70 Cinéma & DVD - février 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 26 février 2016

Guibord s'en va-t-en guerre


Si Philippe Falardeau change de style à chaque nouveau film, il suggère toujours des sujets graves sous l'angle de la comédie. Après son documenteur La moitié gauche du frigo, il avait réalisé Congorama, C'est pas moi je le jure !, Monsieur Lazhar et The Good Lie, tous ces longs métrages valorisant le mensonge comme élément dynamique de l'histoire. Guibord s'en va-t-en guerre ne déroge pas à la règle, puisqu'il met en scène un homme politique, la caricature ne pouvant jamais arriver à la cheville de la réalité, même si son analyse critique est fine et savamment inspirée. L'idéologie est, comme partout aujourd'hui, enfoncée par la stratégie, moteur d'une caste d'ambitieux avides de pouvoir. Steve Guibord, interprété par Patrick Huard, n'est pas un foudre de guerre, simplement le député indépendant de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, circonscription du nord du Québec, du moins dans le film, car si c'est à l'image du faux site du député Guibord, on aura du mal à la situer sur la carte du Canada. Or Guibord possède l'unique voix qui pourrait faire basculer la Chambre des communes pour ou contre la guerre au Moyen Orient.


La satire québécoise peut sans hésiter s'appliquer à notre propre classe politique, plus encline à se placer sur le marché du travail qu'à défendre un programme cohérent. Les enjeux ne sont pas éloignés des nôtres, et les petits arrangements rivalisent avec les fausses promesses. Entouré d'une femme businesswoman, d'une fille rebelle et d'un stagiaire haïtien citant Jean-Jacques Rousseau à tout bout de champ, le député Guibord doit trouver un terrain d'entente entre les natifs qui montent un barrage sur la route et les bûcherons qui déciment la forêt, tout en mettant les médias dans sa poche. Ne sachant pas quoi penser, il ouvre une "fenêtre de démocratie directe" en interrogeant ses électeurs... N'allez pas croire pour autant que le cinéaste soutienne le "tous pourris", mais il me laisse penser que le tirage au sort pourrait être la meilleure alternative à la bande d'incompétents professionnels à la solde des banques qui nous gouvernent !
Sortie en France le 15 juin 2016

lundi 22 février 2016

Oshima et Vecchiali, des cinémas sans tabou


Je m'en veux de laisser de côté des rétrospectives DVD géniales, mais tant que je n'ai pas terminé de tout voir je ne sais pas comment en parler correctement.


Ainsi trône toujours sur l'étagère le coffret Nagisa Ōshima de neuf films édité par Carlotta (1961-1972). Revoir La pendaison, Le petit garçon et La cérémonie m'a subjugué, mais je n'ai jamais vu Carnets secrets des Ninjas, Le Journal de Yunbogi, Journal du voleur de Shinjuku, Le piège, Il est mort après la guerre, Une petite sœur pour l'été. L'inventivité de la mise en scène et du découpage, les sujets provocants devraient pourtant m'inciter à regarder les six films restants. Qu'est-ce que j'attends ? De quoi ai-je peur ? D'autant que la Trilogie de la jeunesse, ses trois premiers films, m'avait enthousiasmé... Ōshima est probablement l'équivalent de Godard au Japon. Nul autre que lui n'y incarne mieux la Nouvelle Vague, inventive et sulfureuse. (N.B.: la bande-annonce date de 2015)


Dans un autre genre, mais tout aussi briseur de tabous, Paul Vecchiali est un cinéaste français capital et mésestimé. Lorsque j'étais jeune homme j'assistai à la projection de tous ses films dans un cinéma de quartier du XIIIème ou XIVème arrondissement de Paris. J'y allais l'après-midi, la salle était presque vide. Si, depuis, j'ai continué à défendre son cinéma, qu'est-ce qui me retient aujourd'hui de boucler cette rétrospective de son œuvre en deux coffrets édités par Shellac, huit films de 1972 à 1988 ? Celle de Vecchiali commence l'année où s'arrête celle d'Ōshima, hasard de l'édition DVD et de mes retards de visionnage. Je me souviens parfaitement de ses deux films les plus connus, Corps à cœur et Femmes femmes avec Hélène Surgère et Sonia Saviange. Il n'y a pas si longtemps j'avais été épaté par Encore (Once More), comme les scènes d'un nouveau théâtre filmé d'une audace inégalée où l'homosexualité s'expose sans complexe, pas même celui de la maladie qui décime alors la communauté. J'ai revu son film porno Change pas de main, et puis Rosa la Rose, fille publique et L'étrangleur. Toujours la même liberté de ton. Un lieu unique entre Luc Moullet et Jean-Pierre Mocky. La fantaisie, un côté foutraque, un romantisme sec, l'amour des acteurs et des actrices, une famille de copains. Il faut encore que je revois En haut des marches et Le Café des Jules. (N.B.: là aussi les bandes-annonces datent de 2015)


Si j'attends trop je finirai pas ne jamais évoquer les films formidables de ces deux moralistes, comprendre que "toute œuvre est une morale", comme l'entendait Cocteau, et que ces deux-là ont chaque fois mis les pieds dans le plat contre la platitude environnante, tant dans les sujets abordés que dans la manière de les filmer, chacun à sa manière.

