70 Cinéma & DVD - décembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 17 décembre 2013

La mémoire meurtrie (Memory of The Camps)


La mémoire meurtrie est le titre de la version française du film de Sidney Bernstein, Memory of The Camps, dont Alfred Hitchcock supervisa le montage. Le film terrible tourné entre autres dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en 1945 fut interdit jusqu'en 1985. Malgré l'intention initiale des Anglais de le montrer au peuple allemand, il devint rapidement inopportun si l'on souhaitait que l'Allemagne puisse se relever. La charge était trop forte. Il est certain que la projection du film est difficilement soutenable.
À comparer la version originale commentée par l'excellent comédien Trevor Howard et ponctuée de lourds silences et la version française en voiceover où le début a été raccourci et où ont été rajoutés un certain nombre de témoignages, du cinéaste-cameraman, des survivants Anita Lasker, Leon Greenmann et Hugo Gryn, et quelques commentaires de l'historien Martin Gilbert, on appréciera la force de la première (mais il faut parler anglais, of course) et l'intérêt de la seconde (surtout si l'on ne parle pas la langue de Shakespeare) qui se penche sur l'histoire du film lui-même. Les suggestions d'Hitchcock y sont par exemple évoquées : privilégier les longs plans séquences pour contrer les suspicions négationnistes, des contrepoints sur la sage campagne environnante, etc.
J'avais découvert le film sur Canal Plus en 1987. Il fut rediffusé en 1996 lors de "Une semaine contre l'oubli". Je n'ai jamais pu l'oublier. L'histoire de mon grand-père gazé à Auschwitz avait hanté mon enfance. Nuit et brouillard, projeté au lycée, m'avait considérablement ému. La mémoire meurtrie montre l'inimaginable, un cauchemar dont on aimerait se réveiller.
Stephen Frears a supervisé la restauration du film qui sortira début 2015 avec la sixième et dernière bobine manquante à l'occasion du 70ème anniversaire de la Libération.

P.S.: En 2014 le Britannique André Singer reprend 12 minutes de ces archives, restaurées, pour un nouveau film de 1h15 intitulé Night Will Fall avec la voix de Helena Bonham Carter.

lundi 16 décembre 2013

Peter Brook sur un fil...


Dans la famille Brook on demande le père. Évidemment. Mais c'est le fils qui nous l'offre, sur un plateau, ou plutôt Sur un fil... tant l'exercice consiste à chercher l'équilibre comme on avance en aveugle sans savoir où l'on va. Ce "on" est endossé par une dizaine d'acteurs et musiciens participant à un atelier d'improvisation sous la direction du metteur en scène Peter Brook. Son fils Simon l'a convaincu de se laisser filmer pendant les répétitions révélant le travail qu'il a refusé de montrer depuis 40 ans. Le tournage est aussi sobre et limpide que la méthode de l'homme de théâtre. Ce qu'il appelle The Tightrope, la corde raide, condense des décennies de pratique qui accouchèrent de spectacles merveilleux.
Si cette leçon d'improvisation d'une heure vingt trois minutes puise ses racines dans la musique, l'appropriation qu'en font ici les comédiens et comédiennes devraient inspirer à leur tour maints musiciens improvisateurs. La théorie du cerveau partagé rappelle l'incroyable magie de jouer à plusieurs en connaissant la finalité sans pouvoir prévoir les obstacles et les rencontres que le voyage suscite. Il sera question d'écoute, d'anticipation sans préjugé, de lâcher prise, d'indépendance du corps comme celle de l'esprit, et bien d'autres ressorts permettant de rebondir en sautant à la corde.
Les bonus du DVD que publie Blaq out prolongent la leçon par le témoignage du fiston comme par celui des participants. Les plus dévots pourront réécouter les pièces musicales accompagnant l'exercice, les autres se contenteront de savourer l'intelligence et la sensibilité d'un homme qui a su révéler la légèreté de l'être, qu'elle soit insoutenable ou en lévitation.

