70 Cinéma & DVD - janvier 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 23 janvier 2017

La La Land, variation virtuose d'un standard


La La Land est bien parti pour faire un carton cet hiver. Déjà doté de 7 Golden Globes et de quantité d'autres prix, le troisième film de Damien Chazelle qui sort mercredi en France est en lice pour les Oscars. Dans cette période glaciale de l'année où la population étale sa déprime, après ou avant les absurdités électorales dont les démocraties cyniques ont le secret, cette comédie musicale pourrait bien bénéficier de ce qui permit en son temps à Amélie Poulain de crever le plafond. Pendant et après sa projection je ne pus m'empêcher de me poser quelques questions sur les antécédents qui l'ont explicitement inspiré.
Il est indéniable que Chazelle fait preuve ici d'une grande virtuosité chorégraphique, sa caméra formant un trio vertigineux avec ses deux protagonistes interprétés par Emma Stone et Ryan Gosling. Les plans séquences virevoltants s'enchaînent comme des perles tout au long des deux heures d'un film dont les emprunts à ceux de Vincente Minnelli et, plus encore, de Jacques Demy sont omniprésents, par le scénario, les costumes, les décors, la musique, etc. Les compositions de Justin Hurwitz raviront les amateurs de jazz comme la qualité d'interprétation des deux étoiles hollywoodiennes, mais il est impossible de ne pas comparer avec les originaux cette nouvelle variation d'un standard de la comédie musicale, d'autant qu'elle emprunte ses ressources à des œuvres du siècle précédent.
Tout d'abord, La La Land ne souffre pas de l'antipathie radicale que procura à tous les musiciens son précédent Whiplash, combat sado-maso qui ne sut conquérir que celles et ceux qui ne connaissent rien au jazz en en donnant une interprétation épouvantable et stupide. À croire que Chazelle, malgré son succès, encaissa les critiques de ceux qu'il encense au point d'éviter soigneusement cette fois toute polémique. Il va même jusqu'à les anticiper, et donc s'en justifier, en soulignant le côté rétro de l'entreprise lorsque Keith joué par John Legend explique à Sebastian (Ryan Gosling) que ce qui était révolutionnaire chez Kenny Clarke ou Thelonious Monk ne l'est plus chez ceux qui s'en réclament aujourd'hui par tradition.


Or La La Land est incroyablement calqué sur Les demoiselles de Rochefort, des couleurs pétantes aux mélodies en passant par le scénario. Une jeune comédienne qui veut réussir, un musicien intègre, des rencontres en ruptures, quatre filles aux robes flashy bleue, jaune, rouge, vert, des suites de notes où l'on reconnaît la Chanson de Simon Dame (et accessoirement la musique de Jean Constantin pour Les 400 coups de Truffaut), etc., mais Los Angeles n'est ni Rochefort ni Cherbourg. J'évite de "spoiler" le film, car les similitudes sont légion. Lorsque Chazelle s'échappe de son système référentiel, il expose de jolies idées qui lui sont propres, en particulier de subtils jeux de lumière, nous permettant d'espérer que le jeune réalisateur indubitablement doué saura s'en affranchir à l'avenir.
On peut être aussi fasciné par les mouvements d'appareil qu'énervé par une esthétique tape-à-l'œil digne des clips vidéo. Différence notable entre le maître et l'élève, Chazelle reste focalisé sur l'extraordinaire Emma Stone et son faire-valoir Ryan Gosling alors que Demy savait jouer d'une huitaine de personnages entremêlant leurs histoires pour créer une dialectique qui fait défaut au duo polarisateur. De même, Demy suggérait un passé à ses personnages quand Chazelle ne peut que se référer à son modèle. La La Land apparaît alors comme un exercice de style, une variation virtuose mais superficielle de la comédie musicale, comme il existe quantité d'interprétations des standards de jazz, incapables de faire oublier les originaux, malgré le savoir-faire des jeunes générations.
Il serait néanmoins dommage de bouder le plaisir que ce film charmant et distrayant procure, plein d'entrain et d'un romantisme à l'eau de rose, rayon de soleil dans une époque bien noire. Mais si l'on veut changer le monde, il faudra évidemment aller voir ailleurs.

P.S.: Paule Zajdermann m'indique le formidable travail de comparaison de Sara Preciado révélant la supercherie :