→ Nagisa Ōshima, Coffret, DVD / Blu-Ray, Carlotta, 60,19 €
→ Paul Vecchiali, Rétrospective 1 et 2, DVD, Shellac, 2 x 35 €

vendredi 12 février 2016

L'année du dragon (coffret collector)


Malgré le titre de mon article je sais tout de même reconnaître un dragon d'un singe, d'autant que je fais partie des natifs du signe brigué par quantité de Chinois. Il paraît pourtant qu'en cette année du singe de feu qui commence, tout peut arriver, du moins individuellement ! Le film de Michael Cimino date de 1985, année du buffle de bois. Moi qui suis dragon d'eau, je n'y entends pas grand chose, mais j'imagine que cela revêt une signification qui m'échappe dans la symbolique de cet épatant thriller. C'est surtout la mise en scène de l'intégrité absolue, qu'elle soit porteuse du mal ou du bien. Les deux protagonistes sont prêts à aller jusqu'au bout par tous les moyens pour assouvir leur ambition. Est-ce une métaphore de l'état de Cimino après l'échec de Heaven's Gate (La porte du paradis) ? Il joue là son va-tout.
On a souvent parlé d'une sorte de western pour un autre polar qui ressort en DVD/Blu-Ray au même moment, Desperate Hours tourné en 1990, mais déjà le duel est évident entre Mickey Rourke et John Lone dans L'année du dragon. Rien d'étonnant chez ce cinéaste qui dresse le portrait des États Unis dans tous ses films, fantasme de nombreux Américains. Des critiques l'ont taxé de racisme parce qu'il montre une communauté chinoise new-yorkaise corrompue et criminelle, mais faudrait-il que les personnages portent un masque neutre ne correspondant plus à rien pour éviter ces réflexions communautaristes ? Le racisme n'est-il pas souvent l'apanage de ceux qui l'imaginent chez les autres ? N'est-il pas simplement l'expression d'une haine de l'autre qui est en soi ? D'autre part il suffit de se promener dans le sud de Manhattan pour deviner que les triades ont remplacé la mafia italienne, considérablement affaiblie par la répression policière exercée pendant des décennies. Il est d'ailleurs étonnant qu'aucun d'entre eux n'ait pris la relève des Scorsese, Coppola, Cimino, De Niro, De Palma...


À l'occasion de la sortie remasterisée en HD de L'année du dragon, Carlotta édite un nouveau coffret ultra-collector après Body Double. Le film est accompagné d'un livre de 208 pages, L'ordre et le chaos, contenant le scénario écrit à quatre mains avec Oliver Stone, des analyses et entretiens avec Michael Cimino, Mickey Rourke et Robert Daley parus dans la presse française de l’époque, les notes de production originales, le tout agrémenté de 50 photos inédites issues des archives MGM et Warner Bros. C'est passionnant, comme cette référence à l'Exclusion Act interdisant aux Chinois de devenir Américains et qui rappelle douloureusement la dérive actuelle de notre gouvernement. Un bémol au milieu des excellents bonus, évitez les présentations avant le film qui le déflore bêtement !
D'habitude les extraits du film que l'on vient de voir m'insupportent également lorsqu'ils truffent les entretiens, mais cette fois tandis qu'ils accompagnent celui purement audio du réalisateur je découvre la profusion incroyable des détails de l'image que l'intrigue avait occultés. Cimino y regrette amèrement la phrase finale d'Au cœur du dragon censurée par les producteurs. Le film se termine par "Tu sais, tu avais raison et moi, tort. Je suis désolé. J'aimerais devenir un mec bien. Mais je ne sais pas comment faire." alors que Stone et Cimino avaient écrit "Quand on fait une guerre assez longtemps, on finit par épouser son ennemi.", ce qui aurait éclairé le film de manière éclatante. En se réclamant de Ford, Kurosawa et Visconti, Micheal Cimino ne se trompe pas de famille.

→ Michael Cimino, L'année du dragon (Year of the Dragon), coffret ultra-collector, édition limitée & numérotée, 3000 Exemplaires, DVD/Blu-Ray, Carlotta, 50 €, également disponible en Blu-Ray seul, sortie le 9 mars 2016
→ Michael Cimino, Desperate Hours (La maison des otages), DVD/Blu-Ray remasterisé HD, Carlotta, sortie le 9 mars 2016

mercredi 3 février 2016

Grandma roule en Dodge


Lorsque l'on découvre une comédie originale et réussie, l'envie de vérifier si le réalisateur ou la réalisatrice en a commis d'autres est mon premier réflexe à l'issue de la projection. Je n'ai vu aucun autre film de Paul Weitz, mais après Grandma, ou plutôt avant puisque c'est son dernier long métrage, je vais m'y employer dare-dare.
Grandma est une sorte de road movie à Los Angeles intra-muros mettant en scène une jeune fille de 18 ans qui vient de tomber accidentellement enceinte et sa grand-mère appelée à la rescousse. Au cinéma comme dans la vie les vieilles dames indignes sont truculentes, et celle interprétée par Lily Tomlin est particulièrement corrosive. Lesbienne, féministe, faussement misanthrope face à l'irresponsabilité masculine, Grandma est jeune depuis beaucoup plus longtemps que les autres protagonistes de cette course qui s'étale sur une journée bien remplie. Au volant de sa superbe Dodge Royal de 1955 elle part donc en quête de 630 dollars pour payer l'avortement de la gamine.


La drôlerie du film doit beaucoup à la prestation de Lily Tomlin et à l'élégance crue des dialogues de Paul Weitz qui ne tombent jamais dans la mièvrerie. Tourné en 19 jours, Grandma réussit à tenir en haleine grâce à sa structure par étapes, autant d'épreuves que les trois générations de femmes doivent surmonter. Au fur et à mesure que l'on avance le passé se révèle, justifiant les comportements actuels de chacune ou chacun. Vivement que le film sorte bientôt en France !