jeudi 12 décembre 2013

Baiser d'encre, ça se fête


Succès unanime du nouveau film de Françoise Romand. C'est évidemment sans compter les spectateurs partis sans rien dire. Les deux séances successives au Triton mardi soir ont grandement rassuré la réalisatrice et ses deux acteurs, Ella & Pitr. Les nombreux compliments sur la musique m'ont évidemment beaucoup touché. Il est toujours plus facile de partager ses sentiments lorsque l'on est emballé que si l'on s'est ennuyé ! Les critiques circonstanciées laissaient supposer une sincérité partageuse. Lorsqu'il ne savait pas comment s'en sortir Coppola disait "You did it again!", traduisons "C'est bien toi !". Ève Risser m'envoie une photo de nous quatre sur la scène. Ella & Pitr se sont envolés cette nuit pour Hong Kong. Françoise dort. Ma grippe a repris de plus belle...


Baiser d'encre est certainement le plus joyeux de toute la filmographie de Françoise. Tendresse et fraîcheur suintent de tous ses pixels. J'ai parlé de conte moral. En le voyant on aurait envie de faire des enfants si ce n'était déjà fait ! Les impertinences y sont livrées pleines de nuances. Je savais tout cela, mais la projection HD dans la nouvelle salle du Triton a fait exploser les couleurs et souligner le mixage. Il aura fallu à Françoise trois ans de travail pour en arriver là. Ce n'est plus qu'une question d'export pour obtenir une copie 0 conforme. Cela ne semble pas évident avec FinalCut.


Les prochaines séances auront lieu le mardi 17 décembre à 20h au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne (également jeudi 19 décembre à sa Cinémathèque, Mix-Up ou Méli-Mélo à 18h dans une superbe copie remasterisée, rencontre avec la réalisatrice à 19h, Appelez-moi Madame à 20h) et le 22 janvier à 20h30 au cinéma Le Cin'Hoche à Bagnolet, en attendant la sortie officielle. C'est l'occasion pour vous de vérifier que je n'écris jamais de billet de complaisance !

mercredi 11 décembre 2013

Chasse au trésor VHS


J'ai jeté un pont vers l'île aux trésors avant qu'elle ne soit engloutie par un tsunami magnétique. Tous mes magnétophones à bande étant en réparation je continue à numériser, mais cette fois mes VHS. Comme il y en a des centaines je choisis les petits sujets qu'en bon obsessionnel j'enregistrais à la fin des bandes de quatre heures. Il restait toujours un peu de place après les deux longs métrages. Si ceux-ci ont pour la plupart été réédités en DVD il n'en sera probablement jamais de même avec les clips musicaux, les publicités des années 80, les concerts inédits, les magazines, les extraits de journaux télévisés, les opéras, etc. Cette boulimie télévisuelle remonte à la naissance de ma fille. Nous sortions moins et il fallait qu'Elsa soit impérativement couchée à 21h avant que le film ne commence ! Après le 11 septembre 2001 j'ai totalement arrêté de regarder la télé sauf pour les films, et depuis le DVD et Internet j'ai rendu mon décodeur pour ne plus jamais me brancher sur une chaîne.
En fait j'ai sorti le lecteur VHS pour numériser une douzaine de courts et moyens métrages de Françoise que je n'ai jamais vus et surtout son feuilleton-documentaire en huit épisodes, Croisière sur le Nil, qui était passé sur France 3 à 20h.


Comme j'avais terminé de sauver ses précieuses archives je me suis plongé dans les miennes, ou plus exactement l'incroyable téléthèque où chaque cassette est répertoriée dans six classeurs numérotés où je collais les articles de Télérama. J'ai ainsi retrouvé la Nuit du film d'art sur Canal Plus, celle intitulée Doc Doc Doc, des centaines de documentaires, de films d'animation, un condensé de la série Movie Mahal produite par Channel Four qui me permet de retrouver les films complets d'où sont extraits les numéros chantés et dansés, une soirée sur la voix, des documents historiques inestimables... La mémoire meurtrie, le terrible film de Sidney Bernstein sur les camps de concentration pour lequel Alfred Hitchcock supervisa le montage, fait passer Nuit et Brouillard pour une bluette. J'exagère à peine. Les Anglais ont interdit le film jusqu'en 1985 de peur que l'Allemagne ne s'en remette jamais. J'en profite aussi pour copier mes passages à la télé, comme après mon retour du siège de Sarajevo, des plans de manif au Journal de 20 heures, des interviews sur la musique... Il y a heureusement beaucoup de petits sujets amusants, des sketches comme ceux de Pierre Dac, Jacques Dufilho, Jean Yanne... Je sélectionne seulement ceux que j'ai envie de revoir, sacrifiant probablement la majorité de ce fonds. Je n'ai pas que cela à faire, mais je me rends compte de la boulimie incroyable qui m'a toujours animé, un encyclopédisme qui m'alimente autant qu'une soif inextinguible de créer sans cesse.

