70 Cinéma & DVD - septembre 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 19 septembre 2017

Comédies en vrac


En vrac. J'ai regardé les trois Despicable Me (Moi, Moche et Méchant), mais ce sont Les Minions qui remportent définitivement la palme, dans le préquel comme dans les autres films où ils jouent les faire-valoir. Soulignons que les petites bêtes sont françaises, d'où peut-être notre forte sympathie pour leur humour régressif ! Un autre film d'animation, le dernier produit par Dreamworks, Captain Underpants (Les Aventures de Capitaine Superslip), possède ce qu'il faut de pétomanie hirsute pour plaire aux enfants que nous sommes restés ; du moins, j'espère pour vous que vous en êtes encore.
Toujours dans le registre "léger", la comédie policière Baby Driver est un pastiche de Drive en beaucoup plus drôle et enlevé. Edgar Wright avait déjà signé l'excellent Shaun of the Dead, parodie de films de zombies située dans une cité de la banlieue londonienne. Cela me donne vraiment envie de découvrir les trois autres réalisations qu'il a faites entre temps, soit Hot Fuzz, Scott Pilgrim vs. the World (Scott Pilgrim) et The World's End (Le Dernier Pub avant la fin du monde). Shaun of The Dead, Hot Fuzz (un thriller complètement maboul) et The World's End (hommage à la science-fiction) constituent sa Blood and Ice Cream Trilogy, clin d'œil très private joke, à l'humour typiquement anglais. Quant à l'étonnant Scott Pilgrim, ses références pop sont la BD et les jeux vidéo, pixellisation et onomatopées graphiques à l'appui... On y reviendra. C'est toujours bizarre de découvrir un auteur méconnu de ce côté du Channel !
Toujours dans cet esprit drôle et décalé, Get Out est une réussite. Sous l'étiquette "film d'horreur" à cause de quelques scènes assez gore et un suspense parfois tendu, le film de Jordan Peele est une fantaisie diabolique sur le racisme aux États Unis. Cette comédie noire l'analyse parfaitement, montrant ce qu'il a de différent de celui que nous connaissons par exemple en France. Le DVD propose diverses fins, l'abondance récente de crimes commis à l'égard d'Afro-Américains ne permettant pas d'en rajouter, semble-t-il. Celle retenue rassurera les spectateurs trop émotifs !
Pour terminer cette petite revue sympathique, citons quatre films français intelligents, drôles et sensibles. Patients de Grand Corps Malade et Mehdi Idir ne véhicule pas le pathos attendu de cette autobiographie cinématographique, mais révèle un humour ravageur des plus sains. Willy 1er, réalisé par Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas, dont trois étudiants diplômés de la première promotiion de l'École de la Cité, l'école de cinéma lancée par Luc Besson, est une histoire à la fois tendre et humoristique sur un handicapé dont le frère jumeau vient de se suicider. Comme quoi Besson n'accouche pas que de grosses daubes pseudo américaines ! Maman a tort de Marc Fitoussi est une comédie dramatique, critique sociale spirituelle sur le monde du travail qui se rapproche de Violence des échanges en milieu tempéré sur un registre plus léger. Une fille de 14 ans y fait un stage dans l'agence d'assurances de sa mère... Enfin le moyen métrage Haramiste met en scène Inas Chanti et Souad Arsane, deux jeunes beures des cités qui cosignent le scénario et que l'on retrouvera dans le prochain long métrage d'Antoine Desrosières, tout aussi drôle et impertinent. Comme dans Swagger, les clichés explosent, mais ici ce sont les préoccupations sexuelles des jeunes et leurs contradictions qui sont remarquablement réfléchis. Alors avec tout cela, amusez-vous bien sans devenir idiots !

