70 Cinéma & DVD - octobre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 octobre 2016

Richard Fleischer, réhabilitation d'un auteur de cinéma


En lisant l'annonce de trois chefs-d’œuvre signés Richard Fleischer publiés par Carlotta, je me suis demandé si ce n'était pas un peu exagéré... Comme je n'évoque que ce qui m'a plu et m'inspire librement, j'avance parfois à reculons, d'autant que de nouveaux disques, films et bouquins s'accumulent sur les étagères. Je m'emploie pourtant rigoureusement à tout regarder, lire et écouter, sans porter ombrage à mon travail, à savoir terminer la composition de nouvelles pièces musicales et les enregistrer dans la foulée avant mon départ pour Rome.
Et pourtant, si, le coffret contient bien trois films formidables de Richard Fleischer qui me sont donnés à découvrir ! J'avais déjà été emballé par L'étrangleur de Boston (lire l'article qui évoquait également l'excellent polar Les inconnus dans la ville / Violent Saturday), mais je pensais que le reste de sa filmographie consistait en honnêtes succès grand public tels 20 000 lieues sous les mers, Les Vikings, Le voyage fantastique ou L'extravagant docteur Dolittle. Il y avait tout de même l'extraordinaire Soleil Vert (Soylent Green), film de science-fiction sombre et prophétique. Mais découvrir coup sur coup Terreur aveugle (See No Evil), L’étrangleur de Rillington Place (10 Rillington Place) et Les flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions) permet d'envisager l'Histoire du cinéma sous un autre angle, à savoir que certains auteurs sont passés à l'as pour ne pas avoir été défendus par la critique cinéphile en leur temps. Dans un des bonus, et les trois films en sont largement pourvus, Nicolas Boukhrief analyse parfaitement les mérites de Fleischer et les raisons de leur méconnaissance. Dans un autre, Christophe Gans vante la rigueur de l'auteur, capable de changer de style pour trouver le meilleur angle à chaque histoire. Fleischer a une vision très noire de la société. Pour avoir pensé devenir psychiatre, il en a étudié les recoins les plus sombres. Il ne juge pas, il constate, éventuellement laisse planer une explication sans jamais la formuler, laissant à l'inconscient toute sa complexité. Mais il détaille les mécanismes avec une précision redoutable, échafaudant des scénarios captivants, souvent inspirés de faits-divers authentiques.


Si Fleischer tourne ses films en les situant toujours à une époque donnée, ceux-ci restent d'une actualité confondante, car l'humanité est d'une effroyable constance dans ses us et coutumes, dans sa misère et son absurdité mortifère. Les flics de Los Angeles, quand ils ne dorment pas la nuit, ont les mêmes réflexes que ceux de chez nous aujourd'hui, gardiens de l'ordre humanistes (certains ont évidemment commencé ainsi leur carrière !), crapules corrompues ou dépressifs suicidaires (les mauvais plis sont vite pris !)... Son film, tourné en 1972 (musique de Quincy Jones), mettant en scène un vieux briscard et une jeune recrue, en a inspiré bien d'autres sans posséder sa vision réaliste de l'ambiguïté du rôle de la police. Chez Fleischer la fiction a des allures documentaires.


Ainsi il choisit le cas de L'étrangleur de Rillington Place, toujours 1972, qui avait abouti quelques années auparavant à la suppression de la peine de mort en Angleterre. L'atmosphère est glauque à souhait. Richard Attenborough, qui joue le rôle de l'assassin, et le jeune John Hurt, faux-coupable illettré tout désigné, y sont époustouflants. La caméra à l'épaule se faufile dans cet univers étriqué, sans recul. Le drame psychologique, filmé sur les lieux-mêmes ou reconstitué fidèlement en studio, tient au corps. Le crime est parfaitement huilé. Ça gaze à tous les étages !