mardi 10 décembre 2013

Enclume et Baiser d'encre


Remake d'Ouvrard. Depuis dimanche soir j'ai la tête comme une enclume, le ventre en papillote, je tousse à m'en ouvrir le thorax, des courbatures des orteils à la pointe des cheveux, je ne regrette qu'une chose, ne pas savoir dessiner pour croquer ma carcasse en deux coups de crayon. Je me la joue très pro, au moment où le travail se calme et où j'ai le temps de me transformer en zombie. J'espère que ce sera passé d'ici ce soir, car Françoise projette Baiser d'encre, son nouveau film, en avant-première au Triton à 19h30 (complet au point de rajouter une séance à 21h30, déjà presque complet). J'en ai composé la musique avec Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal et Edward Perraud... Et puis les acteurs seront présents dans la nouvelle salle du Triton !
Les Papiers Peintres Ella & Pitr puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics. Françoise Romand, inspirée par cette étonnante saga familiale, propose une délicieuse fantaisie montrant qu'il existe mille manières de rendre le monde plus beau à condition de s'en emparer avec l'esprit critique qu'exige toute création.

vendredi 6 décembre 2013

Un Tex Avery de l'animation numérique


Le jeune cinéaste d'animation irlandais David OReilly est un Tex Avery des temps modernes. Il fait exploser la 3D, dans ses codes et ses usages, en jouant des artefacts et des effets de bord avec un humour féroce. Son dernier court-métrage The External World, interdit en Chine (?), a reçu une quarantaine de prix internationaux.


Son site recèle d'autres trésors d'imagination où l'usage systématique du glitch effectue un recul brechtien (ou godardien !) offrant de voir le quotidien du geek sous des angles inédits. L'histoire du dessin animé est passée à la moulinette et son passé le plus récent bigrement écorché par ses impertinences graphiques. Puisque sexe et scatologie y font aussi bon ménage que chat et souris font le ménage, je vous recommande également Please Say Something. Il suffit de mettre les doigts dans la prise pour que les machines rendent leur jus ! NX_vcjZmQ9w...

lundi 2 décembre 2013

La route des Indes


Les éditions Carlotta continuent la publication en DVD/BluRay de l'œuvre de David Lean avec son dernier film, La route des Indes (A Passage to India), tourné en 1984. Cinéaste fondamentalement sensible au statut des femmes confrontées à une société qui fait peser sur elles tant de conventions sociales machistes il met en scène une fois de plus le désir refoulé qui engendre la culpabilité. Le racisme ambiant accentue la fragilité de Judy Davis et Victor Banerjee qui doivent se battre contre tout ce qui leur a été inculqué. L'homosexualité n'est d'autre part jamais abordée de front, mais on la sent étonnamment poindre dans nombreuses de ses réalisations. L'intrigue de La route des Indes a pour cadre une Inde qui se réveille du joug de la colonisation britannique comme il l'avait montré avec le monde arabe dans Lawrence d'Arabie. On retrouve aussi la finesse psychologique de ses premiers films. Le grand écart qu'affectionne David Lean entre mysticisme et trivialité est souligné par des traits d'humour presque iconoclastes portés par le comédien Alec Guiness qui ressemble ici à Peter Sellers dans The Party ! Mais c'est surtout le montage, pris en charge par Lean lui-même, qui épate avec ses ruptures de ton et de rythme, et une utilisation suggestive de la bande-son, deux qualités dont se privent trop de cinéastes aujourd'hui.