jeudi 14 septembre 2017

Portrait de Paul Sharits


Comme presque tout le cinéma expérimental, que les Américains appellent cinéma non narratif, j'avais découvert Paul Sharits au C.N.A.C. rue Berryer, près de l'Étoile à Paris, qui préfigurait le futur Beaubourg. Une histoire du cinéma, conçue par Peter Kubelka, cofondateur de l'Anthology Film Archives de New York, et organisée par Annette Michelson avec le soutien de Pontus Hultén, directeur du département des arts plastiques de Beaubourg, et d'Alain Sayag, directeur du Musée d'Art Moderne, présentait du 7 février au 11 mars 1976 des centaines de films réalisés des cinéastes américains et européens depuis les origines. Après celle de Montreux, cette exposition était la plus importante jamais organisée en Europe. Henri Langlois avait donné son accord pour un tarif forfaitaire de 60 francs après une manifestation des étudiants du département-cinéma de l'Université de Vincennes.
Pour la partie européenne, Kubelka avait demandé conseil à Noël Burch, Marcel Mazé et le collectif Jeune Cinéma, Claudine Eizykman et Guy Fihman, Dominique Noguez... À côté de Buñuel, Cocteau, Léger, Ray, Deren, Clair, Picabia, Dulac, Chomettte, Richter, Epstein, Franju, Genet, Ivens, Vigo, Isou, Lemaître, Rainer, Varda, Hanoun, Robiolle, Garrel, Clémenti, Monory, Arrietta, Dwoskin, Eggeling, Cornell, Menken, etc., on découvrait Kenneth Anger, Stan Brakhage, James Broughton, Robert Breer, Hollis Frampton, Ernie Gehr, etc. Jean-André Fieschi nous avait déjà montré La région centrale de Michael Snow, mais il y avait aussi Back and Forth, Wavelength, One Second in Montreal, Standard Time... Je connaissais aussi un film déterminant pour mon travail, A Movie de Bruce Conner, et Tom, Tom The Piper's Son de Ken Jacobs me marqua à jamais. Les films représentaient pour la plupart une expérience sensorielle quasi psychédélique. Les flicker films de Sharits faisaient partie de cette hallucination vécue en direct par toute l'assistance. La stroboscopie de N.O.T.H.I.N.G., T.O.U.C.H.I.N.G. et S/Stream:S:S:ection:S:S:ectionned nous avait hypnotisés. Sortis de la salle, nous ne regardions plus le réel avec les mêmes yeux, nous n'écoutions plus les bruits de la ville avec les mêmes oreilles.


Le documentaire de François Miron sur Paul Sharits fait partie de ces histoires tristes où un artiste se brûle les ailes à la flamme de son œuvre, qui elle-même l'avait pourtant sauvé du bûcher de la vie. Les témoignages de ses proches font le portrait d'un artiste violent et auto-destructeur que les échecs consument. Après avoir échappé à une attaque à l'arme blanche et à un coup de feu meurtrier, Sharits se suicidera en 1993 à 50 ans d'une balle dans l'oreille comme il l'avait annoncé. Sa mère s'était elle-même suicidée. L'estime de ses collègues ne suffisait pas pour manger à sa faim, et il devait brader ses tableaux pour tenir le coup. Les extraits de ses films ne reproduisent pas l'effet hypnotique et hallucinogène de ses clignotements colorés, mais Re:voir a déjà publié 3 de ses films en DVD. Chez lui le sujet principal est la bande de celluloïd composée de photogrammes. Leur rythme est dicté par la musique, une musique des images que de longues heures de montage produisent. Si tout est calculé, sans laisser de place au hasard, son approche du cinématographe est pourtant viscéralement romantique. Les perforations de la pellicule semblent avoir marqué sa vie comme un tatouage au fer rouge.

