étude précise des circonstances et une fantaisie poussant le scénario à l'extrême. En cette fin de période médiévale il invente la guerre bactériologique ou s'inspire des croquis de Léonard de Vinci pour ses machines de guerre. Il y aurait beaucoup à dire sur Flesh and Blood qui marque la charnière entre ses six films néerlandais et sa période américaine, sorte de prémisse à Game of Thrones, mais je m'autorise seulement quelques mots en regard du livre d'Olivier Père... RoboCop, Total Recall, Basic Instinct, Showgirls, Starship Troopers, Black Book sont des films qui m'ont surpris chaque fois que je les ai revus. Je ne suis pas certain d'avoir le même sentiment avec Elle et Benedetta, mais qui sait ? Verhoeven est un immense provocateur.