70 Cinéma & DVD - décembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 13 décembre 2019

Luce, à propos de Jean Vigo


Découvrir Luce, à propos de Vigo, le film de Leïla Férault-Levy, m'a à la fois ému et donné envie de revoir tous les films de Jean Vigo. Sa fille, Luce Vigo, décédée il y a bientôt deux ans, n'a pratiquement pas connu son père terrassé par une septicémie à l'âge de 29 ans, alors qu'elle en avait 3 en 1934. Cela lui permet d'imaginer qu'elle est la grand-mère de son père ! Sa mère, atteinte comme lui de tuberculose, est morte quand Luce avait 8 ans. Pour son fils Nicolas, elle ouvre la malle où s'entassent les souvenirs des tournages. Luce, humble mais déterminée, a défendu et protégé l'œuvre de son père dont les quatre films, deux courts et deux longs, sont des bijoux mêlant sensibilité poétique et invention cinématographique. Généreuse et particulièrement attentionnée, elle a toujours soutenu les jeunes cinéastes et je fus particulièrement ému lorsqu'en 1994, réalisant l'Annuaire des anciens élèves de l'Idhec, elle m'avait appris que j'avais été major de ma promotion en entrée et en sortie (alors que j'en étais le benjamin), chose qui ne se racontait pas dans l'après-68, je me demande même comment elle avait trouvé cela !
Mon propre père m'avait fait découvrir Zéro de conduite que je revois régulièrement, chef d'œuvre de la révolte de l'enfance, brûlot anarchiste d'une incroyable fantaisie, victime inaugurale de la censure cinématographique en France. En 1976 À propos de Nice fut le premier film muet sur lequel Un Drame Musical Instantané imagina une nouvelle partition sonore créée en direct. L'année suivante, pour Trop d'adrénaline nuit, le premier disque d'Un D.M.I., j'avais choisi de mettre en musique un texte inédit de Jean Vigo, Lignes de la main, paru à l'origine en 1953 dans le n°7 de Positif, tandis que Bernard Vitet lisait Un coup de dés... de Mallarmé ! En 1992 avec André Ricros nous avions choisi d'appeler Zéro de conduite sa collection de CD pour la jeunesse...
Dans la foulée, j'ai donc revu L'Atalante dont Vigo n'a jamais vu le montage terminé et commandé la nouvelle intégrale en Blu-Ray qui semble bien supérieure à celle que je possède. L'alliage de la poésie onirique et du point de vue documenté sur le réel, les interprétations vivantes de Jean Dasté, Dita Parlo et l'incroyable Michel Simon, les prises de vue de Boris Kaufman confèrent au film son statut de chef d'œuvre, film expérimental grand public anticipant de trente ans les débuts de la Nouvelle Vague...

→ Intégrale Jean Vigo, coffret Blu-Ray Gaumont Prestige (dans lequel figure également le film avec Luce parmi d'innombrables bonus), 56,61€
→ Leïla Férault-Levy, Luce, à propos de Vigo, DVD La Huit, 13€
La Huit publie quantité de documentaires comme le DVD sur Jean-François Pauvros chroniqué mercredi dernier, Brigitte Fontaine, reflets & crudité dont j'avais parlé à sa sortie cinéma en 2013 et que j'ai revu hier avec grand plaisir ou les films d'André S. Labarthe que j'évoquerai prochainement...

mardi 3 décembre 2019

Un homme nommé cheval


En tournant Un homme nommé cheval en 1969, Elliot Silverstein a réalisé un western d'indiens considéré comme le renouvellement du genre. Même s'il s'agit du point de vue d'un aristocrate britannique kidnappé par une tribu Sioux, le comparer à Little Big Man ou Soldat Bleu, sortis l'année suivante, est erroné, tant il se rapproche d'un film ethnographique sur la culture indienne. Adapté d'une nouvelle de l’auteure américaine Dorothy M. Johnson à qui l'on doit également L'homme qui tua Liberty Valance et La colline des potences, le scénario s'appuie sur une étude sérieuse à laquelle ont participé eux-mêmes des Indiens. Contrairement à John Ford qui s'était fait berner par des figurants facétieux sur Les Cheyennes, la langue est bien celle des Sioux, les costumes sont calqués sur les tableaux de George Catlin, les coutumes rapportées par des natifs, témoins oculaires de la fin du XIXe siècle !

Attention, la bande-annonce tient du spoiler, en français elle divulgâche !


Dans le passionnant bonus L'Ouest, le vrai, Silverstein raconte que la célèbre Danse du Soleil, interdite par le gouvernement américain de 1885 à 1974, était en réalité beaucoup plus cruelle que celle qu'il a mise en scène. Il réussit à convaincre le comité de censure que dans leur religion les Sioux n'étaient pas différents de ceux qui encensent la crucifixion ! Il fut néanmoins critiqué de l'avoir montrée comme une épreuve initiatique plutôt qu'une cérémonie religieuse. Tout le film est en effet le récit initiatique d'un Anglais désœuvré qui découvre les valeurs authentiques d'un peuple si différent du sien. Richard Harris joue le rôle de John Morgan, un lord anglais parti chasser dans le Nord-Ouest des États-Unis, capturé par des indiens Sioux, qui se laissera apprivoiser...
J'ai eu envie de réécouter ensuite les magnifiques disques de Tony Hymas, Oyaté qui dessine le portrait de douze chefs indiens, Remake of the American Dream et Left For Dead avec Barney Bush et auxquels participèrent nombreux Indiens (shawnee, navajo, cree, shoshone, comanche, ojibway, cowichan, blood, montagnais...) aux côtés de Michel Doneda, Jeff Beck, Tony Coe, Jean-François Pauvros, Evan Parker...

→ Elliot Silverstein, Un homme nommé cheval, Blu-Ray/DVD Carlotta, à paraître le 4 décembre 2019
→ Les disques de Tony Hymas sont sur le label nato dans de superbes éditions illustrées