Quant au thriller de 1971, Terreur aveugle, il oppose la douceur et la fragilité de l'ingénue jouée par Mia Farrow à l'horreur qu'elle ne peut voir suite à son accident équestre. Fleischer, qui joue ici sans cesse de ressorts hitchcockiens, commence le suspense à partir d'un petit rien lorsqu'elle marche en chaussettes au milieu du verre brisé, retardant sans cesse la découverte sanglante. La suite n'en sera que plus terrible, Fleischer utilisant le hors-champ comme une zone invisible à l'aveugle et un cadre serré nous interdisant d'identifier le meurtrier, si ce n'est par ses bottes. Il se sert de chaque détail en sa possession pour construire un scénario à la fois épuré et virtuose, dont la cécité est l'astucieux moteur. Comme chez tous les grands réalisateurs, chaque plan est pensé en fonction de l'intrigue.

coffret Richard Fleischer, 3 films remasterisés haute définition en Blu-Ray et DVD, bonus a gogo avec les préfaces de Nicolas Saada, les commentaires de Fabrice du Welz, Christophe Gans, Nicolas Boukhrief, et les témoignages de Judy Geeson, Joseph Wambaugh, Stacy Keach, Richard Kalk, Ronald Vidor, Ed. Carlotta, 60€, sortie le 9 novembre 2016

mercredi 26 octobre 2016

Séries ou très longs métrages ?


Petit survol rapide de quelques séries regardées depuis la rentrée de septembre. En collant les affiches les unes à côté des autres, je m'aperçois de la constance des couleurs, chair sinistre et métal bleuté. L'époque n'a pas l'air très folichon ! Que nous réserve l'avenir proche ?
Les vacances m'avaient laissé avaler les trois premières saisons de la série d'espionnage Les Américains (voir article) et l'on peut espérer de nouveaux rebondissements à la prochaine.


Après Game of Thrones, qui terminera son cycle l'été prochain, HBO espère que Westworld saura conquérir les spectateurs, mais rien n'est moins sûr. Inspiré d'un film de science-fiction écrit et réalisé par Michael Crichton en 1973 avec Yul Brynner, ses trois premiers épisodes sont laborieux et répétitifs. La distribution (Anthony Hopkins, Ed Harris, Sidse Babett Knudsen...) et les effets spéciaux ne suffisent pas à dynamiser cette histoire d'androïdes (dans un parc d'attractions à la thématique western, de riches visiteurs peuvent tuer et violer à leur guise, tant que les créatures ne se révoltent pas).


Par contre, les deux premiers épisodes de The Young Pope, 10 heures entièrement réalisées par Paolo Sorrentino, sont pleins de promesses. Canal+ la diffuse cette fois quelques mois avant HBO. Là aussi une belle distribution (Jude Law joue le rôle de Pie XIII, un pape tourmenté qui n'est pas le pantin que les cardinaux pensaient avoir élu, Diane Keaton est la bonne-sœur qui a élevé l'enfant abandonné par ses parents, Cécile de France est la responsable du marketing du Vatican... En fait tous les personnages, particulièrement felliniens, sont formidables), mais un humour ravageur et un ton impertinent qui rappellent Buñuel, avec un soin pour le son et l'image comme dans tous les précédents films du cinéaste.
Les mini-séries comme celle-ci sont moins chronophages, se rapprochant plutôt d'un très long métrage, une seule saison en plusieurs parties préservant les rebondissements du feuilleton. Les journaux du XIXe siècle avaient inauguré le roman-feuilleton, au XXe la télévision s'en était emparée, renouant avec le suspense qu'ils dispensent à la fin de chaque épisode.


C'est évidemment le cas avec The Night Manager, mini-série d'espionnage en 6 épisodes d'après John Le Carré réalisée par Susanne Bier et produite par la BBC. Les cinéastes commencent à comprendre l'intérêt de la télévision au moment où elle ne se regarde plus en tant que telle, mais sur les écrans des ordinateurs, voire projetés sur les grands écrans des home vidéos. Plus classique que certains films de la cinéaste danoise, on y retrouve tout de même son intérêt pour les ONG et des personnages féminins avec de l'étoffe.


Pour le réalisme social on préférera The Night Of, mini-série de 8 épisodes avec John Turturro et Riz Ahmed, encore produite par HBO. Cette étude minutieuse, plus proche de The Wire que d'un thriller, sur le système de justice américain met en scène un croisement habile entre l'innocence et la culpabilité, la prison préventive enfonçant l'innocent dans la criminalité.

mardi 11 octobre 2016

Des films qui sortent de l'ordinaire


Quelques films relativement récents ont retenu mon attention ces dernières semaines.
La presse a beaucoup parlé de Ma loute, comédie française de Bruno Dumont, à qui la veine comique sied superbement, encore plus réussie que Le Ptit Quinquin.
Autre comédie sociale, Que Horas Ela Volta? (Une seconde mère), de la brésilienne Anna Muylaert, remarquablement réalisée et interprétée par Regina Casé. Le titre français laisse présager un nanar pesant alors que c'est frais, pimpant, drôle et particulièrement bien analysé dans les rapports de classes. Je n'ai pas encore vu Mãe Só Há Uma (D'une famille à l'autre) sorti depuis.