→ François Miron, Paul Sharits, DVD Re:voir, livret de 40 pages rédigé par Yann Beauvais, 19,90€

jeudi 7 septembre 2017

Rio 2096, l'Histoire du Brésil en animation


Le film d'animation Rio 2096, une histoire d'amour et de furie raconte l'histoire du Brésil au travers des répressions successives dont furent victimes les populations qui se révoltèrent contre les oppresseurs. En utilisant une forme poétique quasi chamanique, Luiz Bolognesi conte l'histoire d'amour entre deux indiens à différentes époques, la colonisation portugaise (qui commence par vaincre les soldats français), l'esclavage, la révolte de 1968, le régime militaire de 1980 pour aboutir en 2096 où l'eau est devenu le bien le plus convoité. Ce mélange de documentaire et d'aventure magique a valu au film de nombreux prix internationaux dont le Grand Prix à Annecy en 2013.


Rio 2096, une histoire d'amour et de furie plaira autant aux enfants à partir de 10 ans qu'à leurs parents. Il raconte les difficultés subies auxquelles durent faire face les populations brésiliennes depuis plusieurs siècles. La destruction des peuples indigènes, le statut des noirs considérés encore comme des citoyens de seconde zone, la création des cangaçeiros découverts dans les films de Glauber Rocha, les favelas où vit un lumpen prolétariat, la destruction systématique de la nature, etc. y sont évoqués intelligemment tout en véhiculant une sorte d'héroic fantasy à laquelle s'identifier !

→ Luiz Bolognesi, Rio 2096, une histoire d'amour et de furie, DVD Ed. Montparnasse, 15€, sortie le 5 septembre 2017

mardi 5 septembre 2017

Korczak d'Andrzej Wajda


Après une période de flottement qui s'est soldée par un rachat, les éditions Montparnasse reprennent leur production de DVD, avec les mêmes exigences de contenu, souvent politique, écologique, philosophique ou simplement cinéphilique. Ainsi Korczak (1990) d'Andrzej Wajda évoque un passage dramatique de la vie du médecin né en 1878 qui fut l'un des fondateurs des droits de l'enfant, célèbre pour sa pédagogie de l'enfance et sa littérature enfantine. Comme il l'avait fait pour Katyn déjà paru en DVD chez le même éditeur, Wajda aborde un terrible épisode de la Pologne puisqu'il filme le ghetto de Varsovie de sa création à la déportation avant sa destruction totale. En 1942 le docteur Janusz Korczak qui dirigeait un orphelinat de 200 enfants choisit de les accompagner plutôt que de fuir en Suisse comme il en aurait eu la possibilité. Le film est particulièrement éprouvant, comme par exemple Le fils de Saul de László Nemes sorti en 2015. Tourné en noir et blanc, Korczak ne ressemble pas aux épopées de Polanski (Le pianiste) ou, pire, de Spielberg (La liste Schindler), parce qu'il présente d'une part les méthodes éducatives du pédiatre qui responsabilise les enfants en évitant de les culpabiliser, et d'autre part parce que les différentes options politiques des Juifs du ghetto sont exposées, depuis les collaborateurs jusqu'aux résistants en passant par les crédules et les passifs. La barbarie des nazis reste souvent hors-champ, le cinéaste polonais se concentrant sur les questions que se pose l'enfance. Le noir et blanc confère évidemment au film un effet documentaire particulièrement inconfortable. Même fictionnalisé, il fait partie des témoignages au même titre que le célèbre Nuit et brouillard d'Alain Resnais ou La mémoire meurtrie dont Hitchcock surveilla le montage.

L'anneau de crin, qui évoque l'insurrection polonaise de 1945 et sort en même temps, souffre par contre des défauts dont je me souvenais chez Wajda, manichéisme lourdingue anti-soviétique qui ne donne aucune clef de l'Histoire. Quitte à faire de l'anti-communisme primaire, je préfère mille fois revoir Ninotchka de Lubitsch, au moins on rigole, c'est même le seul film où Greta Garbo se marre, un chef-d'œuvre ! Dans cet esprit, mais sans rire, la saison 5 de la série The Americans est décevante, mais je m'accroche en attendant la prochaine. Enfin, j'ai téléchargé la mini-série satirique Comrade Detective, mais pas encore regardée...

→ Andrzej Wajda, Korczak, DVD Ed. Montparnasse, 15€, sortie le 5 septembre 2017