mercredi 11 janvier 2017

Chroniques pariétales, il y a 36000 ans


Le battage autour du film de Werner Herzog, La Grotte des rêves perdus (Cave of Forgotten Dreams) (2010), m'avait laissé dubitatif, et la 3D n'arrangeait rien à l'affaire de ce docucu très plan-plan. Je savais que Pierre Oscar Lévy avait réalisé plusieurs films une dizaine d'années auparavant et l'ignorance de la critique montrait comme d'habitude sa paresse. Encore eut-il fallu que ces documentaires soient accessibles. C'est chose faite avec la publication d'un coffret DVD où figurent trois d'entre eux, chacun durant une cinquantaine de minutes. Ils sortent au moment où les "inventeurs" de la grotte sont déboutés par la Cour de cassation, jurisprudence interdisant désormais toute possibilité de faire reconnaître un caractère inédit à des œuvres pariétales, brisant ainsi les velléités mercantiles et les exclusivités abusives.
La série s'articule avec suspense, La Grotte Chauvet, devant la porte (2000) ne nous offrant pas encore d'entrer à l'intérieur pour des questions d'autorisations. Les regards des heureux élus sortant par la petite entrée blindée en disent autant que les mots qu'ils profèrent. Ils reviennent avec des photos et des dessins, mais c'est seulement avec Dans le silence de la Grotte Chauvet (2002) que nous pouvons partager leur enthousiasme en descendant dans l'obscurité. L'écrivain, critique d'art et peintre britannique John Berger, décédé récemment, suit Jean Clottes et son équipe dans les salles ornées de 1000 dessins, gravures et peintures, dont 425 représentations pariétales animales de 14 espèces différentes, ours, fauves, mammouths, rhinocéros laineux, bouquetins, rennes, aurochs, mégacéros, loups, oiseaux, et remplies de certains de leurs squelettes. Nous ne pourrons jamais voir de nos propres yeux ce qu'ils découvrent, puisque la grotte ardéchoise est définitivement fermée au public. Une réplique réalisée grâce à un relevé de seize milliards de points, générant un clone numérique intégral, a été ouverte en avril 2015. Découvrir avec chaque spécialiste les merveilles picturales peintes à la main à la lumière de torches tient de la magie, mais il est important de comprendre que ces récits ne sont que les reproductions d'histoires dessinées à l'extérieur et forcément disparues sous les assauts du temps. La Grotte Chauvet, dialogues d'équipe (2003), nous permet de suivre les hypothèses de chaque spécialiste de l'équipe et les questions qu'elles suscitent. Comme les autres, ce troisième film a le mérite de ne comporter ni musique ni voix off. Nous pouvons ainsi suivre la visite comme si nous la découvrions avec eux pour la première fois.


Le petit film de 16 minutes ci-dessus agit comme la bande-annonce de ce triptyque incroyable qui nous renvoie aux traces les plus anciennes d'activités artistiques humaines. Les exploits des spéléologues et archéologues nous font frissonner. Deux des scientifiques que l'on suit dans les bonus ont disparu, Michel-Alain Garcia et Norbert Aujoulat, or ce dernier est à l'origine d'une thèse extraordinaire sur les peintures de Lascaux datant "seulement" de 17000 ans : d'une part les animaux représentant des femelles au moment de leurs chaleurs y dessineraient un calendrier de l'année, et d'autre part les étoiles peintes sur les parois montreraient leur position astrologique à cette époque reculée, suggestion qui retint alors le préhistorien moustachu de peur d'être considéré comme un mystique en quête d'horoscope ! On retrouve aussi Jean-Michel Geneste à la fin de Peau d'âme, dernier film de Pierre Oscar Lévy, sur les recherches archéologiques autour du tournage de Peau d'âne de Jacques Demy, qui sortira probablement en octobre 2017. Les découvertes auxquelles nous assistons au long des trois épisodes de ces Chroniques pariétales nous plongent dans des abîmes de perplexité, comme lorsque l'on admire de nuit la voûte céleste loin des lumières de la ville, mais ici c'est en nous enfonçant dans les entrailles de la terre que notre mémoire enfouie est révélée au grand jour.

→ Pierre Oscar Lévy, Chroniques pariétales - La Grotte Chauvet-Pont d'Arc, coffret 2 DVD avec 3 films et 8 bonus, 28,95 €

lundi 2 janvier 2017

Les films de sabre de Maître King Hu


Je ne m'y connais pas beaucoup en films de sabre, le wuxia, mais j'ai été subjugué par le talent de King Hu devant les trois heures de son chef d'œuvre de 1970, A Touch of Zen. Il s'en dégage un très grande poésie, par delà les combats acrobatiques, inspirés de l'opéra chinois, et la nature envoutante. Thriller politique, le film esquisse également une idée du bouddhisme. La remasterisation 4K fait ressortir les couleurs de la magnifique photographie...


Dans le même coffret Blu-Ray, Carlotta propose Dragon Inn de 1967. Les arts martiaux sont moins délirants que dans A Touch of Zen, mais King Hu lance des traits d'humour comme les flèches que les acteurs attrapent à la volée à pleine main. La musique ponctue l'action de manière très inventive, comme souvent dans le cinéma asiatique. Le film ravira tout autant les amateurs d'aventures et d'action que les férus d'histoire chinoise ancienne. Tsui Hark (Il était une fois en Chine, Seven Swords), Ang Lee (Tigre et Dragon), Zhang Yimou (Le secret des poignards volants), Jia Zhang-ke (A Touch of Sin) ou Hou Hsiao-hsien (L'assassin) ont été très influencés par ce cinéaste qui révolutionna le genre.


Le documentaire d'Hubert Niogret, King Hu (1932-1997) n'apporte hélas pas grand chose à l'édifice, Carlotta nous ayant habitués à des bonus plus originaux. Mais tout cela m'a donné envie de regarder d'autres films de sabre de King Hu, comme L'hirondelle d'or (1966), L'Auberge du printemps (1973) ou Raining in the Mountain (1979).

Coffret King Hu : Dragon Inn + A Touch of Zen, 2 Blu-Ray + 1 DVD sur King Hu, Carlotta, 40,13€