Beaucoup plus noire et cinglante, la comédie danoise Men and Chicken d'Anders-Thomas Jensen ne vous laissera pas indemne. C'est aussi délirant que son précédent, Adams Æbler (Les pommes d'Adam), réalisé il y a plus de dix ans et qui était déjà brillant. Sous couvert de fantastique destroy, Jensen soulève la question des manipulations génétiques avec un humour ravageur.


Pour en terminer avec les comédies, Er ist wieder da (Il est de retour) de l'Allemand David Wnendt est tout à fait passionnant. Adolf Hitler se réveille dans un square berlinois de nos jours. Les réactions mitigées de la population interrogent bigrement. Avec un humour que nous pourrions juger parfois un peu lourd de ce côté du Rhin, Wnendt réussit à nous troubler en mêlant fiction et documentaire sans que l'on en saisisse la frontière. Il crée même une structure en abîme, acrobatie cinématographique intelligente où l'imaginaire vient percuter le réel avec une force incroyable. La fin laisse un goût amer...


Le drame hongrois Saul fia (Le fils de Saul) de László Nemes est d'une toute autre nature. Des critiques ont stupidement condamné l'esthétisme de ce récit sur un camp de concentration, mais les évocations suffisent largement sans qu'on ait besoin d'en voir plus, bien au contraire. Je me suis forcé à le regarder pour mieux comprendre ce qui était arrivé à mon grand-père, passé par Drancy et Auschwitz, gazé à Buchenwald. Le film est très fort et mérite de côtoyer Nuit et brouillard, La mémoire meurtrie, voire Shoah sur lequel j'ai déjà émis pas mal de critiques.


Les crimes du colonialisme sont plus insidieux en ce qu'ils ne sont pas toujours conscients, certains pensant parfois apporter la civilisation aux indigènes. Le superbe noir et blanc du film dramatique El Abrazo del Serpiente (L'étreinte du serpent), réalisé en coproduction colombienne, argentine et vénézuélienne par le Colombien Ciro Guerra donne à cette aventure, racontée du point de vue des autochtones, un aspect historique et onirique exceptionnel.


Pour terminer ce rapide passage en revues, j'ai choisi quatre thrillers. Je craignais une redite avec celui du Mexicain Gabriel Ripstein, fils d'Arturo Ripstein, or 600 Miles, film à petit budget avec Tim Roth, offre une approche originale du passage de la frontière avec les États-Unis où les motivations de chacun sont surprenantes, même dans leurs évidences.


Idem avec Room, thriller canado-irlandais de l'Irlandais Lenny Abrahamson, où le thème d'une femme kidnappée et enfermée par un malade me faisait craindre le pire. Là encore, le scénario est beaucoup plus original, nous sortant littéralement de la séquestration pour envisager un autre film. Les rapports de la mère et de son fils y sont particulièrement touchants.


Maryland, film franco-belge d'Alice Winocour, préserve suffisamment l'énigme pour que nous soyons accrochés par le duo de Matthias Schoenaerts et Diane Kruger. Contrairement à beaucoup de films français qui se veulent d'abord explicatifs, contrairement aux films américains (tiens, il n'y en a aucun cette fois dans ma sélection !) qui savent entretenir le suspense, Maryland (c'est le nom de la villa) joue sur la fragilité des personnages qui ne répondent pas aux stéréotypes du genre.


J'ajoute le provoquant et astucieux court-métrage Pornography d'Eric Ledune, passé sur Arte, qui pose bien la question de ce qu'est la pornographie et l'obscénité.


C'est drôle, coquin et surtout particulièrement malin en ce qui concerne la liberté d'expression et l'écart monstrueux qui sépare le sexe de la violence, ce qui est permis ou pas. La bande-annonce ne laisse hélas pas présager de l'évolution du film sur ses 22 minutes ! J'en ai probablement oubliés comme le dernier long métrage de la Danoise Susanne Bier, En chance til (Une seconde chance) ou Rester vertical d'Alain Guiraudie...